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François CHÈVREFILS dit LALIME


François Chèvrefils dit Lalime naquit à St-Ludger, Périgueux, France en 1643.  La ville de Périgueux, capitale de l’ancienne province française du Périgord est aujourd’hui chef-lieu du département de La Dordogne.  Elle est située à 472 kilomètres au sud-ouest de Paris, sur la rive droite de l’Isle. 

Il embrasse, en France, la carrière des armes.  Il s’enrôle dans le célèbre régiment de Carignan, de là l’origine de son original surnom Lalime.  Cependant, cette dernière appellation ne devait pas passer à la descendance de notre ancêtre.  D’autre part, un autre surnom devait faire son apparition dans la famille Chèvrefils avec la troisième génération au pays, c’est-à-dire avec les petits-fils de François Chèvrefils dit Lalime;  c’est le surnom de Bélisle.  Ils furent appelés Chèvrefils dit Bélisle. 

Au régiment de Carignan, François appartenait à la compagnie de Saint-Ours.  La principale campagne où s’illustrent notre ancêtre et ses compagnons d’armes se déroule à l’été 1666.  Pour avoir la paix, il fallait employer les armes contre les Agniers (Iroquois) qui soulevaient sans cesse de nouvelles difficultés.  L’armée française commandée par M. de Tracy était formée de dix cents (1 000) soldats, tirés de toutes les compagnies, de six cents habitants du pays et de cent Hurons et Algonquins. 

Le rendez-vous général était donné pour le 28 de septembre au Fort Ste-Anne.  Trois cents embarcations légères, soit bateaux, soit canots d’écorce, avaient été préparés pour transporter les troupes jusqu’à l’extrémité du Lac Saint-Sacrement et l’armée devait parcourir une distance d’environ 35 lieues, au milieu des bois et des marais.  Il fallait transporter à dos d’hommes les vivres, les armes et les bagages.  Officiers et soldats, chacun avait sa part de fardeau réglée d’avance. 

Vers la fin du voyage, le pain manqua, et on se vit menacé par la famine.  Au moment où l’on concevait quelques inquiétudes, on rencontra un grand nombre de châtaigniers, tellement chargés de fruits, que toute l’armée en mangea abondamment. 

Les troupes françaises arrivèrent près des bourgades iroquoises par un fort mauvais temps.  Comme M. de Tracy tenait à les surprendre, ils marchèrent pendant toute la nuit.  Mais, quelques Agniers s’empressèrent d’aller annoncer dans les quatre bourgs, qu’ils allaient être attaqués par des Français.  Les deux premiers bourgs furent emportés sans résistance.  Les Agniers prirent la fuite en voyant arriver les compagnies.  Il était presque nuit quand le troisième bourg fut pris;  il semblait impossible d’attaquer le quatrième le même jour.  Mais une algonquine, saisissant un pistolet s’offrit à servir de guide;  elle conduisit les Français  heureusement.  Malgré l’obscurité, des éclaireurs s’approchèrent et examinèrent les environs;  ils reconnurent que tous les habitants avaient pris la fuite en apprenant l’arrivée des Français.  On y trouva un vieillard caché sous un canot craignant les tambours des Français, qu’il croyait être des démons.  De lui, l’on apprit que les Agniers des autres villages s’étaient retirés dans cette bourgade, qui était la plus forte. 

L’armée française trouva dans les bourgades d’énormes quantités de maïs, qui auraient suffi pour nourrir toute la colonie pendant deux ans, si on avait pu le transporter.  Ne pouvant poursuivre les Agniers dans leur retraite, on décida de brûler leurs bourgades  afin de leur faire sentir les misères de la guerre et de les forcer à demander la paix.  Ils consumèrent toutes les provisions de maïs, de fèves et de fruits du pays qui s’y trouvaient et on dévasta toute la campagne.  Cela causerait autant de mal parmi eux que des combats sanglants.  Depuis plus de 30 ans, ces barbares n’avaient cessé de ravager la colonie française et d’en massacrer les habitants.  

Le soldat devient défricheur et s’établit à Saint-Ours

Le pays étant calme, le régiment de Carignan retourne en France en 1667, sauf environ 400 soldats et 30 officiers qui préfèrent rester défricheurs et se fixer pour toujours dans la colonie.  En 1671, François épouse Marie Lamy très certainement à St-Ours, celle-ci naquit à Rouen, France en 1653. 

François, comme plusieurs de ses compagnons d’armes, décida de demeurer en cette terre canadienne.  Son ex-capitaine, Pierre de St-Ours demeura au pays;  il reçut du roi une seigneurie sur les bords du Richelieu, comprenant la paroisse actuelle de Saint-Ours.  C’est là, naturellement que François Chèvrefils fit son apprentissage de la forêt et du sol canadien. 

Notre ancêtre se mit immédiatement au défrichement de la terre. Pendant quelques années, comme il était d’usage à cette époque, il ne prit pas de titre et se contenta de la parole de son chef.  Le 5 novembre 1673, le seigneur de Saint-Ours accorda des contrats de concessions à neuf de ses hommes parmi lesquels on retrouve François Chèvrefils dit Lalime.  Ces concessions étaient situées sur le bord du fleuve Saint-Laurent et mesuraient chacune deux arpents sur trente. 

François était actif et entreprenant.  Le 1er mai de l’année 1674, il acheta une terre, à raison de 33 livres, trois haches et trois pioches.  Quelque temps après, François revendit cette terre avec un certain profit au prix de 100 livres, dont 75 en marchandises, 25 en grain ou bois.  Le 18 juillet 1677, le seigneur fit une nouvelle concession à François et cette fois dans l’isle St-Pierre. 

L’année suivante de cette concession, François s’éteignit à l’âge peu avancé de 35 ans.  Il fut inhumé à Sorel, le 18 mai 1678.  Vers 1680, Marie Lamy veuve de François se remariait à Contrecoeur avec Jean Duval. 

Ce dernier qui était charpentier de son métier, resta avec sa nouvelle épouse à Saint-Ours et les enfants de François grandirent dans sa maison avec leur demi-frère du nom de Duval. 

Des quatre enfants de François et Marie, deux seulement, Louis et Anne parvinrent à l’âge adulte et fondèrent foyers.

Générations subséquentes

Louis Chèvrefils, baptisé en 1674, porta quelques fois le surnom de Bélisle, mais c’est en réalité avec ses fils que ce surnom fut adopté définitivement.  Parvenu à l’âge adulte, il se dirige vers Montréal, où il devait s’établir.  C’est là qu’il se maria le 6 juillet 1705 à Geneviève Paillart, fille de Léonard et de Louise Vachon. 

La terre de Louis où il s’établit était située sur la rue Saint-Paul, près des « Fortifications ».  Cette terre portait le numéro 223.  Après 1792, le terrain porta le numéro 405.  L’emplacement était de 60 pieds sur le niveau de la rue Saint-Paul sur 61 de profondeur concédé le 21 janvier 1712 à Louis Chèvrefils dit Bélisle, charge de 6d. (cent) par toise carrée. 

De leur mariage, Louis et Geneviève avait eu 13 enfants.  Leur fils Gabriel devra continuer notre lignée.  Quatre des garçons de Louis ne fondèrent pas de foyer : Charles-François, Jacques, Pierre et François.  Ceux qui établirent foyer, allèrent se fixer à des endroits différents.  Louis (fils) et Simon se dirigèrent vers la région des Trois-Rivières.  Gabriel, le seul qui retient le nom de Chèvrefils, André et Jean-Baptiste restèrent dans la région de Montréal.  André et Simon ne semblent pas avoir laissé de descendants.  Louis a fait souche en grand nombre à la Baie du Fèbvre, celle de Gabriel du côté de Lachine surtout, se déversant ensuite à Châteauguay et dans les environs. 

Gabriel, né en 1716, épousa Marie-Anne  Henri dit Laforge, à Lachine, Québec.  Elle fut aussi connue sous le nom de Catherine Henri dit Zacharie.  Ce couple eut sept enfants, mais seulement deux ont laissé des descendants.  Pierre-Joseph s’est établi dans la région de la ville de Québec.  L’autre garçon, notre ancêtre, Ignace-Gabriel est né le 31 mars 1743.  Il épousa Marguerite Caillé (fille de Joseph et Marguerite Gagné) le 29 janvier 1781 à Laprairie. 

Ignace-Gabriel et Marguerite eurent huit enfants dont trois donnèrent des descendants.  Le premier fils, Jean-Baptiste, a laissé des descendants dans la région de Montréal et aussi à Ste-Martine.  Le deuxième fils, nommé lui aussi Ignace-Gabriel, fut l’un des chefs des Patriotes lors des rébellions 1837-38 près de Montréal.  Suite à sa participation dans l’insurrection il fut exilé en Australie, où il décéda deux ans plus tard.  Il s’était marié à Josephte Couillard, à Châteauguay, le 21 février 1818.  Sa famille comptait sept enfants.  Le troisième fils, François-Luc, maria Archange Villemaire le 21 janvier 1811 à Châteauguay.  Ils eurent neuf enfants.  Leur garçon Georges, né le 2 avril 1815, épousa Angélique Allard le 16 février à Châteauguay. 

Angélique naquit le 7 janvier 1823 et était la fille de Charles Allard et d’Amable Primeau.  Celle-ci venait d’un famille de 15 enfants dont quatre prêtres et un fille chez les Sœurs Grises.  La famille Primeau comptait aussi plusieurs religieux et religieuses dont des jumeaux, tout deux prêtres oeuvrèrent dans le diocèse de St-Boniface au Manitoba dans les 1930. 

Georges et Angélique eurent neuf enfants : Charles (Carolus), Marie, Virginie, Noémie, Hedwidge, Rodhéanne, Jean-Baptiste, Joachim et Zotique.  Ils étaient installés sur une terre dans la région de Ste-Martine-Howick. 

Un frère d’Angélique, le Père Joachim Allard o.m.i. vint dans l’ouest en 1866 pour appuyer Mgr Taché dans le diocèse de St-Boniface.  Mgr Taché s’occupait de la colonisation et encourageait les parlants français à s’établir dans son diocèse.  Peu de temps après l’arrivée du Père Allard, il fut nommé pour desservir plusieurs missions indiennes dont le Fort Alexandre en 1876.  A l’époque, il rêvait d’établir une paroisse canadienne-française et il passa vite à l’action.  Il choisit un site enchanteur à neuf milles au sud-ouest du fort, le long de la rivière  Winnipeg.  La paroisse a été intronisée en 1903 sous le nom de paroisse de St-Georges de Châteauguay, à la mémoire des ancêtres.  Il est fort probable que l’encouragement du Père Allard a décidé plusieurs parents à quitter le Québec pour s’établir dans la nouvelle paroisse. 

Vers l’ouest

Georges et Angélique avec la plupart de leurs enfants suivent l’arc-en-ciel les conduisant dans l’ouest du  pays.  Le Manitoba n’était une province que depuis 14 ans quand Georges et sa famille arrivèrent.  On y retrouvait le père et la mère ainsi que Hedwidge, Rodhéanne, Jean-Baptiste, Joachim et Zotique.  Il est à noter que Georges était alors âgé de 70 ans.  C’était donc une aventure sans pareil que ces gens ont connue en quittant leur patrie pour chercher bonheur et fortune dans une province à peine défrichée.  Et les fatigues du trajet alors…   Par train, ils se rendirent de Montréal à Winnipeg.  De là, ils empruntèrent le bateau pour descendre la rivière Rouge en passant par Selkirk.  On se rendit ainsi au lac Winnipeg et finalement en remontant la rivière Winnipeg on arrivait au Fort Alexandre. 

A l’arrivée, on s’installe sur le lot 22, section 30, que Jean-Baptiste obtient en 1884 comme homestead.  Marie, la fille de Georges, avait déjà épousé Louis Vincent et était établie depuis 1882 sur le lot 24, section 30.  Hedwidge, l’autre fille de Georges, épousa Ephrem Dupont en 1885 et s’installa sur le lot 23, section 30.  Ces trois lots font aujourd’hui partie du village de Powerview.  Rodhéanne enseigna quelques années dans l’école fondée par le Père Allard dans la réserve indienne Peguis, mais elle retourna à Ste-Martine et épousa Herménégilde Quesnel.  Les deux autres filles de Georges et Angélique Chèvrefils, demeurées au Québec, suivirent des voies différentes.  Virginie épouse Joachim Laberge tandis que Noémie devint religieuse chez les Sœurs Grises. 

L’Ancêtre

Zotique est né à Ste-Martine, comté de Châteauguay, Québec, le 30 mars 1867 et fut baptisé Zéphirin Zotique le jour suivant, par le Père Etienne Blyth.  Il fréquenta l’école de Ste-Martine pendant quelques années. 

A son arrivée au Manitoba, Zotique demeura chez ses parents avec ses frères Jean-Baptiste et Joachim.  Jean-Baptiste épousa Graziella Vincent le 17 juin 1893.  La mère Angélique décéda maison de Zotique Chèvrefils, démolie en 1974le 28 octobre 1893 et Georges la suivit dans la tombe le 6 juillet 1895, à l’âge de 80 ans.  Georges et Angélique ont été inhumés au cimetière de St-Georges.  

Zotique appliquait pour titre du lot 10, section 9 le 8 mars 1886.  C’était un endroit tout à fait spécial et qui allait prendre une valeur historique.  A l’époque, le niveau de la rivière était bas et des grandes roches plates projetaient d’une rive à l’autre.  Cet endroit fut emprunté par bon nombre de gens car c’était le point où la rivière Winnipeg était la plus étroite.  C’était là qu’on installa le traversier. 

La terre de Zotique comprenait 154 acres.  Son frère Joachim cultivait la terre adjacente (lot 11, section 16) qui consistait en 146 acres.  L’aîné, Charles (Carolus) avait la terre de l’autre côté soit le lot 9, section 9.  Ce lot un peu plus grand comptait 180 acres.  Ces terres étaient densément boisées de peupliers, d’épinettes, d’épinettes rouges et de pins.  Ayant défriché un coin de sa terre, en 1895, Zotique, aidé de Joachim, construisit une modeste maison en rondins (18’ x 16’) et y déménagèrent. 

En hiver, ils devaient se rendre à Selkirk en traîneau tiré par des bœufs, pour acheter ce dont ils avaient besoin, c’est-à-dire nourriture et quincaillerie.  Ils achetaient machines, chevaux et bétail dans la région. 

Affaire de cœur

Agé de 30 ans, le 14 juin 1897, Zotique épousa une charmante fille dénommée Cordélia Vincent.  La cérémonie religieuse eut lieu au Fort Alexandre dans la chapelle que son oncle, le Père Joachim Allard avait construite en 1876. 

Cordélia, née le 12 mars 1876, était originaire de St-Urbain, comté de Châteauguay.  Elle vint dans la région en 1892 avec ses parents Alphonse et Aurélie Dubuc sur le lot 12, aujourd’hui faisant partie du village de St-Georges.  Alphonse et Aurélie eurent 12 enfants, dont six fils qui laissent de nombreux descendants dans la région de St-Georges. 

Les Vincent viennent de descendants qui s’étaient établis dans la région de Longueuil.  Le premier ancêtre arriva au Canada vers 1735.  Séraphin Vincent, le grand-père de Cordélia, quitta Longueuil avec sa famille pour s’établir à St-Urbain où il y a encore aujourd’hui des descendants. 

Zotique et Cordélia demeurèrent dans la maison construite en 1895.  De cette union naquirent 16 enfants.  Trois filles moururent en bas âge et une autre était mort-née.  De ces 12 enfants, seulement trois sont par nous aujourd’hui pour la grande fête (1985) dont : Ernest, Zéphir et Eugénie. 

La maisonnée trop à l’étroit, Zotique construisit une autre maison en rondins (20’ x 24’); celle-ci avait deux étages.  Puis en 1914, une autre maison fut construite.  C’était une spacieuse demeure à deux étages, en bois, comprenant cuisine, salon et de nombreuses chambres.  Cette maison avait été léguée à leur fils Etienne et fut détruite en 1974. 

En 1915, Joachim qui vivait toujours avec cette famille, devint maître de poste.  Donc une chambre de la maison fut transformée en bureau de poste. 

Les autres bâtiments requis furent érigés les uns après les autres.  Il y eut l’étable pour les chevaux, le bétail, une grange pour y entasser le fourrage, un abri pour les moutons, une porcherie, des remises pour les céréales, une remise pour y empiler le bois de chauffage, un abri pour les machines agricoles et un bâtiment pour refroidir; c’était le réfrigérateur de l’époque.  On s’en servait aussi comme dépense et le bâtiment demeurait frais tout l’été.   Il y avait aussi une glacière, une construction en rondins.  On y empilait des blocs de glace taillés sur la rivière que l’on recouvrait d’une épaisse couche de bran de scie.  Elle servait de chambre de réfrigération pour conserver tous les produits qui se seraient avariés. 

A chaque année, Zotique défrichait plus de terrain.  Il y mettait vite la charrue pour y semer fourrage et céréales.  Il embauchait des Indiens du Fort Alexandre pour effectuer le débranchement.  Ceux-ci étaient rémunérés en nature, des produits de la ferme : beurre, œufs, pains, etc. 

Très tôt, la cour de la ferme débordait de vie avec tous les animaux.  D’abord, il y avait les bêtes à cornes qui fournissaient lait, crème, beurre et viande fraîche.  On utilisait les bœufs pour les travaux de la terre et comme moyen de transport au début.  On se procura ensuite, des porcs pour fins de reproduction et de viande fraîche.  A chaque été, on se sélectionnait le plus gros et on l’engraissait à plein, pour la boucherie à l’automne.  Zéphir se souvient d’un été lorsqu’on engraissa un porc jusqu’à 700 livres.  A la boucherie d’un si gros animal, on devait brûler les poils.  Ainsi, c’était le travail de Zéphir et Georges de préparer et d’entretenir un feu de brindilles et de paille près de l’animal.  La peau du porc était bien grattée, comme rasée.  En plus de la viande, on utilisait la graisse de l’animal pour la cuisson.  La partie dorsale devenait le lard salé qui était le mets principal de l’été.  On mettait du lard salé, pour goût et consistance, dans la fameuse soupe aux pois, les fèves au lard et d’autres recettes de l’époque. 

On acheta ensuite une paire de chevaux.  Ceux-ci supplantèrent les bœufs pour les travaux de la ferme aussi bien que comme moyen de transport.  On les attelait au boggie, à la charrette, au traîneau selon les besoins et selon les saisons. 

Puis on avait acquis un troupeau de moutons.  Des moutons on obtenait de la viande, à l’occasion, mais surtout la laine.  On tondait les moutons à chaque printemps.  Cette laine était lavée, séchée, cardée et filée au rouet.  De la laine on confectionnait des bas, mitaines et autres vêtements, tout comme des couvertures de lit. 

Est-ce qu’une ferme pourrait être complète sans les volailles?  Zotique se procura poules et coqs.  On pouvait en tirer des œufs et de la viande.  C’est une vérité de la palisse que les œufs sont partie constituante d’une variété de recettes.  Alors Cordélia pouvait s’en donner à cœur joie à varier le menu pour son heureuse et nombreuse maisonnée. 

L’importance d’un vaste jardin n’est pas à minimiser à l’époque.  On y dépendait largement.  Cultiver un jardin devenait une activité de toute la famille.  Zotique et les garçons s’occupaient du grand champ de pommes de terre,  mais à l’automne on sollicitait l’aide des filles pour les ramasser.  Cordélia et les filles prenaient soin des autres légumes.  On récoltait selon les espèces et on les mettait en conserve pour la saison froide.  Pendant l’été et l’automne, on ne manquait jamais de faire le cueillette des fruits sauvages.  Même si c’était une activité familiale, les plus jeunes y excellaient.  Eugénie se souvient d’avoir ramassé des fraises là où nous retrouvons aujourd’hui le moulin de pâte et papier à Pine Falls.  Ces fruits sauvages devenaient la gelée et les conserves pour les desserts de l’hiver.  Souvent, dit-on, les garçons, après une longue journée de travail aux champs, se faufilaient à la cachette dans la remise réfrigérée pour se vautrer de gelée, crème et pain frais.  Cordélia se rendait compte que certaines choses disparaissaient mais son grand cœur pardonnait avec facilité. 

En plus des fraises sauvages, on ramassait aussi des framboises, des bleuets, des prunes et du « pembina ». 

Un autre projet familial annuel était la coupe du bois de chauffage en prévision du long hiver, tout comme pour la cuisson de l’été.  Zotique et les garçons, vers la fin de l’hiver bûchaient à plein bras.  Puis à l’aide de chevaux et traîneau, ils sortaient ces arbres ébranchés hors du bois ou dans une clairière.  Ils sciaient ces arbres en longueur de bois de poêle.  Les filles devaient empiler le bois en rangées afin qu’il sèche sous le soleil chaud de l’été.  L’automne suivant il était fendu et empilé dans la remise réservée à cet effet dans la cour. 

La famille de Zotique Chèvrefils et Cordélia Vincent, au Manitoba

A chaque année on cultivait et semait un champ de pois.  La vraie soupe aux pois, régal des pionniers, est aujourd’hui un surnom des Canadiens d’origine française soit, mais elle est quand même délicieuse. 

Travaux de la ferme

En quoi consistait le quotidien sur une ferme en 1900.  Pour les personnes qui n’ont pas connu ces années, il est sans doute difficile d’imaginer l’ampleur des travaux de jadis.  Un univers sans téléphone, sans électricité, sans machines agricoles modernes, sans voiture, est-ce possible?  Voyons un peu… 

La terre était déboisée, essouchée à la main.  La charrue à une oreille tirée par les boeufs d’abord et ensuite les chevaux préparait le terrain à recevoir les graines.  Les semailles se faisaient avec un « broadcaster » - une petite machine portée au dos actionnée à la manivelle qui répandait la semence.  A l’automne, on coupait les tiges à la faux, on les attachait en javelles, puis celles-ci étaient placées en quintaux.  Quand le tout était bien sec, on battait les gerbes au fléau pour séparer les graines et la paille.  Les céréales étaient remisées dans des entrepôts.  Pour le foin, tout se faisait aussi à la main.  Au début on coupait le foin à la faux, mettait en tas avec un râteau, on le laissait sécher, puis il était entassé dans la grange. 

Avec les progrès effectués dans la mécanisation des instruments aratoires et l’acquisition de chevaux, ces tâches mentionnées plus haut devinrent un peu plus faciles.  Les machines venaient de Montréal, d’autres de Selkirk.  Le moulin à faucher tiré par les chevaux, la lieuse et la batteuse venaient directement de Montréal.  La lieuse coupait les tiges des céréales et les attachait mécaniquement en bottines, javelles ou gerbes.  

Au fur et à mesure que les finances le permettaient et que les instruments étaient sur le marché, Zotique modernisait sa ferme.  Dans les années 1920, Zotique acheta une moissonneuse-batteuse actionnée par un moteur à combustion.  Puis en 1933, un premier tracteur fut acquis.  C’était un McCormick Deering.   Puis en 1934 est apparue la vraie moissonneuse avec tablette roulante avant et chasse-paille à l’arrière ou plutôt souffleuse.  C’était une énorme machine qui ne manqua pas de fasciner les habitants de la région surtout qu’elle était unique.  Cette machine n’a pris sa retraite qu’en 1950.  Etienne était l’expert de cet instrument.  Il allait « battre » chez tous les voisins.  Zotique, prenant de l’âge, laissait ces instruments sous la responsabilité des garçons et ils se tiraient bien d’affaire.   

Esprit communautaire

Dès le début de leur union, Zotique et Cordélia étaient reconnus pour leur chaleureuse hospitalité.  Leur maison était connue comme « l’étape » - un endroit où l’on pouvait y attacher ses chevaux, jaser, se sauver d’une tempête, etc.  Les voyageurs étaient reçus à bras ouverts, que ce fut pour un repas ou un lit pour la nuit.  Il y avait toujours de la place.  Jamais Zotique n’aurait osé accepter quelque rémunération pour ce service.  C’aurait été une insulte.  Leur compensation était d’avoir eu de la bonne compagnie et d’avoir rendu service.  Cela suffisait à ce couple. 

Les Indiens du Fort Alexandre touchaient une corde sensible aux cœurs de Cordélia et de Zotique.  Lui, se plaisait à essayer de converser avec eux dans leur langue.  Ceux-ci apportaient de la viande sauvage et du poisson.  L’esturgeon abondait à ce temps et faisait le délice des palais connaisseurs.  On échangeait ces victuailles pour des œufs, du beurre et du pain.  Cordélia aimait à enseigner aux Indiennes l’art de filer la laine et de tricoter.  Il faut dire que ces gens lui étaient très sympathiques et elle ne manquait de le leur démontrer. 

Cordélia jouait un autre rôle dans la communauté;  elle assistait la sage-femme locale aux accouchements.  Cette sage-femme était nulle autre que Marie Vincent, la sœur de Zotique.  Soit dit en passant que les accouchements se faisaient dans les maisons privées et non à l’hôpital comme aujourd’hui. 

Tous les gens des environs finissaient bien par passer au bureau de poste installé chez Zotique.  Le courrier ne venait qu’une fois par semaine.  Bien sûr, le livreur apportait tout un bagage de nouvelles depuis Winnipeg qu’il transmettait à Cordélia et Zotique.  A leur tour, ils tenaient les gens au courant des événements récents. 

Vers 1920, on installa un bac en un point où la rivière était la plus étroite sur le terrain de Zotique.  Même rudimentaire, il valait mieux que la chaloupe ou bateau à rames.  Le bac avançait quand on tirait le câble manuellement d’une côte à l’autre.  Les gens arrêtaient pour une visite avant de traverser ou après la traversée. 

La maison de Zotique accueillait des pensionnaires.  Puis quand le gouvernement amena les fils de transmission électrique à Pine Falls pour le moulin, douze travailleurs demeurèrent chez Zotique pour la durée des travaux.  On avait converti la remise à bois de chauffage en dortoir pour ces hommes.  Les repas se prenaient à la maison cependant.  Rose-Anna agissait comme cuisinière en chef, assistée des plus jeunes, mais sans doute sous l’œil discret de Cordélia.  On souligne volontiers qu’un des pensionnaires, Joseph Gauthier, a épousé Yvonne. 

On ne peut trop répéter que Zotique et Cordélia appréciaient les visiteurs.  C’était toujours une incomparable joie de recevoir les parents demeurés au Québec.  La sœur de Zotique, Rodhéanne, venait régulièrement l’été, avec son mari Herménégilde (Hermini) Quesnel.  Les éclats de rire volaient quand Zotique, Hermini et Joachim se rencontraient.  Hermini ne manquait pas de faire sa part de travail, même en visite.  Une autre sœur de Zotique, Virginie, fit également quelques voyages dans l’ouest, avec son époux Joachim Laberge.  Une autre sœur de Zotique, Noémie, chez les Sœurs Grises, rendait de fréquentes visites toujours accompagnée d’une autre religieuse.  Lors de ses visites, Noémie passait de porte en porte pour ramasser afin de soutenir les missions.  Avec les années,  Noémie vint seule en permission.  C’était alors la tâche des jeunes filles de Zotique de l’accompagner dans ses périples. 

Les 6 garçons Chèvrefils de Zotique et Cordélia Vincent

Ils deviennent grands-parents

Les enfants grandirent et quittèrent, un à un, la maison paternelle.  Exilda quitta d’abord pour aller vivre à Ste-Martine chez sa tante Rodhéanne.  Exilda épousa Albert Hébert.  Ensuite Blanche quitta également pour Ste-Martine où elle épousa Alphonse Hébert.  Enfin la nouvelle arrive : Zotique et Cordélia sont grands-parents.  Le premier-né enfant d’Exilda, Georges, naissait le 10 juin 1921.  Puis Joseph, l’aîné de Blanche, naissait le 14 avril 1924.  Toutefois les grands-parents durent patienter jusqu’en 1926 avant de voir leurs petits-enfants.  C’est alors qu’Exilda vint en voyage avec Georges et Thérèse.  Blanche aussi était du voyage avec Joseph et Jean-Paul.  L’oncle Hermini les accompagnait.   

La tante Rodhéanne était demeurée à Ste-Martine pour voir au troisième enfant d’Exilda, Lucien.  La joie fut grande de tenir et de bercer leurs petits-enfants, venus de si loin. 

Le 11 octobre 1929 le premier petit-fils à naître à St-Georges voyait le jour.  Il s’agissait de Jean-Paul, garçon de Rose-Anna et Elphège Caya.  Une autre grande joie survint le 30 décembre 1933 quand Léo, garçon de Zéphir et Delvina, naissait.  Il était le premier petit-fils qui propagerait le nom Chèvrefils. 

En 1931, Zotique et Cordélia se rendent au Québec pour revoir leur ancienne patrie et revoir les leurs.  On en profita pour renouer connaissance avec non seulement les enfants, mais les parents, amis, anciens voisins.  C’est pendant leur séjour au Québec que Blanche mit au monde sa première fille, Marie-Jeanne.  Zotique et Cordélia servirent de parrain et marraine. 

Pendant leur absence, la vie continuait à la maison.  Le frère de Zotique, Joachim gardait la forteresse.  L’oncle gardait un œil très vigilant sur ses nièces.  Si les amis venaient autour, Joachim assumait le rôle de chaperon. 

La retraite

Au retour du Québec, Zotique et Cordélia préparent leur retraite.  Les plus vieux garçons s’étaient mariés et avaient leurs propres terres.  Etienne prenait peu à peu les commandes de la ferme, selon le désir de Zotique.  En 1935 Joachim décédait.  Il fut bien regretté des enfants car il était devenu l’oncle favori et aussi vu qu’il faisait partie de la maisonnée depuis le début.  Cordélia prit en main le bureau de poste pour un temps jusqu’à ce qu’on le déménagea au village. 

Les départs

Au printemps de 1939, Cordélia est hospitalisée à St-Boniface pour subir une intervention Zotique Chèvrefils et Cordélia Vincentchirurgicale.  Encore en convalescence, elle souffrit d’une attaque de cœur et mourut le 11 juin 1939 à l’âge de 63 ans.  Ceci mettait un terme à une vie riche et pleine.  Elle fut inhumée au cimetière de St-Georges.  Son cousin, le Père Primeau, présidait aux obsèques.  Sa bonne humeur authentique, son dévouement incessant auprès des siens, ses grands talents en art culinaire, ne sont que quelques traits qui se voient encore aujourd’hui dans ses descendants. 

Cordélia avait parachevé sa vocation de femme, de mère et de grand-mère, avec une noblesse sans pareil.  Sa vie se résume en un oubli de soi continuel au profit des autres.  Elle avait toujours deux minutes pour écouter les gens ou rendre service. 

Son époux vécut chez Etienne et sa femme Béatrice.  Quand les enfants d’Etienne vinrent au monde et égayèrent la maison du jeune couple, Pépère ouvrit volontiers son grand cœur généreux.  Il avait toujours eu un faible pour les enfants.  Il aimait à les taquiner et à les faire rire en jouant avec eux.

A ses dernières années, Zotique jouit de quiétude bien méritée.  Il visitait parfois sa fille Rose-Anna à St-Pierre-Jolys.  Malgré les forces qui l’abandonnaient peu à peu, il conservait un grand intérêt aux travaux de la ferme.  Il continuait à rentrer le bois de chauffage et à lever les œufs.  Pendant la belle saison, il aimait faire une randonnée jusque chez son garçon Zéphir. 

La fin du pèlerinage de Zotique tomba en la fête de St-Joseph, soit le 19 mars 1950.  Une vie bien remplie s’achevait pour aller à la rencontre du Maître.  Il fut enterré au cimetière de St-Georges. 

Il laisse en héritage ses traits de caractère tant physiques que moraux à plusieurs de ses descendants d’aujourd’hui. Les Chèvrefils sont reconnus pour leurs rires spontanés et leur gaieté.  Et les traits physiques les plus apparents sont les cheveux roux et les taches de rousseur.  Nous voyons ses traits chez plusieurs de ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants.  Physiquement, il était un homme mince de taille et mesurait 5 pieds 7 pouces.  Il avait les yeux bleus, les cheveux blonds roux et la moustache rousse.

 


Texte tiré du cahier-souvenir présenté par le comité organisateur des fêtes lors du centenaire de l'arrivée de nos ancêtres Zotique et Cordélia Chèvrefils en 1885 au Manitoba.


 

 

Recherche par Yolande Hébert Brault, de Ste-Martine

Photos le 2 mai 2003 par Johanne Hébert, de Ste-Martine
Mise à jour le 18 septembre 2003 par Paul Meilleur de Ste-Adèle

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paul.meilleur@yahoo.com