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La décroissance


 

Confronté au dilemme d'assumer les coûts galopants de la santé, alors qu'en supprimer la gratuite était politiquement suicidaire, l'État a d'abord choisi le déni, puis de livrer une bataille d'arrière-garde, pour y imposer des restrictions, mais sans briser formellement la promesse faite d'une médecine gratuite et universelle. Comme même ces restrictions pouvaient causer bien des dégât, cependant, il a surtout prolongé le malentendu en ramenant le débat à une querelle de mots plutôt que de s'attaquer aux maux

On a ainsi ergoté sur la définition de ce qui est, ou n'est pas un service de santé, sur la définition de ce qui est, ou n'est pas gratuit, sur le niveau de qualité à partir duquel on peut prétendre qu'un service a vraiment été rendu et le besoin satisfait et sur tous et chacun les critères qui permettent d'en juger. On a ainsi crée bien des ambiguïtés et les résultats ont été navrants. L'idée de restreindre peu à peu les avantages de la gratuité peut se comparer à celle d'extraire une molaire à froid, lentement

Les effets ont été dérisoires, voire contreproductifs, puisque les mesures prises pour restreindre l'accès à certains services en ont souligné la rareté et en ont fait augmenter les coûts. Pour les services hors-système - denturologie, chiropraxie, optométrie, physiothérapie, etc - ce sont les citoyens qui ont absorbé cette hausse, mais pour les services gratuits dans le secteur public, cette rareté programmée a augmenté le pouvoir de négociation des professionnels de la santé et s'est soldée par des demandes d'honoraires plus élevés. Laissant le privé régler ses problèmes, l'État a cherché à se défendre contre les professionnels rémunérés par l'État qui « abusaient « de la situation et a décidé de régler ses comptes avec eux comme le font souvent ceux qui sont ou se croient victimes de chantage : en supprimant les maîtres-chanteurs.

Une solution au problème du coût des ressources est de les supprimer. Procédé particulièrement efficace dans le domaine de la santé, où la rémunération des médecins et spécialistes est élevée. On peut compléter l'opération en supprimant les frais d'entretien pour les équipement et en ne les remplaçant pas lorsqu'ils deviennent vétustes ou désuets. On pourrait aussi ralentir la création de écart entre le possible et le disponible en stoppant la recherche, mais c'est un outil plus difficile à manier.

On peut supprimer les ressources médicales sur le champ. C'est la façon la plus expéditive de réduire les coûts de la santé, pour autant qu'on puisse contrôler fermement les honoraires, ce qui est facile si les professionnels sont salariés de l'État, ou du moins payés par l'État, soit par capitation, soit à l'acte médical dans une situation où ils sont totalement utilisés et sans possibilités de l'être davantage. C'est ce qu'on a fait au Québec, dans les années 1990.

On peut ainsi contrôler les coûts tout en maintenant la gratuité, simplement en faisant disparaître les ressources, éliminant ainsi la possibilité que le service soit rendu et, si la ressource est vraiment disparue, même le risque disparaît qu'il le soit en parallèle au système et crée des in justices ou une pression sur les coûts. On recrée, en fait, la situation où les destins de Jules et Jim sont réglés discrètement par les choix techniques qui sont faits, des décennies avant que l'on n'ait à privilégier concrètement l'un ou l'autre.

Il ne s'agit plus désormais, cependant, d'erreurs d'appréciation des besoins, ni de cas isolés. On fait le choix social que LE SERVICE N'EXISTE PAS et on en prive tout le monde. On peut ainsi choisir la démarche astucieuse de maintenir la gratuité, mais en faisant disparaître les ressources. On ne refuse pas de donner les services et on ne refuse surtout pas de les payer ; les ressources humaines pour les rendre sont simplement inexistantes. Les ressources n'y étant pas ­ et puisqu'à l'impossible nul n'est tenu - on ne peut pas tenir rigueur à l'État de la relative carence de services.

Plutôt que de réduire sur le champ le nombre des professionnels, on peut choisir ne travailler que pour l'avenir, en ne préparant pas la relève. On peut se limiter à agir sur la formation, en préparant simplement moins de ressources que celles qui seraient nécessaire pour répondre aux besoins prévus. Une approche plus facile, puisque le rôle de l'État dans l'établissement des normes d'admission à la formation et de certification des professionnels de la santé peut être aussi transparent ou occulte que le gouvernement en place le juge opportun.

En se donnant ainsi une marge de manuvre, on peut préparer un plan concerté et diminuer « harmonieusement » les infrastructures, les équipements, le personnel médical et le personnel infirmier, de façon à créer une situation de pénurie qui demeure néanmoins cohérente. Rien dans le système de santé qu'on aura « ré-aménagé » ne sera alors ostentatoirement incorrect.

Les délais d'interventions seront simplement plus longs, la densité des soins moindre, la compassion moins présente, les choix plus expéditifs En principe, tous sont ainsi privés également de la qualité des soins, laquelle peu à peu disparaît à mesure que diminuent les ressources affectées à la santé publique. La mort de la santé gratuite est moins brutale. Ce n'est plus l'infanticide, mais l'enfant n'est pas nourri. et le but demeure de se débarrasser du bébé.

C'est le choix qu'a fait la France, où l'intention clairement énoncée est de REDUIRE de 25% le nombre de médecins et de spécialistes au cours des 20 prochaines années. Ils sont aujourd'hui 203 000 et représentent 0,33 % de la main d'uvre. Démographie aidant, ce pourcentage se situera alors entre 0,20 et 0,22%...

Pour une médecine qui aura tellement plus à offrir ! On fait fausse route.


Pierre JC Allard

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