Pour une critique des poncifs que balbutient ceux que se demandent si la guerre d'Afghanistan est une «guerre juste»! Robert Steuckers Dans
une page spéciale du journal Le Soir (Bruxelles), le 25 février 2002, deux
entretiens rompent légèrement la pesante monotonie de ce journal aligné sur les pires
poncifs et les pires fadeurs de l'idéologie dominante. Ces entretiens, disons-le
d'emblée, sont mauvais, ne disent rien d'autres que les banalités habituelles, mais leur
agencement nous permet toutefois de fignoler un argumentaire pour mettre en échec cette
"correction politique" qui se veut progressiste, mais sans jamais rien changer
à ses affirmations, donc sans jamais "progresser". Le premier entretien de
cette page est avec Monique Chemillier-Gendreau, de l'Université de Paris VII. Le second
avec le "philosophe" bruxellois Guy Haarscher, sorte de calque de Bazar-Henry
Lévy, mais qui fait au moins le (petit) effort de pimenter ses discours (creux) de
quelques références plus valables. Les propos de ces deux exposants de trivialités
politico-philosophiques ont été recueillis par un béjaune de service, un certain
Dominique Berms. Le
blabla habituel donc. Mais la dame Chemillier-Gendreau termine son p'tit pensum verbal par
une toute petite phrase qui rencontre notre approbation : il faut revenir au politique,
faire de la politique, recourir au politique. Bravo. Et la dame donne cinq recettes. Que
nous allons commenter et rendre véritablement politiques, dans le sens où nous allons
véritablement immerger la démarche de penser dans le flux de l'histoire, dans les aléas
du temps et de l'espace, la sortir des salons aseptisés. 1.
"Il faut régler la question palestinienne". Oui. OK. Mais la question
palestinienne n'est jamais que l'aspect le plus sanglant, le mieux mis en exergue par les
médias aux ordres, par les journalistes-chiens de garde du système (l'expression est de
Serge Halimi), de toute la problématique du Proche-Orient. Cette région clef de la
géostratégie mondiale est devenue un chaudron en ébullition parce qu'elle a été
balkanisée à Versailles. En 1914, la région tout entière est sous la houlette de la
Sublime Porte. Les alliés, vaches sacrées des discours médiatiques en dépit de toutes
les bavures commises par les traités désastreux qu'ils ont imposés aux peuples, sont
responsables de tous les malheurs des populations proche-orientales, qu'elles soient
musulmanes, chrétiennes ou juives. On ne réglera la question palestinienne que si l'on
revient à la case départ et que l'on met fin à la balkanisation de cette région, qui
vivait en paix depuis des siècles. On ne règlera la question palestinienne que si l'on
adopte une idéologie baathiste, personnaliste à la façon de Michel Aflaq, dans la
région, sans clivages confessionnels générateurs de conflits. Il faut homogénéiser
stratégiquement cet espace. Et ce ne sera possible que par un tandem euro-russo-turc,
dans la mesure où l'Europe et la Russie doivent souhaiter la paix dans cette région
entre Méditerranée orientale et Golfe et dans la mesure où cet espace pourrait, sans
heurter les intérêts russes et européens, être organisé et administré par une
coopération entre Turcs et Arabes comme avant 1914. La question palestinienne est
inséparable de la question cypriote. Et la question israélienne ne pourra être résolue
que par une protection à accorder par l'Europe, la Russie et la Turquie aux communautés
juives présentes dans les villes antiques de cette région au passé immémorial et sur
le territoire de l'Etat hébreu. Lequel
ne peut, pour des raisons simplement physiques et géographiques, se replier sur
lui-même, car il n'a pas assez d'eau pour satisfaire aux besoins d'une population aussi
concentrée. La
gestion de l'eau, nécessité primordiale dans la région, implique une logique de la
négociation avec les voisins. Jean Thiriart avait raisonné en ces termes: la
crapule médiatique l'avait traité de "fasciste", et les "fascistes"
de service, qui font profession de l'honorer sans l'avoir lu, reprennent à leur compte
l'image que donnent les médias des golems fascistes. Bel exemple de manipulation et de
désinformation. 2.
"Il faut arrêter l'embargo contre l'Irak". Dixit
Dame Chemillier-Gendreau. Parfaitement
d'accord car l'Irak, territoire mésopotamien, est la pièce principale du puzzle du
Proche-Orient, balkanisé par les intrigues franco-britanniques, dont la hantise était de
voir se constituer un Etat arabe de la Méditerranée au Golfe, centré autour de la ville
clef de la région, Bagdad. Mais pour cela, il faut que les médias, à l'unisson, cessent
de sataniser l'Irak et de reproduire les "vérités de propagande" distillés au
départ des officines américaines (que Le Soir en prenne de la graine). Dans ce
sens, il nous semble plus judicieux de suivre la démarche de Mme Jany Le Pen que les
vitupérations de Bush. Mais cela, la brochette de [je m'auto-censure] qui fabrique chaque
jour la machine à ahurir qu'est Le Soir, ne le fera jamais, au vif plaisir de ceux
qui répandent des calembredaines pour perpétuer ad infinitum la balkanisation tragique
du Proche-Orient. Le Soir, dans sa rédaction, pullule de "belles
âmes" (au sens où l'entendait Hegel) mais ne livre jamais, au-delà des v¦ux
pieux, de recettes pour mettre intelligemment fin aux horreurs qui se déroulent au
quotidien dans cette région. Dans ce sens, il est le complice du désordre établi,
complice des horreurs et des souffrances des peuples vivant entre le littoral libanais et
les côtes du Golfe. 3.
"Il faut mettre un terme à la destruction du peuple tchétchène".
Voilà qui tombe comme une volée de grêle en plein mois d'août! Personne n'a jamais
planifié la "destruction du peuple tchétchène", mais, au contraire, certains
services turcs, saoudiens et américains ont placé le peuple tchétchène dans une
situation telle, qu'il risque d'en souffrir énormément. Les services saoudiens et
américains ont manipulé là-bas quelques extrémistes d'obédience wahhabite et des
clans mafieux, comme on avait jadis forgé en Italie la collusion d'un extrémisme
communiste fanatique et de la mafia sicilienne, le tout sous la houlette de Badoglio. La
guerre civile qui a suivi ce bricolage cynique a fait 300.000 morts, toutes idéologies
confondues. Des cadavres que les scribouillards du Soir ne considèrent pas comme
morts! En Tchétchènie, il s'agit de bloquer l'oléoduc russe, coûte que coûte, de le
bloquer avec du sang tchétchène. Oui,
il faut empêcher la destruction du peuple tchétchène, car la disparition d'un peuple
est toujours une catastrophe anthropologique, mais alors, pour atteindre ce noble but, il
faut cesser de soutenir, dans le pays des Tchétchènes tous ceux qui créent les
conditions de son éventuelle destruction à terme. Et ce n'est certainement pas Poutine
qu'il faut incriminer! 4.
"Il faut s'intéresser de plus près au tiers monde". Chanson
qu'on entend à satiété depuis la décolonisation des années 60. En fait, les
puissances européennes doivent quitter l'Afrique, cesser d'y stationner des troupes ou
d'y entretenir des bases navales ou aéronavales ou d'y exploiter des mines. Mais elles
doivent continuer à payer les nouvelles infrastructures branlantes des pays d'Afrique et
surtout les nouveaux clans compradores. Sans retour sur le plan stratégique. En
attendant, l'affaire rwandaise, l'équipée de Kabila [parti du Nord-Est du Congo avec ses
troupes chaussées de belles bottes en plastique, pour pousser jusqu'à Kinshasa au moment
où le vieux chef Mobutu mourrait lentement de son cancer et où le vieux gaulliste
Foccart quittait à son tour la scène], montrent que les Européens, surtout les
Français et les Belges, ont entretenu vaille que vaille les pays africains de leurs
ex-empires coloniaux; et voilà que ces dernières semaines, coup de théâtre, Blair fait
une tournée en Afrique occidentale anglophone, tout en multipliant les appels du pied aux
pays francophones en proie à mille difficultés. Blair promet aux Africains un meilleur
avenir sous la tutelle anglo-américaine et traite les froggy Frenchies
d'incapables. Cette inélégance comportementale signifie que les puissances UKUSA (United
Kingdom + USA), qui utilisent à leur profit le réseau Echelon, prennent les choses en
mains et suggèrent un plan pour l'Afrique, qui corresponde à leurs projets et
intentions. Mais, avant que le jeu ne soit tout à fait clair, Le Soir avait
démonisé Mobutu à mauvais escient, par le truchement de la plume de son illuminée
pseudo-africaniste de service, Colette Braeckman, précipitant la prise de contrôle du
Congo par les commanditaires anglo-saxons de Kagame, Kabila et Mugabe, parce que les
talents de Dame Braeckman ont fait en sorte que le vieux dictateur bantou perde tous ses
soutiens en Belgique. Au Nord, les tribus fidèles au projet de Kagamé, au Sud, celles
qui suivent Mugabe et Mandela. Un partage des tâches qui respecte, avec beaucoup de
doigté (il faut l'avouer), les logiques tribales, nilotiques au Nord, bantoues au Sud. Ce
que l'idéologie illuministe de la France et l'idéologie démo-chrétienne de la Belgique
de Baudouin I n'avaient pas voulu appliquer : au nom de l'égalité de tous et de tout, et
du contraire de tous et de tout, devant la Déesse Raison, son incarnation Marianne, le
Grand Architecte de l'Univers, le petit Jésus, Saint Antoine de Padoue, le Tribunal de
Saint Just, les talents de pianiste du concussionnaire Claes ou les magouilles du PSC. Bel
exemple d'imbécillité politique et historique : en Afrique les continuités tribales
sont des réalités tangibles, indéracinables, ce qui fait la force du continent africain
en dépit de ses faiblesses structurelles. Donc: Exit la France. Exit la Belgique. Vivent
les cocus! Le Monde a été plus conséquent : il s'est au moins insurgé contre
les propos blessants de Blair à l'endroit de la politique africaine de la France, dans
l'Ouest du continent noir. Pourtant Le Monde participe de la même hypocrisie
progressiste que Le Soir : le quotidien du Boulevard des Italiens sera-t-il traité
un de ces jours de "fasciste", par la clique du Soir, qui tente, en vain,
de l'imiter, parce que Le Monde n'aura pas applaudi les nouveaux discours africains
de Blair, ce qui, après une petite concaténation de syllogismes boiteux, pourrait
revenir à une défense posthume de Désiré Joseph Sese Seko Mobutu? Coletta
Braeckmanni horrescit referens! 5.
"Il faut revoir le fonctionnement du FMI". Tout à fait d'accord. On
se tue à le répéter depuis Evita Peron et son général de mari. Mais il paraît que
c'était des fascistes! Pensez-vous! Ils
ont donné l'asile politique à Pierre Daye! Et au Capitaine Tchékoff! Poussons la
logique de Dame Chemillier-Gendreau jusqu'au bout. Dans le tiers monde, la logique
financière du FMI s'est basé sur la juxtaposition de monocultures, dont les produits
sont cotés en bourse, des monocultures qui, justement, ne permettent plus les cultures
vivrières et variées, adaptées à l'écosystème des peuples et des tribus. Dès que
les cours en bourse flanchent, les prix chutent et les tribus crèvent de faim. Voilà la
belle charité, l'humanisme des progressistes! Les
monocultures, m'ssieurs-dames, c'était le progrès; les vieilles cultures vivrières, le
passé, l'obscurantisme, le tribalisme (fustigé par Finkielkraut et Adler). Moralité, le
tiers monde a crevé de faim : les ventres enflés des enfançons d'Afrique, couverts de
mouches, leurs yeux vides, mourant et dégoulinant de pus, ce n'est pas la faute de
"fascistes" comme la belle Evita, c'est la faute des bonnes âmes du
progressisme, soit l'idéologie du Soir et du Monde (mais la copie n'a
jamais su égaler l'original). Les crimes contre l'humanité, ce sont ces gens-là qui les
commettent en vendant leurs salades idéologiques, pas les fascistes, désormais
totalement absents de la scène internationale. Ou de l'art d'utiliser les fascistes morts
pour justifier, maladroitement, les crimes atroces contre les vivants, crimes dont on est
intellectuellement responsable. Ou de l'art d'agiter l'épouvantail du
"racisme", quand on professe les idées qui tuent en masse les enfants des
autres races. Ou de l'art de parler de l'Autre, avec un grand "A" et une emphase
creuse, quand on a justifié idéologiquement les causes structurelles de ces Sahel et de
ces Ethiopie successives, où l'Autre crevait, tout simplement, tout horriblement.
L'Autre! Exalté ici, pour mourir là-bas, tandis que les "belles âmes"
pouvaient garder bonne conscience. "Revoir le fonctionnement du FMI", c'est donc
mettre fin à l'organisation économique que l'on a imposée au tiers monde et à nos
propres pays. Et
revenir à des modes traditionnels, techniquement modernisés, d'agriculture. Ipso facto,
cela signifie revenir à des traditions et à des identités. Dame Chemillier-Gendreau
doit aller au bout de sa logique, car l'identité d'un peuple, ce n'est pas une
revendication bruyante, ce n'est pas une pose, ce n'est pas du racisme, ce n'est pas de
l'auto-exaltation, ce n'est pas de l'égoïsme ou du jingoïsme; c'est justement son mode
de vie, des legs pratiques concrets, parfois sublimés dans des mythes ou des poésies
épiques, des proverbes ou des contes. Voilà à quoi il faut faire retour pour effacer,
biffer, l'horreur économique, dirait Viviane Forrester, l'horreur progressiste,
dirions-nous. Il
faut éviter enfin de recourir à la force, comme les Etats-Unis contre l'Irak, par
exemple, dit Madame Chemillier-Gendreau. D'accord. Mais il y a une force sur la planète
qui s'oppose systématiquement aux réaménagements de toutes natures. Cette force, c'est
la force militaire des Etats-Unis, comme l'avait constaté dès les années 20 le grand
penseur du politique, Carl Schmitt. Les Etats-Unis et, avant eux, l'Empire britannique,
sont les retardateurs de l'histoire, disait-il, ou, peut-être, mais seul l'avenir
nous le révèlera ses accélérateurs contre leur volonté (Beschleuniger wider
Willen). A force de vouloir tout contrôler, de l'Afghanistan à l'Afrique toute
entière, en passant par l'Argentine qu'on met à genoux par manipulations boursières, on
finira par souffrir d'hypertrophie impériale (imperial overstretch, selon Paul
Kennedy). Ce jour-là, sans doute, l'heure des autres va enfin sonner. L'histoire
reprendra ses droits. Et il faudra que les Européens soient prêts. Deuxième
larron interviewé dans le Soir du 25 février 2002: le philosophe Guy Haarscher de
l'Université de Bruxelles, temple de la bêtise progressiste à front de taureau, comme
d'autres sont le temple de la bêtise démo-chrétienne à front de taureau. Haarscher, à
la suite de Bazar-Henry Lévy, émet des réflexions sur le réseau Al Qaeda de Ben Laden.
Rien que du pipi de chat. Des banalités. Aucune profondeur historique dans les
ratiocinations du bonhomme. La philosophie hissée au-dessus du temps et de l'espace, de
l'histoire et de la géographie. Sous-platonisme
pour période triviale de l'histoire. Mais soit. Haarscher fait profession d'enseigner la
philosophie, mais ne fait pas de philosophie puisqu'il énonce des mots d'ordre sans les
confronter à un contexte. Bye
bye la critique. Ainsi, dit-il, à rebours de Bazar-Henry Lévy, Ben Laden a raison de
s'insurger contre l'occupation anglo-américaine de la péninsule arabique. La
revendication d'Al Qaeda est juste à ce niveau, dit le bon docteur Haarscher. Ah bon.
Donc les néo-nazis allemands par exemple, si on suit l'argumentation de Haarscher, ont
raison de contester l'occupation de l'Allemagne par des troupes américaines, devraient,
pour recevoir la bénédiction morale de notre
philosophe-en-chef-vendant-du-prêt-à-penser-au-journal-des-bonnes-consciences-progressistes,
faire sauter la station d'écoute d'Echelon à Bad Aibling en Bavière et des nervis se
réclamant de Mussolini, à Naples, pourraient envoyer quelques roquettes sur les navires
US de la 6ième Flotte qui y mouillent; à l'autre bout de l'Eurasie, quelques kamikazes
japonais, adeptes de Yukio Mishima, commettraient quelques attentats contre les
installations militaires américaines du Pacifique nord!Question d'imiter Ben Laden quand
il a raison, d'après Haarscher! Mais
là où Ben Laden a tort, où l'on voit qu'il est un méchant homme comme le répète CNN,
la nouvelle voix de la transcendance, c'est quand il s'oppose à la "société
séculière et laïque". Et Haarscher de dire, sans rire, que Ben Laden s'attaque aux
"valeurs d'ouverture et de tolérance". Phraséologie creuse. Les termes
"ouverture" et "tolérance" ne pouvant pas recevoir la même
signification entre Le Caire et Karachi qu'en France ou en Belgique. Tout simplement parce
que les aléas de la pensée, dans ces territoires, ne sont pas passés par les mêmes
étapes qu'en Europe occidentale. Le temps et l'espace sont des structures a prioristiques
de la pensée, disait Kant, en toute bonne logique vraiment philosophique. Mais le temps
et l'espace ne sont pas les mêmes partout. Voilà le hic. C'est pas du
"racisme", c'est de l'empirisme et du bon sens. C'est
une analyse au "miroir d'Hérodote" (François Hartog). Ce
que toute la camarilla progressiste entend par "laïcisme" est tout bonnement le
"nihilisme", amené par le christianisme, le gnosticisme et la scolastique, qui
n'ont justement eu de cesse de rejeter tout raisonnement en termes de temps et d'espace.
Le gnosticisme et la scolastique des cléricalismes ont été contagieux : à la fin du
18ième siècle, les laïcs du progressisme ont hérité de la maladie. Le seul antidote
à ce gnosticisme-laïcisme-scolasticisme, qui débouche sur le nihilisme, c'est le retour
à la Religion de la Cité, comme dans la Rome antique étudiée par l'académicien
Georges Dumézil, ou par des hommes comme Claude Nicolet ou Pierre Savinel en France. Ou
un retour au culte magnifique de Mardouk dans ce Proche-Orient sémitique dont nous
parlions tout à l'heure. Le grand Jupiter, Deus Pater, Zeus Pitar, et le grand Mardouk :
ils seront collègues et ils seront frères en leur souveraine fonction. Plus
fraternels que Yahvé, Allah ou le Dieu unique des chrétiens, censés être de même
nature. Parlons
ensuite de ce grand mot de Haarscher: les "valeurs d'ouverture". Est-ce faire
preuve d'"ouverture", et surtout d'esprit critique, ou de sens des nuances,
d'affirmer pareille ouverture sans procéder à la moindre démarche généalogique?
Surtout quand on évoque les "droits de l'homme". Tous les codes de droit, y
compris celui qui constitue les "droits de l'homme", ont en amont de
leur éclosion proprement dite un processus de maturation, de gestation, qu'il
serait sot d'ignorer. L'affirmation impavide d'un code n'est pas le travail d'un
philosophe. Cela
relève de la gesticulation du bête politicard. Qui cherche à monnayer en suffrages
d'ahuris ses effets de manche. Par conséquent, en parlant des "droits de
l'homme", même dans un entretien de modestes dimensions, comme celui accordé par
Haarscher au Soir, on doit, en tant que philosophe qui se respecte et qui respecte
les acquis légués par les anciens, les aînés, évoquer, ne fût-ce que furtivement,
des pistes généalogiques, évoquer des sources vives, car, enfin, personne ne peut
affirmer sérieusement que les droits de l'homme sont tombés du ciel, plop, comme ça,
comme une fiente de pigeon. Même si ceux qui parlent à qui mieux mieux des droits de
l'homme dans les vitrines médiatiques le font comme si tout d'un coup en 1789 la parousie
laïque était arrivée en Europe, ce code a des sources romaines, germaniques, antiques,
jusnaturalistes, et a été accepté justement parce que les contemporains les ont
reconnues en filigrane. Sans
cette reconnaissance, certes diffuse, ce code n'aurait jamais été accepté. Et ceux qui
le critiquaient à l'époque des Lumières et de la révolution française, critiquaient
notamment son caractère schématique voire simpliste, qui risquait de créer un effet
pervers: la simplicité de sa formulation pouvait le transformer en éventail
d'expédients, sans qu'il ne faille plus jamais faire recours aux sources. Sans sources,
on n'a plus qu'une norme sans humus et ce type de norme est raide. Donc
ouvre la porte à tous les totalitarismes. Ou à la pensée unique (et nous y sommes). Par
conséquent, nous aimerions tout de même que l'on ne parle plus des "droits de
l'homme" sans critique, sans démarche généalogique, sans remontée dans le temps
pour trouver éventuellement des tangentes ou de nouvelles pistes en cas de blocage, sans
nuances. Il faut rendre le code aux histoires, celles des peuples, le (re)lire avec le
miroir d'Hérodote. En se référant notamment aux divers textes d'Angèle Kremer-Marietti
(sur les méthodes généalogiques, héritées, entre autres auteurs, de Dilthey), au
petit livre didactique et éclairant de Bertrand Binoche (Critiques des droits de
l'homme, PUF, 1989), où notre auteur explicite les pistes possibles, bien établies
dans le domaine de la philosophie, pour éviter les blocages du normativisme et les
pièges d'un catéchisme. Binoche cite les critiques providentialiste (de Maistre),
historiciste organique (Savigny) et marxiste. Une synthèse permanente de ces critiques à
l'encontre des nouveaux catéchismes de la pensée unique est un impératif de la
philosophie politique aujourd'hui. De Diogène à Rabelais, d'Ortega y Gasset à
Merleau-Ponty, le vrai philosophe plonge dans l'effervescence vitale du réel veut
ce plongeon pour fustiger les raideurs, les répétitions, les coassements de
perroquet, les propagandes qui ânonnent, les catéchismes conformistes. Bref pour éviter
que ne prenne trop de poids le journalisme philosophique, qui, finalement, n'est pas de la
philosophie. Que Le Soir ne se prenne donc surtout pas pour un organe de
philosophie et ne commence pas à traiter tout vrai philosophe de "fasciste". Et
pour qu'on me comprenne bien, je ne vais certes pas citer ce journaliste que fut Mussolini
avant de changer de métier, mais un mort tout frais, Pierre Bourdieu, bonne conscience de
la pensée unique. Eh bien, ce Bourdieu, nom de Zeus, nous a tout de même légué la
méthode pour lutter contre ses semblables et ses imitateurs, pour lutter contre la
dictature médiatique. Cette méthode, on la trouve dans le meilleur de ses petits
ouvrages, qui s'intitule Sur la télévision. Tous les mécanismes de la dictature
médiatique y sont décrits. Bourdieu s'est fait insulter pour cet ouvrage, ce qui prouve
qu'il est bon, meilleur que tout le reste de son ¦uvre, pour laquelle il a été
encensé, ce qui la rend évidemment suspecte, à nous, disciple du philosophe-chien, ce
cher Diogène (n'est-ce pas Michel Onfray?). Dans Sur la télévision, Bourdieu
dénonce les incompétents médiatisés qui houspillent les compétents difficilement
médiatisables. Par voie de conséquence, la première démarche qui s'impose quand on
presse sur le bouton qui allume le petit écran ou quand on ouvre une gazette comme Le
Soir, c'est d'adopter la méfiance que nous conseille Bourdieu. Alors,
à part la concession faite à Al Qaeda (et donc à tout néo-fascisme ou néo-nazisme
terroriste potentiel) par Haarscher, celui-ci fait la leçon aux Musulmans qui seraient
tentés de suivre l'introuvable Ben Laden et le Mollah Omar (qui s'est enfui en Harley
Davidson, peut-être en pensant à Brigitte Bardot et à sa célèbre chanson, au nez et
la barbe des satellites américains). Donc ipso facto, pour éviter ce piège, eh
bien, dans les tariqâ soufistes et dans les écoles coraniques du Pakistan, on devra se
mettre à lire Bazar-Henry Haarscher et Guy Lévy. Pour bien penser. Pour
penser comme sur la rive gauche. Dans l'Himalaya comme au Twickenham. A Kaboul comme chez
Lip. Comme ça naîtra "le talibanisme à visage humain". Un talibanisme hostile
aux "maîtres penseurs", pour faire plaisir à Glücksmann. On
nagera dans les quiproquos, dans le porte-à-faux. Non, Mister Haarscher, si les Musulmans
veulent éviter les pièges d'un fondamentalisme figé, ils devront se référer à des
valeurs qui sont leurs, mais qui échappent à la simplification wahhabite, sans pour
autant tomber dans les poncifs de cet Aufklärung hyper-simpliste qui bétonne
notre nihilisme (que les Musulmans n'ont pas, heureusement pour eux!), qui fait crever
l'Occident et ruine toutes les valeurs. Les Musulmans vont forger d'autres formules parce
leur temps et leurs lieux ne sont pas notre temps et nos lieux. C'est aussi simple que
cela. |