Un système "à l'américaine".
Introduction
La question qui se pose de plus en plus au Québec est celle d'une
ré-orientation "à l'américaine" de notre
système de santé. Une orientation ou une dérive? Comment
fonctionne ce système de santé américain qu'on voudrait
nous imposer pour modèle? Jetons un coup d'oeil sur le système
américain et voyons si nous y trouvons notre compte ou si, au moins,
nous pouvons nous en inspirer pour définir un système hybride
qui intègre ce que nous voulons garder de notre système actuel
ainsi que les changements que nous voulons y apporter
1. Le modèle américain
Disons d'abord que les États-Unis sont sans doute à ce
jour, le seul pays industrialisé où il n'existe aucune forme
d'assurance-maladie et d'assurance-hospitalisation publique et gratuite
universelle.
Par système d'assurance-santé ¨ gratuit et universel¨
on entend, tout d'abord, un ensemble complet, relativement facile d'accès,
de services personnels de santé auxquels toutes les tranches de
la population ont droit. On entend, ensuite que, dans ce système,
les patients n'aient rien (ou presque rien) à débourser au
moment ou les services sont obtenus. Finalement, un tel système
étant, par définition, distributif et non rétributif,
son financement doit reposer sur le fait qu'au sein de la population les
plus riches soient imposés d'avantage que les plus pauvres.
Aux États-Unis, ces conditions ne sont pas remplies. La participation
effective du gouvernement dans le domaine de la santé peut se résumer
à deux programmes: Medicare et Medicaid. Le premier est destiné
aux personnes âgées et le second aux tranches les plus pauvres
de la population. Or, aucun de ces deux programmes ne peut être qualifié
d'universel dans la mesure où ni les services de consultation et
d'interventions médicales, ni les séjours à l'hôpital
ne sont entièrement couverts. Les bénéficiaires doivent
fréquemment débourser des montants plus ou moins importants
lorsque le coût des services dont ils ont besoin est supérieur
au budget que le gouvernement alloue pour ce genre de services.
Or, dans le but de réduire ses coûts, le gouvernement américain
a créé, au début des années 80, les "Diagnostic
Related Groups" (DRG), 467 pathologies-types dont chacune utilise
des méthodes et des ressources médicales similaires et pour
lesquels groupes le gouvernement fédéral calcule un ''coût
national moyen''. Le gouvernement négocie ainsi avec chaque hôpital,
pour les patients de Medicare et de Medicaid, autant de budgets sectoriels
qu'il y a de DRG
Dès lors, si pour un DRG donné les frais médicaux ou
d'hospitalisation d'un bénéficiaire sont supérieurs
au coût moyen établi par le gouvernement, le montant excédentaire
devra être déboursé par le patient ou l'hôpital.
Si, par contre, le montant alloué à un hôpital pour
un DRG excède la demande, l'hôpital peut garder la différence.
L'impact de cette approche sur la qualité des services laisse songeur.
Si l'on regarde les diverses sources de financement des principaux pourvoyeurs
en soins de santé aux États-Unis, on constate que la contribution
du gouvernement ne représente que 41% de l'ensemble des dépenses
en soins de santé aux États-Unis, l'État ne finançant
en moyenne les hôpitaux qu'à 53% et les honoraires des médecins
à 33% des coûts globaux. En revanche, les assurances privées
paient à elles seules 41% des frais d'hospitalisation et 48% des
honoraires médicaux. Le système d'assurance-santé
américain devient ainsi essentiellement l'affaire du secteur privé
et les administrateurs d'hôpitaux ainsi que la plupart des médecins,
sont davantage intéressés à faire affaire avec les
compagnies d'assurance-santé privées.
Une grande partie des assurances médicales et des assurances-hospitalisation
privées proviennent directement des employeurs et des entreprises
dans le cadre de programmes de HMO (Health Maintenance Organizations).
Ces programmes, mis au point conjointement par les employeurs, les employés
et diverses compagnies d'assurances, consistent à offrir aux travailleurs
des primes d'assurance-santé sous forme d'avantages marginaux, plutôt
que des augmentations de salaires ou d'autres avantages financiers.
Ceci e peut devenir une aubaine fiscale, les mieux nantis y trouvant leur
profit.
Ce système occupe donc de plus en plus d'espace, Aujourd'hui, environ
12% de la population américaine bénéficie de ces programmes
et, dans certaines régions comme à Minneapolis-St Paul, ce
taux peut aller jusqu'à 50%. Ce n'est cependant qu'une minorité
des entreprises et des employeurs qui offre de tels avantages; beaucoup
d'Américains doivent débourser de leurs poches une ou plusieurs
primes d'assurance-santé à des compagnies privées si
elles veulent être assurées et une grande partie de la population
américaine n'est simplement pas assurée pour des soins médicaux
et hospitaliers.
En 1988, environ 32 millions de personnes aux États-Unis ne bénéficiaient
d'aucune forme d'assurance-santé, privée ou publique. Depuis,
des chiffres contradictoire permettent de comprendre que le débat
a pris congé de la vraie statistique et ne véhicule que de
la propagande. Disons qu'il y a entre 25 et 50 millions d'Américains
qui n'ont pas cette couverture . Ces ''non-assurés'' ne sont pas
tous des "pauvres"; il s'agit souvent de gens temporairement sans-emploi,
travailleurs autonomes en transition qui ne bénéficient donc
pas, pendant une période plus ou moins longue, de programmes HMO.
Ils vivent dangereusement.
Les habitudes de vie, les disparités régionales de comportement
jouent aussi un rôle. Les habitants du nord-est sont plus assurés
que ceux du sud-ouest, les jeunes changent plus souvent d'emploi et sont
donc plus souvent entre deux trapèzes.. Les personnes âgées
sont les mieux couvertes, puisqu'environ 98% d'entre elles bénéficient
du programme public Medicare.
Aux États-Unis, les services de santé sont considérés
comme une industrie au même titre que les entreprises commerciales
plutôt que comme des services essentiels comme l'éducation
où la sécurité publique. Le gouvernement américain
préfère laisser ''l'industrie de la santé'' américaine
au secteur privé, ne se portant responsable que des segments les
plus vulnérables et les moins nantis de la population et, pour ceux-là,
il est loin d'offrir la couverture gratuite et universelle des régimes
canadiens
Une horreur? Pourtant, même si ce système semble une abomination
à nos yeux, toutes les enquêtes réalisées aux
U.S.A indiquent que, même si le gouvernement américain décidait
de mettre en place un système d'assurance-santé universel,
une grande partie de la population - environ 40 % - opterait pour une assurance-santé
privée.
Et c'est ce qui doit nous inquiéter...
2. Un système hybride canadien
La pire erreur à commettre, en effet, si on veut garder un réseau
public de santé gratuit et universel fort, c'est de se parler entre
croyants et de se leurrer sur l'ampleur du consensus social favorable au
système gratuit et universel. Il est bon de se rappeler que si ici,
au Canada, on en arrivait au moment de vérité, un pourcentage
de la population à peu près identique à celui des
Américains prendrait sans doute la même décision en
faveur d'un "système privé offrant plus et mieux à
ceux qui en ont les moyens" (a private system to assure convenience
of access and amenities... for upper income groups wanting more than the
standard... service".)
La solidarité sociale chez nous, sur la question de la santé,
peut être moins monolithique qu'on ne le croit. L'histoire est pleine
de ces ruptures de consensus et des défections des classes nanties
de ces "unions sacrées" circonstancielles soudées
avec les classes populaires. Un clivage est toujours là qui menace,
entre une majorité numérique de la population qui trouve son
avantage au régime actuel et une minorité significative -
25, 30, 40% - qui pourrait obtenir plus de services plus vite dans un système
privé.
Quelle est la proposition concrète que le lobby néo-libéral
fait à cette minorité pour la soudoyer? Celle d'un système
hybride. Pas américain... mais "à l'américaine".
Il est important pour les tenants d'un réseau public gratuit et universel
de comprendre cette proposition: c'est la concurrence et elle n'est pas
à prendre à la légère. Dans un système
hybride canadien on laisserait de coté certains aspects inadmissibles
du système américain mais on en admettrait certains éléments
qui séduisent.
2.1 L'inadmissible...
Il y a des aspects du système américain que la population
canadienne - même les nantis qui y trouveraient leur compte - n'acceptera
pas; le conditionnement favorable à NOTRE système depuis 30
ans comme le désir d'être en quelque chose "meilleurs"
que les Américains, imposent des barrières qui ne céderont
pas à court terme.
Ainsi, les Canadiens n'accepteront pas que 10 à 12% de la population
ne bénéficie d'aucune couverture et doive, le cas échéant,
s'en remettre pour leur vie, comme aux U.S.A ., aux services gratuits nettement
insuffisants et souvent tout à fait inadéquats offerts par
des organismes de charité. Un système hybride canadien copiant
le système américain garderait donc une "sortie de secours",
prévoyant sans doute qu'on paye pour ceux qui n'ont pas les moyens
d'être traités ... mais qu'on leur envoie ensuite la facture.
La peine imposée aux "perdants"est ainsi commutée:
ce n'est plus la mort, seulement la ruine. Une ruine qui peut laisser indifférente
une partie de la population qui vit déjà du BS et regarde
sans ciller venir le moment opportun pour sa première ou sa n ème
faillite. Sauf qu'en petits caractères il sera écrit - ou
entendu sans l'écrire - qu'il y a des hôpitaux qui reçoivent
les gens sans assurance et d'autres pas. Ce sont ces premiers qui servent
de sortie de secours. Le personnel n'accepte d'y être affecté
qu'in extremis, les équipements sont ceux qu'on n'a pas eu le temps
ou l'argent pour remplacer, il y a parfois des attentes...
C'est l'État qui assume alors le rôle de l'organisme charitable
américain, mais c'est toujours l'hospice. On ne vous impose pas des
hymnes, mais on vous fait remplir des formules... et on vous envoie la facture.
Vous ne la payerez pas, mais vous traînerez un rapport de crédit
qui dira que vous ne l'avez pas payée. On vous rendra malheureux.
Il ne faut pas que soyez heureux si vous n'êtes pas riche, ça
démotive les bons citoyens. Encore bien chanceux qu'on vous ait fait
crédit: on vous a sauvé la vie.
Les Canadiens - et je parle ici de Canadiens plutôt que de Québécois
parce que c'est un combat qui sera le même dans tout l'espace canadien,
même si on choisit d'en faire deux luttes distinctes - n'accepteront
pas non plus une iniquité ÉVIDENTE basée sur la fortune
touchant la distribution des ressources médicales ou l'accès
à certains programmes. Il faudra ici y mettre des formes...
Il sera dit clairement que tout médecin a pour mission de soigner
qui que ce soit que toute clinique est ouverte à tous, etc. Il
suffit d'en payer le prix. Sauf que... le prix que l'on vous fait est
cinq fois celui que le médecin ou la clinique fait à la compagnie
d'assurance qui lui envoie des clients, de sorte qu'à moins d'être
très
têtu vous allez comprendre et vous assurer. Ce scénario est
déjà bien rodé: c'est celui des services vétérinaires
aux U.S.A. 200 dollars pas année et minou est pris en charge jusqu'aux
vaccins, contre tous les impondérables; mais si vous n'êtes
pas assuré... quelques piqûres vous appauvrissent vite de 500
dollars ou plus et on peut forcer un peu sur le bistouri, à grands
frais, avec moins de risques que sur les humains.
Les Canadiens, enfin, habitués à dormir tranquilles, n'accepteront
pas le risque mal défini avec lequel doivent vivre les Américains
d'une somme supplémentaire à débourser en frais d'hospitalisation
ou de consultations médicales s'ils doivent subir un traitement prolongé
ou si leur problème ne s'inscrit pas commodément dans l'un
ou l'autre des DGR. Les Canadiens n'accepteront pas non plus le concept
d'un "déductible" variable comme en imposent parfois les
HMO si le patient requiert des services médicaux inhabituels. Un
système hybride canadien imposera donc probablement aux assureurs
privé une ré-assurance qui couvrira toutes ces éventualités
2.2 ... et le séduisant
Quoi qu'on lui reproche, le système de santé américain
comporte toutefois des avantages pour ceux qui ont les plus hauts revenus.
Dans un système de type américain, ceux qui en ont les moyens
peuvent avoir accès plus vite à de meilleurs services
Cet avantage joue particulièrement pour les personnes âgées.
Presque tous les Américains de 65 ans et plus (environ 98%) ont
droit au programme Medicare d'assurance-santé financé par
le gouvernement, ce qui devient un gain net pour plusieurs d'entre eux
qui disposent de ressources financières suffisamment élevés
pour se permettre d'avoir aussi recours à une assurance-santé
privée supplémentaire.
Il n'est pas sûr qu'un système hybride qui permettrait aux
Canadiens de conserver la gratuité des services "essentiels"
- concept qui peut vite monter au niveau technique où il cesse d'être
compréhensible - mais ajouterait l'option d'une assurance complémentaire
ne recevrait pas l'assentiment de la population, surtout s'il était
particulièrement généreux envers les aînés.
Quand on contrôle les médias, il est particulièrement
facile de s'attaquer à la notion d'universalité, laquelle
peut être présentée comme un "cadeau" fait
aux riches au détriment des nécessiteux. Or si l'universalité
est sacrifiée, tout le reste, peu à peu sera perdu.
2.3 L'assurance supplémentaire
Lorsque l'on parlera d'une assurance-santé privée au Québec,
on ne parlera donc que de services qui seraient ajoutés aux services
existants, jamais de la substitution de services privés à
des services publics, laquelle entraînerait une foule d'injustices
et d'iniquités visibles qui ne seraient pas acceptables.
Une assurance-santé privée peut-elle séduire la population?
Hélas, oui, dans la mesure où elle sera disponible, mais
non indispensable. Par ''disponible'', on entend une assurance à
la portée de tous ceux qui désireraient avoir accès
à des services similaires à ceux fournis gratuitement par
la RAMQ - mais, sous-entendu, de meilleure qualité et délivrés
plus rapidement - en échange d'une contribution financière
versée à une compagnie d'assurance privée. ''Non
indispensable'' veut dire qu'une telle assurance ne toucherait pas les services
de santé ''essentiels'' et qu'aucun des services de santé
présentement financés par la régie ne deviendrait inaccessible
à ceux qui décideraient de ne pas utiliser d'assurance privée.
On pense donc à une assurance-santé "supplémentaire".
Pourquoi "hélas"? Parce que l'argumentation qui la justifie
est un pur sophisme, lequel s'appuie justement sur cette vision biaisée
de la réalité qui découle d'une transposition illusoire
des choses en leur équivalent financier... qu'on peut ensuite manipuler
à merci.
Les apôtres de l'assurance supplémentaire nous disent qu'elle
pourrait satisfaire à la demande croissante d'une bonne partie des
Québécois pour des services de santé de meilleure qualité,
délivrés plus rapidement, ce qui est vrai. Mais ils ajoutent,
pour se donner bonne conscience, que la logique même d'une telle mesure
serait de réduire les temps d'attente pour les services de santé
publics dans les hôpitaux, puisqu'une bonne partie des bénéficiaires,
ceux qui paieraient pour des services privés, n'engorgeraient plus
les salles d'attentes.
Il s'agirait donc d'un gain net pour TOUTE la société québécoise;
ceux qui paieraient plus auraient plus, et ceux qui ne paieraient rien auraient
eux aussi ''plus'', puisque leur temps d'attente serait diminué.
Ce qui est parfait... pour autant que les ressources nécessaires
pour satisfaire aux besoins des bénéficiaires de l'assurance-santé
supplémentaire apparaissent du néant et ne soient pas diverties
du personnel des salles d'attente publiques...
Or ces ressources ne peuvent pas venir du néant. Nous avons fait
allusion plus tôt au coût réel des choses. Le paiement
d'une prime à une compagnie privée n'augmente évidemment
pas les ressources du système; celles qui iront aux cliniques privées
seront effectivement retirées des salles d'attente publiques et le
temps d'attente qui diminue pour certains ne peut donc qu'augmenter pour
les autres... L'argument du "bien général" pour
justifier l'ivasion de services privés est spécieux, un sophisme
grossier.
Comment ne pas voir cette évidence? Hélas, il est facile de
ne pas voir, il suffit de fermer les yeux. Le soutien au système
de santé gratuit et universel de cette "minorité significative"
qui pourrait avoir "plus" dont nous parlions plus haut est fragile.
Cette minorité ne voit que ce qu'elle veut voir.
Or cette minorité est plus riche, plus puissante que la majorité
et son soutien au système de santé gratuit et universel est
indispensable. Si l'on veut maintenir le consensus nécessaire pour
que le réseau public soit conservé, il faut offrir à
cette minorité MIEUX qu'un système hybride qui lui donnerait
les avantage d'un meilleur service tout en lui laissant bonne conscience.
CONCLUSION
Il faut offrir mieux qu'un système hybride "à l'américaine".
Pas seulement mieux, dans le sens du respect de nos valeurs, mais mieux
dans le sens d'offrir plus de services à une telle majorité
de la population que le consensus entre classes moyennes et classes démunies
n'éclate pas malgré les efforts en ce sens des néo-libéraux.
Ceci n'est possible que si l'efficacité du système est accrue
de sorte que l'on puisse garantir une zone de gratuité universelle
en expansion satisfaisante à tous tout en ménageant un espace
dans lequel le secteur privé pourra offrir des services complémentaires
qui n'auront pas d'incidences médicales.