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Le défi de l'efficacité


 

Le défi immédiat, c'est d'établir cette zone réaliste où la santé demeurera gratuite et deviendra VRAIMENT universelle, car à quoi bon parler d'universalité pour des services qui ne sont pas disponibles et donc de gratuité pour ce qu'on ne peut obtenir ? C'est sur ce point que se livrera le premier combat. Par la suite, quand l'évolution de nos priorités et de nos techniques le permettra, cette zone devra être élargie, de temps en temps, pour tenir compte : a) de la récupération progressive par la médecine courante (gratuite) des aspects devenus triviaux de la médecine expérimentale, et b) de la priorité sociale croissante du des services et donc du secteur médical, au rythme de la banalisation dans notre société du processus de production des biens. Cet élargissement périodique sera aussi l'objet d'un combat incessant.

Aujourd'hui, il faut mettre une frontière qui corresponde au "possible collectif", en deçà de laquelle nous ne permettrons pas que les sbires néo-libéraux viennent tuer par omission, mais au-delà de laquelle, pour le somptuaire et l'expérimental, on acceptera que prévale, une forme de sélection. Sélection qui, tant que notre système sera capitaliste, reposera sur la richesse, mais ne créera pas plus d'injustices que les privilèges incontournables dont disposent aujourd'hui ceux qui ont des amis dans le système. Ce sont d'ailleurs toujours les mêmes qui "ont des amis" et qui ont l'argent requis pour accéder aux ressources rares. Le défi est de réduire la part où ce favoritisme joue un rôle et il n'y a qu'une façon de le faire : en créant l'abondance

Entre deux expansions de sa zone réservée, la lutte pour garder au seuil le plus élevé possible la médecine gratuite et universelle, ne s'arrête toutefois pas. L'enjeu en devient de "produire" un maximum de santé en faisant la meilleure utilisation possible de nos ressources humaines limitées. Le défi cesse d 'être politique pour devenir celui de l'efficacité et il prend alors la forme d'une série de choix. Plus la médecine progressera, plus il faudra faire de ces choix. Il est inévitable que la part relative des types d'interventions disponibles réservée à la zone de gratuité/universalité tende à diminuer. C'est le prix à payer pour ne pas brimer l'expansion de la recherche.

Cette situation où ce que l'on sait excèdera de plus en plus ce qu'on pourra donner est inévitable ; il ne faut pas d'en désoler. L'important est que le nombre et la qualité des traitements dont dispose la médecine gratuite augmentent en flèche, ainsi que le pourcentage des cas totaux de morbidité qu'elle pourra traiter. Il faudra faire des choix et les bons choix seront les choix lucides qui ne sous-estimeront pas le coût réel de la santé. Ce sont ceux qui maintiendront à ses limites optimales la zone de gratuité et d'universalité des services.

Ce résultat sera atteint si nous faisons un effort continu pour réduire le coût-travail unitaire réel du système public. Le coût réel de la santé qui est le coût en temps-travail des ressources qu'on y affecte et qui doit tenir compte du temps de formation, lui-même dépendant d'une recherche médicale que nous ne voulons pas freiner.

Nous disons bien une réduction des coûts UNITAIRES de la santé: plus de services de santé pour un même coût-travail. Il ne faut pas viser une réduction en termes absolus des coûts de la santé, laquelle se traduirait par une baisse des services et serait un non-sens total, aussi bien dans l'optique de notre développement social que dans le contexte de notre évolution technico-économique qui pousse la main-d'oeuvre vers les secteurs de services personnels.

Cette réduction des coûts-travail unitaires passe par une meilleure répartition des tâches, une formation plus pointue, une affectation plus efficace des ressources, même si celle ré-affectation doit transgresser quelques tabous. Notre système de santé public gratuit et universel va grandir à la mesure de l'efficacité que nous mettrons à allouer et gérer les ressources qui y oeuvrent, ce qui exige de partager autrement les missions, les fonctions et les tâches de ceux qui y collaborent.

C'est ça que doit signifier, dans la réalité, un effort pour réduire les coûts de la santé.

La crise actuelle du système de la santé revêt la forme d'une explosion des coûts. Or, le problème des coûts sur lequel achoppe notre réseau de santé dans son expansion est un problème d'allocation des ressources humaines. Le grand mal dont souffre notre réseau de la santé est une mauvaise utilisation systémique des compétences dont il pourrait disposer. Des compétences qui ont été transmises "en grappes", sans égard aux besoins réels, ni aucune rationalité autre que celle d'une tradition, transmises parcimonieusement pour ménager tous les corporatismes, ajoutant ainsi un coût de rareté insupportable à celui déjà énorme découlant naturellement de la croissance exponentielle de nos connaissances en médecine.

Nous croyons qu'il est possible de résoudre ce problème d'allocation de nos ressources humaines par l'adjonction de nouveaux intervenants et une ré-assignation entre tous les joueurs, anciens et nouveaux, des fonctions actuelles du système comme de celles qu'une société moderne voudrait y ajouter.Cette ré-assignation diminuera la pression intolérable sur les professionnels actuels de la carence de ressources qu'on a artificiellement créée... et diminuera du même coup les exigences financières de ceux-ci envers la société.

Pour relever ce défi et avoir le système de santé que nous voulons, il faut bien comprendre la problématique des insuffisances et des contraintes politiques comme techniques auxquelles nous faisons face. Celles-ci ne sont pas apparues brusquement. Il est intéressant de remettre la crise actuelle dans son contexte historique. Intéressant mais non indispensable. Le lecteur peut contourner cette mise en situation et revenir aux problèmes d'aujourd'hui en passant directement au texte La Régie de la santé.

Pierre JC Allard

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