06.08.14
L'hommage-lige
Même si l'Évangile déconseille fermement de servir
deux maîtres, le système féodal a joué à
fond la carte des multiples allégeances, permettant à tout
vassal d'optimiser ses avantages et ses soutiens en « rendant hommage
» à plusieurs suzerains, aux uns comme aux autres, selon ses
intérêts. Ces loyautés partagées ont rendu le
Moyen âge intéressant et conduit aux fourberies et intrigues
raffinées de la Renaissance.
Partager sa loyauté, toutefois, exige parfois des décisions
cornéliennes. Pour s'y retrouver et choisir entre ses divers suzerains
sans devenir félon, il était recommandé que chaque
vassal ne rende qu'à l'un d'eux l' « hommage-lige »,
l'engagement ultime envers celui auquel il serait fidèle advenant
quelque mésentente entre ses divers patrons
Quand Hugo Chavez parle d'une « Grande Colombie » bolivarienne
avec la Colombie et l'Equateur, il rend hommage à une idée
qui a sa valeur et qui n'est toujours, d'ailleurs, qu'à une victoire
près en Colombie de l'opposition politique ou du FARC de devenir
une option immédiate bien réaliste.
Quand plus tard il se joint à la Bolivie et à Cuba dans
un cartel restreint des gauches continentales, c'est une autre loyauté
qu'il développe, d'autant plus significative qu'il fait en même
temps des appels du pied a la Chine, laquelle est de loin sa meilleure alternative
pour des exportations de pétrole ailleurs qu'aux USA.
Enfin, il y a juste trois (3) semaines, quand, il s'engage avec le Brésil
et l'Argentine dans une alliance qui donne au Mercosur les moyens financiers
d'envoyer paître les USA et leur projet de zone de libre-échange
(ZLEA), c'est encore une autre loyauté qu'il développe et
qui a aussi beaucoup à offrir. Où Chavez met-il ses priorités
?
C'est à cette question qu'il vient de répondre en se précipitant
au chevet de Fidel Castro, qu'on peut présumer moribond, pour être
adoubé comme son fils spirituel et héritier idéologique.
Chavez a choisi d'aller à La Havane rendre son hommage-lige au vieux
lion. Ce faisant il prend des mains de ce dernier le flambeau de la Gauche.
Alea jacta est.
Il n'est pas sans conséquences que ce soit le Venezuela - riche
de tout ce pétrole qui est le produit ubiquitaire dont le contrôle
permet au Système de tirer sa livre de chair de tout le monde
qui prenne le leadership de la gauche en Amérique latine. Une gauche
riche n'est plus du tout la même gauche bien gentille mais un peu
jocrisse qu'on a vue si souvent. Comme personne ne pense plus que les gens
de Dubaï ou du Qatar soient seulement des gardiens de chèvres.
Une gauche qui a des moyens n'est plus naïve ni velléitaire.
Elle peut faire bien des choses. Elle peut obtenir du Brésil, par
exemple, qu'il tolère les nationalisations de la Bolivie... et obtenir
de la Bolivie que celle-ci prenne le risque de tirer la queue du tigre américain
afin de tester les réactions du félin.
Elle peut obtenir de l'Argentine qu'elle reste sagement collée
au Brésil dans Mercosur, au lieu de se plier aux diktats des USA,
comme le Chili. Elle peut financer une option politique de gauche en Colombie
qui puisse constituer une troisième voie, en alternative au duel
FARC-Uribe: un parti qui pourrait prendre le pouvoir et accepter cette Grande
Colombie qui lancerait en Amérique latine une dynamique d'intégration
sans les USA.
Le Vénézuela, avec le pétrole, peut se faire une
alliée de la Chine et devenir donc intouchable. A moins qu'il ne
devienne une monnaie d'échange dans un jeu plus vaste, bien sur,
mais les risques qu'il soit bradé sont minimes, si le Brésil
est solidement avec lui.
Chavez, en riche héritier de Castro, peut surtout, ultime provocation
aux USA, donner à Cuba les moyens de rester socialiste apres Castro
et de ne pas devoir se jeter aux pieds des Américains en reconnaissant
ses « erreurs » et en implorant leur pardon.
Si le Venezuela de Chavez devient chef de file de la gauche, la gauche
devient solvable... et bien des scénarios captivants deviennent possibles.
Peu de ces scénarios, cependant, iraient dans le sens des intérêts
du Système néo-libéral. Souhaitons donc une longue
vie au Président Chavez. Et espérons qu'il soit bien prudent.
Pierre JC Allard
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