"Mon Dieu, Mon Dieu... Ils ont vidé la caisse!"
C'est John Diefenbaker, je crois, qui a été le premier à
renier toutes ses promesses au lendemain des élections, sous le prétexte
que la situation financière du pays était "pire que tout
ce qu'il avait pu imaginer". Et personne depuis n'a eu plus d'imagination.
C'est devenu une formalité pour chaque nouvel élu de se défaire
ainsi en bloc de toutes ses obligations.
Non, mais ça va pas? Vous avez là un homme qui a pu se faire
élire par son parti d'abord, qui a convaincu ensuite le pays tout
entier qu'il était moins bête que son adversaire, un monsieur
dont on peut raisonnable-ment supposer qu'il accorde une certaine attention
aux affaires publiques, et il vient nous dire qu'il ne pouvait pas "s'imaginer..."
Mais qui lui demande d'imaginer? Le budget de l'État est-il un secret?
Les engagements de l'État ne sont-ils pas connus? Le futur Premier
Ministre et ses conseillers ne savent-ils vraiment pas où en est
le pays quand ils offrent d'en prendre le contrôle? Mais alors, tous
ces plans? Des paroles en l'air ?
Des paroles en l'air, puisque RIEN, dans notre système politique,
n'oblige un politicien à remplir ses promesses. Un politicien peut
dire n'importe quoi avant, et faire n'importe quoi après une élection.
Ce qui a été dit n'a pas valeur de contrat. Est-ce bien ce
qu'on a en tête quand on parle de démocratie: un mandat en
blanc pour faire n'importe quoi? Non, bien sûr, n'est-ce pas? Eh bien
vous avez tort! La réponse est "oui". Dans une démocratie
représentative, le gouvernement élu peut faire n'importe quoi.
La loi dit que les représentants font tout ce qu'ils
veulent: le Parlement est souverain. La réalité, c'est qu'ils
font tout ce qu'on leur dit de faire. Et d'abord, les représentants
élus du peuple ne font pas ce que leurs électeurs voudraient
qu'ils fassent, mais ce que leur parti leur dit de faire.
Ce n'est pas un abus de confiance, ni de la fausse représentation,
c'est la règle du jeu! Un député doit voter selon la
ligne de son parti, sans quoi il en est exclu; ce qui signifie qu'il ne
sera sans doute pas réélu mais bientôt remplacé
par quelqu'un qui suivra les directives du parti.
Les directives du parti sont données par le whip nommé
par le Chef du parti. Et qui nomme le Chef du parti? Une convention organisée
par des employés permanents du parti, eux-mêmes choisis un
à un par la structure du parti, laquelle est mise en place par les
"organisateurs". Les organisateurs ne sont pas élus, mais
ce sont eux qui dirigent un parti.
Les organisateurs sont en contact direct avec ceux qui financent les partis:
les "lobbies". Un lobby, c'est un groupe de pression. Un lobby
peut représenter un groupe ethnique, un secteur de l'industrie, une
grande compagnie. Ceux qu'ils représentent ont des intérêts
en commun - qui ne sont pas toujours les nôtres - et ce sont eux qui
assurent le financement des partis politiques.
Les lobbies financent les partis et, en retour, sont "consultés"
à l'occasion. Cette structure bien hiérarchisée suffit
pour que soit faite la volonté de ceux qui détiennent vraiment
le pouvoir dans notre société démocratique.
Vox populi, vox Dei, disaient
les Romains: la voix du peuple est la voix de Dieu... Tu parles! En fait,
dans notre démocratie dirigée, du pouvoir des lobbies aux
députés silencieux, de solidarité ministérielle
en manipulations de l'opinion et en corruption, la voix du peuple n'est
pas écoutée.
Pour constater à quel point cette voix n'est pas écoutée,
comparez les priorités de l'État - telles que révélées
par le budget par ministères de l'État -avec les priorités
du monde ordinaire.
Désiriez-vous vous vraiment, en 1991, que 12 milliards de dollars
de votre argent serve à la Défense Nationale? Est-ce que vous
souhaitiez que 28 % du budget, c'est-à-dire 43 milliards de dollars
servent à payer des intérêts aux mieux nantis alors
que 20 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté?
Attention! Nous ne disons pas qu'il soit possible ou même opportun
de changer ces chiffres; nous disons seulement que, de toute évidence,
ils ne correspondent pas à ce que veut le monde ordinaire: la voix
du peuple est étouffée. Et pas seulement sur des questions
d'intérêt matériel.
Par exemple, est-ce que la politique actuelle du Gouvernement concernant
cette question de l'avortement est bien celle d'une majorité de la
population? Et l'État n'a-t-il pas supprimé la peine de mort,
alors que les sondages révèlent que la majorité est
encore en faveur de la peine capitale? Nous ne disons pas que le peuple
a raison; nous soulignons seulement que notre démocratie représentative,
dirigée et manipulée, n'exprime pas toujours la volonté
populaire. Ceci est un fait.
La politique du pays est faite par une élite. Une
élite composée de ceux qui représentent les divers
groupes de pression, de ceux qui contrôlent la richesse et la production,
de ceux aussi qui manipulent la pensée et les opinions. Cette élite,
dont la pensée politique va du centre-centre-gauche au centre-centre-droit,
a pour objectif que les choses ne changent pas.
Ce sont les choses telles qu'elles sont qui ont permis que cette élite
soit en place, et elle entend le rester. Cette élite peut être
conservatrice ou libérale dans son discours, mais elle est d'abord
un bloc solide opposé au changement.
Il y a d'autres sortes de démocratie que la démocratie représentative.
Les Grecs qui l'ont inventée, par exemple, voyaient la démocratie
comme une chose plus dynamique, avec tous les citoyens sur l'agora, la
place publique, exprimant bruyamment leurs opinions sur tout et n'importe
quoi, et jamais très loin de sortir leur glaive pour les faire triompher.
La démocratie directe "à l'athénienne" fonctionnait
surtout à grands coups de têtes et grands coups de coeur, était
généralement incohérente, et menait au chaos.... d'où
sortait, tôt ou tard, un homme "providentiel" qui imposait
sa dictature et ramenait l'ordre. Pas très amusant non plus.
Mais entre la démocratie ignare mais survoltée de l'agora
et les lobbies, n'est-il pas possible trouver autre chose qui permette d'appliquer
de façon cohérente la volonté d'un peuple tout de même
plus éduqué et renseigné que ne l'ont jamais été
les Grecs de l'Age d'Or?
La démocratie à l'athénienne ne fonctionne
pas, car on ne peut pas demander au monde ordinaire de concevoir et d'appliquer
eux-mêmes une politique cohérente. Mais nous croyons, cependant,
que les gens sont tout à fait capables de choisir par eux-mêmes
celle qu'ils préfèrent parmi diverses politiques cohérentes
qui leur sont présentées. Sinon, on n'a plus à parler
de démocratie.
Ce qu'il nous faudrait, donc, c'est que chaque parti politique - et qu'il
y en ait autant qu'on voudra! - propose une politique claire et cohérente
pour une période de quatre à cinq ans, et que le peuple choisisse
entre ces diverses politiques. Que chaque parti explique clairement sa vision
des objectifs à atteindre, précise le budget de ses ministères,
le coût des programmes qu'il réaliserait, de même que
les taxes et impôts qui lui permettraient de financer les activités
proposées.
Au lieu de choisir entre de vagues promesses - qui de toute façon
ne seront pas tenues! - nous pourrions choisir entre de véritables
plans d'action, dont celui du parti élu DEVRAIT obligatoirement être
réalisé. Le plan que proposerait un parti serait une offre
de services que ferait un parti qui se croit capable de réaliser
certains objectifs, au peuple qui lui en donnerait alors le mandat. L'élection
deviendrait un contrat.
Si le gouvernement ne réalisait pas ses programmes dans le temps
et pour le coût prévu, avec une marge d'erreur raisonnable,
il serait dissout et une autre élection devrait avoir lieu. Dans
ce système de contrat électoral, c'est le peuple qui choisirait
l'orientation qu'il désire.
Dans la démocratie contractuelle, les rôles
des partis, de leurs chefs et des députés sont changés.
Le parti est un ensemble de gens qui ont une vision de la société
et qui proposent un plan concret de gouvernement du pays pour une période
de 4 à 5 ans. Afin d'éviter que n'importe quel farfelu ne
lance un parti, il faudrait 1000 signatures assermentées pour qu'un
parti soit reconnu.
Un parti propose un plan et aussi un candidat à la Présidence
qui, s'il est élu, aura comme aux Etats-Unis la responsabilité
d'appliquer le plan et de désigner les ministres. A la différence
d'un régime à l'américaine, le candidat pourra toutefois,
s'il le désire, indiquer à qui il confiera les divers ministères
ou programmes. On voit tout de suite qu'un parti qui alignera une équipe
de personnalités prestigieuses prêtes à occuper les
divers postes de son administration aura, face à l'électorat,
une meilleure crédibilité. Et c'est bien ainsi que les choses
devraient être.
Les députés? Ils représentent leurs électeurs,
surveillent et interrogent le gouvernement; quand celui-ci soumet à
l'Assemblée des députés le texte final des lois, ce
sont eux qui décident s'il est ou non conforme à ce qui a
été promis. Une fois par mois, à tour de rôle,
le Président et chaque ministre présentent aux députés
un rapport d'avancement des travaux.
Des députés sont aussi nommés par l'Assemblée
pour suivre le travail de chaque ministère. Le peuple est le client,
le gouvernement est l'expert, le député est celui qui, au
nom du client, vérifie le travail. Si l'Assemble vote un rapport
annuel d'évaluation négatif du gouvernement, celui-ci est
révoqué.
Le mandat terminé, il y a élection. Le processus
d'élection du Président, de son programme et des députés
commencerait 60 jours avant la fin du mandat du gouvernement au pouvoir.
Il débuterait par la publication dans tous les journaux, des programmes
des partis reconnus, et celle des curricula des candidats à l'Assemblée
dans leur circonscription respective. Les candidats ne représenteraient
pas un parti - ce qui serait un non-sens, puisqu'ils doivent juger impartialement
de l'action du gouvernement - mais seraient indépendants et présumés
élus pour ce qu'ils sont: pour leur expérience et leur crédibilité.
Au cours des 30 jours suivants, les partis expliqueraient leur programme.
On accorderait à chaque parti quatre heures d'antenne à la
radio et à la télévision, et les experts, journalistes
et représentants de groupes de pression, pourraient y aller de leurs
commentaires. Après 30 jours, un premier tour de scrutin élirait
le parti et ceux des candidats qui auraient obtenu la majorité absolu
des suffrages. Dans les autres cas, un second tour de scrutin permettrait
de trancher entre les deux partis ou candidats ayant obtenu le plus de votes
au premier tour.
C'est une autre voie. Si vous aviez le choix, est-ce que vous ne préféreriez
pas ce mode de gouvernement? Choisissant ce que le gouvernement fait, combien
d'argent il dépensera et sur quels programmes... et les taxes et
impôts qu'il vous exigera? N'aimeriez-vous pas mieux un gouvernement
à contrat?