07.11..27
Le Nobel et l'Inquisition
Le Docteur James Watson est une grosse pointure. Prix Nobel de médecine
en 1962, pour avoir découvert en 1953 les structures de l'ADN. Dans
la grande armada des scientifiques, il est du tonnage des Newton et des
Galilée. Si on cherchait un vaisseau-amiral pour la science au XXe
siècle, ça pourrait être Planck ou Einstein, mais ça
pourrait aussi être Watson. Le débat reste ouvert.
En fait, le débat restait ouvert jusqu'au mois dernier. Le 14
octobre dernier, James Watson est devenu un imbécile. Un fou. On
ne renoncera sans doute pas à la structure de l'ADN, mais on lui
trouvera peut-être un autre nom. On lui trouvera certainement un autre
père fondateur. Il est devenu fou quand, interrogé par un
jeune journaliste du Sunday Times, il a dit que les Noirs n'étaient
pas aussi intelligents que les Blancs.
Évidemment, ça ne se dit pas. C'est une énorme
bêtise, pour trois raisons. La première, c'est parce qu'on
ne sait pas vraiment ce que c'est que l' « intelligence ». On
le sait tellement peu, que Piaget a pu définir l'intelligence comme
étant « ce que mesure un test d'intelligence... ». C'est
définir Dieu comme une force à la source de l'univers ; c'est
après que ça conduit à des malentendus.
Deuxièmement, on ne sait pas non plus ce que c'est qu'une «
race ». Pour les péquenots, il y a des Blancs, des Bruns, des
Jaunes, des Noirs, des Rouges et quelque demi-teinte. Notez que nous les
avons classés par ordre alphabétique, nous ne sommes pas racistes... Pour ceux qui prétendent s'y connaître un peu, toutefois, on ne parle meme plus de races. On dit que les gens se divisent en groupes et
sous-groupes qui semblent avoir des caractéristiques génétiques
communes. On ne parle pas de couleur, c'est mal vu.
Quand on en sait juste un peu plus long, on parle de ADN mitochondrial et
de haplogroupes. On les désigne par des chiffres et des lettres,
partant du principe qu'être codé « haplo M17 »
énerve moins que de se faire dire qu'on est un pur Aryen. Du moins
on l'espère, car le National Geographic et Google viennent de lancer
un projet qui va gagner des millions, à dire à Quidam Lambda
dans quel groupe de caractéristiques génétiques apparentées
il se situe, incluant la liste anonyme de ses ancêtres maternels,
autant qu'il en a eu. Anonymes, sauf la tout première de ses arrière-arrière-arrière
grand-mères, rebaptisée Lucy. Ne l'appelez pas Eve, ça
conduirait à des malentendus.
Assez imprudent, donc, pour un prix Nobel, de parler d'intelligence
raciale quand on ignore ce que veulent dire « race » et «
intelligence », mais la troisième raison de la bêtise
qu'a dite Watson - et sans doute la principale - c'est que le Docteur
Jim, comme l'appellent ses élèves, est aussi, comme beaucoup
de génies, un petit rigolo. Einstein tirait la langue quand on prenait
sa photo, ce qui faisait d'extraordinaires clichés. Watson a passé
sa vie à dire de provocantes insanités.
Ainsi, sa recommandation aux futures mamans, si elles voulaient un jour
être grand-mamans, de se faire avorter si on décelait chez
leurs enfants le gêne de l'homosexualité ! Quand on aurait
découvert le gêne de l'homosexualité, bien sûr....
Watson a passé sa vie à dire de ces énormités
qu'on dit en fac, en novembre, quand sort le beaujolais nouveau. Ce qui
a produit d'extraordinaires canulars bêtises, comme dans toutes les
facultés en novembre. Mais lui, il a découvert l'ADN.
Maintenant, il y a bêtise... et bêtise. Il semble que cracher
au visage de votre cocher est relativement anodin, mais que cracher au visage
du pape vous fait écarteler ou brûler vif. Quand l'Inquisition
est là et fait son boulot. Ce n'est donc pas de Watson que je veux
parler - et encore moins des Noirs - mais de l'Inquisition. Je suis férocement
opposé aux inquisitions. Le procès de Galilée n'en
aurait pas été moins une infamie, si celui-ci avait dit que
la Terre était carrée. Cette façon de vouloir traiter
la science comme quelque chose qui vient confirmer ce que l'on pense être
correct - ou qui devrait l'être - c'est ça que vient implanter
l'Inquisition. C'est ça, l'infamie qu'il faut écraser
L'inquisition ? Une barbarie moyenâgeuse...! Stop ! Attention ! Le
dernier hérétique a été brûlé en
Espagne en 1826. A la même époque, Leon XIII condamnait a mort
des gens qui lui avaient manqué de respect -- une vingtaine d'exécutions
en quelques années -- et Sa Sainteté publiait que quiconque
se faisait vacciner contre la petite vérole cessait d'être
un enfant de Dieu, dont la maladie était la volonté. Ce n'est
pas si loin, l'Inquisition.
Depuis Galilée, l'Église a perdu le pouvoir de tuer au
nom de l'ignorance. Mais c'est la Science, au service de la politique, qui
est devenue la nouvelle Infâme. La biologie, en URSS, a dérapé
pendant une génération, parce que Staline préférait
Lysenko à Mendel et que, manque de pot, il avait tort.... C'était
hier à peine.
C'était l'URSS de Staline. Aujourd'hui, c'est bien fini. Vraiment
? Je me questionne. Nous avons ici James Watson, 79 ans, l'un des génies
indiscutables du XXe siècle, un Galilée parmi nous, que l'on
force à renoncer à ses titres et à ses emplois parce
que ce qu'il a dit est jugé indéfendable. On ne l'attaque
pas ; on n'attaque pas ce qu'il dit ; on dit simplement que c'est indéfendable.
Toute la communauté scientifique du monde regarde, impassible, pendant
que l'un des grands parmi les siens est à se faire écarteler
C'est aujourd'hui, l'inquisition
Watson a dit des mots qu'il ne faut pas dire. Il n'a pas dit les bonnes
choses et ne les a pas dites de la bonne façon : il sera donc brûlé
sur le bûcher de l'intolérance. En 1994, le Professeur Herrnstein
de Harvard et un collègue politologue, Charles Murray, ont publié
un livre, The Bell Curve , qui jetait un pavé dans la même
mare. Bien sûr, on leur a lancé l'anathème, mais, parce
qu'ils y avait mis les bonnes précautions oratoires et s'étaient
bien défendus de tirer des conclusions racistes, ils n'ont pas été
brûlés vifs, Murray a son site internet et passe encore à
la télévision !
Pourquoi Watson, dont l'humour est peut être lamentable, mais
qui n'a sans toute voulu encore une fois que choquer un jeune journaliste,
devient-il tout à coup le bouc émissaire ? Pourquoi tous ces
ânes, dont la peau en d'autres temps lui aurait servie de litière,
s'acharnent-ils sur le lion devenu vieux ? Est-ce que l'on a quelque chose
à cacher ?
Je regrette qu'un nouveau Voltaire ne soit pas là pour défendre
ce nouveau Calas contre la rectitude politique, cette nouvelle Infâme
qui prend la science pour sa soubrette. Je n'ai jamais été
même soupçonné de la moindre pensée raciste,
mais je trouve répugnant le traitement qu'on réserve aujourd'hui
à Watson. J'ai honte pour la science et l'humanité et j'ai
pensé qu'il était de mon devoir de le dire.
Pierre JC Allard
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