LE VIEUX MONSIEUR ET LA PETITE FILLE

2005/05/18

 

 

LE VIEUX MONSIEUR ET LA PETITE FILLE


 

Ce texte ne parle PAS de pédophilie. Encore plus décevant pour ceux qui cherchent des plaisirs défendus, ou du plaisir, tout simplement, ce texte traite de la politique canadienne. Un paysage politique généralement si morne, qu'il peut faire regretter même la politique américaine, laquelle, a défaut de grands débats idéologiques, apporte toujours des rebondissements divertissants. La politique canadienne ? Ne partez pas tout de suite, la politique canadienne est devenue passionnante.

D'abord, le Canada s'est donné l'an dernier un gouvernement minoritaire. Un gouvernement instable. Ce n'est pas encore la Quatrième République, mais ça donne déjà des palpitations à ceux qui n'ont pas l'expérience des Montagnes Russes, françaises ou italiennes. Ensuite, la malhonnêteté des élus - si omniprésente dans la plupart des gouvernements européens qu'on se sentait un peu gêné de ne pas avoir, nous aussi, au Canada, quelques ministres en prison ou au moins en sursis - vient de faire une apparition remarquée.

Je dis bien qu'elle vient d'apparaître. Elle était déjà bien là et, ayant personnellement vendu bien des contrats au gouvernement canadien, je puis rassurer les sceptiques : Ottawa était tout aussi corrompu que Paris, Rome, Kinshasa et sans doute Babylone. Mais la crapulerie vient d'apparaître dans la politique canadienne. Quelques millions de dollars qui disparaissent, réapparaissent, engraissent des intermédiaires et - horreur ! - servent m�me au financement des partis politiques.

Comme si tous les partis, au Canada comme ailleurs, n'avaient pas toujours été financés en proportion directe de leurs chances de prendre le pouvoir et de distribuer des faveurs ... et élus, bien sûr, en proportion directe du financement reçu. ! Une virginité se perd cette année au Canada. Un hymen se déchire pour révéler toute une panoplie de maladies honteuses. Un scandale dit « des commandites », qui a brassé des dizaines de millions, en laisse surtout soupçonner un autre, dix fois plus juteux : le gouvernement a dépensé 2 milliards de dollars pour procéder simplement à l'enregistrement des armes à feu. C'est beaucoup d'argent. Qu'a-t-on fait de tout cet argent? Fermez les yeux, ça disparaîtra peut-être.

Mais les Canadiens, comme tous les naïfs, ne sont pas doués pour la cécité sélective. Quand les Québécois - pourtant pétainistes sur les bords en leur temps, pour l'amour du clergé - ont cessé de croire, 20 ans plus tard, que l'Église était la seule source de toute vérité, ils ne sont pas devenus ambivalents. Ils sont passés, en quelques années - à tort ou à raison, ce n'est pas notre propos - du cléricalisme le plus inconditionnel à un rejet de la religion comme il y en a peu d'exemples sur la planète.

Notre propos, c'est la réaction probable du Québécois et du Canadien moyen, dont la naïveté politique semblait si abyssale qu'on n'en trouverait jamais le fond, maintenant qu'il vient de découvrir que la politique se fait avec du fric et que l'on fait du fric avec la politique. Sa réaction probable, ce sera un rejet de la politique. Un rejet du parlementarisme. Un rejet de la démocratie.

Il faudrait s'inquiéter. Il faudrait que les politiciens canadiens fassent une démonstration éclatante, ostentatoire, spectaculaire d'honnêteté. Ils font tout, au contraire, pour augmenter le cynisme. Mis en péril de perdre un vote de confiance et de devoir déclancher des élections, le Premier Ministre canadien, un vieux monsieur assez roublard qui fait beaucoup d'argent dans le transport maritime sous pavillon de complaisance, a réussi à se maintenir au pouvoir... en séduisant une petit fille.

Séduction politique, bien sûr ­ et la petite fille est déjà dans la trentaine avancée - mais l'inconcevable manque de jugement dont cclle-ci a fait preuve dans ce maquignonnage de ses faveurs laisse supposer une immaturité qui suggére une tutelle aux mineurs et qui permet de douter qu'elle ne devienne jamais une adulte politique. Pour les amateurs, rappelons les faits.

Belinda Stronach est membre du principal parti d'opposition au Canada, le Parti Conservateur, lequel veut - et semblait il y a quelques jours sur le point d'obtenir - la chute du gouvernement Libéral au pouvoir. Non seulement en est-elle membre, mais Belinda semble la personne la mieux placée pour succéder au Chef de ce parti, si celui-ci commet une erreur ou subit un échec. Or, si le gouvernement Libéral tombe, les sondages semblent prévoir que le Parti Conservateur ne prendra pas le pouvoir.

Si le parti Conservateur ne prend pas le pouvoir, son chef aura "subi un échec" et sera certainement contraint de démissionner. Vraisemblablement, Belinda Stronach le remplacera et deviendra Chef de l'Opposition. Considérant l'alternance du pouvoir et le désenchantement de la population envers les vieux messieurs de tout acabit, on peut penser que dans cinq ans au plus tard, mais bien plus vite si un autre gouvernement libéral minoritaire est �lu et lui aussi rapidement défait, le Parti Conservateur sera élu. Belinda Stronach sera Premier Ministre.

C'est la chute du gouvernement Libéral qui peut mettre en marche ce scénario dont Belinda Stronach est visiblement la principale gagnante. La chute du gouvernement Libéral ne tient qu'à UN SEUL VOTE. Belinda Stronach n'a qu'à voter avec son parti et le gouvernement tombe. Affaire réglée ? Attention, méfiez-vous des vieux messieurs. L'inconcevable arrive. Belinda décide d'écouter les propositions du Vieux Monsieur, de trahir son parti et de sauver in extremis, par son seul vote, un gouvernement dont la chute lui serait pourtant tellement favorable. Pourquoi ?

On croirait à une corruption éhontée, venant s'ajouter à celle dont le gouvernement Libéral donne chaque jour de nouvelles preuves, mais Belinda est déja immensément riche; il est difficile de penser qu'une somme quelconque ait pu la détourner de son ambition. Une menace bien musclée ? Qui sait, mais, dans le contexte canadien, l'hypothèse de la menace est moins crédible que celle de la simple bêtise. Qu'est ce que le Vieux Monsieur a offert ? Mystère...

Mystère, mais il y a fort à parier que la population ne s'intéresse pas tant à ce mystère qu'à la meilleure façon de protéger les petites filles contre les vieux messieurs. A protéger la population-enfant contre l'indécence des politiciens qui se disent ses tuteurs, mais qui la séduisent pour en abuser. Comment se protéger , en démocratie, contre la corruption et la bêtise ?

La population ne voit pas de réponse à cette question. J'ai peur de cette impasse à laquelle on a conduit une population trop naive, dans ce pays peut-être trop tranquille. Il est urgent que l'on établisse une autre démocratie... Avant que la population ne réclame autre chose que la démocratie


Pierre JC Allard


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