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La santé prioritaire


 

On fait fausse route. Il faut reconnaître l'importance croissante de la demande pour santé dans une société dont les autres besoins sont satisfaits et préciser les limites du « champ de la santé et du mieux-être » qui regroupe toutes les activités visant à satisfaire cette demande. Il faut y redéfinir le rôle crucial, mais non exclusif, que jouera l'État pour structurer ces activités dont ses interventions ne sont qu'un des éléments.

Rien ne vaut la vie et, pour un individu normal, rien n'est plus important que sa santé. Ayant assuré la subsistance et la sécurité de ses citoyens, l'État doit donc mettre sa priorité sur la la santé physique et mentale de la population. Il est normal qu'il s'intéresse à la vie. Il doit accepter que les variations statistiques de la longévité et autres données pertinentes à l'état de santé de ses citoyens soient considérées comme des indicateurs valables de la performance de la société et donc de l'efficacité de sa gouvernance.

Une société doit d'abord faire de la jouissance des services de santé un droit reconnu par le Contrat social qui exprime l'éthique fondatrice à laquelle une société s'est soumise, l'accord irrévocable qui pose les limites que ne doivent pas transgresser les consensus de majorité évanescents qui se font et se défont dans une société démocratique. Le principe doit être inséré au Contrat social que chaque citoyen a droit à sa part équitable des ressources que la société consacre à la santé et les critères partir desquels on peut juger de l'équité du partage de ces ressources doivent y être énoncés.

Ce principe posé et ces critères formulés, on ne peut toutefois que s'en remettre au consensus social prévalent pour déterminer : a) la part des ressources globales de la société que l'État consacre à la santé, et b) les conditions et mécanismes concrets qui en permettent le partage équitable. Le consensus social prévalent, c'est ce que veut une majorité des citoyens. Un gouvernement démocratiquement élu incarne le consensus social prévalent.

Où qu'une Nouvelle Société postindustrielle soit mise en place, elle doit y faire de la santé sa priorité et y investir ce que le consensus social dûment informé des enjeux y juge raisonnable. C'est dans le respect des droits inaliénables que le Contrat social reconnaît à tous, que chaque gouvernement doit établir sa politique de santé, sans quoi il n'est plus légitime.

Il est clair, toutefois, qu'à l'impossible nul n'est tenu et qu'un gouvernement doit faire des choix raisonnables en tenant compte de la richesse de la société qu'il dirige. Le droit fondamental des individus aux soins de santé ne change pas, mais les soins qu'ils reçoivent peuvent varier beaucoup, selon les circonstances. Le Sahel ne peut offrir aujourd'hui les mêmes services de santé que la région parisienne.

Considérant les circonstances - l'état actuel de la science médicale et les ressources collectives dont on peut disposer - le raisonnable aujourd'hui, dans une société développée, est que tous les citoyens aient accès à une très large gamme de services médicaux. On doit offrir plus de services de santé et des meilleurs, affecter plus de ressources à tout ce qui permet que l'individu jouisse d'un corps et d'un esprit sain.

On devrait y consacrer la première part des économies découlant des gains de productivité réalisés au palier de la production, comme de l'enrichissement collectif auquel conduit la rationalisation de la gestion sociétale. On devrait le faire, parce que c'est ce que l'individu VEUT. C'est reculer que de planifier une réduction du nombre des médecins et spécialistes, alors que les progrès de la médecine permettent de prolonger la vie active et d'améliorer la santé. On devrait plutôt MULTIPLIER leur nombre par 2 ou 3 !

Pour les seuls médecins et spécialistes, l'impact de cette réaffectation sur la santé serait énorme, mais le déplacement de main-d'uvre resterait modeste. Pour la satisfaction du patient et l'efficacité du système, toutefois, les coefficients techniques entre ressources médicales au sens strict d'une part et ressources infirmières et administratives d'autre part, changeront progressivement en faveur de ces dernières. C'est donc une vaste migration de travailleurs qu'il faut prévoir. Un pourcentage croissant des étudiants et aussi du personnel libéré des tâches répétitives par l'automation seront aiguillés vers le champ de la santé et du mieux-être.

Le champ de la santé et du mieux-être, toutes fonctions confondues, n'ayant pour véritables alternatives dans une société postindustrielle que l'éducation/formation, les loisirs incluant la culture, le commerce sous toutes ses formes et l'administration au sens le plus large, il n'est pas inconcevable, à l'horizon d'une génération, qu'il tende à occuper 20% de la main d'uvre, peut-être plus.

Que conscients de cette demande qui explose on puisse réduire le personnel médical et auxiliaire et limiter au plus bas les inscriptions en faculté de médecine apparaît comme une aberration. Pourquoi fait-on ainsi fausse route ? Parce que le problème politique de la gratuité obnubile toute réflexion. Alors que c'est la gratuité qu'il faudrait adapter à l'optimisation de la santé, on planifie l'avenir de la santé pour feindre la gratuité !

La politique de décroissance des soins de santé est une aberration. Elle est aussi une infamie, car on dit « « baisse de qualité pour tout le monde », mais on créé une rareté qui invite à trouver les services dont on a besoin hors du secteur de la gratuité et on attire « ailleurs » une part croissante des ressources. Cet exode aggrave la pénurie dans le secteur gratuit et le grand écart naturel entre possible et disponible est hypocritement remplacé par une frontière entre ce qui est gratuit et ce qui ne l'est pas.

Il faut repenser l'implication de l'État dans la santé en lui assignant un but réaliste et en fixant des critères sans équivoque pour juger de sa performance. La gratuité vaut tant qu'elle permet d'attendre ce but, au vu de ces critères dans un espace d'intervention limité que l 'État détermine de façon transparente dans le champ réel de la santé.


Pierre JC Allard

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