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L'industrie


Au milieu du XVIIIe siècle, le monde tout entier était plongé dans la misère comme il l'avait toujours été. Arrive la « révolution industrielle » et, avec elle, l'espoir de l'abondance. L'industrie, au sens où nous l'entendons ici, est l'utilisation de machines, pour produire en masse. En Angleterre au milieu du XVIIIe siècle, d'abord, puis partout, va s'installer une nouvelle façon de produire qui est le point de convergence de deux recherches menées par l'humanité depuis son origine : la recherche de mécanismes ingénieux et celle d'une source d'énergie efficace.

Les mécanismes, on en a depuis l'Antiquité, Archimède à Syracuse, Philon d'Alexandrie, des fabricants d'automates dans l'Allemagne du Moyen-âge, Leonard de Vinci à la Renaissance; les hommes sont ingénieux. Pour l'énergie on a eu d'abord les bêtes de somme, chaque culture la sienne, du buffle au yak sans oublier le llama, y joignant tous à l'occasion, comme esclaves, les bipèdes d'autres tribus refusés au concours d'entrée à l'Humanité. Puis sont venus les moulins, à eau, à vent.

Avec le harnachement de la vapeur - Papin Watt, etc. - on a enfin sous une forme pratique cette énergie qu'on cherchait et les mécanismes ne manquent pas, non plus que les idées pour les assembler. On comprend qu'il suffit de combiner des mécanismes pour qu'ils accomplissent des tâches utiles et d'y appliquer l'énergie pour avoir une machine. On peut produire. Métiers Jacquard, locomotives les usages sont infinis et chaque nouvel usage de la machine nous enrichit.

Les activités industrielles nous enrichissent comme collectivité, grâce à l'effet multiplicateur des machines devenus équipements de production et à la productivité prodigieusement accrue qui en résulte. Les machines permettent de produire plus avec moins de travail et ainsi l'on s'enrichit, puisque c'est le travail qui est finalement la source de toute valeur ajoutée. La nature nous donne, on transforme par le travail et l'on rend conforme à nos désirs ce que la nature nous donne et l'on obtient la satisfaction, laquelle est la seule vraie richesse.

Dès qu'on a la possibilité de le faire, produire industriellement devient la seule façon sérieuse de produire et le reste devient folklore. L'industrie se place au coeur de la société, et la structure, le fonctionnement, les valeurs mêmes de la société sont fondamentalement conditionnés par deux (2) phénomènes, l'un économique et l'autre politique, qui découlent directement de l'industrialisation

Économiquement, on dit « la collectivité » s'enrichit, mais qui vraiment s'enrichit ? Si on regarde les choses et les situations elles-mêmes - et non pas l'image qu'en renvoie le miroir déformant de l'argent - celui qui s'enrichit RÉELLEMENT par la production est celui qui jouit des services que rend l'objet produit. L'industrie permet de mettre ces services qu'on peut tirer des objets produits à la disposition d'une masse de gens qui n'y auraient pas eu accès si ces objets avaient dû être produits un à un.

Vraiment une masse de gens, car l'industrie n'est utile - et profitable à celui qui produit - que si l'on produit en masse. La machine n'apporte un avantage sur la fabrication artisanale, que si l'on veut produire en série une masse d'objets identiques, car la machine y met son temps pour fabriquer le premier objet ; c'est ensuite, quand elle reproduit, qu'elle est efficace. La machine ne crée pas, elle multiplie.

Or, c'est quand on est nombreux qu'on a besoin d'une foule d'objets identiques. On ne peut pas s'enrichir beaucoup, comme producteur industriel, en ne produisant que pour les besoins du roi ou d'une petite élite ; on n'y arrive qu'en produisant pour les besoins et les désirs de beaucoup, précisément pour tous ceux dont les besoins et les désirs ne sont pas déjà satisfaits. Une production de masse exige une consommation de masse.

L'industrialisation est donc une bénédiction, sur le plan politique, puisque c'est l'intérêt commun des fabricants comme des consommateurs, que les biens industriels soient produits et consommés le plus largement possible : le bien général se retrouve dans la trajectoire du bien particulier. Il se crée donc tout naturellement, dans une société industrielle, un consensus pour produire davantage qui n'existait pas avant l'industrie.

Oh, on était bien heureux, auparavant, que les granges soient pleines, mais celui dont le lopin nourrissait sa famille n'en mangeait pas moins, si celui de son voisin ne rapportait pas et l'intérêt du paysan s'opposait souvent à celui du meunier, car si l'un tirait plus de son travail c'est que l'autre en avait moins reçu du sien. L'industriel qui fabrique des robes à la chaîne, au contraire, ne s'enrichit vraiment que si tout le pays en porte. L'industrialisation force un enrichissement mutuel dans la société, plutôt qu'un simple jeu à somme nulle, ce qui entraîne une inévitable solidarité quand producteurs et consommateurs en sont conscients, bien sûr.

Ils ne le sont pas toujours. La nature humaine ne change pas, du seul fait que l'industrie impose une collaboration et donc une solidarité minimale. Enrichissement mutuel ne veut pas dire enrichissement égal ni équitable. L'investissement de la richesse dans le capital fixe à effet multiplicateur que constituent les équipements industriels a permis, au contraire, au moment de l'industrialisation, que ceux qui l'ont fait s'approprient pratiquement l'exclusivité de la création de la richesse et obtiennent alors en prime le pouvoir politique. C'est de cette appropriation qu'est issu le régime capitaliste libéral, puis le régime néo-libéral, qui est encore celui de la société actuelle.

L'industrialisation n'en a pas moins été l'incubateur de la démocratie moderne. L'industrie exige que des travailleurs divers collaborent à la production, dont chacun est indispensable et bien plus performant s'il travaille de plein gré. Chaque participant à la production acquiert donc, à la mesure de son utilité, un pouvoir qui n'est pas négligeable et sur lequel repose le respect social qu'on lui accorde. Il ne faut donc pas penser que le citoyen moderne a plus de pouvoir parce qu'il vit en « démocratie », mais être bien conscients que nous allons vers plus de démocratie parce que nous avons plus de pouvoir et que ce pouvoir repose avant tout sur notre participation indispensable au processus productif.


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