Nous avons au Québec un excellent système
de santé: moderne, efficace, gratuit. Mais il y a des lacunes dans
notre système. Les urgences sont bondées, il faut six semaines
pour voir le spécialiste dont on a besoin, on manque de médecins
dans les zones éloignées et il reste peu d'argent pour une
médecine de prévention. Donc, une réforme est nécessaire.
Mais quelle réforme? Le système actuel n'est pas adéquat,
mais la réforme Coté est un pas dans la mauvaise direction.
Ce qu'il faut, en effet, ce n'est pas introduire plus de contraintes et
de fonctionnaires; c'est une réforme pour une médecine plus
humaine et qui apporte le réconfort.
Avant Pasteur, il était tout aussi efficace - et bien moins dangereux
- d'aller faire brûler un cierge que de les consulter; pourtant, il
y a quatre mille ans qu'il y a des médecins: avant les remèdes,
il y avait le réconfort. Mais où est donc passé l'homme
à la valise noire qui arrivait dans les deux heures quand un enfant
faisait un degré de fièvre? Le système actuel ne permet
plus ce réconfort qui est la première - et aussi la dernière
chose - que le malade demande à la médecine.
Pas assez de médecins? Pourtant, il y a aujourd'hui, au Québec,
à peu près 16 000 médecins, c'est-à-dire environ
un médecin pour 425 patients. Ce qui est drôlement mieux que
dans les années "40 ... et ce qui coûte aussi drôlement
plus cher. Pourquoi, alors que nous avons maintenant bien plus de ressources
médicales et que nous consentons comme société bien
plus d'efforts que jamais à la santé, est-il devenu plus difficile
aujourd'hui d'avoir un service médical humain?
Ce n'est pas que nos médecins travaillent moins;
ils font chacun, en moyenne, leurs trois mille et quelques "actes médicaux"
par année. Et ce nombre d'actes ne change à peu près
pas depuis 20 ans, même si il y a de plus en plus de médecins
alors que la population n'augmente presque plus. Serions-nous donc de plus
en plus malades? Ou sommes-nous sur la mauvaise voie avec ce paiement des
médecins à l'acte médical?
Il faut toujours se souvenir que le médecin est payé à
l'acte médical. Votre médecin vous parle, c'est un acte médical.
Il vous a entrevu par la porte de votre chambre d'hôpital? S'il le
veut, c'est aussi un acte médical. Quand le médecin est payé
à l'acte médical, il détermine sa propre rému-nération...
car moins de patients, par médecin, plus d'actes médicaux
par patient. La seule alternative au paiement "à l'acte"
à laquelle on pense généralement, c'est de faire du
médecin un salarié, ce qui est une autre horreur. Car qui
veut d'un médecin qui pointe à 9 h 05 pile et regarde sa montre
à partir de 4 h 50?
Mais il existe une troisième alternative qui permet de mieux contrôler
les coûts et d'améliorer le service: celle qui consiste à
payer le médecin selon le nombre de ses clients en lui faisant confiance
qu'il voudra soigner chaque patient le mieux possible. Ce qui n'est pas
du tout utopique... pour autant qu'il il y ait assez de médecins
pour que chacun d'entre eux tienne à ses clients, et que des moyens
de contrôle soient mis en place qui permettent de s'assurer que nul
ne trahit cette confiance. Cette forme de paiement, cette rémunération
"par tête", est appellée "capitation ".
Comment fonctionne un système de paiement par capitation?
D'abord, on demande à chaque adulte de choisir un omnipraticien,
son médecin, et de s'inscrire au bureau de ce médecin.
Pour chaque adulte et chaque mineur sous sa garde inscrit au bureau d'un
médecin, l'État paie à ce dernier un montant mensuel.
L'État peut ainsi diviser entre tous les omnipraticiens, selon leurs
clientèles, ce que nous, comme société, désirons
consacrer à leur rémunération. Si nous voulons, par
exemple, qu'un omnipraticien touche 100 000 $ en moyenne par année
- et si nous savons qu'il y a un omnipraticien pour 1 000 Québécois
- l'État devra payer, en moyenne, 100$ par année pour chaque
client inscrit. Moins pour un jeune, plus pour une personne âgée;
plus ou moins dans certaines régions pour tenir compte de
la dispersion de la population, mais 100$ en moyenne.
Certains spécialistes doivent aussi avoir avec leurs clients une
relation continue et chaleureuse. Pour eux, la capitation est aussi une
bien meilleure formule. Tout individu devrait être toujours inscrit
auprès d'un psychiatre, toute femme nubile devrait l'être auprès
d'un gynécologue, tout enfant auprès d'un pédiatre,
et ceux-ci devraient être rémunérés selon le
nombre de leurs clients inscrits.
Peut-être devrait-on faire la même chose pour les cardiologues
et les oncologues, compte tenu de la fréquence du besoin et de la
néces-sité de diffuser largement l'habitude d'un suivi préventif.
Avec l'évolution de la médecine, d'autres spécialités
devraient venir s'ajouter à celles-ci, selon les besoins.
Cette façon de procéder ne fait pas que régler
la question du budget du Québec au poste de la rémunération
des omnipraticiens et de certains spécialistes; elle favorise aussi
une relation permanente plus étroite entre le patient et son médecin,
lequel serait en fait l'ancien médecin de famille, le "médecin
prodigue", enfin revenu.
Cette relation plus étroite entraîne une médecine plus
humaine, plus amicale, et aussi, une médecine qui prévoit.
Ayant un intérêt matériel aussi bien que moral à
ce que ses patients demeurent en bonne santé, l'omni-praticien deviendra
aussi leur con-seiller médical, assumant un rôle plus actif
dans la prévention. Il prendra le temps de s'impliquer dans tous
les aspects de la vie de son milieu qui ont des incidences sur la santé
et il cherchera à dénoncer les conditions inacceptables de
l'environnement. Le médecin ne travaillera plus seulement contre
la maladie mais pour la santé.
Cette approche modifie aussi le rapport des forces entre le médecin
et son patient. En effet, celui-ci pourra toujours changer de médecin
et, quand il s'inscrira au bureau d'un médecin, son inscription vaudra
son prix; le patient sera aussi devenu un client. Un client qui, avec sa
famille et ses amis, représentera un revenu non négligeable
pour un médecin... quand celui-ci ne pourra plus compenser une baisse
de sa clientèle par une augmentation des actes médicaux pratiqués
sur ses autres patients. La formule de paiement par capitation exigera donc
des médecins qu'ils soient ou redeviennent plus affables, sans arrogance,
et qu'ils offrent un meilleur service à leurs patients.
Comment le médecin donnera-t-il ce meilleur service?
Surtout en offrant une plus grande disponibilité. On peut s'attendre
dans ce système par capitation à ce que les omnipraticiens
pratiquent de plus en plus par groupes de trois ou quatre, de façon
à assurer la relève les uns des autres. Ils ne se grouperont
plus en simples cliniques médicales pour partager les frais
de secrétariat et de réception, mais en véritables
équipes médicales.
Une équipe d'omnipraticiens voudra vite s'adjoindre quelques
spécialistes rémunérés aussi par capitation,
un ou deux étudiants-stagiaires et quelques infirmières; elle
pourra offrir un service de 24 heures sur 24, dégageant ainsi les
urgences des hôpitaux d'une foule de cas où il ne s'agit que
de porter un premier diagnostic ou de donner des premiers soins.
Une telle équipe pourra aussi visiter "ses" patients à
l'hôpital et même faire des visites à domicile! Elle
sera le trait d'union humain entre le malade et un système hospitalier
qui, pour optimiser ses ressources, doit parfois sacrifier ses relations
humaines à un souci d'efficacité.
Est-ce que l'on ne verra pas, dans un tel régime, les grands malades
laissés pour compte? Non, d'abord, parce que c'est mal juger la nature
humaine que de penser qu'un médecin ne veuille pas se réaliser
par la médecine et en soignant ses patients. Ensuite, parce que l'on
créera un Comité de Surveillance. Le médecin qui aura
un patient à ses livres n'aura pas le droit de s'en désengager
sans une raison sérieuse, surtout si la santé de celui-ci
s'est détériorée depuis l'inscription!
La capitation, c'est d'abord le retour du médecin
prodigue. Un premier pas simple vers un système de santé plus
humain parce qu'une Nouvelle Société aimerait bien revoir
l'homme à la valise noire qui apportait le réconfort et la
compassion.
Mais tout ne peut pas être payé par capitation. A coté
du spécialiste qui, comme un omnipraticien, doit garder une relation
pernamente avec ses patients, il y a cet autre spécialiste qui répond
lui à des besoins ponctuels: anasthésiste, radiologue, chirurgien,
ophtalmologue... Sans devoir être une brute inhumaine, ce spécialiste
doit d'abord appliquer une technique et le faire vite et bien. On ne peut
guère que le payer à l'acte.
Heureusement, c'est le spécialiste dont les actes, bien tangibles,
sont le plus facile à vérifier. Et on sait très bien,
par statistiques, combien de gens auront besoin des services de ces spécialistes
et avec quelle fré-quence. Il est donc facile de fixer le prix de
leur acte médical en fonction du revenu moyen qu'on veut leur offrir.
Facile aussi le contrôle, puisqu'ils n'interviennent que sur référence
d'un omnipraticien; si les références d'un omnipraticien augmentent
trop, on ira voir d'un peu plus près.
Quant à la qualité des soins, c'est à son omnipraticien
que le client se plaindra si le spécialiste à l'acte ne lui
donne pas satisfaction. Dans la mesure où l'omnipraticien oriente
ses clients - et peut en fait déplacer en bloc la clientèle
d'une équipe médicale - il sera en position de force pour
voir à ce que ses patients reçoivent bien toute l'attention
voulue.
La médecine en régions? En ce qui concerne
les omnipraticiens et les spécialistes payés par capitation,
il n'y a qu'à fixer correctement le prix par tête dans les
diverses régions et l'on verra la libre-entreprise faire le reste.
Pour les spécialistes à interventions ponctuelles, ils doivent
être attachés à un hôpital. Que l'Etat crée,
dans chaque hôpital, le nombre de "postes" requis par les
besoins du bassin desservi, chaque poste incluant la disposition d'un cabinet,
le personnel auxiliaire infirmier, l'accès à toute la technologie
nécessaire et un budget pour l'ameublement et le secrétariat.
Que l'affectation à un "poste" se fasse par concours, selon
les règles et les critères dont les spécialistes pourront
décider entre eux, le nombre de postes ouverts n'étant pas
inférieur au nombre des spécialistes actuellement en exercice
ou en formation. Quand seront comblés les postes les plus convoités,
il faudra que les autres le soient. Il est normal que le médecin,
comme tout autre professionnel, aille vers sa clientèle.