"Liberté, liberté, que de crimes
on commet en ton nom!" Et quelqu'un d'autre
a dit que la liberté de chacun s'arrête là où
commence la liberté des autres. Si on veut que la liberté
du monde ordinaire continue de vouloir dire quelque chose, dans notre meilleur
des mondes, il faudra bien qu'on se décide à limiter un peu
la liberté des autres. Les autres étant les fous violents
et les criminels.
Bon, ça y est, je viens de dire les grands mots tabous! Il n'y a
plus de fous aujourd'hui, ben voyons ! ... il n'y a plus que des dizaines
de catégories, définies par les psychologues, de gens qui
ne pensent pas tout à fait comme les autres. Presque plus de criminels,
non plus: il n'y a que de malheureux infortunés qui, a cause d'une
pauvre éducation ou de l'incompréhension de la société,
font toutes sortes de choses répréhensibles.
Exemples. Il y a quelques semaines, un proxénète -"pimp"-
bien connu attaque une jeune fille qui refuse de faire pour lui les trottoirs
et lui coupe une main. Il y a quelques mois, un autre incompris arrose d'essence
un garagiste, après lui avoir volé quelques dollars... et
l'allume! Il y a quelques années, une autre victime de la société
s'est amusée - le compte rendu du procès précise qu'il
riait beaucoup - à jeter un adolescent en bas du Pont Jacques-Cartier.
Et il y a ce type qu'on a relâché neuf fois et qui vient de
tuer sa femme...
Ces gens sont certainement incompris, car ni moi ni le monde ordinaire ne
comprenons pourquoi ils font ce qu'ils font; nous ne comprenons pas non
plus pourquoi on les laisse recommencer.
Ce sont des "Autres" dont il faut limiter la
liberté. Définitivement. Ce qui ne veut pas dire que je sois
pour la peine de mort. Ni contre, d'ailleurs. En fait, c'est une question
qui, si elle ne me laisse pas philosophiquement tout a fait indifférent,
n'est pas ma première préoccupation. Ma première préoccupation,
c'est le sort de la jeune fille à qui on a coupé les mains,
du garagiste brûlé vif et de l'adolescent qu'on a jeté
en bas du pont. C'est ça qui m'intéresse vraiment.
Je ne crois pas que le but de la justice criminelle soit fondamentalement
de punir les criminels, même si je comprends que les parents et amis
des victimes puissent souhaiter des châtiments exemplaires. Ni moi
ni le monde ordinaire ne croyons non plus, cependant, que le but premier
de notre justice criminelle soit de refor-mer les criminels, même
si un nombre significatif de travailleurs sociaux vivent de cette hypothèse.
Le but premier de la justice criminelle, c'est de protéger les innocents.
Il y a plusieurs façons de mieux protéger les innocents, mais
la plus efficace est de réduire le nombre de ceux qui, dans la société,
choisissent la voie de la violence criminelle. Ce qui paraît une idée
simpliste... jusqu'à ce qu'on ait pris conscience du fait que 75%
des crimes de violence au Québec sont commis par des récidivistes,
et plus de 55% par des gens qui ont déjà deux crimes à
leur dossier et qu'on a remis en liberté.
Si ces criminels n'avaient pas été remis en liberté,
les crimes qu'ils ont commis n'auraient pas été commis et
leurs victimes ne seraient par mortes, ou n'auraient pas été
mutilées.
Qu'ils soient fous violents ou criminels, on a le droit
d'éxiger qu'on ne les relâche plus. Parce que du point de vue
de la victime, c'est du pareil au même. Comprenons nous bien; nous
ne disons pas qu'il n'y a pas de différence entre un fou et un criminel.
Nous disons seulement que, s'il y a eu violence et victime, la décision
importante pour la société consiste à mettre définitivement
l'auteur hors d'état de nuire.
Les psychologues, psychiatres et autres experts pourront ensuite discuter
entre eux - et la justice entérinera ou non leur décision
- pour déterminer qui est fou et doit être soigné. Fou
ou criminel, ce qui vraiment nous importe comme société c'est
que celui qui commet de telles horreurs ne revienne jamais sur les mêmes
trottoirs que la femme et les enfants du monde ordinaire.
Je ne dis pas qu'il faille condamner à la prison à perpétuité
quiconque a mis un jour son poing sur la gueule de son voisin ou qui, en
état d'ébriété, a heurté un soir un piéton.
Mais je pense que c'est exactement ce qu'il faudrait faire s'il recommence.
Une chance, pas deux. Et encore! Une deuxième chance, seulement si
le premier crime n'indique pas un grave désordre mental.
Pas de deuxième chance à celui qui a jeté cet adolescent
en bas du pont Jacques-Cartier, ni à celui qui a arrosé un
être humain d'essence pour le faire brûler vivant. Quant au
"pimp" coupeur de mains, un système pénal digne
de ce nom l'aurait mis hors-jeu de façon définitive bien avant
qu'il n'ait développé le cruel sang-froid de faire ce genre
de choses.
Parfois une chance, mais deux crimes de violence graves
devraient toujours mériter une sentence à vie. Pas pour punir
le criminel, mais pour protéger la liberté des autres, des
innocents. Et, parce que le but n'est pas de punir, on devrait revoir aussi
la notion de prison - cellules, barreaux, discipline rigide et surveillance
constante dans un milieu clos - pour penser à des endroits ouverts,
sans cachots ni clôtures, mais où l'individu serait tout autant
hors d'état de nuire. Une approche mois coûteuse et qui pourrait
être plus humaine;
Oui, je sais, Cayenne et la Sibérie ont mauvaise presse. Mais est-ce-que
Papillon aurait été plus heureux à Archambault? Sauf
peut-être les caïds qui y exploitent et terrorisent les autres,
qui des détenus de nos prisons à sécurité maximale
ne préfèrerait pas mener une vie à peu près
normale dans une petite colonie à l'écart de la société
du monde ordinaire, plutôt que de croupir 20 ans dans un enfer de
béton?
Le Québec, sur ce plan, a été gâté par
Dame Nature: nous ne manquons pas d'endroits isolés dans le Grand
Nord d'où on ne s'évaderait pas. Il suffit de choisir un site
bien isolé et d'en faire une enclave, autour de laquelle on n'aura
pas besoin de barreaux, puis-que la quitter autrement que par avion serait
un suicide.
Dans cette enclave, il faut installer une usine ou quelques ateliers pour
créer le plein emploi - (les détenus sur ce point seront mieux
servis que le monde ordinaire!) - et laisser ensuite s'y organiser la vie
de la façon la plus normale possible.
Dans cette prison sans barreaux, les détenus recevront
un salaire, ils paieront leur logement et devront acheter leur nourriture.
Comme ailleurs au Québec, ils auront des services de santé
gratuits et la pension à 65 ans; mais ceci mis à part, celui
qui étant apte au travail ne travaillera pas, ne mangera pas.
Les visites seront permises et même encouragées. Chaque détenu
pourra, deux fois par année, inviter pour une semaine une personne
dont le transport sera payé par l'État. A condition de ne
pas y passer plus d'une semaine, d'avoir été invité
par un prisonnier, de passer une inspection rigoureuse et de payer ses frais,
quiconque pourra y venir aussi souvent qu'une fois pas mois. A ses risques.
Il y aura dans l'enclave un service d'ordre; le moins visible possible,
mais qui n'entendra pas à plaisanter. Les gardiens seront des volontaires,
choisis en priorité parmi les gardiens actuels. Ils recevront un
excellent salaire, une prime d'éloignement, et un système
de rotation, après trois semaines en poste, prévoira une semaine
de vacance obligatoire. Ils habiteront une section protégée
de la colonie, seront lourdement armés, et contrôleront naturellement
la piste d'atterrissage, les communications ainsi que les approvisionnements.
On ne leur demandera pas de tirer un coup en l'air quand leur sécurité
ou celle d'un autre détenu sera menacée. D'autre part, ce
sera un emploi à risque, la décision irrévocable de
l'État étant de ne jamais engager de négociations avec
les détenus, même s'il y a prise d'otages.
Il y aura dans l'enclave, en plus de la section générale,
quatre sections spéciales. La première sera réservée
aux femmes, celles-ci ayant néanmoins le droit d'aller vivre dans
la section générale quand elles le voudront et pour aussi
longtemps qu'elles le voudront. Une autre section spéciale sera pour
ceux dont c'est la première offense et dont le crime n'indique pas
un profond désordre mental; une peine ferme de 2 à 5 ans,
selon le crime, leur servira d'avertissement.
Une section spéciale aussi pour les fous criminels, où chacun
recevra les traitements que justifie son état, mais où la
liberté individuelle sera forcémment bien plus réduite.
On ne pourra relâcher un fou criminel que sur le rapport unanime de
5 psychiatres déclarant qu'il est guéri, normal et apte a
vivre en société. Si, une fois relâché, il récidive,
les 5 psychiatres qui ont fait ce rapport ne seront plus autorisés,
pour 5 ans, à pratiquer leur profession dans le cadre du système
pénal. Ceci devrait garantir des diagnostics sérieux.
Une dernière section spéciale sera pour les mineurs de moins
de dix-huit ans. L'éducation y remplacera le travail, la surveillance
y sera plus serrée, et l'accent sera mis sur la réhabilitation.
Comme pour les adultes, une peine de 2 à 5 ans fermes servira d'avertissement
au mineur pour une première offense. Le mineur ayant eu deux condamnations
bénéficiera d'une révision spéciale à
sa majorité avant d'être transféré à la
section générale, mais, comme pour les fous criminels, son
élargissement sera conditionnel au rapport unanime de cinq psychiatres.
Les deux dangers de ce genre de systèmes de détention
sont l'arbitraire des gardiens et la menace des gangs de détenus
eux-mêmes. Pour y pallier, 12 citoyens ordinaires - qui changeront
à chaque trimestre - vivront en permanence dans l'enclave et auront
accès à toutes ses installations: ce sont eux qui serviront
à prévenir les abus. Leurs rapports seront individuels, anonymes,
et remis ensemble au Gouvernement au retour de leur mission, dans une boite
scellée, qui sera ouverte en présence de journalistes. Comme
les gardiens, ces 12 citoyens seront bien rémunérés
... mais avertis des risques.
Mettez ce système en place et, par la seule mise à l'écart
des récidivistes, vous réduisez en quelques années
de 55% le nombre des crimes avec violence. De bien plus peut-être,
car on aura un effet dissuasif puissant dès que le système
ne sera plus biaisé par des pardons, des remises de peine et autres
trous dans l'appareil de la justice. On aura assuré la vraie liberté
des autres. Du monde ordinaire, comme vous et moi.