Autonomie ou capital



Octobre 2009.



DIFFUSION-DISTRIBUTION





JEAN-FRANÇOIS GAVA




ESSAI D’ÉLEUTHÉRIOLOGIE AU SOIR DE L’ÈRE TOTALITAIRE.

Il s’agirait d’une théorie de l’autonomie, si la formule ne laissait planer aucun doute quant à la subjectivité du génitif. Car c’est bien l’autonomie qui procède d’abord, en sa propre théorie, et ne procède que d’elle-même. Autrement, c’est-à-dire : si l’autonomie n’est pas première, la théorie n’est qu’instruction du mort. Mais alors, quel statut pour le discours dont s’instruit l’autonomie elle-même ? Théorie de la théorie : la première fois, le mot s’entend au sens ordinaire : moment imaginaire du mouvement effectif ; la seconde, il signifie l’effectivité même du mouvement effectif, de la liberté. Le génitif peut alors sans ambages se faire à la fois subjectif et objectif. Car ce qui est sujet, au fondement, ce sont des rapports rapportant depuis toujours du toujours déjà rapporté, du contenu allant se formalisant, de la régularité mouvante. Le présent essai n’est donc pas extérieur à son ‘objet’, mais en procède bien plutôt, cet ‘objet’ étant le sujet-objet absolu défini ci-dessus. L’autonomie est ici son propre objet. Objet propre : adéquat sans détriment, objet invité d’une invitation déclinable à la composition sursomptive, et jamais décomposé.

À la question “comment, ou que faire d’autonome ?” succède la question “comment faire que l’autonomie en nous fasse davantage ce qu’elle fait”, c’est-à-dire plus intensément et plus extensivement. Ce qui suppose une pré-compréhension de l’autonomie. Qu’entendons-nous d’abord par autonomie lorsque nous nous y croyons livrés ? Nous nous adonnons à notre pente ‘sensible’, tout à rebours de l’impératif catégorique : nous ne sommes jamais aussi libres que lorsque nous résistons au devoir, à l’injonction, au principe de réalité. Si la raison pratique est comme Hegel l’avait pressenti à l’aube de l’usinage du monde en vue de la plus-value la cravache abrahamique et l’oukase concentrationnaire, alors l’autonomie consiste à persévérer dans sa pente, contre la raison, prétendument apathique et bien plutôt sadique en réalité — Adorno et Horkheimer en témoignèrent en son temps. Il ne s’agit pas de trancher sur ce qui vit, comme s’il s’agissait de prescrire la vérité de l’autonomie à ce qui en serait dépourvu, mais de faire que ce qui vit dans le désert artificiel croisse et embellisse.

Tentative d’élucidation donc des moyens de la croissance du règne de l’autonomie ; celle-ci, le soi véritable, fin à soi-même, est la fin présupposée. S’agit-il dès lors de stratégie ? Oui, mais à condition de s’en tenir à une stratégie de la liberté. Autrement dit, si la défaite de l’adverse est bien un but partiel mais désormais indispensable, il ne saurait être question pour autant de lui opposer une machine de guerre. Ce qui résiste au pouvoir et aspire à sa défaite est rien moins que machinique, puisqu’il s’agit de la vie. La guerre du pouvoir et de la liberté est asymétrique, et doit le rester, sous peine, pour la liberté, de s’assimiler, malgré la mise en garde nietzschéenne, au monstre qu’elle combat. Tous les moyens ne sont pas bons, parce que la fin n’est pas extérieure aux moyens, comme c’est le cas, précisément, avec la machine de guerre et son modèle artisanal : cause effective et céphalique, moyens formels et matériels et but trouveraient parfaitement à subsister les uns en dehors des autres. L’autonomie ne doit certes pas ignorer les buts partiels de l’artisan, mais ces buts confluent comme moyens dans la fin qu’elle est à soi-même. Or, non extérieurs à la fin, les moyens lui sont pour ainsi dire sympathiques, s’il est exclu que leur mobilisation dans l’effectuation de la fin soit étrangère à l’effectivité de cette même fin, à savoir l’autonomie. Autrement dit, stratégie étrange que celle qui consiste à ne rien faire qu’on ne fasse déjà non seulement lorsqu’on ne se sent pas mal, mais lorsque ce que nous faisons s’assortit d’un indice de joie et que, partant, nous en sommes cause adéquate. Son impératif catégorique se résout alors à ceci : persévère dans ta pente sensible-intelligible. Il ne saurait être question, en effet, de prendre le parti du détruit et d’abandonner la raison à la raison dominante. L’invention d’une nouvelle raison s’impose, car le refuge dans le sensible n’est qu’une grotte humide, à l’ère de sa réduction à la sensation, et plus particulièrement à la sensation indifférenciée, typique de l’ivresse, ou de la jouissance ; ces états, du reste, sont, rappelons-le, des états de décrochage, précisément, ou de découplage du corps propre d’avec tout rapport d’extérieur. Il est vrai que l’ivresse est la solution qui s’impose plus ou moins régulièrement lorsqu’extériorité est synonyme d’hostilité, ou que, de l’extérieur, toute intériorisation par rapport de ce même extérieur est rendue impossible. L’ivresse n’est condamnable qu’aux yeux des absolument insensibles, c’est-à-dire aux dépourvus d’imagination et donc d’intelligence. L’homme moderne réprouve l’ivresse. Cela dit, la drogue peut aider à supporter l’immonde, mais non pas à fonder un monde nouveau — nouveau non pas, bien sûr, par rapport à un présent putatif (qui est tout sauf un monde, mais plutôt de l’étendue en forme de cancer généralisé), mais par rapport aux mondes pré-modernes, où la maladie de la domination n’a jamais empêché les formes de vie de se reconstituer.

Abandonne-toi à ta pente sensible-intelligible, car on ne se rassasie pas de débris. Si nous voulons sauver le sensible, c’est pour sauver aussi l’intelligible ou plutôt l’idéable. Notre sensible, celui de l’autonomie, sera du toujours déjà articulé, c’est-à-dire du rapporté ou du formé : bref, de l’intel-ligé. Contre la mobilisation totale par la machine de guerre sociale à plus-value, le mot d’ordre stratégique pourrait bien être celui de la désertion statique.

Cette interrogation arrive-t-elle à l’heure de l’extinction de sa possibilité ? Sans doute, et c’est ce qui la rend plus urgente. La modernité capitaliste donne au pouvoir, certes immémorial, sa forme totalitaire. Celle-ci substitue à la production vivante, c’est-à-dire à l’être tout court — tant du moins que ce nom n’est pas prononcé en vain, c’est-à-dire du point de vue pathologique —, le mime grimaçant de sa contrefaçon machinique, ce mort se mouvant aveuglément dans soi-même. C’est ce que, du reste, Hegel avait une fois encore relevé avant tout le monde, et que Marx s’est échiné à développer dans un Capital que personne ou presque n’a voulu ni, par conséquent, pu lire. Le Capital : anatomie du capital comme forme totalitaire du pouvoir, cette maladie ontologique de tous les temps. Est-il besoin d’ajouter qu’il s’agit là de la civilisation moderne ?



“LOGISTIQUE” [ 112 p. / 13 x 20 / ISBN : 978-2-917431-24-5 / EAN : 9782917431245 / 18 € ]



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