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L'Équation de la
demande effective
Les consommateurs doivent toucher intégralement la valeur de
la production sans quoi, évidemment, celle-ci ne pourra se vendre
entièrement. Or, le consommateur, c'est celui qui consomme activement
et personne d'autre. Le travailleur, le petit entrepreneur jusqu'à
ce qu'il réussisse, soit, mais pas le riche. Pas le « gagnant
».
Le « gagnant » est celui dont les besoins sont repus de
tout ce que le système industriel peut produire. Ses revenus supplémentaires
vont au bas de laine ou à l'investissement et il n'est donc pas
un consommateur actif. Le Gagnant NE PEUT PAS recevoir en profit, en dividendes
ou autrement une parcelle de la valeur de la production totale, sans quoi
la demande des consommateurs ne sera pas effective pour la part de production
dont ils n'auront pas touché la valeur, cette part ne sera pas vendue
et la crise viendra.
En pratique, ceci signifie que, quel que soit le résultat des
escarmouches entre le Capital et le Travail au palier d'une entreprise
ou d'une autre, il faut, en bout de piste, que l'on ait donné en
revenu à l'ensemble des consommateurs la pleine valeur de la production
totale. Cette valeur, par définition, est égale à
la valeur de la somme du travail pour la produire, puisque seul le travail
crée une valeur réelle. Dans l'autre sens, l'équation
souligne cette évidence que le revenu distribué aux consommateurs
doit être égal au prix fixé à l'ensemble des
biens produits.
Si on ne donne pas ce revenu au travailleur en rémunération
de son travail, on devra le donner à un autre consommateur «
non travailleur ». Que ce soit la femme, les enfants ou les vieux
parents du travailleur importe peu, puisque, de toute façon, c'est
toujours la valeur de son travail qui est distribuée. Cette valeur,
toutefois, ne peut être distribué qu'à un consommateur,
excluant donc les Gagnants, ceux dont les désirs sont satisfaits.
EGAL. Pas plus, pas moins. Si on donne plus, il y a inflation jusqu'à
ce que la valeur du revenu baisse et rejoigne la valeur de la production,
ce qui ne se fait pas sans quelques grincements de dents ; si on donne
moins, quelque chose ne se vendra pas. Un consommateur en sera privé, mais quelqu'un aussi sera ruiné... et ce sera l'un de « ceux dont
les désirs sont satisfaits ».
Cette équation de la demande effective globale, d'ailleurs,
quand on écarte le voile monétaire et qu'on voit la réalité,
est d'une parfaite évidence. Tous les biens qui sortent des usines
ne peuvent être achetés et utilisés que par ceux qui
en veulent. La part de la production que consomment les Gagnants ne peut
pas être en proportion de leur richesse, mais seulement fonction
de leurs besoins insatisfaits, lesquels diminuent avec leur richesse et
tendent donc vers zéro.
Si on voit les produits comme une réalité, c'est-à-dire
comme des matières premières que le travail a rendues utiles
ou tout au moins désirables, on constate que les Gagnants ne consomment
pas beaucoup plus que les autres. Dès qu'on sort de la misère
-- qui est une anomalie dans une société d'abondance --
les riches, comme les pauvres, ne consomment des « biens » qu'en
proportion de leur nombre et en fonction inverse de leurs besoins satisfaits.
Ils consomment aussi des services, nous en parlerons ailleurs,
mais pour les fins de l'industrie ils sont définis par leur
satiété. Ils ne « consomment », en plus des biens
courants qu'il n'est pas nécessaire d'être riche pour consommer,
que des valeurs intangibles qui dépendent de goûts acquis,
des griffes et autres critères subjectifs qui font qu'un chambertin
n'est pas un beaujolais. Ils consomment ces intangibles à la hauteur
des désirs qu'on peut leur créer, mais l'impact de ces intangibles
sur le travail et les ressources et donc sur la réalité de
la production sont dérisoires.
On ne peut modifier les objectifs de production de l'industrie pour
ne satisfaire que les riches. Un artisanat de luxe peut vivre de la seule
clientèle des nantis, parce que chaque nouveau produit correspond
à un nouveau désir ; mais, si on produit industriellement
beaucoup d'objets identiques, celui qui a tout n'est pas un bon client.
Une production de masse doit être consommée par la masse et
c'est à la masse qu'il faut donner les moyens de l'acquérir.
Si on ne le fait pas, la crise vient.
En octobre 1929, un krach boursier est venu compliquer la vie des capitalistes
qui ont réagi à la frustration d'être privé
du superflu en ne mettant plus entre les mains de ceux dont les besoins
restaient à satisfaire - en clair, les travailleurs - assez d'argent
pour qu'ils puissent acheter tout ce qui était produit. De là
on a produit moins, travaillé moins, distribué encore moins
de revenus et créé la crise qu'on appréhendait.
Un système de capitalisme industriel est prêt à
faire le nécessaire pour qu'une crise n'arrive pas et si, par inadvertance,
on a laissé venir la crise et qu'elle est déjà là,
investisseurs et producteurs seront prêts à consentir beaucoup
de sacrifices pour qu'on y mette fin sans tarder. Beaucoup de sacrifices,
même à implorer l'État d'intervenir, puisqu'il faut
une action collective. On ne les fera pas de gaieté de coeur, mais
s'il le faut vraiment, on les fera.
Aux USA, vers 1932, on a compris qu'il le fallait vraiment. Il le fallait
d'autant plus que, depuis une quinzaine d'années, un autre modèle
de société était mis à l'essai en URSS où
les investisseurs n'avaient pas la part si belle. Au cours de la Grande
Crise, vers 1933, Roosevelt a donc pu obtenir de grands sacrifices de la
classe des investisseurs.
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