07.09.14
Les quant-à-soi
Quand on parle de mondialisation, on voit d'abord des flux de marchandises.
On voit le port de Rotterdam, les pétroliers, le blé de
l'Ukraine, les babioles de Corée et de Chine, qui tout à coup
deviennent des bicyclettes, puis des voitures, bientôt des avions
On voit les Borinages sans charbon, un textile qui ne vit plus qu'en sortant
ses griffes.
On voit ensuite les flux financiers. Ces trois trillions pas jours de
dollars (USD$ 3 000 000 000 000) qui sautent d'une banque à l'autre,
entre continents, en ne faisant RIEN sauf enrichir ou garder riches ceux
qui doivent l'être. On pense à ATTAC, qui dit à raison
que 0,1% prélevé sur cette masse règlerait le problème
du sous-développement, mais qui feint de croire qu'on pourrait le
faire facilement, alors que Tobin savait, mieux que personne, que cette
ristourne est précisément celle qui va aujourd'hui vers les
shylocks qui mènent le monde et que vouloir les en priver exigerait
qu'on leur passe sur le corps.
Après les biens et l'argent, seulement, on voit la troisième
image de la mondialisation : tous ces désespérés du
tiers-monde qui prennent le radeau de la Méduse en croyant s'embarquer
pour Cythère et qu'on retrouve dans les banlieues rouges de l'Europe,
devenues, beiges, brunes, noires... C'est cette troisième image,
pourtant, qui doit être déterminante. Parce que c'est le
symbole de ce qui nous détruit. Nous et eux comme nous.
C'est SURTOUT pour arrêter ce brassage de populations et le nivellement
pervers des spécificités culturelles qui l'accompagne qu'on
doit fermer les frontières. Pour que l'Europe reste l'Europe. Pour
que nous puissions évoluer sans fracture, de la culture «
post-chrétienne laïque » qui aujourd'hui définit
largement l'Europe, vers quoi que ce soit que ce que nous sommes nous
a préparés à vouloir devenir.
Cette évolution naturelle, sans solution de continuité,
n'est possible que si la composition démographique de l'Europe n'est
pas fondamentalement bouleversée et si les repères culturels
sont maintenus. Surtout, ne pas me croire xénophobe ! J'ai vécu
la moitié de ma longue vie ailleurs, avec d'autres et
avec plaisir. Il y a plus de cinquante ans que je lutte contre le racisme
et les préjugés et que je défends les causes de l'égalité,
du respect et de la bonne entente entre les peuples. Au vu de mon cheminement,
me voir « alterophobe » serait une erreur. MAIS...
Mais, je ne crois pas qu'on puisse aimer et respecter les autres tels
qu'ils sont, si on pose insidieusement tous les gestes requis pour nous
les assimiler ; pas plus qu'on ne peut avoir la passion et se sentir la
mission de poursuivre le développement de sa propre culture, si on
trouve souhaitable que ce développement soit systématiquement
modifié par les apports massifs d'autres cultures.
Il y aura toujours de tels apports et il faut les accueillir, mais je
ne crois pas à l'évangile de la mondialisation, qui prétend
qu'il faille maximiser ces apports ; je suis persuadé, au contraire,
qu'il est dans l'intérêt de chaque culture -- et de l'humanité elle-même -- qu'ils soient réduits au strict minimum et
que soient encore explorées toutes les pistes concurrentes de civilisation.
Aucune culture ne devrait se sentir forcer de devenir autre que ce que
souhaitent qu'elle soit ceux qui s'en réclament; c'est sa propre
évolution qui, le cas échéant, doit l'amener à
converger et à se fondre dans une autre. Comme nul individu ne devrait
être obligé par les circonstances à renier sa culture
pour en accepter une autre, si ce n'est lorsque sa propre démarche
l'a convaincu librement de faire ce choix. L'émigration des riches
et des puissants est leur libre choix ; celle des pauvres et des faibles
ne l'est pas
L'humanité a encore besoins de sociétés. Une société,
c'est au départ des gens qui choisissent d'être ensemble. Ensemble,
on développe des habitudes qui surgissent des idées qu'on
partage et, de ces habitudes encore plus que de ces idées, naît
un sentiment d'identité et d'appartenance. Nos habitudes nous
rendent prévisibles et donc rassurants, confortables les uns aux
autres, ouverts à supporter nos travers. Ensemble, on s'apprivoise.
On apprend à tolérer nos différences, même à
s'aimer -- un peu -- les uns les autres.
On veut apprendre à s'aimer. Pour autant, bien sûr, que
l'on perçoive toujours en filigrane la similitude essentielle qui
est le non-dit initial. Pour autant que l'on reconnaisse chez son voisin
ces points communs qui ont fait que l'on se choisit l'un l'autre. Ces
repères qui justifient que l'on souhaite être à ses
côtés plutôt qu'avec d'autres et que, même si
on veut parfois le changer, on ne veuille pas le quitter. Le voisin, comme
un vieux conjoint, est présumé là pour le pire comme
pour le meilleur. Aux coups durs, il va aider, ne pas nuire. On le connaît.
On se ressemble.
Quand une société grandit, on devient nombreux et l'on
se divise en classes sociales. Parfois, on ne se fréquente plus,
mais on se reconnaît. Quand on se croise au crépuscule, à
l'orée du bois, on ne fuit pas : on se salue de la main. Si on
ne se reconnaît plus, si on ne sait plus comment se saluer, il n'y
a plus de société.
Nous partageons cette planète entre humains et il est probable
et souhaitable que, tôt ou tard, chacun s'y sentira chez-soi partout,
mais il faudra du temps. En attendant, une Nouvelle Société,
comme l'ancienne et toutes les autres, exigera que l'on se reconnaisse et
que l'on s'apprivoise. On vivra plus heureux dans cette société
si on VEUT y vivre ensemble.
Les circonstances peuvent parfois forcer une cohabitation et imposer
une assimilation. Aryens et Dravidiens peuvent faire des Indiens, Espagnols
et Quechuas des Péruviens, Saxons et Normands des Anglais... Mais il
y a alors celui qui apprivoise, souvent la cravache à la main et
l'autre qui est apprivoisé. L'amalgame a un prix. Parfois un prix
en sang, toujours un prix en larmes et elle prend du temps. Des siècles.
Si on accélère, elle coûte plus cher et payer plus
cher ne garantit pas qu'elle se fera. L'Histoire est pleine de ces voisinages
entre Tutsis et Hutus, entre Serbes et Croates, entre Hébreux et
Philistins, qui ne conduisent pas nécessairement à des fusions
réussies. Souvent, on a bien des raisons de penser qu'il aurait
mieux valu que chacun puisse rentrer chez soi.
C'est aussi ce que l'on pense quand l'immigration dépasse un
certain seuil. Ce qui distingue l'immigration d'une invasion barbare,
c'est que l'immigré vient seul, et qu'on présume sa volonté
d'être assimilé ; quand on dépasse le seuil où
il veut être assimilé et que l'étranger veut plutôt
mettre son empreinte, on est envahi. Quand l'étranger veut imposer
un changement, il dérange. Quand il exige que chacun y mette du sien,
il oublie que, lorsqu'il est chez moi, le sien qu'il y met est aussi du
mien
L'étranger qui s'installe à demeure modifiera inévitablement
la culture du pays -hôte -- et c'est bien ainsi que les choses devraient
être -- mais il doit y mettre le temps qu'il faut pour que ce changement
ne dérange pas. Il doit s'efforcer que son apport soit littéralement
imperceptible. Chaque autochtone devrait accueillir son nouveau voisin
avec courtoisie, mais peut d'autre part s'attendre à ce que ce dernier
ait la bienséance de pas se faire remarquer.
L'étranger qui fait remarquer ses différences abuse de
l'accueil qu'on lui réserve. Il n'a pas d'autres droits que ceux
dont on a convenu dans la société où on l'accepte.
S'il veut plus, il est un envahisseur. Chaque individu est tenu au respect
de la loi du lieu ; le lieu n'a pas à accommoder pour lui sa loi
ni ses coutumes ; seul le consensus peut décréter des accommodements.
Agir autrement n'est pas raisonnable.
Aujourd'hui, le consensus est qu'il y a assez d'étrangers dans
la maison. Assez ou trop. Ceux qui le nient ne pensent pas culture ni appartenance
; ils pensent pyramide des âges, consommation, profit. Ils pensent
comme des cuistres. Ce qu'ils pensent n'est pas respectable. Le vrai consensus, c'est que le nombre
des étrangers dans la maison les dissuadent de vouloir être
assimilés et les rend donc inassimilables. Que faut-il faire ?
D'abord, FERMER LES FRONTIÈRES. Il faut réagir au conditionnement,
par ceux qui profitent de l'invasion, qui veut rendre malséant de
dire qu'il faut arrêter l'immigration. Il faut arrêter l'immigration,
pour le bien des autres encore plus que pour le nôtre. L'immigration,
c'est l'instrumentalisation et l'exploitation des pauvres par les riches
qui continuent sous un nouveau masque.
L'Europe a une dette envers le tiers-monde. Payons-la. Mais on ne la
payera pas en acceptant chez-nous une toute petite minorité de ceux
que NOUS avons envahis, laissant sur place une majorité à
laquelle nous avons enlevé toute chance d'autosuffisance. C'est
LEUR maison qu'ils doivent reconstruire selon LEURS plans. Pour y vivre
chez eux, pas chez-nous. Aidons-les. Cessons de détruire systématiquement
leurs économies et que l'Occident verse une rente à ses anciens souffre-douleur.
L'Occident doit payer une compensation, une rente expiatoire au tiers-monde.
Un trillion de dollars (USD$ 1 000 000 000) par année, pendant 50 ans, semble raisonnable. C'est ce que rapporterait la taxe Tobin que propose ATTAC.
Payons la rente, puis laissons-les tranquilles
On ferme la porte, mais que faire de ceux qui sont déjà
dans la maison ? D'abord, il faut distinguer entre ceux qui sont vraiment
des étrangers et ceux qui n'ont que l'apparence d'étrangers.
Quiconque est déjà citoyen n'est plus un étranger;
dans le respect des lois, il a tous ses droits à toutes ses idiosyncrasies.
À la société, pour éviter tout malentendu,
de modifier ses lois pour qu'elles interdisent, non pas aux seuls «
étrangers », mais à tous, les comportements dont le
consensus social considère qu'ils choquent les coutumes et les valeurs
de la collectivité.
Quand ces lois qui devraient s'inspirer d'une grande tolérance
seront édictées, si certains jugent inacceptable de si soumettre,
rien ne les retient. Partant du principe, toutefois, que les nouvelles
règles qui les incitent à partir leur causent un préjudice
immérité, puisque ces règles n'existaient pas lorsqu'ils
ont décidé de venir se joindre à nous, ceux qui choisiraient
de partir devraient recevoir toute l'assistance requise et une généreuse
compensation.
En agissant de la sorte, on aura bâti une société
qui sera notre quant-à-soi et où la culture à laquelle
s'identifie une vaste majorité de la population pourra se développer
selon sa propre dynamique, sans concessions aux autres cultures, lesquelles
doivent aussi avoir ailleurs leur quant-à-soi, car une parfaite réciprocité
est nécessaire pour qu'il n'y ait pas d'injustice.
Pourquoi ce retrait de chaque culture à l'intérieur de
son territoire, puisque l'objectif ultime ne peut être que de rassembler
? Parce qu'il est encore trop tôt. On voit chaque jour que le choc
des cultures produit la frustration et la violence. L'humain n'a tout simplement
pas atteint le niveau de développement qui lui permettrait de faire
fi de ces différences. Pendant des siècles, la civilisation
occidentale a voulu croire que ce problème n'existait pas, uniquement
parce qu'étant en position totalement dominante, elle retirait les
avantages d'un contact inégal dont les autres portaient tous les
inconvénients.
C'est le début d'un rééquilibrage entre l'Occident
et les autres cultures qui, aujourd'hui, fait apparaître le problème.
La marée va vers l'étale. Il se crée une fenêtre
d'opportunité dont on doit profiter pour réduire les occasions
de heurts. Si, aveuglé par son arrogance et inféodé
au profit de quelques-uns, l'Occident ne prend pas l'initiative de ce retour
de chacun sur ses terres, pendant qu'il en est temps, il n'est pas exclu
que notre civilisation se retrouve un jour en position de faiblesse. Une
autre culture dominante jugera peut-être alors, à son tour,
qu'il n'est pas avantageux de laisser à chacun son quant-à-soi
et que c'est faire preuve « d'ouverture d'esprit » de bousculer
un peu les dominés que seront devenus nos arrière petits-enfants
pour qu'ils s'intègrent aux valeurs de ceux qui auront alors le
pouvoir.
Aujourd'hui que la décision nous appartient, ce serait justice
de laisser à chacun son quant-à-soi. Les civilisations qui
nous ont précédés ne l'ont pas fait. Elles sont mortes.
Pierre JC Allard
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