Dans le monde de
l’inversion spectaculaire,
le réel est condamné
à rester désespérément
minoritaire
On rapporte sous différentes formes une
citation de Brecht qui, sous ses airs de boutade, révèle tout le secret des
pouvoirs « politiques » de notre époque.
On cite, par exemple : « puisque le
peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple » ;
ou encore : « si le parti communiste et le peuple ne sont pas
d’accord, il n’y a qu’à dissoudre le peuple ».
Le pari à tenir pour les « hommes
politiques » consiste en effet à camoufler que tout pouvoir sur la vie est
confisqué, notamment par les puissances économiques, et à simuler que par
l’intermédiaire de leur « représentation », ce pouvoir appartiendrait
encore au peuple.
Dans les instants de crise, ce mensonge tient
difficilement. Les « représentants du peuple », confrontés au peuple
et mis au pied du mur de leur rôle d’usurpateur, adoptent donc, nécessairement,
des formules plus ou moins swiftiennes révélant le paradoxe de leur existence,
et exprimant leur désarroi.
Qu’ils sont beaux, ces rares moments où
affleure la vérité. Pendant que nous séjournons dans les cellules de la prison
que le profit a érigées partout, nous devons les collecter, et honorer en elles
le signe que, tout renforcé qu’il est par d’innombrables techniques
d’illusionniste, le mensonge demeure fragile, et devient transparent à la
première occasion : quand il voit en face de lui la réalité, qui le
dément.
Généralement, ce n’est pas dans la logorrhée
répressive qu’on voit se profiler ce genre d’aveu, mais dans la bouche de ceux
qui font profession de foi de respect pour l’humanité en général, et pour les
miséreux en particulier. Ainsi, tandis que le vilain gnome Sarkozy aiguise les
couteaux et érige les miradors dont il espère qu’ils lui garantiront l’accès à
l’Elysée, c’est le « démocrate »
Delanoë qui vend le pot aux roses dès qu’il rencontre la contradiction, et que les va-nu-pieds de notre époque lui
rappellent leur existence, c.a.d. la misère.
A ceux qui ne sont pas d’accord, on demande
alors de quitter la salle : voici en effet une intéressante définition de
la démocratie représentative, qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec une
quelconque forme de démocratie directe. Ceux qui sont « représentés »
doivent s’en aller, pour que ceux qui les « représentent » puissent
rester.
Merci, donc, à ces pauvres histrions
« politiques » qui, poussés à bout, révèlent que si « la
politique », c’est eux, elle est tout juste bonne pour la poubelle ;
ou bien, plutôt, que si elle existait, elle n’aurait rien de commun avec eux.
Ainsi, bien malgré eux, leur colère et leur malheur contribuent au progrès du
concept.
Les noirs, eux, ont actuellement le choix entre
la noyade, à la Nouvelle-Orléans, la mort dans les flammes, dans des
« hôtels » parisiens, et les balles des policiers marocains, à la
frontière des enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla : mais nos
« hommes politiques », qui voudraient « pacifier » tout
cela à leur façon, préféreraient nettement que les noirs, en retournant au
pays, optent pour le SIDA. On ne gardera que ceux qui ont appris à coller
l’index sur la lentille de la caméra, et à devenir millionnaire en balbutiant
d’infâmes inepties sur un rythme à un temps ; ou à alterner entre
« Star Academy » et le dopage sportif, toujours pour promouvoir la
plus extrême vulgarité.
Bref, quand la population a appareillé pour la
« misère noire », et quand les « hommes politiques » ont
déjà commencé à éradiquer les noirs en attendant de réserver le même sort aux
pauvres en général, ceux-ci apportent la preuve manifeste qu’ils sont tout
simplement incompatibles avec celle-là : ils veulent dissoudre le peuple,
de peur que ce ne soit le contraire qui se passe. CQFD.
Les
Amis de Némésis
7
octobre 2005
: Liste des titres en préparation
: Comptes-rendus de publications
: Index
des personnes, groupes et périodiques cités
: Chronologie des textes publiés
: Tribune
: e-mail