INNOCENTE HOMOLKA
2005/07/04
Ahmadinejad et les serpents d'eau
J'ai rencontré un ami de l'Ange Exterminateur. Il lisait par-dessus
mon épaule dans l'autobus et c'est lui qui m'a parlé. Je regardais
la photo de Ahmadinejad, le nouveau président iranien, il la regardait
aussi. - « Je le connais bien », qu'il m'a dit. - «
Ah. Vous êtes Iranien ? » - « Oui » - «
Qu'est-ce qu'il va faire votre nouveau président ? » -
« Il va apporter la justice, moderniser l'Iran et il va attendre.
» - « Attendre ? » - « Attendre que les Américains
nous envahissent. » - « Moderniser et attendre que l'on vienne
tout détruire, comme en Irak » ? - « On ne détruira
rien en Iran; c'est l'Iran qu va détruire l'Amérique ».
J'ai rencontré ma bonne part de toqués au cours des ans.
Joyeux ou tristes, optimistes ou pessimistes, ils ont en commun de porter
des verres déformants : ils voient un monde différent. Parfois,
c'est une question d'échelle, comme mes amis du Nicaragua qui voyaient
leur pays comme « un géant qui s'éveille ». Parfois,
c'est la nature humaine qui est sublimée, comme mes amis Cubains
qui croyaient que l'enthousiasme altruiste de La Havane version 1960 durerait
éternellement. L'Iran va détruire l'Amérique ? Bon,
si vous le dites... À quoi bon discuter?
Mais c'est lui qui a continué : - « L'Iran va détruire
l'Amérique » - « Avec l'aide de Allah et quelques
bombes atomiques ? » - « Non, avec le Plan 'kziwqkach'. »
- « Le Plan QUOI ? » Il sourit : - « n'essayez pas de le
prononcer. C'est le nom en farsi d'un minuscule serpent de mer qui pullule
dans le Golfe Persique près de Bandar Abbas. Le « watersnake
» : cent fois plus venimeux qu'un cobra. Morsure mortelle en quelques
secondes. » - « Il y a un antidote ? ». «
Non, mais la prévention est facile: n'entrez pas dans son territoire; il ne vous suivra pas sur la terre
ferme. Sortez de la mer et allez vous rhabiller avant qu'il ne vous attaque.
»
- Et le Plan « Serpent de mer », si je puis dire ?
- « Il est déjà en marche. Dès que les Américains
envahissent l'Iran, Ahmadinejad et son cabinet quittent le pays et vont
créer ailleurs - on ne sait pas où - un gouvernement en exil.
Ahmadinejad n'est pas Saddam. Ni lui ni ses hommes n'ont massacré de Kurdes,
ni qui que ce soit, et ils ont été démocratiquement
élus. Ils sont la légitimité. Ahmadinejad part et
l'armée est licenciée. Les soldats rentrent chez eux. Ils
partent avec un petit pécule qui leur permet de vivre sans problème
durant quelques temps - on ne sait pas combien de temps - et avec
leurs armes et munitions. Depuis deux ans, ce sont des fusils à lunettes
et des grenades qu'on leur distribue.
- Vous vous rendez sans conditions et vous donnez le pays aux USA ?
On est loin de « détruire l'Amérique »
- « Qui parle de se rendre ? Personne ne s'est rendu. Le pays
est occupé, mais il reste en guerre. En fait, il n'y a même
personne pour faire la paix; le gouvernement légitime n'est pas là
et n'a rien à négocier que le retrait inconditionnel des envahisseurs
et son remplacement par une force internationale qui s'engagera à
ne pas les laisser revenir ».
- Mais qui assure l'ordre dans le pays, s'il n'y a plus d'armée
? La police ?
« Dès que les troupes américaines occupent une ville,
les forces policières sont aussi licenciées, aux même
conditions que l'armée. Toutes les archives sont détruites.
Les ex-soldats et policiers ont des identités de rechange. Si on
les cherche, il faudra les trouver un à un. La seule autorité
qu reste en Iran est celle des ayatollahs et des mollahs; c'est une autorité
morale qui n'a pas de pouvoir et qui n'a pas de responsabilité politique.
Elle donne de conseils et les bons croyants les suivent. C'est tout. Pour la sécurité
au quotidien, que les occupants la prennent en charge. Ce qui pourrait être
compliqué....
- « .... »
- TRES compliqué, reprit-il - parce que si vous avez deux (2)
MILLIONS d'ex-soldats, de réservistes, d'ex-policiers éparpillés
dans la population, avec leurs armes et assez d'armes supplémentaires
pour équiper légèrement quelques autres millions de
résistants nationalistes islamistes.... une armée d'occupation,
en Iran, va se sentir aussi confortable qu'un baigneur au milieu d'un banc
de serpents de mer, dans un mètre d'eau, au large de Bandar Abbas.
Les instructions au peuple de l'autorité morale sur place des
mollahs, ce sera : pas de terrorisme contre les civils, pas de dommages
collatéraux, pas de violence gratuite, pas d'attaques-suicides. NE
DÉTRUISEZ PAS L'IRAN. Mais les instructions du gouvernement en exil,
ce sera que l'Iran est en guerre et que chaque Iranien a le devoir sacré
d'attaquer et de détruire l'ennemi. Une grenade lancée en
passant sur un poste de garde américain. Un franc tireur embusqué
qui abat un ou deux marines à 30 mètres. Quelques gorges
tranchées dans une maison de passe. Ne risquez pas inutilement
une vie iranienne, mais ne ratez pas une occasion d'abattre un Américain.
Dans un pays de la taille de l'Iran, avec une population totalement
hostile et bien armée, il n'est pas irréaliste de penser qu'on
peut faire de 50 à 100 cartons par jours. Ceci, sans plan concerté qu'on puisse mettre à jour, sans une organisation rebelle formelle qu'on puisse démasquer, sans une force révolutionnaire qui
occupe même un bureau de poste et qu'on puisse affronter dans une
bataille rangée. Seulement des dizaines de millions de civils qui,
s'ils en ont la chance, vous mettront une balle dans la nuque ou un couteau
dans le dos. L'initiative personnelle et ce droit sacré, dont les
USA sont si fiers, que doit avoir chaque citoyen de porter des armes...
Simultanément, quelques troupes d'élites rendues à
la vie civile auront reçu, elles, des instructions bien précises,
Elles s'assureront qu'il ne sortira jamais une goutte de pétrole
de l'Iran. Un peu de syntex ici, un peu de syntex là... un long
pipeline est un objet infiniment vulnérable. Quelques raids d'opportunité
contre une caserne ou une patrouille américaine isolée, mais
sans prendre de risques et sans rien qu'on puisse assimiler à un
terrorisme aveugle. Une résistance passive, un sabotage omniprésent,
un assassinat quand l'occasion se présente... L'Iran a tout son temps.
Une armée d'occupation qui subit des pertes intolérables
et qui n'a que des civils à affronter va vite dériver vers
les exactions, les exécutions d'otages, la destruction des villages.
Dans un premier temps, le reste du monde, horrifié, mettra
l'Amérique au ban. Beaucoup par principes, quelques-uns, comme la
Chine et la Russie, par intérêts. Le monde va se couvrir de
drapeaux américains barbouillés de swastikas.
Un milliard de musulmans, dans le monde, vont aussi être convaincus
que c'est une oeuvre pie de tuer ou détruire tout ce qui est américain.
Il est donc bien probable que les attentats-suicides reprennent, non pas
en Iran, mais partout, surtout aux USA. Que se passera-t-il si la peur
d'une valise bourrée d'explosifs fait qu'il n'est plus possible
même de prendre le métro ou de marcher à Times Square
avec un colis ? Dans un deuxième temps, quand non seulement le
comportement des forces américaines d'occupation en Iran sera devenu
totalement odieux, mais que la riposte face à ce comportement aura engendré
une paranoïa qui détruira les libertés civiles et rendra
la vie invivable aux USA, c'est la moitié gauche de l'Amérique
qui va se dresser contre sa droite, refusant le rôle de bourreau qu'on
lui aura imposé. Tous les Américains ne sont pas des monstres.
Si une solution politique intervient alors rapidement, amenant au pouvoir
ceux qui ne veulent pas d'une Amérique impérialiste et universellement
honnie, les Américains quitteront l'Iran, le gouvernement en exil
reviendra à Téhéran. Chacun pensera ses plaies, mais
nous aurons gagné. Si cette décision n'est pas prise rapidement,
cependant, l'Amérique ne survivra pas.
L'Amérique ne survit à ses injustices flagrantes que grâce
à la bonne conscience que lui distillent sans arrêt des médias
qui constituent, sous leurs divergences apparentes, une colossale machine
à propagande. Si l'Amérique perd cette bonne conscience, elle
explose. Elle se dresse, ses pauvres contre ses riches, ses minorités
latines, afro-américaines et asiatiques contre un establishment qui
l'exploite. La peur jointe à la mauvaise conscience va créer
une situation de guerre civile. Si l'Amérique ne sort pas d'Iran,
elle sera détruite. »
- Et vous croyez que c'est ce que veut faire Ahmadinejad ?
- « Tout le monde en Iran connaît ce plan. Les Americains aussi, bien sur. Ce n'est pas
un secret. Aucune raison de le cacher, d'ailleurs, car rien ne peut empêcher
qu'il soit mis à exécution. Il n'y a qu'une façon
de ne pas être tué par un serpent d'eau : restez sur la berge
et allez vous rhabiller. »
J'espère que personne aujourd'hui, avec toute cette chaleur en
Irak, ne songe à une baignade dans le Golfe Persique.
Pierre JC Allard
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