07.09.07
Le capital déserteur
Il y a des concepts qui sont promus au rang de vertus, sans qu'on y
regarde de trop près. Parmi ces concepts, on trouve en bonne place
la foi -- qui consiste à faire abstraction de sa raison -- et le
patriotisme, lequel permet d'être fier de ses origines, sans avoir
à s'en expliquer. On ferme les yeux sur le fait que croire sans raison
est plutôt une sottise et que se penser meilleur parce qu'on est né
quelque part frôle dangereusement le racisme.
Généralement, ces vertus équivoques et qui cachent
des vices ont surtout le mérite initial de servir les intérêts
de ceux qui les érigent en vertus. Leurs autres qualités sont
ensuite exaltées par ceux qui s'en croient dotés, en proportion
directe des sacrifices qu'ils ont du consentir pour qu'on les leur reconnaisse.
Les martyrs ont la foi et les héros sont patriotes.
Aujourd'hui, le mondialisme est devenu le dernier ajout à la
liste de ces vertus équivoques. Le mondialisme, c'est l'ouverture
et la générosité, c'est l'avenir... Celui qui n'est pas
mondialiste, aujourd'hui, est bien suspect. Pourtant, le mondialisme a de
GROS défauts, dont le moindre n'est pas de voir le monde tout autrement
qu'il n'est. Le mondialisme a deux (2) volets, dont chacun a ses vices..
Le premier volet supprime les entraves au commerce. Dans la vision mondialiste
du monde, l'ouverture des frontières permet que chacun fasse concurrence
à tous. C'est donc aux services de celui qui dispose des avantages
lui permettant d'offrir plus pour moins qu'on fera appel. On fera du blé
dans la Beauce et des bananes en Ecuador, ceux qui ont du pétrole
nous le vendront et ceux qui ont des idées s'instruiront et géreront
le monde dans l'intérêt commun. Chacun sera utilisé
au mieux et nous serons tous plus riches.
Inspirant... Mais le monde n'est pas ça. Les ressources ne
sont pas équitablement réparties et l'Histoire a donné
une longueur d'avance à certains sur les autres. Presque tout, partout,
appartient aux mêmes intérêts. Seule impose une limite
à la concentration de la richesse, la nécessité de
maintenir une demande effective suffisante pour que ce qui est produit soit
vendu. C'est une contrainte technique puissante, mais, si ce n'est pas ceux
qui travaillent qui consomment, il n'y a plus de limite à leur exploitation.
Or, c'est précisément la situation qui est créée
quand les frontières s'ouvrent.
Toutes frontières ouvertes, les travailleurs des pays pauvres
ne produisent plus pour leurs besoins, mais pour la demande des pays riches.
Pas du manioc ou du ma�s, mais du café ou du cacao. L'industrie ne
s'automatise pas progressivement, comme elle le devrait, mais se concentre
sur ce qui est à forte intensité de travail. Pour leurs besoins,
les pays pauvres deviennent donc dépendants des pays riches. Or,
on leur achète tout au prix que nous voulons - puisque nous sommes
leurs seuls clients - et on leur vend aussi tout au prix que nous fixons,
car c'est nous qui avons le pouvoir. Ils seront donc éternellement
pauvres.
Qui gagne ? Le consommateur des pays développés croit
faire une bonne affaire, en achetant bon marché les produits d'ailleurs,
mais le travail fait ailleurs signifie moins de travail pour le travailleur
des pays riches et le revenu global qui y est distribué tend donc
à dépendre de plus en plus d'un assistanat plus ou moins déguisé.
Ce revenu global peut être diminué, d'ailleurs, sans mettre
à mal la demande effective, de la somme de tout ce qui est vendu aux pays pauvres.
Vendu avec des marges bien plus intéressantes qu'en pays développés,
puisque tout s'y fait par cartels et monopoles, que les contraintes de santé
et de sécurité ainsi que les exigences environnementales sont
moindres et que la fiscalité s'y règle à l'amiable.
Qui gagne vraiment au mondialisme? Y gagnent ceux qui tirent parti des
frontières qui disparaissent pour se prendre un agio sur tout ce
qui s'échange et qui peuvent maintenant, à leur convenance,
consommer le travail des mal nantis du tiers-monde sur place ou se le faire
livrer à domicile.
À domicile ? Bien sûr, c'est le deuxième volet du
mondialisme. Le volet qui supprime les entraves aux migrations, en présentant
l'accueil des immigrants comme un geste de compassion, ce qui est une imposture.
La compassion exigerait que les termes d'échange entre pays riches
et pauvres soient assainis et que le niveau de vie des habitants du tiers-monde
soit élevé. Pas qu'on accueille les pauvres en pays riches,
pour y rendre la main-d'oeuvre surabondante et parfaire les conditions de
son exploitation.
L'immigration est un pur subterfuge. Prétextant respecter l'esprit
de l'ouverture des frontières, elle permet d'opposer aux exigences
des travailleurs des pays riches, non seulement la menace des importations,
mais la disponibilité sur place des travailleurs immigrants, ceux-ci
souvent en situation illégale et donc prêts à accepter
des conditions de travail moins avantageuses.
Conditions moins avantageuses qu'on peut cyniquement prétendre
devenues incontournables, à cause des exigences de la concurrence
avec les biens importés ...et qui peuvent être imposées
sous la menace de la délocalisation des industries elles-mêmes
! La montagne peut aussi aller à Mahomet. Dans une société
qu'on a voulu assimiler à son économie, il est difficile de
voir l'entrepreneur qui délocalise autrement que comme la capitaine
qui quitte le navire en perdition. Celui qui delocalise est un déserteur.
Une société repose sur une solidarité implicite,
laquelle suppose que chacun ait, sinon,la générosité,
au moins l'intelligence de subordonner la recherche de son plus grand profit
immédiat au maintien des conditions minimales de cohésion
sociale qui assureront la continuité de ses activités. C'est
ce qu'a compris le libéralisme classique, quand il a accepté
jadis, l'assistanat qui assurait qu'il y aurait assez de richesse redistribuée
pour que les produits se vendent et que les roues puissent toujours tourner.
Il faut distribuer un revenu : le travailleur EST le consommateur.
De cette acceptation d'une redistribution est né le « néolibéralisme
», sans lequel le capitalisme aurait déjà été
remplacé par autre chose. Il semble que l'on oublie maintenant cette
leçon. Le capitalisme qui importe et surtout délocalise, se
conduit comme si l'on pouvait déconstruire la main-d'oeuvre en France
et ne payer des salaires qu'au Hunan ou au Tonkin, tout en continuant de
vendre en Lorraine ! Ou serait-ce qu'un capitalisme apatride voit son avenir
ailleurs et ne se préoccupe plus du tout de la Lorraine ? C'est ça,
la désertion.
Cette déconstruction du travail est occultée par des opérations
monétaires spéculatives, qui substituent des valeurs factices
là où la réalité est en manque. Nous conduisons
en regardant le « miroir » - speculum veut dire miroir - et
nous allons droit vers l'abîme. Si on veut que le système fonctionne,
il faut maintenir le niveau de consomation effective. On ne le fera pas
en delocalisant, car la consommation effective, c'est d'abord le travail
rémunéré. Il faut cesser de suivre le mouvement politiquement
correct vers la mondialisation. IL FAUT FERMER LES FRONTIERES. Les frontières
de la France ou de l'Europe, c'est un autre débat, mais fermer une
frontière et poser une cloison étanche entre nous et le tiers-monde.
L'Occident doit ré-apprendre à se suffire à lui-même.
Pierre JC Allard
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