2002/04/24
ALLEZ, MARIANNE, DIS-LUI QUE TU L'AIMES
Depuis qu'elle est devenue veuve du grand Charles, la Marianne, c'est
pas tous les jours qu'on lui "déride les fesses", comme
disait Brassens; 99 fois sur 100, la France s'emmerde en votant. Alors elle
a ses caprices, la Marianne, comme ses mariages à trois quand elle
cohabite avec mari et amant. Mais, ça, ce sont les jeux innocents;
comme le troussage de jupon au bistro, quand Mamère lui parle en
vert ou que le petit Hué lui lit du Maïakovski. Ça reste
entre amis. Chacun a ses positions libidinales - qui sont toutes la même
- et Marianne garde la sienne.
Mais quand Marianne a vu le grand tatoué au bar, qui parlait
sur un autre ton et qui avait l'air d'avoir du muscle à la cuisse,
ça lui a fait un petit chaud au coeur et même un peu partout.
Ça lui rappelait sa jeunesse: "89, "48... Alors elle a
craqué.
Pas beaucoup. Pas la main baladeuse, juste un petit clin d'oeil. Mais
ça leur a fait un de ces effets, aux habitués ...! Oh la la
! "Marianne n'est pas heureuse" - qu'ils se sont dit ; "on
ne fait plus jouir Marianne !"
Et tous les petits copains, inquiets, de se dire qu'il fallait surtout
vider le grand mec et garder Marianne au foyer. "Vas-y. Jacques, c'est
toi le mari. Séduis-la, mon vieux!" Ah, si seulement ils n'avaient
pas tous dit la veille que Jacques était impuissant, sentait mauvais
et n'était pas propre, propre entre les doigts de pieds!
Alors, à tour de rôle, tous ces potes qui se sont envoyé
Marianne (plutôt mal que bien), ou qui rêvent de la sauter,
tous de la même façon, viennent lui chuchoter à l'oreille
les vertus de la fidélité. Nous sommes tous avec Jacques,
Marianne. Jacques, il te le fait comme nous; c'est un type bien, Jacques.
Les mecs différents, ça peut être dangereux; tu te souviens,
au bar d'en face, ce type à moustache qui sortait de nulle part et
qui soudain a brandi un fusil ?
Et crois-tu que, si tu partais, la banque te rendrait ta part de l'argent
du compte commun? Pas de bêtises, Marianne. Allez ! Finis les marivaudages;
bouche-toi le nez, prends Jacques dans tes bras et dis lui que tu l'aimes.
Dis le lui très fort.
*
J'ai écrit sur ce site des centaines de textes pour proposer
une société pluraliste et de tolérance qui est aux
antipodes de ce que propose Le Pen. Cela dit, je pense que la réaction
des élites politiques françaises au duel Chirac-Le Pen est
d'une incommensurable bêtise.
Tactiquement bête, quand elle appelle 80 % d'électeurs
qui ont dit NON à Chirac la semaine dernière à devenir
80% d'électeurs qui lui dironnt OUI au deuxième tour, parce
qu'en mettant la barre aussi haut, on offre à Le Pen un succès
dont personne ne peut mesurer l'ampleur. En exigeant 80% pour Chirac, on
peut voter pour lui tout en le traitant de minable s'il n'en obtient que
75%; mais le corollaire, c'est qu'on va transformer en triomphe pour Le
Pen le fait d'obtenir 25 % des suffrages, ce qui, objectivement, sera pourtant
l'échec électoral le plus cuisant de l'histoire récente.
Et comme tous les petits copains n'ont pas vraiment peur de Le Pen -
mais ont gros à gagner à faire de Chirac un minable - personne
ne sait, quoi qu'ils disent, comment ils voteront VRAIMENT. Supposons que
ce n'est pas 25, mais 30, 35, 40% du vote que va chercher Le Pen.? Qu'est-ce
qu'on dira aux Français et aux partenaires de la maison Europe? Que
c'était une astuce et qu'on s'est tiré dans le pied ?
Bête sur le fond, aussi, cette stratégie de vouloir ignorer
Le Pen et de refuser le débat; car est-ce que la démocratie
néo-libérale n'est applicable qu'aux néo-libéraux
bien-pensants - comme la démocratie soviétique ne s'appliquait
que dans le cadre de la "légitimité socialiste"
? Quand on refuse le débat avec Le Pen, on dit à 4 millions
de Français que leur opinion est si mauvaise qu'on fera comme s'ils
n'existaient pas et ce n'est pas ça, la démocratie. Quand
je lis des éditorialistes qui proposent de baliser la démocratie
pour protéger le peuple de lui-même, je ne marche plus du tout.
C'est ça qui mène à un système américain,
où le seul droit du peuple est de choisir entre deux guignols interchangeables
à qui on ne permet d'avoir qu'une seule et même politique.
Je pense, moi aussi, que Marianne a mal choisi son dernier flirt, mais
je trouverais inacceptable qu'on lui interdise de regarder tous ceux qui
viennent au café, quelles que soient leur race, leur religion ou
leurs opinions. Il n'y a personne auprès de Marianne qui puisse lui
inspirer une grande passion, et ça. elle l'a dit bien clairement.
On escamote trop facilement la leçon LA PLUS IMPORTANTE de ce scrutin,
qui n'est pas que Le Pen ait obtenu plus de suffrages que Jospin mais que
l'abstention soit devenue - et de loin - le premier choix des Français.
Laissons Marianne se chercher une passion. Elle est trop jeune pour
passer la main et le monde a encore besoin d'elle.
Pierre JC Allard
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