97.10.01
PRIORITÉ : DROGUE OU VIOLENCE ?
Aujourd'hui on nous annonce le suicide d'un adolescent, le quatrième
suicide en moins de 8 mois, d'un étudiant d'une même école
de la Rive-Sud. On en fait les manchettes. On commence à se poser
des questions. Bon, il était temps !
En fait, c'est trois suicides trop tard. Pourquoi personne ne s'est-il inquiété
SÉRIEUSEMENT plus tôt ? Sérieusement, ça veut
dire en allant au fond des choses et en prenant toutes les mesures que la
société peut prendre pour que la vie garde un sens pour ces
jeunes.
Bien sûr, la société ne peut pas tout faire et chaque
individu est finalement confronté à des choix qui découle
de sa condition humaine. Mais si la société faisait au moins
ce qu'elle peut faire? Quand on mentionne comme l'une des causes du suicide
l'extorsion systématique pratiquée sur les jeunes par des
gangs de voyous, je trouve révoltant qu'un directeur d'école
vienne nous dire que, somme toute, c'est à la police de faire son
travail et que tout ça n'est pas ses oignons.
Je trouve ahurissant que des membres du personnel de la même école
prétendent faire la part des choses en nous disant que la crainte
de l'extorsion n'est sans doute pas le seul facteur en cause. Je trouve
navrant qu'un policier vienne nous dire, avec un air suffisant, que les
choses «ne sont pas si simples...» .
Nous savions déjà que les choses ne sont généralement
pas simples. Nous savions déjà qu'il y a généralement
plus d'une raison à un suicide. Mais, les généralités
mises à part, est-ce que maintenir la sécurité dans
et autour d'une école n'est pas une priorité pour une société
civilisée ?
Est-ce que ce n'est pas là une condition essentielle pour que l'école
demeure un lieu pour apprendre - (idéalement pour éduquer,
mais on n'y rêve même plus!) - pas un souk où s'enseigne,
en travaux éminemment pratiques, les rudiments de la violence, du
vol, de l'extorsion? Comment peut-on permettre que les écoliers et
les étudiants vivent dans la peur ?
Ironie du sort, les nouvelles télévisées nous montrent
ensuite, dans la même foulée, un impressionnant dispositif
policier activé pour cueillir quelques revendeurs de pot qui ne font
que répondre à une demande publique bien réelle.
Comment un gouvernement civilisé peut-il consacrer le plus clair
de ses ressources policières à lutter contre le trafic des
stupéfiants ... alors que la violence est partout et que des crimes
autrement plus impardonnables - comme l'extorsion - demeurent impunis, voire
incontrôlés ?
Il faut être intellectuellement défavorisé pour ne pas
voir que la lutte contre la drogue n'a d'autre résultat que de maintenir
élevé le prix de substances dont le coût de production
est minime... et donc d'en tirer un profit énorme. Profit que se partagent
les aventuriers criminels qui en assurent la distribution à tous
les niveaux... et les gouvernements dont les lois soutiennent le marché.
Les perdants? D'abord ce sont ces 10 à 12 % de la population qui
sont prédisposés à l'assuétude (addiction) et
qui, une fois «accrochés», consomment à n'importe
quel prix: ils constituent un autre groupe de ces «faibles»
que le système néo-libéral s'est donné pour
mission de rançonner au profit des «forts».
Ensuite, ce sont les victimes des crimes commis par les «accros»
qui ne peuvent plus payer les prix artificiels du marché des drogues.
Il y a, à New-York, 400 000 drogués qui doivent trouver en
moyenne USD $ 150.00 par jour pour satisfaire leur assuétude. Combien
à Montréal? Quel pourcentage des crimes de violence commis
sont reliés à la drogue, pas à son usage même,
mais au besoin de fric pour s'en procurer?
Enfin, il y a nous tous. Nous tous qui vivons dans un climat de violence
et d'insécurité qui est la conséquence directe de la
volonté de l'État que se vende 100 $ une poudre qui ne vaut
pas un cent. Une volonté qui n'est pas innocente. Car doit-on plutôt
penser que nos gouvernants sont des irresponsables sans jugement.... ou
bien qu'il existe quelque part, dans la structure du pouvoir, quelques ordures
qui tirent leur profit de la lutte au trafic et du sang versé à
mener cette lutte futil
Demain, ou plus tard, on nous dira que ceux qui extorquaient l'argent
des adolescents de Longueil étaient des drogués. Je le regrette
pour eux, mais ce n'est pas ma première priorité. Ma première
pensée c'est ceux qu'on tue et ceux qu'on terrorise. Je voudrais,
dans un premier temps, qu'on ramène vers leur premier devoir, qui
est de protéger les citoyens, ces policiers dont on gaspille l'énergie
à jouer au cow-boys avec les trafiquants.
Je voudrais, dans un deuxième temps, qu'on cesse ce soutien ignoble
au prix des stupéfiants qu'on camoufle sous le couvert d'une guerre
à la drogue. Une guerre qui n'a nulle raison d'être ni aucune
chance de succès.
Pierre JC Allard
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