Portrait d’un Chef: Françoise David
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Né de la fusion de
l’Union des forces progressistes et d’Option citoyenne, Québec
solidaire voit le jour en février 2006 dans une effervescence
typique de la noce d’un nouveau couple. Mais cette formation politique
est différente à tous points de vue par rapport à
n’importe quel autre parti qu’ait connu le Québec à ce
jour. Les membres de Québec solidaire désirent ardemment
se distinguer dans la manière de faire de la politique, dans la
manière d’exprimer leurs valeurs et idées et dans la
manière de "s’autogouverner", avec à sa tête non
pas un chef traditionnel avec les pouvoirs d’un quasi-monarque comme on
voit ailleurs au Québec, mais bel et bien une direction
collégiale qui se démarque avec deux porte-parole,
représentant en leurs personnes cette idée
d’égalité en droit homme-femme. Mais les lois
électorales étant ce qu’elles sont, tout comme les us et
coutumes de la formation d’un gouvernement et de l’Assemblée
nationale, Québec solidaire a dû se résoudre
à l’idée de réduire à une seule figure de
leader, le temps de l’élection générale, et c’est
Françoise David que les membres ont choisie, pour remplir cette
fonction. Amir Khadir n’est pas en reste pour autant, car il est
très clair qu’il conserve son statut de porte-parole,
publiquement parlant. Mais officiellement, Françoise David est
le "chef" coutumier.
Aujourd’hui débute donc un tout nouveau chapitre de notre
série "Portrait d’un chef", et Madame David va d’abord nous
brosser un portrait de la situation de Québec solidaire et des
progrès réalisés depuis sa fondation ainsi que les
préparatifs électoraux.
NP: Québec solidaire existe depuis une année maintenant,
les idées fondatrices sont clairement posées, et vous
avez récemment préparé votre plate-forme
électorale, tenant compte à la fois de vos principes
fondateurs et de cas très précis de problématiques
reliées à l’actualité. Par exemple, votre position
en matière de nationalisation de l’éolien, pour citer un
cas. D’emblée, j’aimerais vous demander de me livrer votre
évaluation du travail accompli à l’intérieur de
votre formation politique durant sa première année
d’existence, que ce soit au national, sur le terrain dans les
régions et au cours des élections partielles où
des candidats de QS étaient présents?
FD: Avec un nombre de membres s’élevant autour de
5,600, nous percevons cette première année de
manière très positive, et à l’approche d’une
élection générale, nous pouvons très
certainement nous attendre à une bonne croissance du nombre de
membres actifs au sein de notre parti. Par ailleurs, nous avons
jusqu’à maintenant 55 associations locales de fondées, et
nous prévoyons en fonder une trentaine d’autres au cours de
l’année 2007. Je crois que l’on peut affirmer que d’ici une
à deux années encore, notre parti sera présent
dans toutes les circonscriptions québécoises. Ce qui est
intéressant de noter au passage est que nous sommes
enracinés dans toutes les régions du Québec,
malgré le fait que nous n’ayons pas encore des associations dans
chaque comté présentement.
Nous pouvons aussi constater qu’il y a un bon équilibre
hommes/femmes à presque 50% de chaque côté, nous
constatons aussi une bonne représentativité des membres
de diverses communautés culturelles dans la région de
Montréal, et cela va se refléter dans les candidatures
aux prochaines élections générales par ailleurs.
Dans l’ensemble, nous sommes assez contents de ce qui s’est
passé depuis un an.
Nous notons par ailleurs que nous avons une assez bonne présence
médiatique, on nous téléphone
régulièrement pour connaître notre opinion sur
divers thèmes touchant l’actualité politique
québécoise ; on a pris position sur une
variété de questions depuis un an, nous avons
présenté des mémoires à diverses
commissions parlementaires, comme sur le racisme, la santé, sur
le mode de scrutin, nous avons aussi présenté un
mémoire contre le projet de port méthanier Rabaska
à Lévis au BAPE.
Il est bien clair que nous aimerions être davantage entendus et
vus par la population, puisque régulièrement les gens
nous disent "on ne vous voit pas assez", oui mais il faut composer avec
le fait que nous n’avons pas le contrôle des médias. On
aura beau envoyer des communiqués, des textes, mais il faut
composer avec le fait que nous ne sommes pas toujours publiés.
Par ailleurs, nous sommes aussi très satisfaits des engagements
électoraux que nous avons récemment adoptés, suite
à un énorme travail par des centaines et centaines de
membres Québec solidaire (et non pas par cinq ou six personnes
autour d’une table), puisque ce travail a été fait dans
toutes les régions et associations existantes. Tout ce travail a
permis à notre formation politique de dégager vingt-cinq
propositions très précises. Ces propositions nous
apparaissent comme étant réalistes et audacieuses,
puisque nous les avons adoptées pour être des engagements
réalisables dans le contexte actuel. Et puis nous devons
maintenant nous préparer en vitesse grand V pour des
élections, puisqu’il semble que le premier ministre Charest, lui
qui nous avait juré ne pas vouloir d’élections avant le
dépôt du budget au fédéral, se trouve
soudainement et par le plus pur des hasards à vouloir les
appeler après le dépôt du budget du Gouvernement du
Québec prévu pour le 20 février prochain…
NP:
Quelle analyse faites-vous par rapport à la couverture
médiatique que QS a reçue d’une part, et des portraits
caricaturaux que certains observateurs politiques se sont permis de
peindre à propos de QS? J’ai en tête André Pratte,
chef éditorialiste à La Presse, le chroniqueur Michel
David au Devoir?
FD: Il faut reconnaître qu’au moment de la fondation de
Québec solidaire, notre formation a été en mesure
de jouir d’une certaine lune de miel. Nous avons remarqué une
forme de sympathie de la part d’observateurs et chroniqueurs qui ne
sont pas nécessairement reconnus pour être de gauche, tout
simplement parce qu’il trouvait intéressant le fait que l’on
existe. Mais cette lune de miel a évidemment fait place à
un certain réalisme chez ces gens-là du moment où
nous avons établi clairement nos positions écologistes,
féministes et alter-mondialistes; en fait, ce qui est
identifié comme étant de gauche, et bien là,
puisque nous exprimons des positions diamétralement
opposées à la leur, ils ont exprimé des opinons
contraires. Mais cela est de bonne guerre, c’est là leur
rôle et je ne leur en veux pas d’agir ainsi. Par contre, il y a
eu certaines occasions où certains nous traitaient de
manière un peu cavalière. Je vais illustrer mon propos
d’un exemple très concret: on vient d’assister ces derniers
temps au dépôt du projet de plate-forme électorale
du Parti québécois. Dans un ou deux articles que j’ai
relevés, les journalistes ont qualifié les mesures
proposées par le PQ comme étant "coûteuses". Mais
c’est tout ce qu’ils en ont dit! Et j’ai surtout observé qu’il
n’y a pas eu de déchirage de chemise de la part ces
commentateurs.
Nous, lorsque les journalistes ont eu en mains la première
version de notre plate-forme qui n’était donc pas
définitive (un document de travail qu’ils avaient reçu je
ne sais guère comment), immédiatement nous avons
été affublés des pires quolibets: "Utopies,
folies, trop coûteux, ça n’a pas de bon sens!" Alors il
est assez clair que nous sommes devant un double standard analytique
par rapport aux observateurs de la scène politique.
Il nous apparaît donc assez évident qu’il y a des gens, en
quelque part, qui ont décidé que nous sommes incapables
de tenir compte de certaines réalités. Et ce n’est pas
vrai, puisque nous vivons dans le même monde que tout le monde;
sauf que nous nous permettons des propositions audacieuses, ça
coûte de l’argent; on va dire bientôt où nous allons
chercher cet argent en question pour financer les mesures que nous
proposons, nous serons très clairs là-dessus. Nous ne
serons pas plus fous que monsieur Charest qui, depuis juin dernier, se
promène partout au Québec, en faisant tellement de
promesses, qu’elles doivent bien se chiffrer présentement
à quelque chose comme autour de onze ou douze milliards de
dollars. Dans notre cas, les engagements de plate-forme vont
probablement se chiffrer pour quelque chose qui sera autour de la
moitié de cette sommes-là! Et vous avez remarqué
que personne ne semble taxer le premier ministre Charest d’utopiste?
Peut-être parce que les éditorialistes savent très
bien que monsieur Charest ne va pas tenir ses engagements? Nous autres,
si on était élus, nos engagements on les ferait, et c’est
pour cette raison qu’il y a des observateurs que ça
énerve. Il est évident, lorsque nous nous engageons
à tenir des mesures sociales, qu’il faut chercher l’argent en
quelque part. Forcément, ce sera dans une plus grande
contribution des entreprises et des individus fortunés! Cela ne
peut être ailleurs.
Non, il est bien évident que l’on nous ne fait pas la vie
facile. Mais en même temps, je prends la peine de souligner que
ce n’est le cas que de quelques éditorialistes et chroniqueurs.
Il faut reconnaître que la plupart des journalistes agissent
correctement à notre égard, comme à l’endroit des
autres. Il n’y a pas de traitement différencié, ils sont
vigilants, ils aiment poser de bonnes questions, et tout cela n’est que
normal.
NP:
Les tendances démontrées dans les sondages au cours des
derniers mois indiquent un appui populaire à l’endroit de QS se
situant autour de plus ou moins 5 %. Dans mon esprit, cela pose une
difficulté d’ordre existentiel pour votre formation politique,
et je me demande à la fin, jusqu’à quel point les valeurs
et idées défendues à QS correspondent vraiment
à une tendance de fond chez les électeurs? Comment
évaluez-vous cette situation?
FD: J’ai la profonde conviction qu’il y a beaucoup plus que ce
pourcentage-là de gens dans la société qui
appuient nos valeurs de justice sociale, d’écologie et
d’égalité, etc. Parlant d’écologie, le Parti vert
selon ces mêmes sondages serait autour de 9%. Ce qui totalise
pour nos deux formations une moyenne d’autour de 14%. Ça, c’est
pour les appuis pour l’écologie. Mais pour les valeurs de
justice sociale et d’égalité, nous sommes les
représentants les plus fermes en regard de ces
valeurs-là. Et je ne veux pas dire qu’au PQ, il n’y a personne
chez les militants qui pense à la justice sociale, dire une
telle chose serait grossièrement faux; pour la direction du PQ,
c’est une autre histoire. C’est donc sur un ensemble
d’éléments que je m’appuie pour dire qu’il y a beaucoup
plus que 5% des gens favorisant des mesures dites "de gauche" au
Québec.
Et là intervient toute la question du vote utile ou
stratégique. Je sais, pour parler à tellement de gens,
que l’une des questions troublantes en ce moment est de savoir: Est-ce
que je vote pour Québec solidaire, qui dans le fond est une
formation beaucoup plus près de mes valeurs, ou vais-je voter
pour empêcher Jean Charest d’être réélu
premier ministre? S’il y avait un mode de scrutin proportionnel au
Québec, une question de cet ordre ne se poserait même pas,
et il est évident que le taux de vote populaire serait autour de
18 à 20% du suffrage universel. Et cela, j’en ai la profonde
conviction. Tous les jours, sur la rue, je croise des gens qui me
reconnaissent et qui me disent "Madame David, poursuivez, c’est bon,
votre affaire", je rencontre trop de gens pour me dire que le 5%
exprimé dans les sondages représente vraiment la
réalité.
Et l’autre chose aussi, c’est que nous ne sommes pas partout connus au
Québec. Dans ce sens, les élections vont nous aider
puisque nous aurons des candidatures dans toutes les circonscriptions,
nous ferons de vraies grosses campagnes dans une trentaine de
circonscriptions, et cela sera une occasion en or de se faire
connaître davantage et les résultats du scrutin vont le
refléter.
NP:
J’ai relevé récemment dans l’actualité que QS a
l’intention de présenter des candidats dans tous les
comtés du Québec; jusqu’à quel point les finances
du parti permettent-elles de faire campagne partout, dans chaque
région et chaque circonscription?
FD: Il est bien certain que les finances ne nous permettent pas de
faire campagne de manière égale partout. Nous avons
voté, il y a quelques mois, qu’il y aura trois campagnes
prioritaires: celle d’Amir Khadir dans Mercier, celle de Serge Roy dans
Taschereau et ma campagne dans Gouin. Il y aura autour de 20 à
25 campagnes intermédiaires, où il y aura plus d’argent
et de ressources, etc, et dans les autres circonscriptions, ce sera des
campagnes de visibilité, où une personne, entourée
d’une équipe minimale et peu de moyens matériels, dont la
mission sera de faire connaître les idées et valeurs de
Québec solidaire dans sa circonscription, ira chercher les votes
des gens qui veulent opter pour Québec solidaire. C’est le
portrait de ce que nos finances et notre membership vont nous permettre
de faire.
NP:
Vos objectifs électoraux en termes de résultats sont de
quel ordre, à la fois en termes de députés
élus d’une part, et de score total au suffrage universel?
FD: Députés élus? Quelques-uns, il n’y en aura pas
beaucoup et nous sommes très réalistes en ce sens. Nous
visons des élections de députés dans les campagnes
prioritaires. Dans les campagnes intermédiaires, nous aimerions
décrocher quelque chose entre 7% et 15% du suffrage. Et au
total, nous n’avons pas de visée de chiffre précis. Nous
avons 5% dans les sondages et nous souhaitons faire mieux. Et puis… il
faut y travailler!
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