98.11.18
C'EST L'AVIRON, QUI NOUS MÈNE....
Il semble bien que le champion en titre va garder sa ceinture et que
Lucien Bouchard présidera encore pour un autre mandat (au moins)
au destin du Québec. C'est un choix de la population qui ne me surprend
pas. J'ai vu moi aussi, comme tout le monde, les deux hommes et les deux
machines s'affronter. J'ai compté les coups et j'ai ai conclu que,
si les choses doivent rester ce qu'elles sont, il vaudrait mieux, en effet,
garder à l'affiche celui qui a eu le talent indéniable d'offrir
l'image la plus sereine, le plus rassurante, la plus habile... et garder
au pouvoir la machine qui a su créer cette image.
Une machine tellement plus intelligente, tellement mieux rodée que
sa rivale... Car il fallait du génie pour maintenir à 55%
le taux de satisfaction envers un gouvernement qui a saboté le système
de santé, laissé péricliter l'éducation, tout
sacrifié au mythe néo-libéral de l'équilibre
budgétaire aux mépris des besoins de la population et dont
toute la vision de l'avenir tient à un référendum incertain
menant à une très problématique indépendance.
Il fallait d'autant plus de génie pour le faire que la population
est tout à fait consciente des failles du régime. Elle est
notoirement insatisfaite, entre autres, de ce qu'on a fait du réseau
de la santé et elle ne veut pas d'un référendum. Pourtant,
elle va choisir de reporter le PQ au pouvoir. Et elle le fait en toute lucidité.
Heureusement, en effet, elle ne le fait pas parce qu'elle croit aux balivernes
des politiciens et pas plus aux promesses du PQ qu'à celles des Libéraux
! Selon un sondage (Sondagem, Le Devoir 17 novembre) 78,1 % des Québécois
y croient &laqno;peu ou pas du tout» ; 61,7 % sont d'avis que les
chefs des partis ont fait trop de promesses et 66,9 % non seulement ne croient
pas que le gouvernement élu réalisera ses promesses électorales
mais ne croient même pas que ces promesses soient réalisables...
!
Mais si la population ne croit pas un mot de ce qu'on lui dit, comment choisit-elle
ses chefs? Un ami anglophone qui a lu Lafontaine m'a dit, pour résumer
cette élection: "les grenouilles veulent un roi..." Je
ne crois pas que nous soyons si bêtes. Je crois que la population
incrédule va élire le PQ parce qu'elle ne croit plus que quelque
parti que ce soit puisse changer la situation; toutes choses étant
égales, elle préfère donc voter pour le chef le plus
sympathique, l'équipe qui lui semble la plus astucieuse.... "J'ai
point choisi, mais j'ai pris la plus belle. C'est l'aviron, qui nous mène
en rond..."
Ce qui ressemble aux Américains qui soutiennent Clinton parce qu'il
a une bonne bouille... ou au personnage principal de "1984" qui,
ayant subi toutes les avanies et perdu toutes ses illusions, voit VRAIMENT
ce qu'on veut qu'il voit et n'attend même plus qu'on le lui suggère
pour crier "Long Live Big Brother".
55 % de la population est satisfaite. On va ré-élire Bouchard
pour ne pas élire Charest. On fait avec ce qu'on nous offre. C'est
une explication, mais ce n'est pas une excuse. Car, pendant qu'on "fait
avec", une nouvelle est passée presque inaperçue: le
Conseil Scolaire de l'Île de Montréal va déplacer 100
000 $ du poste "éducation interculturelle" de son budget
pour acheter de la nourriture aux enfants qui ne peuvent plus suivre leurs
études parce qu'ils n'ont rien à bouffer à la maison.
Un montant bien insuffisant, dit le Conseil, c'est un million de dollars
qu'il faudrait...
Ces milliers de familles dont les enfants n'ont rien à manger se
rangent-elles parmi les 45 % d'insatisfaits? Peut-être, mais rien
n'est moins sûr. Il y a fort à parier, au contraire, que la
manipulation a si bien investi la démocratie qu'environ 55% d'entre
elles, comme les autres, sont "satisfaites" du régime.
Pauvres comme riches, perdants et gagnants, nous sommes devenus des incrédules
satisfaits par notre propre incrédulité, comme ces femmes
qui feignent de jouir parce qu'elles ont cessé de croire à
l'orgasme.
Les familles dont les enfants ne mangent pas à leur faim ne sont
sans doute ni plus ni moins incrédules - et donc ni plus ni moins
satisfaites - que la moyenne de la population. Elles ne sont ni plus ni
moins désespérées que les autres incrédules
de voir le jour où on leur offrira un véritable choix entre
DEUX programmes, entre DEUX politiques, plutôt que le choix simpliste
entre deux images, entre deux voix en canon qui chantent un même refrain.
Pierre JC Allard
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