Une grande leçon indienne: le Temple d'Ayodhya, un enjeu capital pour la planète

Paul-Yves De Vleeshouwer

En souvenir de Jean Varenne, indianiste et sanskritologue, notre maître et notre ami, avec émotion

Dans un entretien paru dans le journal De Morgen, édition du 1 mars 2002, sous la direction de Catherine Vuylsteke, l'affaire du Temple d'Ayodhya, qui secoue l'Inde tout entière, y est bien résumée. Le Temple d'Ayodhya, en Inde, était dédié à Rama, septième réincarnation de Vishnou et Roi du poème épique védique, le Ramayana. En 1528, deux ans après notre victoire sur le binôme gallo-turc à Pavie, le Grand Moghol Babar fait raser ce temple qui abritait la mémoire immémoriale de l'Inde védique et y fait construire une gigantesque mosquée qui porte son nom. Avec l'indépendance de l'Inde, les défenseurs de la culture indienne tentent, dès 1949, de reprendre pied dans ce sanctuaire de l'indianité la plus profonde. Des images de Rama réapparaissent dans la ville, aux abords de la mosquée de Babar ou carrément dans le bâtiment lui-même. Le 6 décembre 1992, à l'appel des organisations défensives de la mémoire hindoue, des volontaires venus de tout le pays, ont procédé au démantèlement de la mosquée de Babar, pour rendre le lieu à son culte initial et effacer toute trace de l'usurpation et de la violence islamiques. Aujourd'hui, les patriotes indiens sont bien décidés à reconstruire le temple et songent à faire commencer les travaux le 15 mars prochain.

Cette affaire est importante. Elle démontre que les Indiens sont prêts, à tout prix, à faire valoir leurs racines les plus profondes, partout et en tous lieux. Si ce principe est valable en Inde, il pourra le devenir partout ailleurs, y compris en Europe. Certes, face à l'oblitération chrétienne, l'archéologie a retrouvé ses droits surtout en Angleterre, en Scandinavie, dans les Pays Baltes et en Russie, où cette discipline a un droit de cité et jouit d'un respect général. Personne ne songe là-bas à entraver le travail d'un archéologue qui se pencherait sur le passé pré-chrétien d'un site religieux. Cette bienveillance doit se généraliser dans toute l'Europe.

En Inde, la minorité musulmane s'oppose, avec une obstination aussi bornée qu'incompréhensible, à tout juste retour au passé. Dans la perspective indienne, qui est tolérante, la mosquée n'aurait suscité contre elle aucune animosité si elle avait été simplement juxtaposée au Temple de Rama. Mais sa construction, malheureusement, a impliqué la destruction du Temple, violence inadmissible pour les Indiens, qui font du pacifisme et de la bienveillance à l'égard des cultes d'autrui un principe cardinal. Ce que veulent démontrer au monde entier les traditionalistes indiens, c'est que les cultes ont partout un droit d'aînesse, qu'il n'est pas licite d'éradiquer par violence la sacralité d'un site, que la pratique des conversions forcées, du prosélytisme violent et de la frénésie zélote à vouloir éradiquer les vestiges antiques est une dangereuse aberration, qui ne devrait plus avoir droit de cité dans le monde. Les musulmans ont parfaitement le droit d'ériger des mosquées, pensent les Indiens, mais non pas sur le site de cultes plus anciens. Sagesse simple. Sagesse limpide.

En Europe, les Arabes d'Espagne rasent la première basilique de Saint-Jacques de Compostelle et en transportent des fragments dans la grande mosquée de Grenade. Quand les troupes espagnoles libèrent l'Andalousie, elles ne touchent pas à cette splendide mosquée et la maintiennent telle quelle. Si les gouvernants de l'Espagne, au temps de sa splendeur, avaient agi comme le Moghol Babar, ils auraient rasé cette merveille du monde et construit sur ses ruines une cathédrale gothique ou baroque. Décriés comme d'épouvantables barbares par des chroniqueurs haineux, ces chefs ibériques ont respecté leur adversaire d'hier. N'ont pas rasé leur lieu de culte, l'ont au contraire préservé avec respect pour les siècles à venir.

Dans le contexte politique de l'Inde actuelle, le BJP au pouvoir, et le mouvement traditionaliste qui le soutient, le RSS, ont fondé leur succès électoral sur la volonté populaire de promouvoir un renouveau hindou, dont une des motivations majeures est le désir de reconstruire le Temple de Rama. Lors de sa deuxième accession au pouvoir, ce parti traditionaliste et nationaliste hindou a dû mettre un bémol à ses revendications, vu qu'il gouverne en coalition avec des partis plus laïcs, soucieux de maintenir, vaille que vaille, un modus vivendi entre les confessions, somme toute comme Nehru l'avait voulu, pour éviter le basculement dans les affres atroces de la guerre civile. Ainsi, lors de la formation du gouvernement, l'accord stipulait d'"éviter tout conflit entre les communautés", notamment à Ayodhya.  Cependant, devant la sauvagerie de plus en plus généralisée des fondamentalistes islamistes, notamment en Indonésie et en Afghanistan, bon nombre d'hindouistes refusent désormais de capituler devant cette violence gratuite, devant ce danger qui menace le monde en le menaçant d'éradiquer sa mémoire la plus longue. Ces fondamentalistes djihadistes rejoignent dans cette volonté démoniaque les occidentalistes de "McWorld", qui tuent l'histoire en nos c¦urs, pour la remplacer par des immondes productions de nature publicitaire. Nous aurons le choix: ou une hystérie schématique pseudo-religieuse, sans profondeur temporelle, ou une vulgarité épouvantable, matérialiste, également sans profondeur temporelle.

Mais, pour revenir à l'enjeu qui nous préoccupe, Advani, le gouverneur de l'Etat d'Uttar Pradesh, où se situe le site d'Ayodhya, qui est simultanément Ministre de l'Intérieur de la Fédération Indienne, est un fervent partisan de la reconstruction du Temple de Rama, peu enclin à faire des compromis avec les héritiers de Babar, le barbare démolisseur. Son geste, symbolique dans l'horreur, doit être réparé, pour les siècles des siècles. Il doit être réparé de manière exemplative, afin que jamais plus dans le monde Babar ne puisse avoir encore des imitateurs, qu'ils soient chrétiens, musulmans ou mcworldistes. Telle est la grande leçon que nous donne l'Inde aujourd'hui, celle qui a été revigorée par le RSS et le BJP.

Le dernier Prix Nobel de littérature, Vidiadhur Surajprasad Naipaul (°1932), écrivain de langue anglaise mais de tradition indienne, a accordé plusieurs entretiens à la presse internationale, où il déplorait la mentalité prosélyte en général, celle de l'Islam en particulier. Les tragédies qui se déroulent en Indonésie, expliquait-il, notamment au Spiegel de Hambourg, viennent de populations fraîchement converties à l'Islam, qui s'adonnent au zèle des néophytes et commettent une surenchère sanglante à l'endroit des religions indigènes ou des chrétiens de l'Est de l'archipel. Pour Naipaul, qui parle un langage clair, ce zèle et cette surenchère découlent d'une instabilité comportementale, de nature schizophrénique, fruit de l'éradication des cultes ancestraux, remplacés par des vulgates sans racines. Le Prix Nobel nous livre là une leçon d'une sagesse immense, que ne retiendront pas les tenants des vulgates chrétiennes ou laïques en Europe.  

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