On n’est jamais mieux servi que par soi-même
Dans Internationale
Situationniste n°12, on pouvait lire un bref article intitulé Quand Axelos avait trouvé un disciple.
Cet article relevait de quelle façon le philosophe avait écrit, sous le pseudonyme
de Jacques Darquin, un commentaire tissé d’éloges « débridés et
stupides » de sa propre personne. On n’est jamais mieux servi que par
soi-même, et les exigences d’une honnêteté de façade imposent en pareil cas
qu’on agisse sous un faux nom.
Depuis cette époque, nul doute que des exemples de cette espèce
ont proliféré dans des proportions industrielles. Le spectacle n’étant qu’un
immense système d’auto-félicitations, ce phénomène paraît inévitable et se
présente comme une véritable loi du genre. On ne peut en effet pas toujours se
vanter soi-même, dans une sorte de brutalité stupide, à l’instar d’un homme
politique ou d’un capitaine d’industrie. On doit parfois, dans le souci d’être
crédible aux yeux d’un public un peu vieillot qui attacherait encore de
l’importance à l’origine des propos, se faire passer pour un autre. C’est une
anecdote de cette espèce que vient de révéler le journal Le Monde, dans son édition du 13 juillet 2006, et que nous faisons
suivre sans plus de commentaires.
Tchernobyl : Pierre Pellerin
dédouané... par lui-même
Les
écoutes téléphoniques le montrent : le professeur Pierre Pellerin, ancien directeur
du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI),
serait le véritable auteur de la "mise au point historique"
sur l'affaire du nuage de Tchernobyl publiée en 2003 dans les Comptes rendus
de l'Académie des sciences. Cet article concluait qu'"en France,
les retombées ont été très inférieures à celles qui auraient pu justifier des
contre-mesures (sanitaires) préventives", dédouanant ainsi...
le professeur Pellerin, responsable en 1986 du contrôle des retombées du nuage.
Le document était pourtant signé par Pierre Galle, Raymond Paulin et Jean
Coursaget, trois spécialistes de médecine nucléaire et de radiotoxicologie.
L'explication
figure dans le dossier d'instruction de la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy,
qui a mis en examen, le 31 mai, M. Pellerin pour "tromperie aggravée"
dans l'affaire de l'impact sanitaire de l'explosion de la centrale nucléaire.
Perquisitionnant
l'Académie des sciences, la magistrate avait saisi les versions successives de
cet article scientifique qui dédouanait le service central de protection contre
les rayonnements ionisants (SCPRI) et son ancien patron de toute minimisation
des risques sanitaires liés au passage du panache radioactif.
S'interrogeant
sur la paternité de l'article, un récent rapport d'expertise commandé par la
juge estimait que "M. Pellerin était intervenu sur (sa) rédaction".
Il concluait : "On peut se demander d'ailleurs s'il n'en est pas
lui-même le rédacteur."
Des
écoutes posées sur la ligne du professeur Pellerin viennent accréditer ce
soupçon. Le 16 juillet 2003, appelant le cabinet de son avocat, il explique à
une collaboratrice de celui-ci qu'il va lui remettre une nouvelle version d'un
rapport déposé à l'Académie des sciences. "J'aimerais avoir votre avis,
dit-il, sur ce document que je ne signe pas mais que j'ai rédigé à 98 % et
que mes collègues Coursaget, Galle et Paulin prennent sous leur entière
responsabilité. C'est entendu que c'est eux qui l'ont rédigé avec mon
aide."
Quelques
jours plus tard, il explique à une correspondante du Commissariat à l'énergie
atomique : "Galle et Coursaget ont fait un travail de relecture. Toute
la partie technique, c'est moi qui l'ai faite, et je ne signe pas pour la bonne
raison que si j'avais signé, (l'article) n'aurait pas été accepté."
Une
autre conversation est édifiante : redoutant de devoir s'expliquer devant la
justice, l'académicien Pierre Galle, premier signataire de l'article, appelle,
le 19 novembre 2003, M. Pellerin, pour lui demander où il est censé avoir puisé
les données qui ont nourri l'article. Aussitôt, Pierre Pellerin lui donne,
presque mot pour mot, la réponse figurant dans le deuxième point de l'article
de l'Académie que M. Galle est censé avoir rédigé.
La
genèse du document a été laborieuse. Soumis le 17 juillet 2002 à l'Académie,
l'article n'a été accepté qu'un an plus tard, le 9 juin 2003, et publié en
septembre. Etait-on conscient, Quai Conti, de l'implication de Pierre Pellerin
dans sa rédaction ?
Jean
Dercourt, secrétaire perpétuel de l'Académie, se dit "estomaqué"
par le contenu des écoutes téléphoniques. Si leur teneur venait à être prouvée
en justice, indique-t-il, les Comptes-rendus de l'Académie publieraient
une mise au point. Il précise que l'article de 2003 ne constitue pas la
position officielle de l'Académie sur Tchernobyl, mais qu'il avait été publié
avec la mention "débat", et qu'à ce titre une éventuelle
réponse serait examinée avec le même soin. Selon la procédure, l'avis des mêmes
relecteurs serait sollicité, mais aussi celui des auteurs initiaux...
Malgré
plusieurs relances, Le Monde n'a pas réussi à joindre MM. Galle et
Coursaget. Quant à Jean Paulin, il a coupé court : sa contribution se serait
bornée à enrichir le texte de données provenant de l'Institut qu'il a dirigé à
Marseille. Il affirme n'avoir eu "aucune relation avec Pellerin depuis
vingt ans". L'avocat de M. Pellerin, Me Georges Holleaux,
sollicité à plusieurs reprises, n'a pas donné suite.
La
Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité
(CRIIRAD), partie civile dans le dossier, réclame l'audition des cosignataires
par la juge. Contestant les conclusions de leur article, l'association les
accuse d'avoir "abusé de leur notoriété et de celle de l'Académie pour
faire croire à une validation extérieure du travail du SCPRI et du professeur
Pellerin et ainsi influencer l'instruction et l'opinion publique".
Hervé Morin et Cécile Prieur
Article
paru dans l'édition du 13.07.06
: Liste
des titres en préparation
: Comptes-rendus
de publications
: Index
des personnes, groupes et périodiques cités
: Chronologie
des textes publiés
: Tribune
: e-mail