06.11..14
Nuremberg
Il y a 61 ans, il se passait des choses à Nuremberg. Quelques
procès dont, au terme du premier, on a pendu 10 dirigeants allemands
pour leur rôle durant la Seconde Guerre mondiale. Y ajouter Goering
- il s'était suicidé quelques heures avant qu'on ne l'exécute
- et Borman, condamné à l'être, mais en cavale ou déjà
tombé à la bataille de Berlin, selon la version que l'on retient.
Pas très réussi, Nuremberg. D'abord, les plus notoires
responsables du massacre nazi -- dont Eichmann, Himmler et Hitler lui-même
-- n'y étaient pas. Ensuite, on y mêlait dans le box des accusés,
avec d'indéniables monstres, des banquiers, des hommes d'affaires
et des diplomates qui n'y paraissaient pas vraiment à leur place. On faisait avec ce qu'on avait sous la main.
On a même, à Nuremberg - où pourtant l'on ne manquait
pas de vrais coupables - jugé, condamné et fait pendre un innocent
! Alfred Jodl, militaire semble-t-il sans reproche, puisqu'on l'a réhabilité
quelques années plus tard.
Cela dit, cette guerre ayant fait 60 millions de morts, on ne peut certes
pas dire qu'on ait exagéré dans la vendetta. La grande faille
du procès de Nuremberg, ce n'est pas qu'on ait condamné un
innocent, c'est que tout le procès n'avait juridiquement aucun sens.
Crimes de guerre, crimes contre l'humanité.... On y jugeait des accusés
pour des gestes dont aucune autorité légitime n'avait fait
des crimes avant que ces gestes n'aient été posés,
ce qui en droit est inacceptable. Rien n'est parfait.
Un peu bancal, le procès de Nuremberg, mais éthiquement
parlant, Nuremberg n'en a pas moins été un grand pas en avant
dans l'histoire de l'humanité. Depuis Nuremberg, on SAIT qu'il y
a des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. On sait que
préparer une guerre d'agression et l'exécuter au total mépris
des civils est un crime. On sait que torturer les prisonniers est un crime.
La défense de rétroactivité de la loi, dont les accusés
de Nuremberg pouvaient se prévaloir, n'a donc plus la moindre pertinence.
Georges W. Bush, Donald H. Rumsfeld et leurs complices, tous ceux qui
ont fait envahir l'Irak et géré Guantanamo, Abu Ghraib et les autres camps de concentration
américanistes encore mal connus éparpillés à
travers le monde, n'ont plus cette défense à offrir. Ils sont
des criminels de guerre et des criminels contre l'humanité. Seule
distinction entre eux et les chefs nazis, c'est qu'ils n'ont pas perdu la
guerre et ne sont donc pas en détention. Pas encore.
On doit souhaiter vivement qu'ils le soient bientôt. Ce serait
un déshonneur pour toute l'humanité que ces hommes meurent
dans leur lit, sans avoir été condamnés. Heureusement,
l'humanité s'est maintenant donné les lois qu'il fallait et
plusieurs État - dont l'Espagne qui a innové en ce sens,
mais aussi l'Allemagne ­ - se sont accordé juridiction sur ces
abominations dont Nuremberg a maintenant formellement fait des crimes.
Tout est désormais en place pour que les monstres de Washington
soient jugés, condamnés, punis. Vous n'y croyez pas ? Vous
êtes certain qu'il resteront impunis ? Les Nazis ne croyaient pas,
eux non plus, que viendrait la rétribution. Condamn�s ? Entre collègues ? Ben voyons !
Et pourtant la rétribution est venue. Il n'est pas du tout impossible
qu'elle vienne aussi pour Bush et les autres.
Une rétribution bien mitigée puisque, le monde se prétendant
civilisé, on ne les pendra pas. Mais c'est parce que le monde se
veut civilisé qu'il faudra tout de même condamner ces individus
et pour un temps les retrancher dela soci�t�. Il est probable qu'on y arrivera.
Envoyer en tôle un président et quelques grosses pointures, en effet,
est tout à fait le genre d'effets pervers - ici, un effet vertueux -
qui découlent parfois de la politique à l'Américaine,
laquelle ne vit que de son image. Personne n'est à l'abri de servir
d'exemple, s'il faut un exemple pour assurer la crédibilité
de la démocratie américaine. Nixon, Clinton... Si la Jaggernaut
de la moralité ostentatoire américaine démarre, rien
ne l'arrêtera. : la logique des événements va suivre
inexorablement son cours.
Quelle est cette logique ? Ele est la résultante de deux facteurs. Le
premier, c'est que n'importe quel quidam peut porter plainte en Espagne
contre Bush et al, comme on l'a fait contre Pinochet. Garzon, ou un autre
juge, lancera l'affaire. Ils sont trop nombreux à en avoir l'autorité
pour qu'on puisse tous les tenir en laisse. L'un ou l'autre émettra
un mandat et tous les pays d'Europe seront tenus de l'exécuter. Comme
le Royaume-Uni n'a pas osé ne pas exécuter le mandat contre
Pinochet.
Dans le cas du gang Bush, il seront m�me ravis de le faire. Pinochet avait
pour lui une grande partie des Chiliens et personne ne savait vraiment ce
qui s'était passé au Chili. Toutes les populations d'Europe,
au contraire, souhaiteraient voir Bush en prison. Sans exceptions. Pourquoi
ne pas leur faire plaisir ? Condamnons, on sait bien que les USA ne permettront pas que la sentence soit ex�cut�s...
C'est ici, cependant, qu'intervient le deuxième facteur. Depuis
la victoire démocrate de la semaine dernière, au Congrès
et au Sénat des USA, c'est le retour du pendule. Les deux tiers des
Américains se sentent trahis et humiliés par Bush et ses cafouillages
en Iraq. Ils veulent se redonner bonne conscience. Avec les présidentielles
de 2008 qui sont en jeu, tous les coups sont permis. L'« union sacrée
» entre Américains est rompue.
L'affaire une fois lancée en Espagne et un mandat émis en Europe,
les Démocrates, au Congrès et au Sénat, vont lancer
une multitude d'enquêtes sur tous les aspects scabreux de l'invasion
de l'Iraq et celle de l'Afghanistan. Tous les mensonges, toutes les corruptions,
les incohérences de l'attentat du WTC et les horreurs de Guantanamo.
Ils le feront avec persévérance et application : la présidence
est en jeu en 2008.
Le système américain a cette grandeur que toutes les horreurs
seront découvertes et publiées. La compréhension de
cette colossale monstruosité qu'a été l'invasion de
l'Iraq va peu à peu germer dans le cerveau de l'Américain
moyen. Quand il aura compris, ce grand naïf va réagir par une
profonde colère contre ceux qui l'ont berné. L'image de dégoût
que lui renverra le monde entier, à mesure qu'évoluera le
procès en Espagne, le poussera à se dissocier des crimes commis
en son nom.
Un fructueux renforcement en cascade va donc s'établir, entre
les accusations au procès en Europe, qui encourageront que l'on fouille
plus avant les dossiers aux USA... et les preuves que fourniront les enquêtes
se succédant aux USA pour des fins partisanes, mais qui viendront étayer ces accusations en Espagne.
Une condamnation en Espagne - et la condamnation concomitante d'une
opinion universelle qui cherchera un coupable à tout prix pour sa
veulerie pendant qu'on massacrait des dizaines de milliers d'innocents -
va conduire l'Amérique à se racheter une réputation
aux yeux du monde entier en y mettant le prix qu'il faudra.
Ce prix, ce sera la reconnaissance par les USA du jugement extraterritorial
qui aura �t� rendu contre Bush et ses complices. Le vieux fond d'arrogance des Américains
fera que l'on voudra que ce soit la justice américaine qui s'applique
et que les sentences soient purgées en territoire USA et non à
l'étranger.
Cette exigence conduira à un autre procès aux USA, lequel
se conclura cependant de la même manière que le premier, car,
puritanisme oblige, les USA ne voudront surtout pas donner aux étrangers
l'image d'être moins indignés qu'eux. Les accusés seront
condamnés et cela conduira à leur incarcération. Une
incarcération avec laquelle sera alors d'accord 90% de la population
américaine. Surtout les Républicains, qui ont tant � se faire pardonner.
Évidemment, la symbolique de l'Histoire serait mieux servie,
si le procès avait lieu à Nuremberg et l'emprisonnement à
Spandau, mais rien n'est parfait...
La condamnation des dirigeants des USA pour crimes de guerre et crimes
contre l'humanité n'en sera pas moins un grand pas en avant dans
l'histoire de l'humanité.
Pierre JC Allard
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