CORRESPONDANCES
échangées entre le 6 et le 12 octobre 2003
entre
Maximilien F. et Brice M.
à propos du livre de René RIESEL
« DU PROGRÈS DANS LA DOMESTICATION »
[Pour
un plus grand confort du lecteur, nous avons regroupé les arguments échangés
au
sein de chaque paragraphe thématique, par ordre chronologique.
Le
texte de Maximilien F. est en jaune, celui de Brice M. en orange.]
Cher Brice,
[…]
C’est dans son
ensemble un livre où l’on n’apprend rien de neuf au sujet de cette tendance
anti-industrielle ; et je crois qu’il est d’ailleurs vain d’attendre
quelque chose de neuf de la part de ces gens (je veux dire par là un
approfondissement théorique de leur position : je reviendrai plus loin sur
ce point puisque ledit approfondissement est désormais programmatiquement
forclos). Ils ont déjà intégralement épuisé leurs réserves d’innovation,
antiennes empruntées à l’écologisme anglo-américain et recouvertes d’un vernis
francfortois (le second emprunt étant encore plus tardif que le premier, en
termes de décennies), et c’est bien pour cela qu’ils ne voient et ne
verront en face d’eux, compte tenu de leur propre champ de vision, que des
fossiles, et ce in saecula saeculorum.
Dans l’ordre
chronologique, et sans effort de synthèse de ma part, voici les points relevés.
La « société
industrielle »
La volonté, de la
part d’anciens situs ou prositus, de reconduire et de brandir plus que jamais
l’expression de « société industrielle », reprise chez Kaczynski,
s’explique à mon sens par une circonstance assez simple, qui tient au « développement
inégal » de tout effort théorique. L’IS avait pris naissance après des
décennies de marxisme. Ce dernier avait basé son approche (économiste) de la
société capitaliste sur le capital (et encore, seulement sur une variante
réductrice du capital : celle de capital privé, de propriété privée des
moyens de production, sans jamais s’attaquer au concept même de capital, de
mode de production, de logique productiviste). En réaction, l’IS orienta son
renouveau théorique sur la marchandise, ce qui lui permit d’analyser et
d’identifier un grand nombre de comportements et modes de vie que le marxisme
laissait totalement dans l’ombre (en cela, mais seulement en cela, l’IS
présentait des atomes crochus avec l’Ecole de Francfort). Cette avancée
comportait inévitablement un revers, celui de laisser de côté l’autre concept
majeur du système dominant, le capital, qui ne s’était pourtant pas volatilisé.
Comme capital et marchandise sont indissociablement liés dans la réalité, mais
néanmoins distincts et susceptibles de variations dans la contradiction qui les
lie, l’accent mis sur l’un prive forcément de l’éclairage qui n’est possible
qu’à partir de l’autre. Malgré l’horreur compréhensible que leur inspirait l’économie
comme pseudo-science, les situs, ou plutôt un petit nombre parmi eux, avaient
ressenti ce manque, comme en témoigne le rappel qui en fut fait tout à la fin,
dans le cadre du Débat d’orientation ; rappel demeuré comme on sait
sans aucun effet, tant cette question paraissait (faussement) extérieure aux
membres du débat. On a vu, chez Voyer et chez les voyeristes, vers quels
délires l’approche unilatérale de la marchandise pouvait mener, au point
d’ontologiser cette dernière. Et on doit constater que le fait d’avoir
identifié le capital à une réalité dont on ne peut parler que de façon
économique (alors que la marchandise s’offrait à des perspectives
théoriques plus ouvertes, disons plus « philosophiques ») était une
erreur : le capital, tout comme la marchandise, a une réalité propre,
extrêmement pesante et indiscutable, revenant à façonner la vie sociale, la
nature, la réalité toute entière. C’est cela qui a resurgi, mais évidemment
sous une forme qui en conserve la dimension unilatérale et fétichisée, dans la
critique de la technique (une sorte de voyerisme inverti). La notion de « société
industrielle » est la résurgence borgne de cette part maudite, la
redécouverte dépourvue de concept et de logique de l’impact du capital sur le
réel, impact immédiat au sens où il ne passe pas par la marchandise courante
(comme le fait le nucléaire), ou encore au sens où il impose sa logique propre
à la marchandise courante (comme le fait la manipulation génétique) – deux
tendances qui caractérisent spécifiquement la production marchande
contemporaine. Au lieu de faire porter l’effort d’analyse là-dessus (il y a peu
de louables exceptions, comme Berlan), on préfère par paresse intellectuelle,
ancienne et éprouvée, s’en remettre aux élucubrations sympathiques mais indigentes
de ce pauvre Kaczynski (la « sursocialisation »), qui servent
provisoirement à colmater la brèche théorique (mais aussi à orienter l’attaque
conceptuelle dans une impasse radicale).
Cette « société
industrielle », Riesel la voit progresser partout et en même temps
s’effondrer (p. 10 par exemple : « l’effondrement, chaotique mais
déjà durable, de la société industrielle »). C’est-à-dire qu’il voit comme
tout le monde s’effondrer un grand nombre d’équilibres, naturels et sociaux,
mais certainement pas ce qu’il nomme la « société industrielle »,
puisque le capitalisme est en train de réaliser le portrait qui est
véritablement le sien, l’atomisation la plus poussée de chaque élément (et donc
la dépendance irrémédiable de tout), et qu’ainsi il met en place les problèmes
qui sont son terreau « naturel ». Ce n’est pas, malheureusement, le
capitalisme qui est en train de s’effondrer, ou du moins il ne s’effondrera pas
par ce biais là ; et c’est pourtant son effondrement et lui seul qui nous
intéresse, parce que lui seul mettra fin à toutes les autres misères.
Cher Maximilien,
Certains
avaient observé à la fin des années 80 que l’Encyclopédie des Nuisances
tournait en rond, qu’on n’y trouvait pas une idée critique nouvelle. Depuis,
ces partisans repentis de la critique du spectacle ont accompli leur aggiornamiento
théorique. Mais, à nouveau, ils tournent en rond dans cette nuit de l’écologie
marchande où tous les moutons sont écossais. L’ennui est la réalité commune de
ce milieu protestataire vieilli.
Dans ces conditions, une bonne
appréciation des ouvrages redondants du club encyclopédiste est préférable à
ces ouvrages eux-mêmes. Je m’en tiendrai donc au commentaire de ta lettre, en
épousant son désordre. Tu aurais fait trop d’honneur à ton sujet si tu l’avais
traité avec ordre. Tu as démontré qu’il en était incapable.
La
« société industrielle »
Marx avait décrit la logique de la
marchandise sous sa forme générale de capital. Les situationnistes en ont
analysé les développements, résultant du dépassement de ses contradictions
initiales, sous sa forme moderne de spectacle : « le spectacle est le
capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image. » (C’est
Debord lui-même qui souligne) Je ne suis donc pas absolument certain que les
situationnistes aient laissé de côté l’analyse du capital, pas davantage que
leur critique des loisirs consommables n’abandonnait la critique du travail. La
critique des développements modernes de la marchandise contenait celle du
capital, comme la critique des loisirs passifs contenait celle du travail
aliéné. C’était leur contenu latent nécessaire. « L’effondrement de la
société industrielle », décrit depuis quelques années déjà par de nombreux
ouvrages, n’est pas plus « durable » que le maintien en survie
prolongée de tant de chefs d’Etat à l’agonie. Ce n’est qu’un sursis dont
l’expiration confirmera en définitive la crise générale de la société
capitaliste annoncée voilà plus d’un siècle par Marx et retardée par le
spectacle. Cet effondrement fait du monde entier un universel pavillon des
cancéreux. La désorganisation de l’économie et la dissolution du Consensus
en sont la rançon. La rupture des équilibres écologiques et sociaux
s’accompagne de l’épuisement des matières premières dont se nourrit l’économie
marchande : la nature et le travailleur. La terre ressemblera toujours
plus à ces mers dont les ressources halieutiques sont épuisées, ou encore à ces
nations africaines dont des pans entiers de la population sont fauchés par le
sida. C’est du même coup la source de la richesse des nations qui disparaît. « Ce
haut degré de la civilisation où la richesse nationale (Wealth of Nation),
c’est-à-dire l’enrichissement des capitalistes, l’appauvrissement et
l’exploitation effrontée de la masse du peuple, passe pour l’ultima Thule de
la sagesse d’Etat » (Marx) est aussi le « point-limite de la victoire »
(Clausewitz) de la logique marchande contre la vie. C’est ce moment de
l’histoire universelle où la force absolue de l’attaque de la valeur d’échange
va forcément en décroissant. En dépassant ce point-limite et en persévérant
dans l’offensive, la marchandise s’expose à un désastre. Le coût économique
croissant de cet effondrement, sous son double aspect médical et policier, est
formidable et grève de plus en plus les économies de tous les Etats. Dans
quelques régions du monde déjà, la suppression du salaire de la soumission
engendre des troubles sociaux importants chez ceux qui s’étaient accommodés de
la tyrannie marchande en échange d’une survie garantie. Parler de développement
ou d’effondrement durable quand, de toute évidence, le bateau coule,
semble incongru.
Nous n’avons pas en
l’occasion la même approche du capital, ce qui d’ailleurs n’a rien de bizarre
ni de préoccupant, puisque le capital se présente réellement sous des aspects
fort multiples (comme forme de propriété, comme mode de production, comme
rapports de production, comme instruments, comme produits, comme combinaison
entre tout cela). La citation de Debord que tu reproduis vise le capital comme
accumulation de marchandises. Or, justement, je n’ai jamais dit autre chose :
à savoir que les situs s’étaient « spécialisés » dans la marchandise.
Donc, forcément, le capital était saisi par eux comme accumulation de
marchandises. Cette forme là de capital, bien sûr qu’ils ne l’ont jamais
négligée. Si en revanche on s’attache aux autres dimensions du capital, citées
ci-dessus, on est bien obligé de relever que la théorie du spectacle s’y
intéressait assez peu. Or, le capital ne consiste pas en marchandises,
comme à l’époque du capital commercial, mais s’oppose à la marchandise
tout en copulant avec elle. Il est machine, et non produit ; division en
classes, et non unité des clients ; hiérarchie rigide, et non égalité dans
la consommation ; laideur métallique, et non « beauté »
plastique ; nécessité du travail, et non libre accès aux choses ;
vampire du travail, et non fournisseur de salaires. Nous sommes entrés, comme
tente de le développer Jean-Pierre dans l’article qu’il prépare sur Anders,
dans une phase où les différentes apparences spécifiques du capital se
transmettent de plus en plus systématiquement à la marchandise. Bientôt, aucune
marchandise ne pourra plus renier ses origines, et cacher de quelle espèce
étaient ses géniteurs. Et dans le même temps que cette hégémonie réelle
du capital sur la marchandise se réalise, les masses sont entraînées à éprouver
de la passion pour cette misère. Tout le thème de « la technique » se
situe par rapport à une telle époque. Je ne peux donc que maintenir, même si je
suis conscient du caractère provisoire et un peu elliptique de cette
formulation, ce que je t’avais écrit sur ce capital, et sur son analyse
à éclipses dans la théorie critique.
Second point dans ce
même paragraphe : l’effondrement de la « société industrielle ».
De mon côté, je présentais l’effondrement comme celui d’équilibres qu’on n’ose
presque plus qualifier de « naturels », tout en considérant cette
succession accélérée d’effondrements comme le rythme de croisière normal du
capitalisme (les « crises économiques » ont fait place depuis
longtemps à l’évidence d’un déséquilibre permanent et grandissant, et c’est la
même chose dans tout le reste, pas seulement en « économie »). De ton
côté, tu soutiens au contraire que cet effondrement n’est pas durable, et le
signe de la fin de l’ensemble (j’ai d’ailleurs trouvé très beau l’usage que tu
fais du fameux concept clausewitzien). En fait, tout en soutenant chacun une
vue aussi contraire, ne décrivons-nous pas les deux aspects contradictoires
d’un même processus, dont l’issue est du coup relativement incertaine ? Ne
faut-il pas se méfier de l’extraordinaire talent dont le capital fait preuve
pour engendrer des problèmes dont il a une pseudo-solution à proposer ? En
même temps qu’il dévaste, et qu’il sacrifie des pans entiers, parfois
irréparables, n’est-il pas capable d’en tirer un plus grand attachement, dans
tous les sens du terme, à lui-même comme puissance régulatrice ? Nous nous
trouvons au beau milieu de cette guerre-là : guerre dont l’enjeu est en
dernière instance la conscience générale. Le bourreau vise à apparaître comme
l’infirmier, comme Lautréamont l’avait si bien illustré dès les premières
lignes des Chants, c’est là sa plus grande jouissance (et, tant qu’il y
parvient, sa plus solide garantie). C’est sans doute le point culminant de son
attaque, le moment où tout peut chavirer : si l’ennemi perd là-dessus, il
perd sur tout le reste. Ses positions ne sont sûrement pas imprenables, mais
néanmoins solides.
Le double aspect du
capital dont tu parles est évoqué dans La société du spectacle. Je ne
partage pas ton optimisme. J’observe que le capitalisme est de moins en moins
capable d’accorder sa protection contre les méfaits qu’il produit, qu’il
s’agisse de l’effondrement étatique (Argentine) ou de l’échec de la médecine
marchande à soigner les « maladies de civilisation » (la
quasi-totalité des cancers ou le sida), c.a.d. produites par l’actuelle
organisation sociale (apparition de bacilles ou de souches de virus résistants
à tout traitement, explosion des maladies dûes à la médecine moderne, p. ex.)
Un nombre croissant de victimes à Buenos Aires, à Alger ou à Vaulx-en-Velin ne
croit plus que sa soumission garantit en retour la protection d’un quelconque
parrain.
Quand tu écris que « ce
double aspect est évoqué dans La société du spectacle », je crois
utile de souligner le terme « évoqué ». En effet, si je ne me trompe
pas, Debord mentionnait cette opposition interne à l’économie capitaliste pour
ridiculiser le « bonheur marchand » (pour montrer qu’il repose sur un
mensonge et sur une inégalité fondamentales, ce qui était d’une absolue
actualité et d’une absolue vérité), mais son objectif n’était pas d’analyser
l’évolution du capital en soi dans les termes que j’ai utilisés (instruments de
production, mode et rapports de production), plutôt de discréditer le capital
marchandise (pourrait-on le qualifier de capital pour soi ? il est en
effet comme une sorte de conscience de soi, mais totalement mensongère). Je ne
dis pas que les situs ignoraient l’opposition dont je parlais ( ! ), je
dis simplement qu’ils se sont consacrés, en profondeur, à l’un des deux termes,
et que c’était à la fois justifié à l’époque, et en même temps générateur de
conséquences à colmater à plus long terme. Ceci te paraît-il en soi erroné ?
Je ne sais pas si
j’ai raison ou tort à propos de ce que tu appelles mon optimisme. C’est tout ce
qu’il y a de plus discutable, mais, en tout cas une chose est sûre : ce
n’est pas du tout de l’optimisme. Se demander si le mal ne serait pas
durablement capable de vivre des maux qu’il engendre, c’est franchement du
pessimisme, ou je ne m’y connais plus. Si nous assistons, et c’est indubitablement
le cas, à une phase d’évolution où le capitalisme a achevé de singer toute
tâche « civilisatrice » ; où il apparaît de plus en plus
clairement qu’il n’est et ne sera pas capable d’unifier, même sous forme
aliénée, la société humaine ; où il apparaît au contraire qu’il se
replie sur des zones et des activités qui lui sont désignées par le mouvement
de la valeur, et qu’il rejette et détruit purement et simplement des classes,
des régions, des pays, voire des continents, de même que des équilibres précédemment
naturels ; si tout cela est vrai, nous devons évidemment nous demander
dans quelle mesure les dangers que le système générateur de telles catastrophes
répand ne se retourneront pas contre lui, d’une façon que nous souhaitons
définitive. Arrivés à ce stade du constat, nous retrouvons immanquablement une
certaine subjectivité dans la suite du raisonnement, au sens où même les
meilleurs, comme Marx et Bakounine, ont pu de façon répétée se tromper sur
l’imminence et sur l’inéluctabilité immédiate d’un renversement prolétarien (et
il n’y a vraiment aucun mépris, pas même la plus petite once d’ironie, dans
cette remarque, car je m’associe entièrement à la nécessité inévitable de
nourrir d’espoir et de désir toute vue sur l’avenir, non pas pour « excuser »
la subjectivité, mais parce que celle-ci fait partie de ce qui va, oui ou non,
amener le résultat escompté, et le conditionne dans des proportions impossibles
à déterminer au préalable). Tout dépend donc, là-dessus nous sommes forcément
d’accord, de ce que ces pauvres, exclus de la marche du capital, voudront
obtenir, et par quels moyens. Là-dessus, les réactions qu’on observe couramment
ne sont pas toujours les plus encourageantes (que devient p. ex. l’Argentine,
pays de référence de tous ceux qui espèrent le big clash ?). Je ne
peux pas, très à regret, me résoudre à laisser hors du champ d’observation, le
cercle vicieux de la contamination marchande que je mettais en avant, et dont
je sais forcément que tu reconnais aussi la réalité. Cela devient ensuite une question
d’appréciation. C’est une guerre, comme j’écrivais, avec toute l’incertitude
obligée d’une histoire où chaque étape intervient dans le cours des
choses et peut modifier l’orientation ultérieure. Sinon, je préfèrerais
de très loin avoir tort, et que tu aies raison.
Conception de
l’histoire
J’ai été très content
de constater que pour Riesel, l’histoire universelle s’est elle aussi éloignée
de toute compréhension dialectique, et qu’elle ressemble désormais à « une
marche erratique qui a déjà si souvent perdu le fil de l’humanisation, a vu
naître et s’effondrer de multiples manières des formes d’organisation sociale
diverses » (p. 13). Comme tu sais, je suis en train de travailler sur ce
genre de sujet, et un tel aveu tombe à pic, tant il conforte mes précédentes
déductions.
Nous
aurions perdu le fil de l’humanisation. Par là il faut sans doute entendre que
l’humanité s’est égarée dans l’industrialisation, tandis que la « civilisation
paysanne » des siècles de l’expansion marchande le tenait bien en main.
S’agissant de siècles d’accumulation primitive et d’expropriation de la
population campagnarde, parler d’humanisation sonne quelque peu bucolique. Un
lecteur de Marx y verrait même une sinistre plaisanterie. Les siècles qui ont
accouché de l’industrialisation de la production (dont elle n’est que
l’aboutissement logique) furent ceux d’une marche forcée en droite ligne vers
la déshumanisation achevée, et en particulier par l’expropriation violente et
répétée des cultivateurs : « La spoliation des biens d’église,
l’aliénation frauduleuse des domaines de l’Etat, le pillage des terrains
communaux, la transformation usurpatrice et terroriste de la propriété féodale
ou même patriarcale en propriété moderne privée, la guerre aux chaumières,
voilà les procédés idylliques de l’accumulation primitive. Ils ont conquis la
terre à l’agriculture capitaliste, incorporé le sol au capital et livré à
l’industrie des villes les bras dociles d’un prolétariat sans feu ni lieu. »
(Marx) On est en droit de penser que ce n’est pas chez Riesel, en effet, qu’il
faut chercher une compréhension de l’histoire de l’ère capitaliste considérée
dans son unité profonde (du XVIe siècle à nos jours).
Il y a
indubitablement ce que tu reprends (l’idéalisation d’un certain passé, sans
cesse affublée d’énergiques dénégations), mais je visais surtout le caractère
irrationnel de l’histoire ainsi conçue, le côté biomorphisme, Kulturkritik.
Tu sais ce que je veux dire.
Je ne relevais pas seulement cette idéalisation. A l’inverse de
Riesel je ne pense pas qu’il s’agisse d’une marche erratique vers
l’humanisation. C’est une marche en droite ligne vers la déshumanisation. La
conclusion était contenue dans le commencement. Le déploiement dans l’histoire
de la logique marchande n’est pas un menu à la carte, où il convient de choisir
le bon dessert ou un échangeur autoroutier où il convient de ne pas louper la
bonne sortie : là comme ailleurs, tous les chemins menaient à Disneyland.
Je crois avoir
compris sur quoi achoppe notre échange d’arguments. Sur le plan de l’analyse de
la société marchande, du XVI° siècle à nos jours, je ne peux évidemment qu’être
entièrement d’accord avec ce que tu écrivais. Là, le processus de déshumanisation
est évident.
Mais il ne s’agit
pas seulement de cela. Riesel écrit page 12 (passage que je commentais) : « l’histoire
des hommes, cette marche erratique qui a déjà si souvent perdu le fil de
l’humanisation, a vu naître et s’effondrer de multiples manières des formes
d’organisation sociale diverses ». Il s’agit donc très clairement, non pas
de périodes inhérentes à l’histoire du capitalisme, mais de la naissance et de
l’effondrement successifs de civilisations. D’où mes propos à ce sujet. Ce que
tu écris sur l’humanisation ou la déshumanisation doit donc être repensé à
cette échelle.
La démesure
Page 14, Riesel s’en
prend à « la démesure », comme l’avait déjà fait Louart, le Aron
internaute de ce Moïse anti-Internet. Le taux de dégradation de la réflexion a
quand même dû sérieusement augmenter dans les bergeries et les ateliers de
menuiserie, pour que le sens de la mesure devienne ainsi une sorte
de référence conceptuelle positive en général. On ne se demande même plus :
la démesure de qui ? On ne sait même plus que dans l’expression « la
démesure de X », c’est quand même la nature de X qui va déterminer la
nature de la démesure, et pas l’inverse. On se retrouve du coup sur ce terrain
plutôt nauséeux où les pionniers démesurés de la liberté deviennent louches,
comme Fourier ou Sade, parce que la liberté qu’ils imaginaient était aussi
démesurée que l’est la folie économique contemporaine ; et quand on
écrit, un peu plus loin, que « le monde de la civilisation marchande en
décadence est plein d’idées situationnistes devenues folles »,
on sent bien que cette folie finale faisait en quelque sorte partie de leur
nature originaire, et que les italiques n’expriment qu’une dernière précaution
oratoire.
Discordes
A noter le rejet par
Riesel de Lovelock et de L’Ecologiste, ce qui représente un virage
récent.
La société
autoréférentielle
Voici encore un bel
exemple des gros sabots chaussés par les technophobes. La société capitaliste
ne peut être considérée comme autoréférentielle que dans la mesure où elle
projette matériellement sur l’extérieur (il n’y a en réalité plus aucun
extérieur, ou seulement à condition de s’éloigner considérablement de la
planète Terre) le caractère autoréférentiel qui la mine de l’intérieur, celui
de la valeur marchande. Parler du caractère autoréférentiel « de la
société » ne se distingue pas des sermons quotidiens tenus par le
christianisme d’antan, ne mène qu’à une sorte de mauvaise conscience, ou à des
élucubrations œdipiennes comme celles des ineffables Bernelez & Gomas (Une
perspective anti-industrielle). Cet « oubli » permanent prive le
phénomène de sa véritable racine, ce qui gouverne évidemment les prolongements
potentiels d’une opposition (conservation de la valeur et de l’échange
marchand).
L’asservissement
de l’homme et de la nature
La célèbre phrase de
Horkheimer (« l’histoire des efforts de l’homme pour asservir la nature
est également l’histoire de l’asservissement de l’homme par l’homme »)
n’est acceptée que pour – la société industrielle ! « Avant
l’industrie moderne… », Riesel croit distinguer une ère où le
compagnonnage et l’apprivoisement pacifique de la nature « démentent le
postulat » (p. 23). Ce bucolisme néglige incidemment des millénaires
d’esclavage, par exemple, qui constituaient pourtant un exemple éclairant de la
façon dont les dominants de l’époque traitaient des humains comme de la
nature (et d’ailleurs leur refusaient explicitement le statut d’humains,
les utilisant comme cette fameuse « matière première » à laquelle
tout système économique réduit forcément la nature et tout le reste).
L’idée exprimée par Horkheimer ne me paraît pas du tout un simple postulat, et
au contraire plus vraie encore à mesure qu’on s’enfonce dans la préhistoire de
la « civilisation » (ou, pour reprendre l’antique dénomination de
Lewis Morgan reconduite par Marx et Engels, dans la « barbarie »).
D’ailleurs, nombre d’historiennes ou anthropologues féministes datent les deux
phénomènes, conjointement, de la montée du patriarcat, et, dans nos contrées,
de l’invasion des peuples guerriers indo-européens, ce qui est parfaitement
plausible. Il est clair que la soumission de la femme fut (et reste) le premier
et le plus durable exemple de soumission de l’homme par l’homme en tant que
simple nature, et personne n’a certes attendu la révolution industrielle
pour passer par cette mutilation profonde de l’humanité (c’est au contraire
sous la dite ère industrielle que l’émancipation des femmes est enfin devenue
un sujet d’actualité, contrairement aux sociétés préindustrielles qui sont
encore légion).
Ce qui manque
probablement au constat fait par Horkheimer, c’est la réciproque, et le
questionnement qui en résulte. Est-ce l’asservissement de la nature qui
entraîna celui de l’homme, comme il est dit, ou ne serait-ce pas plutôt
l’asservissement de l’homme (notamment : de la femme) qui apporta
l’idée plus générale de l’asservissement de la « mère nature » ?
Le vieux slogan féministe affirmant que toute forme de domination était
nécessairement une notion (et une pratique) machiste contient à l’évidence,
sous sa forme quelque peu écrasante, un fort noyau de vérité, si l’on remonte
aux sociétés patriarcales pastorales qui peuplent l’abominable « ancien
testament ».
En tout cas, voici un
excellent exemple de la façon dont une problématique profonde et
plurimillénaire est réduite par un technophobe à la bête nostalgie d’une Europe
« artisanale », et donc de la manière dont une tendance lourde de
l’histoire peut disparaître derrière un fétichisme contraignant.
Tu
as sans doute raison de constater qu’une « problématique profonde et
plurimillénaire est réduite par un technophobe à la bête nostalgie d’une Europe
“artisanale” ». L’asservissement de l’homme par l’homme, dont le
surtravail découle, s’est manifesté partout où une partie de la société
possédait le monopole des moyens de production, et non seulement dans l’époque
de la grande industrie, ni même dans la seule ère capitaliste. Néanmoins, la
faim de surtravail a toujours était plus grande dans les sociétés dominées par
la valeur d’échange que dans celle dominées par la valeur d’usage. C’est, dès
l’Antiquité, dans les mines d’or de l’Egypte, de l’Ethiopie et de l’Arabie que
s’exprimait un appétit dévorant de surtravail. « Cependant, dans le monde antique
ce sont là des exceptions. » (Marx) On observe la même intensification de
l’asservissement de l’homme dans les Etats du Sud de l’Union américaine,
lorsque la production de coton s’est tournée vers l’exportation, et non plus
vers la satisfaction des seuls besoins immédiats. Alors que, selon Marx, « le
travail des nègres présentait un caractère modéré et patriarcal » aussi
longtemps que la production visait à satisfaire la demande domestique, il se
réduisit à la consommation planifiée à sept années de leur vie de travail
lorsque le coton fut destiné à l’exportation sur le marché international. « Dès
ce moment les horreurs du surtravail, ce produit de la civilisation, viennent
s’enter sur la barbarie de l’esclavage et du servage. » (Marx)
Je ne suis pas
d’accord quand tu écris : « L’asservissement […] s’est manifesté
partout où une partie de la société possédait le monopole des moyens de
production » (c’est moi qui souligne). L’asservissement a commencé bien
avant (en tout cas si tu entends « partie de la société » au
sens de « classe sociale »). L’esclavage, par exemple, a souvent été
pratiqué, déjà chez les sauvages, par l’ensemble de la collectivité (chaque
famille en avait, comme prisonniers de guerre). Quant aux femmes, le caractère
universel de leur asservissement était justement le facteur qui en cachait la
réalité. On doit donc, je le crains, se résigner à une conception moins
particulariste de ce problème.
De même, je ne crois
pas que le caractère monopolistique de la propriété des moyens de
production a jamais été indispensable pour provoquer l’asservissement. Ce
caractère monopolistique est finalement très récent, même pas totalement
achevé, pas plus vieux en tout cas que le fameux « système industriel »
que les technophobes considèrent comme synonyme historique de l’asservissement…
« Néanmoins, la
faim de surtravail a toujours été plus grande dans les sociétés dominées par la
valeur d’échange que dans celles dominées par la valeur d’usage » :
je crois qu’aucune forme de société n’a été « dominée par la valeur
d’usage ». La valeur d’échange avait sans nul doute été précédée par
d’autres formes, plutôt religieuses et cérémonielles, de « valeur »,
de sorte que ces sociétés, pas encore économiques, n’étaient pas pour autant
réduites à l’utilitarisme de la valeur d’usage (l’homme serait alors une bête).
La « valeur d’usage » n’est plutôt que l’ombre portée de la valeur
d’échange, son alibi pragmatique. L’usage seul ne débouche pas sur une « valeur ».
Sur ce sujet, les formulations de Marx sont à vérifier pas à pas, car tantôt il
décrit une situation moderne tout à fait indubitable, tantôt il donne des
formulations tendant à ontologiser la valeur d’usage sans plus tenir compte du
caractère impossible de cette expression. Mais aucune société prémarchande
n’avait adoré des steaks ou des pull-overs sous prétexte qu’elle se
servait d’eux. Quand elle adorait quelque chose, c’est qu’elle en faisait autre
chose qu’un usage. Ce qu’on adore est toujours retiré de la circulation :
les marchandises meurent, la valeur se réalise (survit éternellement) ; de
même, le bouclier qui exprime un sacrifice ne sert pas à aller à la guerre ;
les belles vestales sont culbutées, mais on ne se marie pas avec elles (le
désir n’est pas usage, même consommé : plutôt sacrifice).
« L’asservissement s’est manifesté partout où une partie de
la société possédait le monopole des moyens de production » ?
C’est Marx qui écrit cela dans Le Capital. De même pour la « partie
de la société » comme « classe sociale ». Marx la désigne dans
le même passage comme « propriétaire ».
Marx voulait parler de monopole à l’échelle d’une classe
répartie entre les membres la composant, et pas forcément comme un cartel à la
Krupp.
Pour ce qui est de la phrase : « la faim de surtravail
a toujours été plus grande dans les sociétés dominées par la valeur d’échange
que dans celles dominées par la valeur d’usage », on peut en discuter.
C’est la première partie de la phrase qui m’importe.
J’avais compris la
notion de monopole exactement comme tu écris, en termes de classe sociale. Mais
cela ne change pas foncièrement ce que j’écrivais à propos de l’esclavage. Les
esclaves étaient un groupe social sans être une classe sociale. Le
passage de l’esclavage au prolétariat est précisément (entre autres) la
transformation de l’asservissement extérieur en clivage interne et structurel
de la société.
Pour le surtravail et
la valeur d’échange, comment pourrais-je ne pas être d’accord avec ce que tu
écris ? En revanche, j’insiste lourdement sur la « valeur d’usage »,
car il me semble que le fait de ne pas partager cette illusion avec ceux qui la
nourrissent nous distingue précisément et profondément des technophobes en
particulier et des utilitaristes en général. Si tu y fais attention, tu constateras
que c’est un critère que nous mettons en avant depuis toujours, aussi bien dans
le Travail marginal de Jean-Pierre que dans l’article de Vendramin, et
auquel je tiens fortement. Je pense qu’il s’agit d’une perspective qui a été
nouvelle par rapport au mouvement ouvrier dans sa presque totalité, et qu’on a
commencé à comprendre chez Mauss, dans le surréalisme, dans Bataille, dans l’IS
(y compris chez Voyer, mais là sous une forme vite délirante) et dont il ne
faut plus jamais démordre. Il ne s’agit donc nullement de la lubie
rétrospective d’un historien, mais d’une question primordiale pour
l’organisation d’une société émancipée dans l’avenir.
Tout a changé
Riesel pense de ses
contemporains qu’ils ont tort « de croire que leur simulacre d’existence a
quelque chose de commun avec ce qu’on pouvait encore appeler la vie avant la
Seconde Guerre mondiale, ou même il n’y a que trente ans » (p.28). Tout
aurait changé. Mais la nouvelle référence des technophobes, Anders, elle,
comprenait fort bien que le changement intervenait d’une manière non
perceptible (et ce n’est pas les nanotechnologies qui lui donneront tort, lui
qui vivait au contraire à l’époque de lancement de réalisations pharaoniques
comme l’industrie spatiale ou comme la bombe atomique). Ce malheureux troupeau,
qui selon les technophobes ne comprend plus rien et ne perçoit même plus ce
qu’ils prétendent perceptible, cet animal totalement atrophié, vit toujours
dans un Etat ; il est toujours censé travailler, ou toucher une allocation ;
il fait toujours ses courses au supermarché ; il regarde toujours des
crétins pousser la chansonnette sur l’écran télévisuel ; il est donc, en
un mot, bien placé pour croire que rien n’a changé, et même pour constater
qu’un certain nombre de traits fondamentaux de la vie quotidienne n’ont
effectivement pas du tout changé. L’idéologie de la discontinuité pure et du
seuil qualitatif permanent ne peut rendre compte d’aucune histoire. Il me
paraît inacceptable d’envisager ce qui a changé autrement qu’en montrant que
cela n’a changé que pour conserver ce qui l’a été, à commencer par la
domination du capital sur la société. Nombre de changements actuels se
présentent même comme un retour à des formes anciennes de domination
capitaliste, et même des observateurs non « politisés » en
reconnaissent facilement la nature régressive, mais l’admettent aussi la
plupart du temps sous la menace des prétendues « lois économiques »
(le « marché »). L’oubli de ce qui perdure est exactement, sous
l’angle du temps, celui de la nature capitaliste de la prétendue « technique »,
tous ces oublis se tiennent de façon solidaire.
« Ce
qu’on pouvait encore appeler la vie avant la Seconde Guerre Mondiale, ou même
il n’y a que trente ans » n’était que la survie ; et la survie dans
la nuit américaine du spectacle ne ressemblait déjà plus à l’existence avant
qu’il ne fut minuit dans le siècle. Celle-ci était déjà, du reste, un simulacre
de vie. Ceux qui pensent comme Riesel que le simulacre d’existence du paysan
dépossédé du début du vingtième siècle avait quelque chose à voir avec la vie
des paysans libres dans l’Angleterre du XVe siècle ont tort. Les
campagnes anglaises à l’aube de la révolution industrielle avaient déjà subi en
quelques siècles de profonds bouleversements. La transformation des terres
arables en pâturages ; la disparition de la yeomanry, classe de
paysans indépendants, réduite au vagabondage au détriment des lords monopoleurs
et des petits fermiers vassalisés ; l’aliénation de la propriété communale
devenue article de commerce modifièrent en profondeur la forme des campagnes et
les mentalités (« Au XIXe siècle, on a perdu jusqu’au souvenir
du lien intime qui rattachait le cultivateur au sol communal. » observait
déjà Marx). Opposer la « vie » d’avant la Seconde Guerre mondiale,
voire même celle menée il y a trente ans, au « simulacre d’existence »
de nos contemporains revient à méconnaître que ce sont là divers moments d’un
processus cohérent. Ce bouleversement permanent est constitutif du capitalisme
(« Tout doit changer pour que rien ne change »). Les liaisons intimes
qu’entretiennent ces moments apparaissent lorsque ressurgissent des formes de
misère que l’on croyait abolies : le chômage et l’insécurité des
ressources, la privation d’un toit (un travail n’en constituant plus la
garantie selon de très récentes enquêtes publiques) ou l’esclavage et son
trafic.
Protestation des
producteurs
Aux pages 40-41,
Riesel a bien raison de souligner que dans les actions anti-OGM auxquelles il a
participé, « la part qu’y avaient prise des agriculteurs dissuadait de la
réduire à une protestation de consommateurs, d’usagers ou de riverains,
comme c’est souvent le cas dans ces oppositions aux nuisances où la perspective
se résume à exiger des pouvoirs publics la réduction d’émissions polluantes ou
le changement de tracé d’un projet de TGV, en s’exonérant d’une quelconque
responsabilité dans la reproduction du système de besoins qui les rend
indispensables. » On ne peut que regretter que ce caractère exemplaire se
soit pour l’instant fait berner par la mise en spectacle du démontage de McDo
relaté à la page 41, et enfermer dans le carcan de la nouvelle gauche « antimondialiste ».
Par contre, ne faut-il pas mettre en doute ce qu’il écrit juste après ? « Cette
première campagne avait rappelé qu’il est toujours possible de refuser
fermement le rôle assigné à chacun dans cette production et cette reproduction,
et de le faire « au nom des intérêts les plus universels ». Ce
n’était pas rien ». Ce n’était pas
rien, personne ne dira le contraire ; mais comment ne pas prendre en
compte que l’activité d’un agriculteur contenait, du moins jusqu’ici, une
matérialité détournable de son embrigadement marchand (c’est sans nul
doute l’un des sens latents mais enfouis de ces actions), tandis que le « contenu »
de l’écrasante majorité des activités salariées n’est absolument plus
détournable, mais intégralement identique avec sa fonction immédiate dans le
dispositif d’échange économique ? Comment, par conséquent, imaginer la généralisation
d’une telle action où le contenu non réductible à de l’économique doit encore
exister pour être mis en jeu ?
Qu’il
s’agisse des agriculteurs, des consommateurs, des usagers ou des riverains, leurs
protestations partielles ont toutes en commun de ne jamais dénoncer à la racine
la cause unique de tant de nuisances : la logique marchande. Comment le
pourraient-elles ? La traduction pratique de cette critique radicale
suppose pour les agriculteurs comme les consommateurs de renoncer à ces rôles
aliénés dont la distribution est programmée par l’actuelle organisation
sociale. Du reste, il est curieux de retrouver le même argument sous la plume
de Riesel et dans la propagande étatique qui invite les consommateurs
hédonistes à prendre conscience de leur responsabilité dans le désastre en
cours. En réalité, TGV et automobiles polluantes font partie de ces leurres
marchands compensatoires dont le besoin a permis de détourner à partir du
siècle dernier la menace de subversion dans la guerre sociale alors en cours.
Que les cancéreux soient tenus pour responsables de la pollution permet de
détourner encore quelque temps la violence sociale des gestionnaires de cette
production mortifère.
Je te trouve un peu dur
avec le raisonnement de Riesel. Riesel me semble avoir raison lorsqu’il
distingue une protestation de riverains et une protestation de producteurs, au
sens où comme il l’écrit le riverain veut simplement éloigner le mal de sa
propre personne, alors que le producteur veut empêcher que ce mal existe en
général (en ne le produisant pas). Il va sans dire que les difficultés
rencontrées par le producteur sont considérables (sa survie peut en dépendre,
alors que le consommateur change de marque), ce qui donne encore plus de mérite
à son action.
Au risque de te
donner l’impression que la mouche de la contestation du détail m’aurait piqué :
le TGV et l’automobile ne sont pas réductibles à des gadgets « compensatoires »,
mais se présentent de façon primaire comme outils indispensables au système (time
is money pour le TGV, facilité accrue pour délocaliser tout en continuant à
centraliser, l’idéal serait que les personnes soient téléportables comme un
e-mail ; quant à l’intérêt économique et, plus indirectement, psychopédagogique
de la bagnole, tout commentaire est superflu !).
Ta note sur « ni
putes ni soumises » : il est clair que cela peut (et va sans doute)
finir comme les ligues antiracistes ou comme les associations de « gays »
(c.a.d. en lobby borné tournant à la « pacification sociale »), mais
cette logique habituelle doit-elle dissuader tout commencement de ce genre ?
Ne vaudrait-il pas mieux s’intéresser à radicaliser la chose ? Utopique ?
J’avoue en tout cas être catastrophé par ce que j’entends ou je lis sur
la condition des femmes et, surtout, des jeunes filles dans certaines cités.
Les filles prennent le RER emmitouflées comme à Riyad ou à Kaboul, et se
changent en descendant aux Halles (où elles se baladent le piercing bien en vue
au milieu du nombril). Le « choix » qui leur est « proposé »
est vraiment celui que désigne par son appellation l’association en question.
Un maghrébin récemment arrivé en France déclarait récemment dans un interview :
« Mais qu’est-ce qui se passe ici, il y a plus de femmes voilées que chez
moi ! ». Une amélioration des relations entre les sexes était le seul
fragment positif qui semblait pouvoir se réaliser depuis les années 1970
malgré le gigantesque reflux dans tous les autres domaines, en raison
simplement de l’égalité marchande dans la consommation et, bien que très
imparfaitement, dans le travail : mais non, rien de cela, tout le
contraire (des adolescents aussi bornés, macho et stupides vis-à-vis des filles
que ceux qu’on peut rencontrer à présent étaient littéralement impensables
il y a encore vingt ans).
J’ai critiqué
l’installation de l’agriculteur dans un rôle positif.
L’identité entre
gadgets compensatoires et outils indispensables au système : pour sûr !
Admirable coïncidence vraiment : les besoins objectifs du système
rencontrent l’insatisfaction subjective qui reconnaît là l’objectivation de ses
désirs.
Quant à Ni putes ni soumises, au commencement était la
Fédération Nationale des Maisons des Potes, émanation de SOS racisme, elle-même
association à la naissance de laquelle le Parti socialiste n’est pas étranger.
C’est cette contestation labellisée qui est reçue dans les ministères et
encouragée médiatiquement[1].
Il n’est probablement pas impossible de concevoir les protestations de certains
collectifs néo-féministes dans les cités comme un exemple de cette stratégie de
guerre civile préventive. Dans ce cadre, la vieille aliénation masculine et sa
dénonciation contribuent toutes deux à la pacification sociale.
D’ailleurs, pour ce
qui est de radicaliser les choses, la protection de la domination s’y est
employée depuis longtemps. La police impériale russe possédait une section
spéciale dirigée par Ratchkovski se livrant aux provocations antisémites ;
les planteurs racistes du sud des Etats-Unis attisaient la haine entre leurs
esclaves et l’administration pénitentiaire américaine les conflits
interethniques parmi les détenus. La Sécurité Militaire algérienne n’a fait en
somme que reprendre cette vieille recette du pouvoir en encourageant les
dissensions au sein du FIS. Pour radicaliser au sens où tu l’entends la chose,
il faudrait attaquer à la racine l’organisation sociale qui produit ces
rapports réifiés entre les sexes. On prend soin de ne pas s’engager dans cette
voie.
Plus de femmes
voilées dans certains lieux en France ? Ce n’est qu’un excès pathologique
de la réalité qui est partout plus ou moins cachée (et parfois exorcisée
de la sorte). La peste émotionnelle n’est certes pas circonscrite à cette
population immigrée des banlieues. La pornographie où tout rapport sexuel est
plus ou moins un viol est le miroir réaliste de ce qui est dans presque toutes
les têtes.
L’amélioration du
rapport entre les sexes est impossible là où règnent les rapports objectifs. Il
y aurait une sphère privée qui aurait pu échapper à la réification ? On a
vu que non.
« Admirable
coïncidence » : c’est exactement cela.
Pour ce qui est d’une
radicalisation des ni putes ni soumises, tu penses bien que je l’entendais au
sens d’ « attaquer à la racine l’organisation sociale qui produit ces
rapports réifiés entre les sexes ».
Critiques essuyées
par Riesel
Tantôt Riesel affirme
n’avoir été critiqué que par des radicaux (p. 51), tantôt il prétend ne l’avoir
été que par des tenants de la « société industrielle » (p. 69-70). On
pourrait évidemment en déduire, plus ou moins ironiquement, qu’il s’agit des
mêmes, et que la défense de la « société industrielle » n’est jamais
aussi bien assurée que par ceux d’entre les radicaux qui s’en prennent aux
technophobes. Il est clair que pour une petite tête, celui qui attaque les
technophobes passe facilement pour un technophile : les ordinateurs ne
sont pas les seuls à fonctionner sur une base binaire. Mais si l’on conserve
une dose minimale de sérieux, on doit admettre que ceux qui s’opposent à la
notion de « société industrielle » ne défendent jamais la réalité que
les technophobes baptisent ainsi ; et que leur opposition à certains
termes et à une certaine analyse, qui leur paraissent indigents, ne vise qu’à
maintenir une opposition plus fondamentale à la société dominante.
Le plus lourd
reproche formulé par Riesel aux radicaux qui s’opposent à lui, et qui seraient
donc restés des « progressistes », c’est évidemment de s’exprimer sur
Internet (p. 69-70). On est donc en droit de penser qu’au moment de se relire,
Riesel n’a pu constater que ses amis les plus proches, cités élogieusement
(Ojeda, Amorós, Louart), entretiennent ou participent tous à des sites
pro-Riesel très actifs, et sont également, comme les radicaux
anti-technophobes, soumis à la dictature technologique d’un « moteur de
recherche moyennement performant ». Il semble bien qu’on ait échappé de
justesse à un drame de famille.
Certains parmi ces « progressistes »
révèlent leur caractère antédiluvien en continuant à parler « qui de
société capitaliste, qui de société capitalisée, qui de société du spectacle »
(p. 69). Le capital et le spectacle n’ont plus cours, Riesel dixit. On
attend d’en apprendre davantage sur l’étrange pouvoir de ce nouveau modèle d’Aufhebung,
qui a dépassé mais non conservé les précédents concepts…
Mandosio
comparait Bounan aux sectateurs d’Internet à la Pierre Lévy ou à l’espion nazi
Alastair Crowley. Riesel se contente de faire du développement terminal du
capitalisme la réalisation du programme situationniste. De tels procédés
donnent une idée de la bonne foi de leurs auteurs[2]. Mais
je ne doute pas que Riesel doive légitimement s’inquiéter de ce que le monde de
la civilisation marchande en décadence soit plein d’idées situationnistes. Le
mouvement de l’histoire ne fournit-il pas des motifs durables d’intérêt pour de
telles théories ? Que ces idées soient devenues « folles »,
c’est un air connu. Les défenseurs du système ne pensaient-ils pas déjà en mai
68, quand ces idées étaient dans tant de têtes, que les situationnistes
relevaient de la psychiatrie ? Aujourd’hui qu’elles trouvent un terrain
propice dans la crise de l’économie, il revient à un ex-situationniste de les
dénoncer comme l’Internationale situationniste ne manqua pas d’indigner ceux
qui s’étaient réclamé un jour de Marx.
Je ne comprends pas
la comparaison faite par Mandosio. Que voulait-il dire ?
Ton raisonnement à
propos du traitement de 68 fait par Riesel revient à dire que la publicité et
l’économie contemporaines auraient réalisé les idées de l’IS comme l’IS avait
jadis dépassé Marx : post hoc ergo propter hoc. Je ne pense
pas que cela est ton intention, mais c’est ce qu’on peut lire et comprendre.
La comparaison de
Mandosio, c’est de la démence. L’anti-rationalisme fusionnel de Bounan
présenterait une analogie avec l’idéologie des sectateurs d’Internet.
Lorsque j’écris « Riesel
se contente de faire du développement terminal du capitalisme la réalisation du
programme situationniste. De tels procédés donnent une idée de la bonne foi de
leurs auteurs », c’est de l’ironie, bien sûr ! « Mais je ne
doute pas que Riesel doive légitimement s’inquiéter de ce que le monde de la
civilisation marchande en décadence soit plein d’idées situationnistes. Le
mouvement de l’histoire ne fournit-il pas des motifs durables d’intérêt pour de
telles théories ? ». Je veux dire par là que l’aliénation marchande
produit sa négation théorique sous la forme des idées situationnistes.
Merci de la précision
à propos de Mandosio. C’est effectivement totalement délirant.
Pour le reste,
j’avais tout simplement mal compris ce que tu écrivais. Tu n’en as pas du tout
la responsabilité, j’aurais mieux fait de relire une fois de plus.
Le retour à la
perception sensorielle
« On comprend
sans doute mieux la nature véritable de la désolation présente […] en s’en
remettant à ses seuls sens, plutôt qu’à des systèmes d’interprétation, tous
déroutés, qui n’apportent guère que des consolations : l’illusion d’une
maîtrise, au moins intellectuelle. Se tenir ainsi à la perception sensible, s’y
tenir sans pour autant en rester là, est de toute façon le passage obligé pour
quiconque veut reconstruire son intelligence sur le tas, sans le filtre des
représentations : c’est le début, forcément individuel, de toute
désincarcération, d’aller réveiller au fond de soi la sensibilité atrophiée »
(p. 70).
Je ne sais plus où,
mais j’ai déjà lu assez récemment des phrases de cette espèce, tellement
semblables que celles-ci me donnent l’impression d’une simple redite. En tout
cas, la naïveté de ce point de vue reste confondante. Cela fait plusieurs
millénaires que toute raison se construit sur une certaine méfiance devant la
sensorialité ; cela fait plusieurs siècles que l’on a compris que
celle-ci, justement, n’avait rien d’immédiat et de spontané, mais était
elle-même déjà fortement médiatisée ; cela fait à présent quelques décennies
que l’on s’est aperçu que le substrat même de la perception, le perceptum,
n’était pas seulement naturellement porté à induire en erreur, mais dorénavant construit
comme trompeur (Anders, par exemple, fonde la moitié de son livre sur
l’inadéquation du perçu et du ressenti, comparés avec la puissance productive) ;
et c’est après tout cela, et comme si tout cela ne suffisait toujours pas, que
quelqu’un se trouve pour vouloir se fier à la sensorialité, et même pour lui
confier intégralement le redressement de l’humanité ! Sûr que cela
présente un avantage qui est le bienvenu pour les technophobes : celui de
recourir à une faculté apparemment (illusoirement) extra-historique, et
d’entamer ainsi une sortie de l’histoire. A quoi bon s’être mis en tête
de trouver des contradictions historiques ? « Le plus raisonnable est
sans doute en ces matières de ne pas trop raisonner », comme l’écrit sur
un autre sujet le même auteur (p. 73), et de laisser tomber des systèmes
compliqués qui n’apportent guère que « l’illusion d’une maîtrise, au moins
intellectuelle »…
Les
considérations sentimentales de Riesel ressemblent fâcheusement à un argument
d’autorité : le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Il y a déjà
quelque ironie à voir un contestataire s’en remettre aux sens tout en
prétendant parler au nom de la raison. Comment douter, en effet, que « toute
raison se construit sur une certaine méfiance devant la sensorialité » ?
Cette raison et cette « perception sensible » rieseliennes ont
cependant en commun qu’elles sont des facultés apparemment extra-historiques
surgies ex nihilo par génération spontanée. Cette construction est tout
aussi fantaisiste et anti-historique que la « civilisation paysanne »
que Riesel invoque dans ses incantations. C’est oublier que « tous les
sens physiques et intellectuels ont été remplacés par la simple aliénation de
tous ces sens », dont « l’éducation est le travail de toutes les
générations passées » (Marx) qui a consisté dans leur assujettissement
pluriséculaire au sens de l’avoir, puis au sens du paraître. Ce que le jeune
Marx dit de l’homme accablé de soucis (« il n’a pas de sens pour le plus
beau spectacle ») et du marchand de minéraux (« il ne voit que la
valeur marchande du minéral, mais pas sa beauté dans sa nature particulière »),
on peut le dire des sens aliénés de l’ensemble des individus dont la conscience
est façonnée par leur participation à des activités marchandes, autrement dit
tout le monde aujourd’hui. Non seulement l’homme accablé de soucis et le
marchand de minéraux n’ont plus de sens pour la beauté, comme la plus belle
musique n’a pas de sens pour l’oreille non musicale, mais ils n’en ont pas
davantage pour percevoir la laideur du monde marchand. Seule la suppression des
rapports marchands « émancipera complètement toutes les qualités et tous
les sens humains » (Marx).
Oui, c’est bien cela.
Le gag, dans les propos de Riesel, c’est d’affecter que les sens peuvent se
désaliéner tout seuls, simplement en « prenant leurs distances »
avec l’idéologie (pour ne pas dire avec la théorie). Les sens pourraient anticiper un autre monde,
le préparer, le mettre à portée de main (et du reste). Cette croyance là a
toujours accompagné les babas, du fait même de sa nature religieuse (cf.
techniques de concentration sensorielle, méditation asiatique e tutti quanti).
Ce n’est plus l’air des villes qui émancipe (c’était quand même une métaphore,
donc pas bête) : c’est désormais le goût du roquefort (mais ça, ce n’est
plus qu’une métonymie).
Burning Man
Riesel entend
manifestement donner l’impression à ses lecteurs que les contradicteurs des
technophobes sont des personnes assez stupides pour s’enthousiasmer pour un
happening [3], du coup il y va du « déchaînement
orgiaque technologiquement suréquipé », parle de « ville
situationniste » et livre en justification qu’il s’agit de « la
liberté des modernes, cet affreux soulagement d’être affranchi de l’histoire et
de toute responsabilité par une éternelle „première fois” (p. 71-72). Et tout
d’abord que „cette communauté fonctionnant sur le principe de „l’économie du
don” proscrit précisément toutes les obligations (jusqu’à la simple gratitude)
qui pourraient donner forme à une véritable communauté : il ne doit
surtout pas y avoir d’histoire, même au sens le plus banal, entre les
individus, pures monades, atomes tourbillonnants qui ont si bien intériorisé
l’instantanéité et l’irresponsabilité du marché qu’en toute gratuité leur
happening est comme la transcription en spectacle vivant de l’infinie misère
mentale qui se bouscule au portail sur Internet ; car à l’intérieur de
cette espèce de château de Silling en kit, ce sont les domestiques qui
s’autorisent, une fois l’an, à réaliser leurs fantasmes dans une parfaite
égalité („Les clubs SM et les salons de jeux de rôle érotiques fonctionnent dès
dix heures du matin, parfois en plein air…”) ».
Ce qu’on pouvait lire
dans l’article du Monde était parfois moins graveleux : « En
se promenant dans les rues, on découvre des dizaines d’ateliers où l’on
enseigne gratuitement le yoga, le banjo, la fabrication de cerfs-volants, la
méditation, la réparation de vélo, la pâtisserie, et bien sûr l’art du
déguisement et de la peinture corporelle, car tout le monde rêve de posséder la
tenue la plus outrancière ou la plus insolite ». Et le principe de base assez peu américain au
sens courant : « Dès les origines, les pionniers de Burning Man ont
édicté une règle simple, qui est appliquée avec rigueur : l’interdiction
de toute transaction financière et de toute activité commerciale ». Sans
nourrir d’estime particulière pour cette fête rituelle au Nevada, je trouve que
Riesel noircit inutilement le tableau. Ce qui me semble le plus déplorable,
dans cette histoire, c’est encore le caractère séparé qui caractérise les
fêtes, caractère séparé qui est tellement systématique et apparemment
indépassable qu’il définit la fête même aux yeux d’un Huizinga, d’un Caillois
ou d’un Bataille. C’est évidemment ce caractère séparé, refermé sur soi, qui
explique nombre des travers relevé par Riesel (contrairement à ce qu’il écrit,
il existe une histoire, mais elle ne dure que le temps de la fête, et ne peut
être étendue au reste de la vie profane). Si l’économie du don créait un vaste
système d’obligations, c’est parce qu’il s’agissait d’une pratique quotidienne,
permanente, tandis que la fête, à commencer par le potlatch, est précisément ce
qui extrait du quotidien et brise les traditions (tout en devenant soi-même une
tradition). Quant à l’idée qu’il s’agit toujours d’une première fois, elle est
profondément inhérente à toute pratique de cette espèce, même ancestrale (y
compris religieuse), et à toute production de désir. Riesel ne cesse de
confondre ce qui caractérise le sacré et le profane, alors même qu’il parle
d’un objet qui n’a évidemment pas le moins du monde transcendé ces catégories
traditionnelles.
Ubiquité de
l’instinct de mort
Finissons sur une
note positive : j’ai trouvé très juste, jusque dans la formulation, la
page 77 consacrée par Riesel à cette question, établissant la facilité de
passage entre la soumission normale et la brève existence du kamikaze. Texte
digne du Vaneigem de 1967.
:Comptes-rendus de publications
[1] Les années passant, il est devenu
toujours plus facile de vérifier que Ni
putes ni soumises est au féminisme ce que SOS-Racisme est à l’antiracisme.
Les vedettes de cette nouvelle cause des femmes n’ont pas manqué à leur tour de
prostituer l’association qu’elles représentent en faisant leur soumission à
diverses nuances du PS. C’est d’ailleurs Julien Dray, le parrain de
SOS-Racisme, qui a introduit Loubna Méliane, l’une des principales animatrices
de Ni putes ni soumises, au conseil national du PS à Dijon en 2003. Pour ne
pas être en reste, Fadela Amera, présidente de cette association et conseillère
municipale socialiste de Clermont-Ferrand, ne se contente pas d’apporter son
soutien à Laurent Fabius, dans les ateliers de son courant, ou en partageant
régulièrement la mangeoire de cet éléphant. Elle rend sa honte plus honteuse en
livrant à la publicité sa complicité avec cette incarnation de la veulerie, du
mensonge et de l’opportunisme en politique : « On est copains, je l’aime
beaucoup » ; « Je respecte sa façon de faire de la politique. C’est
un homme extrêmement courageux, clair et ferme. » (cf. Le Monde du 11 octobre 2005, Laïcité : Laurent Fabius reçoit le
soutien de Fadela Amera). [Note de Brice du 17 octobre 2005]
[2] Que dire, en effet, de ces
internautes technophobes qui sont les partisans déclarés de Riesel ?
[3] Les Amis de Némésis (coïncidence ou
non) avaient mentionné Burning man (dans la réponse de Louise et Meryem
à MLG). Mais ce fait divers était présenté par le commentaire suivant : « Même
l’époque actuelle, au Paradis de la marchandise, mijote déjà des potlatchs
imaginatifs, qui ne sont encore que le défouloir d’hommes normaux, mais
qui annoncent à quoi l’on pourrait passer une vie de dépense ».
Meryem et Louise précisaient par ailleurs qu’une activité sociale émancipée se
situerait au-delà du travail : « Ce que des gens ordinaires font dans
des circonstances extraordinaires, lorsque leur créativité peut
expérimentalement se donner libre cours sans frein, avec les moyens du bord,
permet de pressentir que l’intégration de la production dans une volonté
consciente de reproduction sociale, dans une généralisation de l’esprit de
coopération, devenu conscient de lui-même et pleinement actif, dans la
production du sujet social lui-même, ferait du fouriérisme le plus débridé
l’expression minimale d’un authentique réalisme socialiste ». J’ajouterai
quand même que de telles remarques ne sont pas superflues à une époque où des « révolutionnaires »
sont capables de demander ce que les gens feraient s’ils ne travaillaient plus.