97.10.15
MOURIR POUR DES IDÉES
On se fait à tout. Notre société, dans la années
"40, s'est habituée à la conscription et au rationnement;
elle s'est habituée à la télévision dans les
années "50, puis il y a eu l'éducation pour tous, la
révolution sexuelle, la drogue omniprésente. Retour du pendule,
on a vu ensuite l'économie stagner, le chômage augmenter, les
inégalités sociales s'aggraver ... A travers tous ces changements,
il n'y a guère eu d'autre constante que cette capacité apparemment
infinie de la population à les accepter. Où se situe la limite
de l'intolérable ?
Deux patientes, en attente de greffes pulmonaires, viennent de décéder...
en attendant. Il n'y a pas que la vitesse qui tue: la lenteur, l'hésitation,
l'indécision tuent elles aussi. Deux personnes sont mortes. Tout
se passe comme s'il ne s'agissait que d'une péripétie secondaire
d'une affaire plus importante - le transfert ou non, de Montréal
vers Québec, du programme de greffe pulmonaire du Ministère
de la Santé et des Service sociaux.
Deux personnes sont mortes. Leur jeune médecin s'indigne? "Tut,
tut..." - nous dit en d'autres mots l'ex-président du Collège
des médecins - "C'est que ce jeune médecin est bien jeune
et bien naïf; il faut lui pardonner d'avoir dit tout-haut que le Ministère,
le Ministre et le Gouvernement portaient une part de la responsabilité,
alors que le Collège des médecins, bien sûr, prétend
qu'il n'en est rien".
Il est vrai - nous dit toujours l'ex-président - que le Ministre
s'est servi du Collège des médecins pour tenter de laver sa
réputation et que le Collège des médecins a eu tort
de jouer ce jeu... mais bon, passons. Pardonnons à ce jeune médecin
naïf...
Pardonner? Je ne comprends pas que ce jeune médecin naïf ne
reçoive pas des félicitations publiques. Je ne comprends pas
qu'un population qui semble bien bonasse, des médias dont on vante
l'influence et le pouvoir, un chef de l'opposition dont on pourrait penser
qu'il est là pour ça, ne demandent pas des comptes au Ministre
et au gouvernement.
Il y a eu mort d'homme. Deux personnes sont mortes pour une idée.
L'idée de déplacer des programmes et des ressources comme
des pièces sur un échiquier, et d'amuser ainsi le bon peuple
pendant que les vrais problèmes de la santé vont en s'aggravant.
Parce qu'il faut bien voir que cette affaire de transfert de programmes
n'est elle-même qu'une escarmouche. La vraie guerre, le vrai problème,
c'est la razzia concertée pour enlever un plus à ceux qui
ont peu pour donner encore plus à ceux qui ont beaucoup.
Il y aura de plus en plus de morts et de souffrances injustifiées,
parce que l'État a décidé que ses vraies priorités
sont de boucler son budget et de réduire sa dette, pas d'offrir à
la population des soins de santé de plus en plus complets et efficaces
à la mesure de nos besoins et des compétences dont nous disposons.
On parle de chômage, mais on met à pied, on limoge, on précarise,
on envoie à la retraite anticipée des milliers de professionnels
qu'on a éduqués à grands frais pour la collectivité.
On se prive de ces ressources compétentes, alors que l'état
de santé de la population se détériore et que nous
AVONS BESOIN de ces ressources. Comme si le niveau de civilisation se mesurait
en argent, alors qu'il ne s'est jamais mesuré autrement qu'en justice,
en culture, en services rendus à la population.
Pourquoi sommes-nous à détruire systématiquement la
structure de services sociaux que nous avons mise en place? Parce que la
décision ferme a été prise, par ceux qui nous gouvernent,
de réduire le plus possible les services essentiels offerts à
tous pour privilégier l'accès des mieux nantis au superflu.
Comment nos gouvernants peuvent-ils se permettre ce choix inhumain? Parce
qu'une part croissante de la population, de plus en plus pauvre et de plus
en plus mal éduquée - et donc de moins en moins branchée
sur la réalité politique et de plus en plus manipulable -,
ne représente plus un contrepoids crédible aux exigences d'une
minorité d'exploiteurs. Ceux qui sacrifient ainsi la solidarité
sociale pour une poignée de dollars ne comprennent pas que ces dollars
n'ont d'autre valeur que celle que leur assure un consensus qui ne peut
se maintenir sans cette solidarité. « Ceux qui ignorent l'histoire
sont condamnés à la revivre..»
Pierre JC Allard
Page précédente
Page suivante
Litanie des avanies
Retour à l'accueil