Nouvelles d’Algérie

(extraits de presse fin décembre 2002)

 

 

Source : Libération.fr

Gênante vérité

Par Jacques AMALRIC
lundi 23 décembre 2002

Comme beaucoup de crimes commis en Algérie, l'enlèvement puis l'assassinat des sept moines de Tibehirine, en 1996, seront longtemps restés mystérieux. Mais trop d'interrogations, de contradictions, de zones d'ombre, marquaient cette affaire pour qu'on accepte de la classer sans sourciller. C'est ce qui se serait passé sans le témoignage explosif d'Abdelkader Tigha, un ancien membre de la Sécurité militaire algérienne qui officiait à Blida, à l'époque des faits. Selon cet homme, aujourd'hui détenu à Bangkok, les moines n'auraient pas été enlevés par leurs assassins mais par les services algériens, à la fois indisposés par la présence obstinée des trappistes en un lieu stratégique de la lutte anti-islamiste et soucieux d'arrimer la France à leur combat antiterroriste. Le kidnapping n'aurait pas dû se conclure par la mort des moines, puisqu'ils avaient été confiés au chef de maquis islamiste, Djamel Zitouni, qui coopérait avec les services de l'armée algérienne. Mais l'opération a tourné au drame lorsqu'un autre commando des GIA a réussi à s'emparer des moines et qu'il aurait cherché en vain à négocier leur libération. Le plus surprenant dans cette version des faits dont Libération s'est attaché à vérifier tout ce qui pouvait l'être, c'est qu'elle n'étonnera sans doute pas certains responsables gouvernementaux français passés et présents. Dès 1999 en effet, Abdelkader Tigha fait savoir à la DGSE, via l'ambassade de France à Damas en Syrie, qu'il est prêt à faire la lumière sur les agissements des services algériens moyennant protection et asile politique en Europe. Envoyé à Bangkok par les services français qui viennent l'y interroger, il se rend compte qu'il n'obtiendra pas satisfaction et garde pour lui les détails du récit qu'il livre aujourd'hui. Difficile cependant de croire qu'il n'en avait pas livré les grands traits à ses interlocuteurs, à commencer par la responsabilité initiale de la Sécurité militaire algérienne dans l'enlèvement des moines. Une vérité bien encombrante à gérer pour les gouvernants français, toutes tendances confondues, qui ont toujours pris soin de ne pas contrarier par une curiosité excessive le pouvoir militaro-civil en place à Alger.

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Source : Libération.fr

Abdelkader Tigha lâché par la France
Détenu à Bangkok depuis 2000, l'ex-cadre des services joue son va-tout.

Par Arnaud DUBUS
lundi 23 décembre 2002

Bangkok (Thaïlande) de notre correspondant

«J'ai été trahi par le gouvernement français.» A travers le grillage de sa cellule du Centre de détention de l'immigration de Bangkok, où s'entassent 150 autres détenus, Abdelkader Tigha raconte l'odyssée qui l'a mené d'Algérie à cette prison de Bangkok où il croupit depuis deux ans. Jusqu'à sa fuite, en 1999, Tigha est un cadre du Département du renseignement et de sécurité (DRS), l'ex-sécurité militaire algérienne. Pendant les années les plus noires de la «sale guerre», il est chef de brigade au Centre territorial de recherche et d'investigation (CTRI) de Blida, de 1993 à 1997. Cette ville, siège de la plus importante région militaire d'Algérie, est devenue aussi un fief islamiste après le début des affrontements ayant suivi l'annulation des législatives de 1991 remportées par les islamistes. Le CTRI est chargé «d'identifier, de localiser et d'évaluer le degré d'implication» des sympathisants présumés des GIA. Une partie du travail de Tigha consiste à superviser l'infiltration de ces groupes par des agents «retournés» par son service.

Muté à Alger. Fin 1996, il est chargé d'établir un rapport d'enquête sur la disparition de deux professeurs proches des GIA. Le rapport, qui implique la police judiciaire militaire, déplaît à ses supérieurs. Muté à Alger, Tigha doit restituer son arme de service. Il apprend qu'on l'accuse d'accointances avec les islamistes. Le message est clair : mieux vaut quitter le pays. En décembre 1999, il parvient à passer en Tunisie puis en Libye avant de débarquer à Damas où transitent nombre d'Algériens, notamment de déserteurs, car la Syrie n'exige pas de visa des ressortissants arabes. Conscient que le faux visa pour la France qu'il a en poche ne lui assurera aucune protection, il décide de contacter les autorités françaises à Damas. Un homme se présentant comme «chargé des questions politiques» le reçoit à l'ambassade. Tigha se dit «prêt à aider la France contre le terrorisme en échange d'une protection et d'un asile politique en Europe».

Quelques jours après, l'homme de l'ambassade lui indique qu'il est «risqué pour les agents français de venir l'interroger en Syrie». Chypre est envisagé. Ce sera finalement la Thaïlande, «pays touristique où on peut passer inaperçu». Tigha achète un billet aller-retour sur Emirates Airlines payé par son interlocuteur. En janvier 2000, il arrive à Bangkok. «J'ai d'abord été logé près de l'ambassade de France au Newrotel, puis au Centre Point Appartment, un complexe de luxe au-dessus d'un centre commercial», raconte Tigha. Il y est inscrit sous son nom, mais avec une fausse adresse à Rome. Dix jours après, arrive une équipe de trois agents de la DGSE, dont nous tairons pseudonymes et descriptions. Les papiers de Tigha sont photographiés. Le debriefing commence, enregistré sur minidisque. Tigha voit ses interlocuteurs trois fois. Les réseaux du DRS et des GIA en Europe les intéressent en priorité, ainsi que certaines affaires concernant la France et l'Algérie. A commencer par les moines de Tibehirine.

C'est là que le ton monte. Les Français veulent des détails. Pour Tigha, c'est la dernière et meilleure carte. Il insiste pour avoir des garanties sur son asile politique. Eux rétorquent que c'est impossible en France car «cela créerait des problèmes avec Alger». «Je leur ai dit que je pouvais aller n'importe où, en Allemagne ou ailleurs... L'un d'entre eux, un jeune, m'a lancé : "Si tu as tué, personne ne voudra t'accepter, pas même Amnesty." Je lui ai répondu : "Tu n'es qu'un jeune, tu ne connais rien."» Le chef du groupe sort alors sur le balcon pour téléphoner de son portable. «En revenant, il m'a dit : "Tu nous donnes les infos, on te donne une grosse somme et tu te débrouilles."» Abdelkader Tigha se fâche. «On arrête tout !» Il dit aujourd'hui : «Je m'étais trompé de porte. Je me sens trahi par la France.» Trois mois plus tard, lorsque son visa expire, Tigha est arrêté par la police thaïlandaise. Au Centre de détention de l'immigration de Bangkok, où il est emprisonné depuis, sont regroupés les étrangers en infraction, en majorité africains, birmans ou cambodgiens. Dans la cellule de Tigha, pièce grillagée de 200 m2 environ, ils sont cent cinquante allongés à même le sol dans une atmosphère fétide brassée par les pales d'un lourd ventilateur de métal. Tous les yeux sont braqués sur une télévision fixée en haut du grillage. La détention ne devrait pas dépasser quelques semaines. On peut y rester des années. Certains craquent. Pendant notre entretien avec Tigha, un Européen hirsute hurle des insultes : il est là, dit-on, depuis dix ans. Un seul médecin s'occupe de ces milliers de prisonniers qui, une fois leur peine accomplie, n'ont qu'un moyen de quitter la Thaïlande pour un pays tiers : le feu vert du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU. Faute de quoi, le détenu ne peut partir que pour une seule destination : son pays d'origine.

«Raison d'Etat». Ce que refuse évidemment Tigha. Son cas tombe dans un vide juridique sur lequel le HCR travaille depuis un an : en vertu d'une «clause d'exclusion», le statut de réfugié est refusé à ceux qui pourraient être impliqués dans des crimes contre l'humanité. Tigha nie fermement : «Je ne donnais que les adresses des gens à interroger. Je n'étais chargé ni des interrogatoires, ni des exécutions.» Le statut lui a été refusé à deux reprises. S'il est extradé vers l'Algérie, il risque à l'évidence la mort ou la torture. De son côté, la France n'a pas voulu considérer sa demande. «Elle a peur d'Alger. Il y a une relation très étroite entre les deux "services"», affirme Tigha. Sur le plan du droit, l'attitude française est contestée par l'avocat Patrick Baudoin, ancien président de la FIDH : «L'asile doit être accordé à toute personne susceptible d'être persécutée dans son pays. Tel est le cas d'Abdelkader Tigha. Il faut être aveugle ou hypocrite pour récuser cette évidence. La France se déshonorerait en refusant, par lâcheté ou raison d'Etat, de lui accorder l'asile.»

A Kuala Lumpur, l'ambassade d'Algérie, elle, ne lâche pas Tigha des yeux. Elle a demandé aux autorités thaïlandaises d'être informée en permanence sur ses éventuels déplacements. En attendant, Abdelkader Tigha, 34 ans, attend dans sa cellule. «Je n'ai plus peur de rien, sauf de Dieu.».

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Source : Libération.fr

Un ancien militaire algérien révèle les circonstances du rapt et de l'assassinat des trappistes français en 1996
Les sept moines de Tibehirine enlevés sur ordre d'Alger
Abdelkader Tigha décrit le rôle de la Sécurité militaire et ses liens avec les Groupes islamistes armés.

Par Arnaud DUBUS
lundi 23 décembre 2002

(avec le service étranger

Bangkok (Thaïlande) de notre correspondant

Jusqu'ici, Abdelkader Tigha avait gardé le secret. Tout juste avait-il évoqué parfois auprès de ses rares visiteurs l'enlèvement et l'assassinat en 1996 des sept moines français de Tibehirine en Algérie. «Je ne pourrais dire tout ce que je sais qu'en étant protégé», nous affirmait-il dans un premier temps. Une crainte doublée de la peur aussi des «représailles sur sa famille» restée en Algérie.

Emprisonné depuis deux ans au Centre de détention de l'immigration à Bangkok dans des conditions très dures (lire Abdelkader Tigha lâché par la France), Tigha sait qu'il n'a plus rien à perdre. Son témoignage sur cette affaire, l'une des plus retentissantes et des plus obscures entre Paris et Alger, reste pour cet ex-cadre des services secrets algériens l'une des dernières manières de se faire entendre à travers des barreaux, depuis l'autre bout du monde. Un récit détaillé - six pages d'une écriture appliquée - sur une opération dont Tigha a été le témoin et qui devait, selon lui, «intoxiquer l'opinion internationale et en particulier la France» afin que son soutien à Alger ne faiblisse pas face à la «barbarie islamiste».

A l'époque déjà, les responsables politiques français et l'épiscopat ne cachaient pas leurs soupçons d'une implication du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), l'ex-Sécurité militaire (SM) dans l'enlèvement ou l'exécution des moines, officiellement attribués aux Groupes islamistes armés (GIA). Mais c'est la première fois aujourd'hui qu'un cadre d'un service dépendant de la SM implique directement sa hiérarchie dans le drame de Tibehirine.

Rivalité armée des GIA

En mars 1996, Tigha est en poste au Centre territorial de recherche et d'investigation (CTRI) de Blida, dans la Mitidja, à une quarantaine de kilomètres d'Alger, une des régions les plus «dures» d'un pays en pleine guerre civile. Là, depuis deux ans environ, l'Armée islamique du salut (AIS), le bras armé du Front islamique du salut (FIS), qui jusque-là dominait les maquis islamistes, est concurrencé par les commandos des GIA. Une rivalité qui va bientôt virer à l'affrontement armé. Les massacres de civils, que les GIA prennent pour cible en priorité, suscitent les premières questions sur la nature réelle de ces groupes. C'est précisément cela, et plus encore la personnalité de leur chef de l'époque, Djamel Zitouni, qui va être au centre de l'affaire des moines. Cet homme est en effet soupçonné au mieux d'être un agent double, au pire d'être au service de la Sécurité militaire après avoir été retourné par celle-ci. Autant dire que l'affaire des moines pose une fois de plus la question du rôle des services de renseignements algériens dans la sale guerre.

S'il ne fait pas de doute que les GIA tuent «au nom de Dieu», nombre de diplomates étrangers pointent depuis longtemps infiltrations ou manipulations des maquis et remarquent que «les conditions de la création des GIA en font l'un des mouvements armés les plus opaques». Six ans plus tard, les témoignages à ce sujet se sont multipliés (lire Ces ex-officiers qui décrivent les exactions du pouvoir algérien). En juillet, lors du procès intenté à Paris par le général Nezzar, l'ancien homme fort d'Alger, à un jeune officier dissident Habib Souaïdia, le colonel Mohamed Samraoui avait ébranlé le tribunal par sa déposition: «Arrivé à un certain point, sincèrement, on ne maîtrisait plus les groupes que l'on avait constitués ou infiltrés. Comme il y avait plusieurs structures de sécurité qui en créaient, on ne savait plus à qui appartenaient ces groupes, si c'était ou non un groupe ami. Voilà la pagaille à laquelle on avait abouti. On ne pouvait plus maîtriser la situation.» Et ce colonel, ex-adjoint du numéro 2 de la SM, le général Smaïn Lamari, d'ajouter: «Le GIA, c'est la création des services de sécurité.»

Mission spéciale à Médéa

Le 24 mars 1996, au CTRI de Blida, Abdelkader Tigha s'étonne pourtant de voir arriver Mouloud Azzout, «un terroriste des GIA», passant pour être le bras droit de Djamel Zitouni. Ce n'est pas le contact avec Azzout qui le surprend mais le fait qu'il vienne directement et passe même la nuit dans cette caserne, haut lieu des opérations d'infiltration des maquis. «Les rencontres avec Azzout s'effectuaient d'habitude dans un appartement "boîte postale" du DRS, à Blida», note-t-il.

Le lendemain vers 9 heures, «c'est le général Smaïn Lamari (numéro 2 du DRS, ndlr) qui arrive à bord de sa Lancia blindée pour voir personnellement Azzout». La rencontre dure plus de deux heures, dans le service de Tigha. Ce dernier cite un à un les cinq participants, notamment le colonel M'henna Djebbar, chef du CTRI. Le jour même, ce colonel «ordonne une alerte premier degré, qui interdit à quiconque de quitter son poste de travail». Les gardes et la sentinelle sont remplacés par des sous-officiers d'active. Le soir, deux camionnettes J-5 banalisées, utilisées pour les opérations d'arrestation, sont préparées. «J'ai demandé à un collègue : "Où va-t-on?"» «Mission spéciale à Médéa.»

Les moines, seuls témoins

A une trentaine de kilomètres de Blida, Médéa, au coeur de la Mitidja, riche plaine agricole dans un cirque de montagnes, est alors l'épicentre des violences. Depuis l'annulation des législatives en 1992, chaque roche est un maquis, chaque tournant une embuscade. Une dizaine de trappistes français n'ont jamais voulu quitter Tibehirine. «Tant que nous aurons un médecin parmi nous, les hommes en armes nous épargneront.» C'est frère Luc qui tient le seul dispensaire de la région. Il refuse de se demander qui il soigne: «Un malade n'est ni un militaire, ni un maquisard. C'est un malade.»

Le monastère, qui domine toute la vallée, est un poste d'observation imprenable. Alors que la guerre s'amplifie et que la population est prise en otage entre les tueurs des groupes armés et les exactions de l'armée, les moines sont les seuls témoins «extérieurs au conflit». Après leur mort, les habitants de la zone auront encore plus peur : «Désormais, il n'y a plus personne.» Au CTRI de Blida, les choses s'accélèrent. Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les deux fourgons sont rentrés. «On croyait à une arrestation de terroristes, raconte Tigha. C'était malheureusement les sept moines qui venaient d'être kidnappés. Ils ont été interrogés par Mouloud Azzout. Deux jours après, il les a emmenés sur les hauteurs de Blida puis au poste de commandement de Djamel Zitouni, au lieu-dit "Tala Acha" constitué d'abris souterrains, d'une infirmerie de fortune et d'une école pour les nouvelles recrues» des GIA. Depuis cette cache, Azzout maintient le contact avec le centre de Blida.

Dans la Mitidja, les rivalités internes aux GIA vont bouleverser la donne. Hocine Besiou, plus connu sous le nom de Abou Mosaâb, qui dirige un des groupes de la zone Blida-Bougara-Sidi Moussa-Baraki, exige que Zitouni lui remette les moines. Une prise qui, dans la géographie des maquis, ne peut qu'assurer la suprématie. «Zitouni et Azzout ont refusé fermement le transfert des otages vers Bougara. Mais ils ont dû céder quand les lieutenants des GIA ont soutenu cette demande», poursuit Tigha.

Djamel Zitouni sera d'ailleurs obligé de se «justifier» d'avoir cédé face à son groupe, dont chaque «combattant» ne connaît pas forcément son double jeu : il prétexte la possibilité d'un ratissage militaire dans sa zone. Les moines sont donc emmenés dans les maquis de Bougara et Azzout ira au CTRI s'expliquer sur leur transfert. «Il y restera deux semaines, avant de ne plus donner signe de vie», affirme Tigha.

En France, l'enlèvement des trappistes soulève une immense émotion. Les responsables politiques se heurtent au mutisme des autorités algériennes. «Nous étions dans leur main pour obtenir des informations et elles nous menaient en bateau. Elles nous affirmaient "être sur la bonne voie" tout en nous expliquant qu'elles nous informeraient quand elles auraient une piste», affirment à l'époque plusieurs diplomates français à Libération, persuadés qu'Alger «ne lève pas le petit doigt».

Supprimer toute trace

Deux émissaires français sont envoyés pour tenter des avancées, encouragés par un mystérieux contact des GIA venu à l'ambassade de France à Alger déposer une proposition de négociation et une cassette enregistrée des moines. L'affaire fera grand bruit et les autorités algériennes ne cachent pas leur hostilité à ces pourparlers. «Le DRS voulait qu'Azzout soit l'interlocuteur des Français», si cette démarche devait avoir lieu, remarque Tigha. Quant à Djamel Zitouni, le DRS exige qu'il aille lui-même récupérer les otages dans les maquis de Bougara. Autant dire un voyage sans retour dans la période la plus sanglante, entre guerre civile et guerre des maquis, pour ce témoin devenu trop encombrant au moment où l'opération est en train d'échapper aux services de sécurité algériens. «Zitouni a été abattu sur le trajet dans une embuscade tendue par l'AIS, reprend Tigha. Sa neutralisation et la disparition d'Azzout supprimaient toute trace incriminant nos services. Zitouni ne sera déclaré mort qu'en juillet.» Bien après les moines.

C'est en effet par un communiqué du 21 mai 1996 que les GIA annoncent leur mort: «Le président français et son ministre des Affaires étrangères ont déclaré qu'ils ne négocieraient pas avec les GIA, tranchant ainsi le fil du dialogue. Et nous avons de notre côté tranché la gorge des sept moines.»

Une semaine plus tard, le 30 mai, leurs têtes seront découvertes par terre ou accrochées à un arbre dans des sacs en plastique à la sortie de Médéa.

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Source : Libération.fr

Algérie: les moines de Tibehirine tués dans un ratissage de l'armée ?
Un ex-juge français réclame une information judiciaire.

Par Jose GARÇON
mardi 24 décembre 2002

Plus de six ans après l'enlèvement et l'exécution de sept moines français du monastère de Tibehirine, en Algérie, l'affaire pourrait prendre à Paris un tour judiciaire après les révélations à Libération d'Abdelkader Tigha, un ex-cadre de la Sécurité militaire algérienne. Celui-ci implique en effet directement sa hiérarchie dans ce rapt. «Le frère d'un des moines, que j'avais reçu à l'époque, parlait déjà d'un montage des autorités algériennes», nous affirmait hier Alain Marsaud, ancien juge antiterroriste et député UMP. Dès 1996, le magistrat avait d'ailleurs demandé par deux fois au garde des Sceaux l'ouverture d'une information judiciaire. En vain. Aujourd'hui, Alain Marsaud réitère sa demande auprès de Dominique Perben, estimant que «la moindre des choses serait d'aller entendre Abdelkader Tigha», détenu en Thaïlande pour défaut de visa après avoir fui l'Algérie en 1999. «Il est temps de connaître la vérité», dit Marsaud. A commencer par les conditions dans lesquelles les moines furent exécutés.

Rivalité. En 1996, Abdelkader Tigha est en poste dans un centre militaire de Blida. C'est là, à son grand étonnement, qu'il voit arriver le 27 mars au matin les sept moines qui viennent d'être enlevés (Libération d'hier). Selon Tigha, les otages seront rapidement remis à Djamel Zitouni, chef des GIA à l'époque, et dont il ne fait plus de doute aujourd'hui qu'il a été retourné depuis longtemps par Alger. C'est dans une rivalité entre maquis que Zitouni va être contraint de remettre les moines à un autre groupe des GIA : l'opération est en train d'échapper à ses commanditaires. Le 30 mai, les têtes des moines sont découvertes à la sortie de Médéa, la ville que surplombe leur monastère.

Reste à savoir dans quelles circonstances ils ont été exécutés. Paris avait alors instamment demandé aux autorités algériennes de ne procéder à aucun ratissage pour ne pas mettre leur vie en péril. Fin mai 1996, le général Lamari, chef d'état-major de l'armée, déclenche néanmoins une attaque sur le périmètre où sont détenus les religieux. Sans lésiner sur les moyens : napalm et artillerie lourde. «Les trappistes pourraient bien avoir été tués dans ce ratissage», nous confiait hier une des sources les plus proches du dossier. Ce serait la seule manière d'expliquer que les têtes des moines aient pu être retrouvées dans une zone que l'armée venait de passer au crible. «Quels impacts, quelles brûlures portaient les corps pour qu'il ait fallu les faire disparaître ?», poursuit la même source. Michel Lévêque, alors ambassadeur de France à Alger, sera en tout cas le seul à pouvoir assister à la mise en bière.

Bombe. Les interrogations sur le rôle de la Sécurité militaire dans ce drame ne sont pas nouvelles pour les responsables politiques et religieux, en France comme en Algérie. Les conditions de l'assassinat de Pierre Claverie, évêque d'Oran, deux mois après les moines, n'ont fait que les renforcer. En déplacement à Alger le 1er août 1996, Mgr Claverie regagne Oran dans un avion qu'il n'avait pas prévu de prendre grâce à une place débloquée à la dernière minute. A peine arrivé dans sa résidence, une bombe actionnée à distance - une première en Algérie - pulvérise sa voiture. En savait-il trop sur l'affaire des moines ? Nombre de diplomates occidentaux alors en poste à Alger admettaient en tout cas à l'époque que «les autorités avaient autant de raisons de l'éliminer que les islamistes». La sophistication de cet attentat faisait pencher plusieurs d'entre eux en faveur de la première hypothèse.

Hier à Paris, le Quai d'Orsay se refusait à tout commentaire sur les révélations d'Abdelkader Tigha.

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Source : L’Envolée

Extraits du n° 6 de cette publication, article intitulé L’Algérie, une vaste prison en mutinerie désormais permanente…

http://www.internetdown.org/envolee

63, rue de Saint-Mandé

93100 Montreuil-sous-Bois

Mail : [email protected]

 

« Nous avons lancé un appel aux parents de détenus pour qu’ils discutent avec leurs proches afin qu’ils ne menacent pas de se suicider » (Ahmed Ouyahia, ministre de la Justice).

« Le crime va augmenter en Algérie […] La violence est liée à l’affirmation des libertés et au développement. » (Ahmed Ouyahia)

« L’Algérie est une grande prison qui n’arrive pas encore à fuir son destin carcéral. L’Algérie est une prison mère de deux millions de kilomètres carrés dans laquelle s’entassent une succession de prisons annexes et une multitude de centres de détention complémentaires, infiniment plus petits que la prison mère. Une fois dans la prison Algérie, d’autres prisons intérieures, plus petites, s’ouvrent à vous pour se refermer aussitôt après. » (Sid Ahmed Semiane)

« Ce qu’il faut à ce pays, c’est une autre catastrophe, qui emportera cette fois-ci tous les responsables. Car, nous les pauvres, on n’a plus rien à perdre » (Une mère de détenu, à l’adresse d’un policier, pendant la mutinerie de Serkadji, à Alger, le 1er mai).

 

Il y a officiellement en Algérie (30 millions d’habitants) 145 établissements pénitentiaires, prévus pour 32 000 places mais occupés par 42 000 détenus, dont 28 000 prévenus et 800 femmes. Ces chiffres sont peu sûrs et ne tiennent pas compte, par exemple, des camps du Sahara, où pourrissent encore dans des conditions abominables on ne sait combien de prisonniers et où ont été enfermés, très souvent préventivement, plusieurs dizaines de milliers de présumés islamistes. Peu de nouvelles filtrent de ce qui se passe dans les prisons algériennes, si ce n’est, de temps en temps, les chiffres hallucinants et donc difficilement dissimulables de massacres à grande échelle faisant suite à des mutineries ou à des évasions de masse le plus souvent provoquées à cet effet. Ainsi, entre autres exemples macabres, le 10 mars 1994, plus d’un millier de détenus islamistes, dont près de 300 condamnés à mort, s’évadent de la prison de Tazoult (ex-Lambeze), dans la région de Batna, lors d’un assaut mené par des groupes islamistes. Il s’avérera plus tard qu’il s’agissait d’une mise en scène : dans les jours qui suivirent, la majorité de ces évadés furent tués par l’armée, qui, ayant pris position dans la région autour de la prison, les attendait…

[…]

Dans la soirée du 2 avril 2002, à la prison de Chelghoum Laïd (ville de l’Est, située entre Sétif et Constantine), un incendie se déclare dans une cellule dortoir, suite semble-t-il à la tentative de suicide d’un détenu, qui a mis le feu à son matelas en mousse. Ce dortoir de 36 m² est prévu pour 15 occupants. Pour respirer, il n’existe que deux bouches d’aération à 30 cm du plafond, situées à 3,50 m de haut. Il y a 24 morts et 22 blessés (oui, 46 personnes dans 36 m² !), dont beaucoup dans un état critique. Les autorités parlent d’un problème de « sureffectifs pénitentiaires ». Plus cynique encore, le ministre de la Justice Ouyahia déclare : « Nous manquons de prisons par rapport à notre stock de détenus ». L’entière vérité est que les gardiens ont tardé à ouvrir les portes malgré les appels à l’aide (« le directeur du pénitencier n’était pas là pour nous en donner l’ordre. ») et que les pompiers sont arrivés très tardivement.

[…]

Mardi 30 avril 2002 : incendie à la prison de Serkadji (centre d’Alger) suite, selon la version officielle, à la tentative de suicide d’un détenu, qui aurait brisé un néon pour se taillader les veines (on venait de lui refuser la permission d’aller à l’enterrement de son père), dans une cellule dortoir de 25 personnes. Il y aura 23 morts et 2 blessés, tous de droit commun et âgés de 19 à 30 ans (en fait il semble que, suite à cette tentative de suicide, une bagarre ait éclaté entre détenus et gardiens et que des prisonniers aient mis feu à des matelas en mousse ; comme d’habitude, les matons ont énormément tardé à ouvrir les portes et les pompiers, pour une fois arrivés assez vite, ont dû patienter un quart d’heure devant la porte de la prison avant qu’on ne la leur ouvre, parce que les matons « étaient en train de regarder le match du soir… ». Une mutinerie éclate aussitôt. La prison est en effervescence toute la nuit et au matin, alors que les familles et proches des détenus encerclent le bâtiment, une centaine de détenus réussissent à monter sur les toits. « On les a laissés mourir » est encore une fois le cri qui revient le plus souvent. La tension est énorme. Certains mutins se mutilent publiquement, d’autres tentent de se jeter dans le vide, rattrapés de justesse par leurs camarades. Tous hurlent contre leur malvie et contre la hogra. Les flics commencent à paniquer : ils doivent battre en retraite sous une pluie d’insultes et de cailloux lancés par les mutins. Retraite coupée par la foule, qui les attaque à son tour, les prenant en tenaille. La situation devient explosive. La rue promet vengeance aux détenus. Des jeunes forcent le périmètre de sécurité et escaladent le mur d’enceinte…. Puis des renforts de police arrivent et la situation se calme mais une multitude de jeunes continuent à assiéger la citadelle, « prêts à donner l’assaut à cette geôle infâme ». Et les familles bouleversées hurlent leur douleur et leur rage : « les vrais voleurs pillent tout un peuple et vivent comme des princes », « ce sont les enfants du peuple qui sont là. Quant aux généraux, ils n’ont qu’un coup de fil à donner pour faire sortir leur progéniture du pétrin », « les prisonniers ont raison de se rebeller, ils vivent comme des rats ».

[…]

Dimanche 5 mai 2002 : incendie à la nouvelle prison Boussouf de Constantine (« fierté de l’Administration pénitentiaire et judiciaire », elle n’était pas encore inaugurée et certains de ses détenus avaient été transférés des taules ayant pris feu les jours et semaines précédents) […] Ce même jour, mutinerie à la maison d’arrêt d’Aïn M’lila (région d’Oum El-Bouaghi). Encore une fois, les proches se rassemblent autour de la prison pour faire écho aux exigences des mutins. Ceux-ci ont élaboré une plate-forme de revendications dénonçant les raisons et la durée de leurs peines et menacent, s’ils ne sont pas écoutés, de mettre le feu à la prison (la majorité d’entre eux sont en détention préventive depuis plus de trois ans). »

[…]

Entre mille exemples piochés dans les comptes rendus quotidiens des tribunaux : un an ferme pour le vol d’une chaise sur une terrasse de café, six mois ferme pour un gramme de chichon, etc. »

 

 

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Les Amis de Némésis

29 décembre 2002

 

 

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