II y a à Montréal environ 450 000 ménages,
mais il n'y a pas beaucoup de monde ordinaire qui habitent chez-eux. A Toronto,
ou même dans le reste du Québec, la majorité des gens
sont propriétaires; ici, on vit surtout dans un duplex ou un triplex
qui appartient souvent à son voisin du dessous.
A Montréal, les trois-quarts des gens sont locataires, ce qui crée
quelques problèmes dans notre meilleur des mondes. Pas seulement
le problème de dizaines de milliers de déména-gements
chaque année, mais aussi le problème d'une certaine injustice.
Je dis une injustice, pas parce que le propriétaire a un peu plus
d'argent au départ - ça, c'est une autre histoire - mais parce
que celui qui est propriétaire a pas mal plus de chance que son locataire
de garder le peu ou beaucoup d'argent qu'il a au départ et d'en faire
plus. C'est donc injuste que notre société ne fasse pas absolument
tous les efforts possibles pour permettre au monde ordinaire de devenir
propriétaires.
En ne donnant pas aux moins riches une occasion de devenir propriétaires,
notre meilleur des mondes aggrave encore plus le fossé entre ceux
qui n'ont rien et ceux qui ont "quelques biens". Quelques biens,
dont une maison; dont SURTOUT une maison, car il y a peu d'investissements
aussi rentables.
Rentable une maison à soi? N'y allons pas avec des à-peu-près,
mais regardons plutôt les quelques chiffres qui suivent, tous tirés
de la brochure "Habiter Montréal" publiée l'an dernier
par la Ville de Montréal.
Le prix d'une maison neuve a augmenté de 24% en
1987. Une bonne année, bien sûr; mais de 1984 à 1987,
le prix d'un duplex à N.D.G. a monté de 64%, et le prix d'un
triplex dans certain secteur du Plateau Mont-Royal - où habitent
comme locataires encore pas mal de gens ordinaires - a grimpé de
73% durant la même période. Une bonne affaire.
Il y a de bonnes et de moins bonnes années mais, décennie
après décennie, le coût des maisons grimpe plus vite
que l'inflation, plus vite que l'indice des prix, plus vite que la plupart
des autres investissements.
Une excellente affaire, surtout que le propriétaire qui vend sa résidence
n'est pas taxé sur le profit réalisé. En fait, pour
celui qui possède une maison valant 3 fois son revenu annuel, il
y a de bonnes chances pour que l'augmentation de valeur annuelle de sa propriété
soit supérieure au coût de son impôt. Tout se passe alors
comme si sa maison payait son impôt à sa place, de sorte que
sa contribution directe à l'effort social est entièrement
épongée par le fait qu'il est propriétaire. C'est bien,
avoir une maison qui paie votre impôt.
D'autant plus agréable que, pendant ce temps, les loyers vont naturellement
augmenter puisque les propriétés valent plus chers. Ainsi,
de 1981 à 1986, les loyers ont en moyenne augmenté de 55%!
Le propriétaire gagne, le locataire perd. Maintenant, devinez qui
va être plus riche et qui va être plus pauvre dans 5 ou 10 ans,
le propriétaire qui s'en sort déjà pas mal ou le locataire
qui en arrache déjà? Et pourquoi donc y a-t-il encore des
locataires?
Il y en a, naturellement, qui ne veulent pas "s'embêter"
d'une maison, et qui ont les moyens de ne pas faire cette bonne affaire;
ils ne font pas partie du monde ordinaire. Il y a aussi ceux qui sont si
mobiles qu'il n'est pas réaliste pour eux de devenir propriétaires:
ils ne sont pas très nombreux. Mais surtout, il y a ceux qui n'ont
pas les moyens d'être propriétaires, car règle générale,
quand on peut, on veut.
Quand quelqu'un a les moyens d'être propriétaire, il choisit
généralement de l'être. Toujours selon "Habiter
Montréal", la majorité des ménages qui disposent
d'un revenu supérieur à 40 000 $ sont propriétaires,
et 71% des propriétaires consacrent moins de 25% de leur revenu au
logement.
Au contraire, une immense majorité de ceux qui n'ont pas 40 000 $
par année de revenus sont locataires, et 40% de ceux-ci doivent dépenser
plus de 30% de leur revenu pour se loger, ce qui est à peu près
le seuil au-delà duquel il faut couper sur autre chose pour joindre
les deux bouts. Ils restent locataires parce qu'ils n'ont pas le choix.
Tout le monde le sait. D'ailleurs, la Ville de Montréal, la Régie
du logement, le Gouvernement du Québec, le Gouvernement fédéral,
tout le monde parle "d'accession à la propriété",
car on sait bien qu'une bonne façon d'aider ceux qui ont moins de
ressources serait de les rendre propriétaires. Il y a aujourd'hui
une foule d'organismes qui s'attristent de ce problème, et assez
de programmes d'accès à la propriété, sous des
sigles divers, pour en faire un programme d'alphabétisation!
CORPIQ, FECHIM, FISHA, PARCQ, PAREL, SHDM, ça vous dit quelque chose? Une plus facile: LOGINOVE, LOGIRENTE, SIMPA, OMHM... Non? HLM, ça va? Bon, vous avez compris. Que c'est triste, toutes ces larmes qu'on verse sur le locataire ordinaire! On pleure mais, concrètement, qu'est-ce qu'on offre au locataire pour l'aider à loger chez-lui plutôt que chez son voisin? Des crédits d'impôt fonciers sur cinq ans, pour acheter uniquement des maisons en dessous du prix du marché, et tout ça avec d'autres conditions, naturellement ... Et on fait tout pour freiner la transformation des logements en copropriété - pour protéger le petit locataire, bien sûr - alors que je vous parie que le locataire ordinaire ne demanderait finalement rien de plus que le droit d'être chez-lui plutôt que chez son voisin dans le logement qu'il habite présentement... si on voulait bien lui consentir un petit prêt d'ami pour faire son premier versement. Quand on regarde les programmes actuels d'accès à la propriété, de plus en plus subtils et complexes, on dirait que les responsables sont animés d'un espoir ridicule - "à la Yvon Deschamps" - de transformer radicalement la situation sans bouleverser le marché et, idéalement, de faire de tous les locataires des propriétaires... dont chacun aurait encore son voisin du dessus qui lui paierait un loyer. Une Nouvelle Société exige plus de sérieux.. Ce qui suit est une proposition concrète pour faciliter vraiment aux petits locataires l'accès à la propriété. Elle exige une loi.
La Loi à passer - (et il faudra, nous le savons, quelques kilos de papier pour dire ceci en dialecte juridico-adminis-tratif) - devrait accorder: "le droit au locataire, résidant depuis 3 ans ou plus d'un logement locatif et qui en paie régulièrement le loyer, d'en acquérir la propriété immédiate, en l'état actuel des lieux, pour un montant égal à 90 fois son loyer mensuel, à la seule condition que ses paiements (capital, intérêt, taxes) à effectuer par la suite ne dépassent pas 35% de son revenu actuel." Avec des taux d'intérêt autour de 10% comme maintenant, ces paiements que le locataire devenu proprio devra faire par la suite seront normalement égaux ou inférieurs à son loyer actuel. A titre d'exemple, si vous payez 600 $ par mois de loyer pour un logement que vous habitez depuis plus de trois ans - et que votre revenu mensuel ou celui du ménage égale ou dépasse 1725 $ - vous ou le ménage devriez avoir le droit strict d'acheter ce logement de son propriétaire actuel, en propriété divise (condo), pour la somme de 54 000 $. Point, à la ligne. Le propriétaire qui reçoit 54 000 $ n'aura pas de problèmes à le placer dans un autre investissement qui lui rapportera environ 600 $ par mois: le propriétaire ne perd donc rien, sauf un profit de spéculation auquel il s'attend. Mais pourquoi ce profit sur la hausse des valeurs des maisons n'irait-il pas au locataire? Pourquoi ne pas donner à ceux qui sont moins riches une chance de tremper aussi un doigt dans le pot de miel? On aurait intérêt à le faire, surtout en cette période de récession.
Qui va financer le 54 000 $? Jusqu'à concurrence de 85%, la banque ou la Caisse Pop du coin. Pourquoi pas? L'acheteur est stable, paie son loyer et est un bon risque; la valeur de l'immeuble est correcte, puisqu'il était déjà loué et que le propriétaire, comme son locataire, en étaient satisfaits. Pour l'autre 15%, qui tiendra lieu de paiement initial - (le fameux "down payment") - un Fonds Spécial de l'Etat avancera ce montant au locataire qui voudra devenir propriétaire. Ce prêt sera une deuxième hypothèque et portera intérêt au même taux que la première. Le remboursement de ces deux prêts - (513 $ par mois au total, plus les taxes, dans notre exemple) - se fera concurremment, mais celui du prêt consenti par l'État sera flexible. Pour garder le paiement en deça de 35% du revenu, la période du prêt consenti par l'État sera prolongée si les taux d'intérêt augmentent et, au besoin, le montant en sera accru. Tout ça coûterait combien à l'Etat? Supposons que 50 000 locataires se prévalent de la nouvelle loi et achètent un logement de 60 000 dollars, en moyenne; nous parlons alors d'un prêt consenti à la population par la Caisse de dépôt de 450 millions. Beaucoup d'argent? Ce n'est pas la moitié du prix du Stade Olympique! Et nous parlons d'un prêt, pas d'un don. Est-ce trop cher pour stabiliser et encourager ceux qui travaillent? Car c'est bien d'abord à la classe de ceux qui travaillent qu'on s'adresse ici, en visant ceux qui habitent depuis trois ans un logement et qui paient régulièrement leur loyer. Cette loi, pour une fois, est faite d'abord pour les travailleurs.