« Je l’aime tant, vous le savez, vous devez
m’avertir de sa fortune, pour la pleurer, comme je fais. Je n’en dirai plus
rien, car les amours sont ivres. »
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Comme on voit
sur la branche au mois de Mai la rose La grâce dans
sa feuille, et l'amour se repose, Ainsi en ta
première et jeune nouveauté, Pour obsèques
reçois mes larmes et mes pleurs, Ronsard, Sonnets sur la mort de Marie (1578). |
Marie de Clèves, marquise
d’Isle, comtesse de Beaufort, née en 1553, était la cadette des trois filles
de François de Clèves, duc de Nevers, et de Marguerite de Bourbon-Vendôme.
Celle-ci étant la sœur du défunt roi de Navarre (Antoine de Bourbon), Marie
se trouvait être par conséquent nièce par alliance de Jeanne d’Albret. On
l’avait élevée dans la religion catholique. Catherine de Médicis négocia son
mariage avec le prince Henri de Condé, huguenot comme son père. Dans le même
temps, elle convainquait l’austère Jeanne d’Albret d’accepter Margot comme
bru. Ces mariages mixtes (entre catholiques et huguenots) s’inscrivaient dans
sa politique du moment. Ils faisaient suite à la paix de Saint-Germain et
sanctionnaient en quelque sorte la réconciliation des Français. On a vu ce
qui en résulta ! Le mariage de Marie de Clèves
et du prince de Condé précéda de quelques jours les « noces
vermeilles » de Marguerite de Valois et du roi de Navarre, prélude à la
Saint-Barthélemy. On imagine que Monsieur dut prendre sur lui pour approuver
la décision d’excepter Condé de la liste fatale ! Il l’eût volontiers
égorgé de sa propre main pour délivrer Marie. Après la Saint-Barthélemy, ils
reprirent leurs rendez-vous secrets. Les complicités ne leur manquaient pas.
Pour rassurer Condé, Monsieur affichait sa liaison avec Mlle de Châteauneuf.
Il dut pourtant se séparer de Marie pour aller faire la guerre aux huguenots
rochelais. Avant de partir pour le siège
de La Rochelle, il écrivit à Henriette, duchesse de Nevers, sœur de Marie de
Clèves, trois lettres où il la prit à témoin de sa passion pour la jeune
femme devenue inaccessible. La première d’entre elles est la plus
éloquente : « Je suis le plus ennuyé que je fus jamais. Je vous
supplie d’autant que vous m’êtes amie et que vous connaissez que j’ai d’affection
à vous servir… Je vous en requiers, les larmes aux yeux, à jointes mains.
Vous savez [ce] que c’est de bien aimer. Jugez si je mérite telles façons de
ma dame, notre amie, qui, quoi qu’elle die, a toute puissance quand elle
l’emploiera […]. Je vous jure qu’il y a des heures que les yeux ne m’ont
séché. Ayez pitié de moi ! » Pour tenir lieu de signature, il
traçait l’initiale de son nom entre deux SS barrés. Ce symbole appelé
« fermesse » attestait l’inviolable fidélité qui attachait l’auteur
de la lettre à celui ou à celle à qui il l’adressait. Que me sert le renom d’avoir dès mon enfance Lettres, billets et pièces de
vers faisaient patienter les amants. Ils se revirent, lors du retour d’Henri
à la cour. Le corps de Marie valait d’avantage pour lui que le royaume de
Pologne. Au risque d’affoler le prince de Condé en dévoilant la vérité, il
rompit avec Renée de Châteauneuf. Marie essayait-elle de le retenir ? Il
lui promit, en tout cas, de la démarier dès qu’il reviendrait en France et de
l’épouser. Car il avait la conviction que son exil polonais serait bref. La
douce et rieuse Marie put croire qu’elle serait un jour reine de
France ! En attendant, il lui fallait subir les embrassements de son
puritain d’époux. Des lettres écrites de Cracovie
à Marie, aucune n’a été conservée : mais on sait que, depuis son exil polonais,
Henri, grâce à Cheverny et à des émissaires fidèles, correspondait avec
Marie. Elle lui répondait par le même canal avec la connivence intéressée de
Mme Catherine. Dans les papiers secrets de Cheverny, le chiffre sous lequel
elle était désignée était la lettre O. A Nançay, qu’il appelait « mon
châtre » (c.-à-d. « mouton »), Henri écrivait de Cracovie ces
lignes très révélatrices : « Je l’aime tant, vous le savez,
vous devez m’avertir de sa fortune, pour la pleurer, comme je fais. Je n’en
dirai plus rien, car les amours sont ivres. » Devenue fervente catholique et désirant
sauver le roi à l’amour duquel elle répondait, Marie de Clèves a-t-elle, par
dégoût de son époux qu’elle se refusait de rejoindre en Allemagne, fait tenir
à la reine mère une instruction de l’émissaire de l’Electeur Palatin, dont la
mission était de faire soulever le duc d’Alençon, le roi de Navarre, le
prince de Condé et de se faire révolter Metz et Verdun ? C’est du moins
ce qu’écrivit Zuniga à Philippe II le 10 août 1574 ; le nonce Salviati
en entretint aussi le cardinal Galli : « Que votre Seigneurie
sache que le roi aime de façon si déconcertante la princesse de Condé qu’il
ne pense à rien d’autre qu’à trouver le moyen de l’avoir, et si cela était
possible, il lui plairait de l’épouser, ce qui lui fera différer beaucoup de
prendre femme. La régente, qui veille jalousement à sa position, et qui tient
cette femme pour une personne d’esprit, craint beaucoup cette affaire, et
cherche, avec toute son adresse, à retenir le roi loin de Paris, où se trouve
la princesse. » Toujours servie par le destin,
Catherine fut très vite allégée de ses craintes. L’Estoile, dans son Journal,
prit soin de coucher par écrit la nouvelle du décès de la princesse : « Le
samedi 30 dudit mois d’octobre, dame Marie de Clèves…douée d’une singulière
bonté et beauté, à raison de laquelle le roi l’aimait éperdument, et si fort,
qu’il fallut que le cardinal de Bourbon, son oncle, pour festoyer le roi, la
fit ôter de son abbaye de Saint-Germain-des-Prés, disant sa Majesté qu’il
n’était possible qu’elle y entrât, tant que son corps y était, mourut à
Paris, en sa première couche et en la fleur de son âge. » Ce fut à Lyon qu’Henri apprit
la mort de Marie. Sa mère, qui avait reçu la lettre en faisant part, n’osa la
lui remettre et la mélangea à toutes celles qui étaient éparses sur sa table
de travail. Le lendemain au soir, les yeux du roi s’arrêtèrent sur la
terrible missive. A peine l’eut-il lu qu’il s’effondra sur le parquet,
évanoui. Revenu à lui après un long moment, il gagna son lit, où il resta
trois jours abattu, en proie à une violente fièvre. Lorsqu’il reparut en
public, Henri avait fait coudre de petites têtes de mort à ses vêtements.
Cette douleur ostentatoire suscita les railleries. On ne comprenait pas qu’il
restât pendant des heures enfermé avec quelques familiers. Ces esprits
égoïstes et sceptiques ne pouvaient concevoir que cette douleur fût sincère.
On mit sur le compte de la mollesse ce qui n’était que désespoir…Henri ne
pleurait pas seulement Marie, mais le bonheur perdu, un bonheur à la fois
ardent et pur. |
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