Signé X
Il y a des publications dont il est préférable de rester
absent, afin de ne pas cautionner leurs défauts quand ceux-ci ont atteint un
degré réellement inacceptable ; comme on peut aussi se flatter que notre mémoire
s’effacera de l’esprit d’un public abusé et docile, excepté néanmoins du petit
nombre de ceux qui ont une idée plus exigeante de la vérité.
Les lecteurs de la
« Correspondance » de Guy Debord publiée par Fayard ont désormais
entre les mains le sixième volume d’une passoire qui espère faire oublier ses
trous.
On savait
déjà que cette « Correspondance » n’en est pas une, et n’en a que le
nom, puisqu’il a été décidé d’en éliminer intégralement tous les courriers
adressés à Guy Debord : défaut largement suffisant pour la
disqualifier ; on savait également, plus accessoirement, que comme le
rappelle le debordologue Bourseiller, elle comporte d’importantes lacunes parmi
les lettres écrites par Debord, par exemple à Michèle Bernstein, à
Jacqueline de Jong, à Michèle Mochot-Brehat, et qu’elle fait l’impasse sur de
nombreuses cartes postales et mots brefs, pas forcément négligeables ; on
sait aussi qu’elle n’a pas repris la lettre à Daniel Denevert du 26 février
1972, dont l’importance est pourtant tout à fait incontestable ; et, petit
détail particulièrement remarquable, on est bien obligé de constater qu’elle ne
souffle mot de tout cela, ce qui n’arrange évidemment rien.
Quant aux
personnes qui ne se sont pas opposées à la publication des lettres qui leur avaient
été adressées, elles admettent donc, de fait, qu’une édition puisse présenter
de tels défauts, et qu’elles la trouvent néanmoins acceptable.
A n’en pas douter, certaines parmi elles éprouvaient quelque
envie de manifester leur désapprobation, mais il faut croire que l’envie se mue
vite en humeur passagère, et quand on a l’habitude de se dire qu’il n’y a rien
à faire, on finit par ravaler sa salive. D’ailleurs, pour quelques uns, le
plaisir secret de voir leur patronyme apparaître dans cette anthologie
médiatisée ne l’emportait-il pas finalement sur le déplaisir d’accepter de si
méprisantes, et méprisables conditions ? Pour d’autres encore, toujours
prêts à faire dans le positif, il aura importé de ne pas entraver la
publication de « la Correspondance de Guy Debord », moyennant quoi
ils auront contribué à n’en faire qu’une monstruosité hémiplégique, le
contraire de ce qu’on pouvait attendre et qui aurait pu justifier leur soutien.
On peut aussi voir ces questions autrement. C’est pourquoi
j’ai envoyé aux Editions Fayard, en date du 5 avril 2006, une lettre
recommandée dans laquelle je rappelais que plusieurs volumes déjà publiés
illustraient leur approche unilatérale et déformante d’une correspondance,
amputée de tout répondant ; que, par un artifice de ce genre, leur
politique d’édition présentait les interlocuteurs de M. Debord comme réduits au
mutisme, et incapables d’avoir inspiré, alimenté ou contredit ce que celui-ci
avait exprimé dans ses propres lettres ; que je n’avais certes pas l’intention
de discuter de questions de méthodologie avec un éditeur aussi diversifié que
celui du collaborateur Brasillach et du pape Ratzinger, ou de sommités aussi
indiscutables que Jacques Attali et Guy Sorman, mais que, plus modestement, je
me contentais d’interdire formellement la publication des lettres que m’avait
adressées M. Debord entre 1985 et 1989, ainsi que celle des parties me
concernant dans les courriers par lui adressés à des tiers ; parce qu’il
ne pouvait être question pour moi de participer, même involontairement, à une
opération de déformation aussi grossière et aussi systématique.
La lecture du Tome 6 montre que les Editions Fayard ont
donné suite à cette demande. Je ne peux que m’en déclarer satisfait, en les
encourageant à poursuivre ainsi avec le Tome 7.
Du coup,
d’aucuns seront probablement surpris, voire mécontents, de constater qu’il
suffisait de demander pour obtenir, et qu’il est désormais manifeste qu’eux
n’ont rien fait de tel. D’autres, moins instruits de ces circonstances, se demanderont
qui donc est le mystérieux « X » qui apparaît de façon répétée, dans
certains courriers. D’autres encore concluront que la proportion de courrier me
concernant était de faible importance, et que sa disparition n’est pas une
grande perte. La modestie m’interdisant de contredire ces derniers, je crois
néanmoins devoir faire observer qu’ils ont tort puisqu’ils ne disposent plus,
par exemple, de l’importante lettre adressée par Debord à Jean-François Martos
et à moi-même le 9 septembre 1987, lettre dans laquelle il alimentait de façon
détaillée la rédaction d’un pamphlet contre ceux dont, si peu de temps
auparavant, il était encore l’ami le plus enthousiaste (l’Encyclopédie des
Nuisances).
Pour ma part, il me semblait plutôt que, lorsque la qualité d’une
édition s’avère aussi déplorable, on se doit de l’aggraver encore, afin de
rendre la honte encore plus honteuse. Cela m’apparaît en tout cas plus conforme
à l’esprit de l’époque que ces courriers relatent, et qui a disparu, d’une
façon si massive, du temps de leur publication.
Mon seul
regret en la matière porte sur une certitude désormais établie : si
d’autres correspondants, même en petit nombre, avaient adopté la même attitude
que la mienne, la pression aurait notablement augmenté en faveur d’une édition
acceptable, hypothèse qui est maintenant suspendue à un avenir des plus
incertains. Ainsi, ceux qui n’ont pas agi partagent pleinement la
responsabilité de cette édition postiche, et il importe peu, désormais, de
savoir s’ils en sont mécontents ou flattés, ou, le plus probablement, les deux
à la fois.
Le 3 février 2007
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