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La mise à niveau


 

Pendant que pour répondre à l'augmentation énorme des connaissances, le territoire de la médecine se scinde horizontalement en spécialités qui se juxtaposent, une seconde force est à l'uvre qui entraîne simultanément, dans l'axe vertical, une répartition différente des tâches entre les fonctions. Cette seconde force est la manifestation, dans le secteur de la santé, d'une tendance omniprésente dans la société postindustrielle vers un lent nivellement des disparités économiques et sociales.

Pourquoi ce nivellement? Parce que la spécialisation, qui permet une meilleure efficacité, nous rend tous complémentaires et donc interdépendants. Interdépendants, nous devenons indispensables les uns aux autres et le pouvoir de chacun en est augmenté d'autant. Cette tendance était déjà à l'uvre dans une société industrielle, mais, dans une économie tertiaire, la compétence prime sur le capital et la dérive vers l'autorité inhérente à toute collectivité est surcompensée par ce pouvoir croissant de l'individu qui la contrarie. Nous allons vers plus d'égalité.

On ne peut donc plus voir, dans la structure uu système de santé, le médecin Grand Initié, l'Oint du Seigneur qui a toute la science, séparé par un fossé infranchissable de ceux qui n'ont pas reçu la Grâce et qui sont tout juste bons à exécuter des instructions. Non seulement parce que le médecin omniscient ne peut plus exister, mais aussi et surtout parce que le médecin, jadis prototype du professionnel autonome, est devenu lui aussi un élément d'un système.

Un système de professionnels de la santé qui ont chacun leur utilité spécifique et sont tous devenus également irremplaçables, même si la tradition leur a conféré à chacun des statuts bien différents dans la hiérarchie professionnelle, puisqu'ils ont été formés et que le système les gère justement pour mettre en évidence leur complémentarité. Cette dépendance réciproque est facile à accepter quand on traite des médecins et spécialistes, lesquels sont au même niveau fonctionnel et chacun idéalement sachant ce que l'autre ne sait pas sait pas, mais elle ne s'arrête pas là.

Elle est tout aussi incontournable quand il s'agit des autres acteurs, qui travaillent sous leurs directives, mais doivent interpréter celles-ci largement pour les adapter aux circonstances et aux vrais besoins du patient comme à sa personnalité. Au quotidien du système de santé, les ressources infirmières et paramédicales qui maintiennent un lien continu avec le patient et lui assurent les soins concrets sont tout aussi indispensables que les ressources médicales.

Médecins et spécialistes sont aussi devenus dépendants d'un équipement qui s'est raffiné. Pour avoir accès d'abord à une masse de données que seuls désormais peuvent explorer des logiciels plus rapides et mieux structurés qu'un cerveau humain, mais aussi à l'infrastructure administrative qui sous-tend leur pratique, allant de la transmission des dossiers médicaux au paiement des factures par l'État dans les systèmes de médecine dite gratuite. Ils dépendent donc de tous les techniciens, de tous les gestionnaires et de tous ceux qui en amont ont rendu leur tâche possible

Tous les acteurs sont devenus essentiels ; c'est une tendance lourde vers un nivellement qui transparaît dans toute la société et modifie les rôles, en exigeant qu'on ajuste les charges de travail et les responsabilités des divers paliers de fonctions. Il faut que les rôles soient revus, non seulement pour que le champ de la santé soit scindé en modules spécialisés, mais pour que les responsabilités soient mieux réparties, allégeant le fardeau de ceux qui sont en haut de la pyramide tout en rendant plus motivantes les tâches de ceux qui sont en bas.

Il y a une hiérarchie naturelle des fonctions qui tient à leur importance relative et qui peut être objectivement définie, mais pas de corrélation entre le simple volume des tâches à effectuer et l'importance du résultat attendu. Si on travaille au sommet, il ne faut pas travailler plus, mais penser mieux. La surcharge pour les paliers supérieurs vient la plupart du temps d'une responsabilité de contrôle ponctuel de l'exécution des tâches de la base. Responsabilité qui est devenue inutile, voire néfaste, et dont Il faut le libérer.

On dit souvent « déléguer », mais dans un nouveau système de santé où personne n'entre en scène qui n'ait pas la compétence de son rôle, il n'y a rien à déléguer - sauf en suppléance et à titre temporaire ­ puisque l'on n'accepte jamais que ce qui pourrait être « délégué » et donc redescendre se rende jamais « en haut ». Chaque acteur doit maîtriser son rôle propre mieux que ceux qui sont assignés à des fonctions traditionnellement plus élevées dans la pyramide.

Les tâches de chacun ne sont pas des éléments inclus d'une fonction supérieure : elles sont autre chose. L'infirmier sait mieux que le médecin comment donner une injection et le préposé aux soins qui a été bien formé sait mieux que quiconque comment nourrir un grabataire. Ressources médicale, infirmières et autres, à tous les niveaux, doivent être compétentes ; la structure est bâtie pour permettre qu'y évoluent des professionnels autonomes et même les travailleurs non professionnels sont responsables et imputables de leurs gestes

Dans cette structure, ceux dont les fonctions sont prioritaires n'ont pas des « subalternes », mais des collègues, à qui le fonctionnigramme prévoit qu'ils donnent des instructions ; il serait contreproductif, qu'ils s'immiscent dans la gestion interne des tâches de ces derniers. Cette intrusion serait vexatoire. Il est important que chacun soit maître après Dieu dans sa petite parcelle du processus. Cela permet d'abord que chaque intervenant puisse tirer de l'exercice de sa fonction la motivation qui accompagne cette discrétion, mais libère aussi d'une responsabilité fastidieuse celui qui prétendait le contrôler.

Pour atteindre nos objectifs en santé, il faut que les fonctions soient bien précisées, que les tâches pertinentes à chacune soient explicitées et qu'on applique le vieux principe de gestion qu'a la responsabilité de faire doit correspondre l'autorité d'agir, celle-ci d'autant plus discrétionnaire que celle-là est clairement assignée. On a ainsi une répartition plus équilibrée des tâches. La scène est mise pour des acteurs compétents, autonomes et responsables
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Pierre JC Allard

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