2005/01/28
Bon voyage, Marcel
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Monsieur Marcel Tremblay d'Ottawa, 78 ans, vient d'annoncer qu'il va
nous quitter. Il va voyager au moyen d'un petit ballon d'hélium qui,
à défaut d'emporter dans les cieux son corps bien malade,
va faire que s'envole sa vie, son esprit, son âme... Appelez ça
comme vous voudrez, mais le petit ballon d'hélium va emporter l'essence
de Monsieur Marcel Tremblay. Aussi définitivement qu'on puisse le
faire, Monsieur Tremblay va partir. C'est son droit. Personne ne conteste
que Monsieur Tremblay soit majeur et sain d'esprit. Personne ne conteste
son droit au suicide.
Ce qui n'empêche pas une foule de gens d'y aller de leurs commentaires.
Tout le monde et son père a, qui un vieux fond de religiosité
qui le pousse à dire que lui ne le ferait pas, qui une expertise
qui l'autorise à nous dire que personne ne devrait le faire. Comme
si, qui que ce soit pouvait s'y connaître en "vie" et en
"désir de vivre". Peu de gens me mettent aussi en rogne
que ceux qui veulent compliquer la décision déjà bien
difficile d'un être humain de mettre fin à ses jours.
Cette fois c'est un quidam qui s'insurge que Monsieur Tremblay ait rendu
public qu'on puisse se suicider - sans douleur, semble-t-il - avec une simple
bonbonne qu'on trouve partout du gaz inerte dont on remplit les ballons
qu'on laisse ensuite s'envoler dans les fêtes foraines. Il trouve
inacceptable que les gens SACHENT comment mourir.... Si c'est trop facile,
d'autres le feront, qu'il nous dit. D'autres qui sont vieux, malades, souffrants
le feront...
Mais pourquoi ne le feraient-ils pas ? De quoi se mêle une société
qui affirme que vivre est un bien en soi, quel que soit le mal que la vie
apporte? Pourquoi véhiculer cette idée saugrenue que le courage
est de s'y accrocher sans raison ? Pourquoi ? Parce que la vie.... bon..,
bref.., vous savez... Non, je ne sais pas... et eux non plus.
Dès qu'on parle de suicide ou de suicide assisté, les
imbéciles font dévier le débat vers l'euthanasie, vesr
la dérive d'une société qui tue, alors que ce n'est
absolumentpas de ça qu'il s'agit. Il s'agit d'un être humain
qui évalue le coût/souffrance et le bénéfice/joie
de l'espérance de vie qui est la sienne et décide qu'il n'est
plus preneur. Une décision qui peut être parfaitement raisonnable.
Ne faudrait-il pas, au contraire, que TOUT LE MONDE sache comment mourir
? Que cette inévitable épreuve soit adoucie et que le choix
d'en sortir avec dignité, quand la vie n'a plus de joie à
offrir, soit facilité dans toute la mesure du possible ? On dirait
que notre société ne peut échapper à cette vision
moyenâgeuse d'une vie qui trouve son sens dans la souffrance.
Ce n'est pas manquer de respect envers la Vie que de n'en prendre qu'à
la mesure de son appétit; ce sont ceux qui veulent gérer la
vie des autres, pour apprivoiser leurs propres terreurs, qui manquent de
respect à la vie et à leur prochain... et qui ne sont pas
respectables. Même - et surtout - si ce ne sont pas des quidams, mais
des gens qui se veulent des modèles. Car il n'y a pas que les ignares
qui viennent dire des âneries quand on parle du suicide.
Margaret A Somerville, Directrice du Centre for Medicine, Ethics
and Law de l'Université McGill, est sans doute ce qui
se rapproche le plus d'une référence en matière d'éthique
au Canada. Elle a écrit un best-seller sur la question. On s'attendrait
à ce qu'elle prenne une position rationnelle . Mais c'est le politiquement
correct qui l'emporte et elle vient dire, aux journalistes qui l'interrogent,
des fadaises sur le rôle des médias voyeurs qui encouragent
indirectement ces décisions d'en finir par leur attention... et qui
ne devraient pas. C'est un crime d'encourager au suicide, et blah, blah,
blah...
"Si les journaux, n'en parlaient pas, la tentation serait moins
forte de vouloir faire de sa mort un message..." nous dit Madame la
Directrice. Mais pourquoi, justement, celui qui va mourir serait-il privé
de l'ultime satisfaction d'en faire un message ? Pourquoi celui qui se hâte
un peu de mourir pour quelque chose, en donnant tout ce qui lui reste à
donner, - qui sont sa lucidité et son acceptation - devrait-il se
joindre au troupeau des insignifiants qui le critiquent parce qu'ils trouvent, eux,
plus correct d'attendre... et de mourir pour rien ?
Elle ne nous le dit pas. Elle ne dit rien de pertinent. Mais comme on
ne peut pas, quand on est une sommité, dire seulemnt les mêmes
bêtises que tout le monde, Dr Somerville ajoute une perle académique
de son cru en mettant sur le compte d'un "intense individualisme"
ces décisions de plus en plus fréquentes de quitter la table
quand la valeur de la vie est desservie.
"Intense individualisme".... Comme si mourir n'était
pas, à bien juste titre, une décision individuelle et si décider
de mourir, en effet, ne devrait pas être un moment de grande intensité.
Elle propose quoi, la doctoresse, qu'on fasse un colloque et qu'on s'autorise
les uns les autres à mourir quand ça ne dérange pas
la société ? La doctoresse bien pensante me rappelle aujourd'hui
ces médecins qui refusent de prescrire de l'héroine aux moribonds
qui souffrent, sous prétexte que ceux-ci pourraient développer
une dépendance.... Ce sont des gens que je ne trouve pas sympathiques.
Elle, vous, moi... on prendra tous le train. Marcel Tremblay prend le
train qu'il veut. Il a tout mon respect. Bon voyage, Marcel.
Pierre JC Allard
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