Entre la mort et la vye différence
De Marguerite aucune ne peult estre
Sinon que, morte, ha parfaicte science
De ce que, vive, eust bien voulu cognoistre.


Héroët sur Marguerite de Navarre

 

Marguerite d’Angoulême

 

 

 

Ce n’est qu’un cueur et ne sera jamais
De vous a moy, ainsi je le promets,
Quelque chose que vous puisse advenir
Le sang ne peult au contraire venir,
Ny la raison : aussi je me sousmectz,
Ma volonté à la vostre remectz
Parolles et faicts entre vos mains je mectz
Puisque je veulx vostre ainsi devenir.
Ce n’est qu’un cueur !

 

Marguerite à son frère François

Marguerite d’Angoulême naît en 1492. Fille de Charles d’Orléans et de Louise de Savoie, elle est la sœur aînée du futur François Ier. En 1509, elle épouse le duc Charles d’Alençon, puis, devenue veuve, se remarie en 1527 avec le roi de Navarre, Henri d’Albret. Elle s’oppose à la politique de son époux qui cherche à se rapprocher de Charles Quint afin de récupérer la partie de la Navarre annexée par les Espagnols. Elle est la mère de Jeanne d’Albret et la grand-mère d’Henri IV.

L’influence de Marguerite de Navarre sur François Ier se fait particulièrement sentir dans le domaine religieux, où elle entraîne son frère à la tolérance. Elle professe des idées religieuses fortement teintées par le néoplatonisme tel que Marsile Ficin l’avait développé et croit à la toute-puissance de l’amour : « Dieu est amour vrayment, et amour Dieu… ». Elle ne pense pas que les œuvres peuvent permettre d’accéder au paradis et elle croit à la nécessité de la grâce et de la foi. D’accord avec les réformés, elle pense que le sacrifice du Christ a définitivement racheté l’humanité. Elle s’attaque à la superstition et prône le mépris des joies terrestres. Son « Miroir de l’âme pécheresse », publié anonymement en 1531, est condamné par la Sorbonne en 1533, ce qui provoque l’intervention du roi. Elle ne devient pas pour autant réformée, conservant jusqu’à sa mort sa fidélité à l’Église catholique.

Femme de grande culture, Marguerite de Navarre compose des écrits inspirés par la mort d’êtres proches. Ses poèmes sont d’inspiration néoplatonicienne, et sa « Comédie jouée au Mont-de-Marsan », qui met en scène les différentes opinions sur les fins de l’existence humaine, est un hymne à l’amour comme mode de compréhension du monde. Son œuvre aujourd’hui la plus connue est un recueil de nouvelles à la manière de Boccace, l’ « Heptaméron ».



 

Biographie détaillée de Marguerite

 

          Enfance et jeunesse

  

          Duchesse d’Angoulême

 

          Reine de Navarre

 



Enfance et jeunesse

 

« Ma fille feust née en l’an 1492 ; le onzième jour d’avril à deux heures du matin, c’est-à-dire pour compter comme les astronomes, le dixième jour à quatorze heures dix », écrit Louise de Savoie, dans son pittoresque Journal.
Durant sa grossesse, prise par une envie d’huîtres, il lui était arrivé, dit-on, d’avaler une perle, dont fut formée selon les poètes la chatoyante et parfaite Marguerite, perle des perles, marguerite des marguerites, margarita signifiant alors : perle.
Deux ans plus tard, Louise vit tous ses vœux comblés, et son Journal proclamera : « François, par la grâce de Dieu roy de France et mon César pacifique, print la première expérience de lumière mondaine à Cognac environ dix heures après midi 1494, le douxième jour de septembre. »
Elle était formée, l’étonnante trinité d’amour que seule pourra défaire la mort et dont Marot dit : « Ung seul cueur en trois corps. »

Louise était fille du beau Philibert de Bresse, surnommé monsieur Sans-Terre parce qu’il s’agitait sans répit pour conquérir un royaume, qu’il finit par avoir grâce à la mort d’un chapelet de neveux : c’était la rude et belle Savoie. Mais il mourut sans en avoir joui à son gré. Quant à Louise, elle avait été élevée après la mort de sa mère Marguerite de Bourbon par sa tante, la belle et rusée Anne de Beaujeu, fille de Louis XI, qui avait si virilement et sagement administré le royaume durant la minorité de Charles VIII, que Brantôme déclare : « Ce feust ung roy. »
A l’école de cette grande intelligence politique qui avait réuni les Etats-Généraux de 1484 et maté la rébellion du duc d’Orléans, la brillante petite Louise trouva riche nourriture, et rien ne lui manqua, rien, hormis la tendresse. Et peut-être dès lors se promit-elle d’envelopper d’amour les enfants qu’elle rêvait d’avoir.
A douze ans elle fut mariée à Charles d’Orléans, duc d’Angoulême, neveu de l’exquis poète Charles d’Orléans, lui-même lettré, raffiné, spirituel, et elle s’installa gaiement à Cognac, parmi les tapisseries et les meubles superbes, les collections de pièces d’or anciennes, les adorables manuscrits ornés de miniatures de sa belle-mère Marguerite de Rohan. Cette cour princière, l’une des dernières d’Europe, étincelait d’artistes, de poètes, de fêtes et de divertissements. Louise, après l’austère éducation de « Madame la Grande » s’ouvrit impétueusement à la joie de vivre, cultiva son esprit et se voua à ses enfants. Ils grandirent ensemble, beaux, intelligents, brillants, fous de plaisir, assoiffés d’apprendre, avec les mêmes maîtres, tous des hommes.
Et puis le malheur frappa : le duc d’Angoulême tomba malade et Louise le soigna avec dévouement total des épouses de ce temps, « ne découchant point d’avec lui… et le servant aussy doulcement et humainemaint qu’eust peu faire la plus povre femme son mary…. » (G. de Jaligny). Il fallut l’en éloigner de force. Quand il mourut, le 1er janvier 1496, Louise n’avait que dix-neuf ans.
Grâce au douaire que lui avait fait constituer la prudente Anne de Beaujeu, elle put conserver son train de maison. De ses enfants, elle était tutrice, avec huit exécuteurs testamentaires, dont le duc d’Orléans, futur Louis XII, que le mourant avait spécialement prié de veiller sur ses enfants, et le maréchal de Gié, personnage considérable et tyrannique, comblé de biens et d’honneurs par Louis XI, et qui bientôt voulut retirer à Louise la tutelle du petit François, allant jusqu’à faire enlever celui-ci de la chambre de sa mère. Mais Louise gagna cette première bataille de sa vie tumultueuse, en lionne défendant ses petits.

Lorsque l’infortuné Charles VIII heurta de sa tête trop grosse et souvent douloureuse un échafaudage et qu’il mourut dans un couloir d’Amboise (7 avril 1498), Louise fut submergée d’espoir, car son fils devenait héritier présomptif du Trône. Alors cette jeune femme passionnée, impétueuse, se fit souple, patiente, rusée, toute tendue vers sa folle ambition : Louis XII, marié contre son gré par l’implacable Louis XI à Jeanne de France, sainte mais boiteuse et contrefaite, n’avait-il pas renoncé à avoir des enfants ?
Hélas ! il obtint l’annulation de son triste mariage par un procès retentissant et cruel, et se hâta d’épouser la jeune veuve de Charles VIII, cette Anne de Bretagne un peu boiteuse mais aussi douée selon Brantôme d’une grande séduction, et qui, surtout, apportait au royaume son fier duché de Bretagne. Louis XII épousait donc la fille du duc François, son ancien allié contre Charles VIII. Anne avait été fiancée à Maximilien d’Autriche avant de l’être à Charles VIII : affront que l’Autriche ne devait pas oublier.
Tout de suite, la reine fut enceinte. Si Louise en éprouva une déconvenue, elle sut la dissimuler et invita même la reine à accoucher chez elle à Romorantin, pour fuir une terrible « pestilence » qui sévissait à Blois. Ce fut dans la vieille forteresse que naquit la petite Claude qui sera « conjointe » à François. La reine alla de grossesse en grossesse, s’épuisant à essayer de donner un héritier au Trône, mais elle ne mit au monde que des filles, ou des garçons qui, écrit joyeusement, « avoient faulte de vie » et ne pouvaient empêcher l’exaltation de son César. D’ailleurs François de Paule, le saint homme, lui prédit que son fils serait roi.
Louis XII, le plus généreux et plus chevaleresque des souverains, avait accordé à Louise une pension pour la dédommager de l’héritage de la Maison d’Orléans, qu’il entendait réunir à la Couronne, et l’avait invitée à vivre à Amboise, que le médiéval Charles VIII avait mis au goût du jour, c’est-à-dire à l’ensorcelante mode italienne, avec des fenêtres claires et ouvragées, la Tour des Minimes où l’on montait à cheval, des terrasses ruisselantes de fleurs. Ce fut dans ce cadre de la Renaissance que se déroulèrent les rêves et les jeux des deux enfants. Une exquise miniature du manuscrit des Echecs amoureux nous les montre qui jouent sous l’œuil de leur gouvernante.

Marguerite à neuf ans était déjà une petite femme, avec d’immenses yeux d’un bleu gris, des cheveux d’un blond cendrés, un visage riant, une manière unique de « présenter à chalcun sa main » (Sainte-Marthe).
A treize ans, subtile, très intelligente, avenante, sensible, elle attirait l’admiration jusqu’au-delà des frontières. Elle parlait l’italien, l’espagnol, un peu de latin et d’hébreu, elle étudiait la théologie, la philosophie, les sciences, toutes choses réservées, en France, aux gens d’Eglise. L’éblouissant exemple italien prenait les proportions d’un raz de marée, c’était dans un enthousiasme délirant que l’on reprenait là-bas le contact avec l’antiquité, surtout avec Platon, que les esprits se passionnaient pour la recherche et le savoir. Mais Marguerite, avec sa gouvernante Blanche de Tournon, dame de Châtillon, apprenait aussi son rôle de femme : broder, faire la cuisine, soigner les malades ; et son rôle de princesse : obéir avant toute chose à la raison d’Etat, recevoir et charmer les étrangers, briller dans l’art exquis et fugitif de la conversation.

De son côté, François avait pour gouverneur un homme juste et bon : Artus de Gouffier, seigneur de Boisy, qui amena son jeune frère Guillaume, futur amiral de Bonnivet. Ce dernier, très beau, brave et brillant, et qui devait faire un jour à Marguerite le pire affront, se joignit aux premiers compagnons de François : Philippe Chabot de Brion, le rude Anne de Montmorency, Robert de la Marck seigneur de Fleuranges qui se qualifiait lui-même de « jeune aventureux » et, haut comme une botte, avait voulu mettre sa petite épée au service de Louis XII. Ces joyeux lurons se livraient avec la plus folle témérité à l’apprentissage des joutes et des tournois, à la chasse, aux luttes et pugilats avec de petits châteaux-forts en bois et canons bourrés de boulets de bois, à l’escrime, au tir à l’arc, au jeu de paume ou « d’escaigne » avec une « balle plaine de vent », au jeu de boule avec une « boule aussi grosse qu’un tonneau ». François ignorait le danger, faisait trembler sa mère, qui une fois en « eut les sangs tournés ». Louis XII se mit à raffoler de ses deux éblouissants neveux, et il donna à François l’investiture de duché de Valois, peupla pour lui de gibier le parc d’Amboise et assura que la France pourrait lui faire confiance.

Marguerite partageait l’adoration de sa mère pour François. Comme toutes les femmes, d’ailleurs, elle était captivée par sa bravoure, son tour d’esprit chevaleresque, le parfait entraînement de son corps à l’athlétisme, sa hautaine élégance, encore moulée pour nous dans sa belle armure à fleurs de lys (musée de l’Armée).
Cependant il était question pour elle de divers mariages : le vieux roi d’Angleterre, le prince de Galles, le duc d’York, le duc de Calabre, Christian de Danemark et même peut-être le sombre adolescent qui devait abreuver la France, François, Louise et Marguerite de maux : Charles d’Autriche, fils de Philippe d’Autriche et de Jeanne de Castille, dite la folle, petit-fils de l’empereur Maximilien. « C’est à présent la première en son royaume, » écrit l’ambassadeur Lord Herbert ; « aussi qu’il (Louis XII) aime comme la sienne propre ; aussi elle est belle et bien saige de son eage. » Néanmoins Louis XII était encore trop jeune pour que l’on pût être assuré que Marguerite serait sœur de Roi. En outre sa mère et son frère semblent avoir tenu à ne pas l’éloigner ; elle-même dit espérer trouver « bien josne riche et noble mary et sans passer la mer. » Fut-elle amoureuse du beau Gaston de Foix, surnommé tantôt « la colombe » tantôt « le foudre d’Italie » ? Il n’y en a pas de preuve.

Quoiqu’il en fût, « Dieu ne permit pas que la France perdît sa perle tant précieuse » (Sainte-Marthe ) et cette « perle » se laissa marier à Charles, duc d’Alençon. Mariage peu brillant, convenu pour éteindre un vieux procès entre la Couronne et la Maison d’Alençon, pour les biens des ducs d’Armagnac. L’amour n’entrait pas en lice dans l’association de rang, de convenances, de politique, d’intérêts à long terme, que représentait la haute et sévère institution du mariage. L’amour prenait sa revanche dans la coutume, admise, pour les hommes d’installer une maîtresse chez eux, pour les femmes de s’évader dans un sentiment platonique. Marguerite sera par sa plume un brillant avocat de cet amour-là.
Les fiançailles furent célébrées à Blois le 9 octobre 1509, avec la bénédiction du cardinal Guibé, devant le roi et la reine, la toujours belle et altière Anne de Beaujeu devenue par la mort de son beau-père duchesse de Bourbon, sa fille la chétive Suzanne, l’austère duchesse d’Alençon en sa robe de moniale, le cardinal de Mantoue, des archevêques et des évêques, les ducs de Longueville et de Nemours, le chancelier, et bien entendu François et la petite Claude. Marguerite recevait une dot de 60 000 livres et un douaire sur la ville d’Alençon de
6 000 livres de rente, mais elle renonçait en faveur de son frère à ses droits sur la succession du duc d’Angoulême. Le 2 décembre suivant son mariage fut célébré avec une pompe royale. Louis XII conduisit la jeune épousée de la chapelle à la salle du festin où, seule avec la reine, elle fut servie dans une vaisselle d’or. Joutes, tournois et fêtes suivirent la cérémonie.
La nouvelle duchesse d’Alençon avait 17 ans et elle était exquise : grande, élancée, le nez des Valois, dont la longueur était tenue pour un signe de race, le menton un peu fuyant, l’œuil large et rêveur, le teint éblouissant et une bouche étonnante : tendre, mouvementée, spirituelle, railleuse. Bien que sans beauté régulière, elle enjôlait par un sourire que célébra toute l’Europe, et un son de voix mélodieux et troublant.

 

Duchesse d’Angoulême

Que pensa Marguerite en quittant sa « subtile et très providende mère », son frère idolâtré qui s’en allait maintenant souvent avec Louis XII, dans cette Italie dont il s’était épris, les joyeux compagnons de jeunesse, la cour qui n’était encore qu’un entourage de chevaliers, mais où apparaissaient déjà de jeunes « fats corsetés » baragouinant un langage à la mode ?
Très vite, Marguerite s’ennuya. Charles d’Alençon, descendant d’un frère de Philippe Le Bel, était un homme frustre, maussade, sans intelligence ni culture, qui faisait ses comptes, rendait la justice et croyait qu’il n’y avait rien de plus beau au monde que son duché. Son père, René, était mort jeune, brisé par la captivité que lui avait infligée Louis XI, et laissant un héritage oblitéré par des dettes. Sa veuve, jurant de les payer toutes, se retira à Mauves où elle administra ses biens et éleva ses enfants avec une rare abnégation, une vaillance qui ne s’essouffla point, une austérité sans joie et d’âpres économies dont elle garda toute sa vie l’habitude. Revenue en Alençon, elle réserva la plus large part de ses revenus aux œuvres de charité et aux fondations de couvents, répudia les Lettres et les Arts comme malsaines futilités, prit le voile enfin, et, d’abord figée dans une froide obéissance, reçut à la fin de sa vie quelque illumination, si l’on en croit Marguerite, dans les Prisons :

Tant qu’à la fin la superstition
Elle laissa, et la dévotion
Que Dieu demande à une âme amoureuse
Elle reçeust estant religieuse.

L’ardente Marguerite, descendante des Orléans poètes, des rudes paladins de Savoie, des chimériques rois de Chypre, qui s’éprenait de tous les rêves et ne pouvait vivre sans enthousiasmes, étouffa dans sa forteresse obscure dont le seul agrément était un très beau parc hanté de rossignols. Elle appela sa mère à son secours. Louise vint, avec son bon sens, sa gaillarde bonne humeur, sa tendresse, ses emportements. Mais elle dut repartir.
Marguerite néanmoins n’était pas femme à se laisser abattre. « Le grand défaut des femmes, dira-t-elle, c’est la timidité ». Elle lutta donc, et avec Madame de Châtillon qu’elle avait gardée auprès d’elle, en dépit de son triste mari et de sa morose belle-mère, elle poursuivit des études, en particulier de philosophie et de grec, que bientôt la Sorbonne honnira. Elle se passionna pour les découvertes du Moyen Age finissant et celles des continents lointains, pour les « antiquailles », les livres.
Plus qu’une autre, « ondoyante et diverse », elle n’en oubliait pas pour autant la vie quotidienne, dont le spectacle l’enchantait. Amassait-elle dès lors les matériaux de son Heptaméron ? Descendant dans la ville d’Alençon, elle se mêlait familièrement au petit peuple qu’elle aimait et qui le lui rendait bien. Elle était follement généreuse, de sa bourse comme de son sourire merveilleux. Tout en notant comment les femmes mettaient « leur touret de nez » pour aller à l’église, et que les moines cordeliers recevaient à Pâques « du linge, de la filace, des andouilles, du jambon et aultres menues chosettes », mais qu’aussi ils étaient querelleurs, rapaces, sensuels et souvent se faisaient chasser « avec chandelles, lanternes et tous les chiens du village », la malicieuse et néanmoins pensive princesse au grand cœur commençait à s’interroger sur ces étranges « idées nouvelles » qui couraient comme le feu sous les bois sans toucher encore la grande ombre des idées reçues.

Mais sa vivacité, sa curiosité d’esprit l’entraînaient bientôt loin de ces angoissantes réflexions. Gaie, assoiffée de fêtes, « de moult joyeuse vie quoique toutefois femme de bien », dira-t-elle d’elle-même, elle se distrayait en causant avec les gentilshommes de sa Maison, parmi lesquels apparaîtra bientôt Clément Marot dont le père était gentilhomme de chambre de la reine Anne. Marguerite s’occupait d’ailleurs fort bien de sa Maison, qui était importante : plus de deux cent cinquante personnes, en comptant les aumôniers, chambellans, maître de requête, secrétaires, médecins et « chirurgiens », maîtres d’hôtel et cuisiniers, valets, échansons, panetiers, sommeliers, chambrières, lavandières, fourriers, écuyers d’écurie, veneurs et maître de fauconnerie, « mulletiers et charretiers », barbiers, tapissiers, brodeurs, portiers et concierges, archers.

Mais c’était au frère bien-aimé, à leur mère, que la duchesse d’Alençon pensait le plus. Le temps lui paraissait interminable, loin d’eux. D’ailleurs, François qui se réjouissait malgré la folle inquiétude de Louise lorsque Louis XII l’envoyait aux armes, ne manquait pas une occasion de revenir à Amboise et en 1514 il fit une brillante « entrée » à Cognac, à la grande joie de Marguerite qui vint assister aux fêtes pendant que sa mère se dévouait à rester auprès du duc d’Alençon qui s’était cassé le bras. Mais elle n’eut guère le temps de s’attarder avec son frère sur leurs souvenirs d’enfance : comme le vent, François ne tenait pas en place.

Cependant Louis XII, épaulé par le maréchal de Gié, avait voulu fiancer François à sa fille Claude, afin d’assurer à la Couronne la Bretagne, mais Anne, plus bretonne que française, s’opposa à cette union et se mit en tête de marier Claude à Charles d’Autriche, dont elle reçut les parents à Blois avec somptuosité. Ce mariage aurait été la ruine de la France encerclée par l’énorme empire autrichien qui déjà par la Bourgogne lui entamait le flanc. Effrayé, Louis XII, bien que gravement malade, fit confirmer sa volonté par les Etats Généraux et conclut les fiançailles de sa fille avec François, tandis que la reine Anne outrée, faisait embarquer son argenterie sur la Loire et allait se réfugier en son duché. Le vindicatif Charles d’Autriche n’oubliera pas le nouvel affront fait aux Habsbourg, après la répudiation de sa tante Marguerite d’Autriche qui avait été fiancée à Charles VIII et remplacée par Anne de Bretagne.

Dans le monde se précipitaient les événements. Mort du roi d’Angleterre, avènement de son fils Henri VIII. Avènement en Savoie de Charles Le Bon, après la mort de Philibert Sans-Terre. La Savoie, marche entre la France et l’Empire, était un pion d’importance sur l’échiquier européen. Fine mouche, Louise flattait son parent, ménageait à son fils qu’elle espérait de plus en plus voir roi, de futures alliances, et peut-être la première eut l’idée de s’informer du Sultan d’Egypte.

Soudain, tous les espoirs de Louise parurent s’effondrer. Louis XII avait été par deux fois à la porte du tombeau, mais ce fut Anne qui mourut, emportée par une crise de gravelle, et si Louise feignit la peine, « elle en feust bien ayse, » dit Fleuranges ; « pour ce qu’elle lui estoit bien contraire en ses affaires et ne feust jamais heure que ces deux Maisons ne feussent toujours en pique. »

Seulement, Louis XII se remaria aussitôt avec la blonde et ravissante Marie d’Angleterre, peut-être autant par amour que pour se rapprocher d’Henri VIII, « enemy très malveillant ». Et, bien que « fort antique et débile », Louis XII ne se contenta pas d’une cérémonie. « Le 9 octobre feurent les amoureuses noces de Louis XII de France et de Mary d’Angleterre », écrit rageusement Louise dans son journal ; « et le soir couchèrent ensemble. » Et Fleuranges : « le lendemain disoit le Roy qu’il avait fait merveilles. Toutefois je crois ce qu’il en est car il estoit bien malaise de sa personne. » Mais si le roi était vieux, Marie était jeune, belle, coquette et intrigante, elle retournait tous les cœurs, à commencer par celui du galant et bouillant François.
Voilà Louise affolée, qui fait une scène terrible à son fils. Celui-ci avait été marié dès la mort de la reine Anne à la petite Claude, et Jean Des Guignols, maître d’hôtel de Claude, parla vertement à François de Marie : « le Roy son mary est vieux et meshuy ne lui peult faire enfans ; vous l’irez toucher et vous vous approcherez si bien d’elle que vous qui estes jeune et chaud, elle de mesme. Pâques-Dieu ! elle prendra comme à glu et fera un enfan, et vous voilà bien ! » Le trône lui passerait sous le nez.
Louise fit surveiller Marie nuit et jour par ses femmes. Heureusement il était difficile de s’isoler dans les châteaux fourmillants de monde, malgré les bottes de feutre dont se chaussaient les seigneurs pour se glisser chez leur belle, comme le raconte Marguerite dans l’Heptaméron. Marie fut couronnée à Saint-Denis le 5 novembre 1514, en présence de Marguerite, de la duchesse de Bourbon que l’on appelait maintenant « Madame la Vieille », de la triste Claude qui pleurait sa mère. Mais peu après Louis XII s’alita et fit appeler François, en sa maison des Tournelles, où ilmourut le 1er janvier 1515. Le lendemain, un courrier s’abattait aux pieds de Louise : « Le Roy est mort, vive le Roy ! »

« Mon fils est Roy de France », écrit simplement Louise. Mais quel cri de triomphe ! Et dans son allégresse elle n’oubliera pas le saint homme qui lui avait prédit cet honneur. « Le 5 juillet 1519, Frère François de Paule fut par moi canonisé : à tout le moins j’en ai payé les taxes. »

Pourtant il fallut encore compter avec Marie, cette coquine. Un coussin sur la taille, n’était-elle pas capable de feindre une grossesse ? Par bonheur, elle s’était follement éprise de Charles Brandon et elle l’épousa et retourna en Angleterre, non sans emporter les plus beaux joyaux de la Couronne.

François donc était roi. Le « plus beau des princes que l’on sache pour le jour d’hui », virtuose du cheval, des tournois et de tous les exercices du corps, brave jusqu’à la folie, fou d’arts, causeur éblouissant, écrivant aussi aisément en vers qu’en prose, chevaleresque, généreux, enthousiaste, ouvert aux idées révolutionnaires, impétueux à la guerre comme en amour, idolâtré des femmes, François était roi et il avait vingt ans.
Le 25 janvier, Louise écrivit : « Mon fils feust oint et sacré en l’église de Reims. Et pour ce suis-je bien tenue et obligée à la divine Miséricorde, par laquelle j’ai esté amplement récompensée de toutes les adversités et inconvénients qui m’estoient advenus dans mes premiers ans et dans la fleur de ma jeunesse. Humilité m’a tenu compaignie et Patience ne m’a jamais abandonnée. »
Radieux comme un archange dans son grand manteau aux fleurs de lys, portant fièrement la couronne de Charlemagne, tenant le sceptre et la main d’ivoire, follement acclamé, François fit son « entrée » dans sa capitale toute tendue de tapisseries, au milieu de l’immense cortège des princes, des maréchaux, des grands dignitaires, des fonctionnaires, officiers, pages, et Marguerite, le cœur battant, le contempla d’une tribune dressée rue Saint-Denis, qui faisait caracoler son cheval sous un dais.

Puis, il commença de régner et avant toute chose rappela auprès de lui sa sœur, sa « mignonne », lui abandonnant les droits sur la succession d’Armagnac qui pourtant avaient été la raison de son mariage, donnant à Charles d’Alençon le duché de Berry avec ses revenus, le gouvernement de la Normandie, et les prérogatives de seconde personne en France. Tout en gardant et comblant les hauts dignitaires de Louis XII, il plaça ses amis d’enfance et ses parents. Le grand Bâtard de Savoie devint Lieutenant général en Provence, le comte de Vendôme reçut le titre de duc et le gouvernement de la ville de Paris. L’inquiétant Charles de Montpensier que la mort de son oncle Pierre avait fait duc de Bourbon et qui avait épousé la timide et peu jolie Suzanne de Bourbon, devint connétable et gouverneur du Languedoc.

Pour Marguerite, la revanche sur les mornes années d’Alençon était éclatante. La « perle des Valois » prenait son vol, aux côtés de son frère, avec un riche bagage d’intelligence et de séduction. Seconde personne à la cour, elle en fut vite la vraie reine, sans piquer la jalousie de la modeste Claude qui aimait à broder et se montrait toute soumise à Louise. Tout de suite Marguerite fascina les ambassadeurs, les humanistes, les poètes, les artistes. Elle avait le don des langues et de la conversation, écrivait en vers sans se relire, et son esprit enjoué, pittoresque, ensemble profond et vertement gaillard ne cessait d’étonner. Dès lors le roi voulut l’avoir toujours auprès de lui, de même que sa mère.
« Scrivere a Luisa di Savoîa e come scrivere alla stressa Trinita » écrira le malicieux cardinal Bibbiena.

Après que Louise eût envoyé à son César les vers célèbres :

Ce n’est qu’ung cueur, ung vouloir, ung penser,
De vous et moi en amour, sans cesser…


Après que le César eût répondu que loin de sa mère il ne goûtait plus rien,

« ny les arbres, ny les champs, ny les plaisirs des oiseaulx ny leurs chams »,

Marguerite fit du duo un trio d’amour :

Ce n’est qu’un cueur et ne sera jamais
De vous a moy, ainsi je le promets,
Quelque chose que vous puisse advenir
Le sang ne peult au contraire venir,
Ny la raison : aussi je me sousmectz,
Ma volonté à la vostre remectz
Parolles et faicts entre vos mains je mectz
Puisque je veulx vostre ainsi devenir.
Ce n’est qu’un cueur !

La promesse que faisait la captivante princesse n’était pas vaine littérature et nous verrons qu’elle la tint envers et contre tout, malgré son intérêt et sa vie familiale, au prix même de sa vie. Toujours elle restera la « sœur unique », la servante reine, l’esclave adorée et contente, presque une amante. Et si dans la trinité d’amour Louise fut le cerveau politique, Marguerite, poète, grande libérale, vraie chrétienne, ne cessera de montrer du doigt l’idéal, la générosité, la sagesse, l’amour spirituel, et surtout le respect de l’homme et de sa liberté.

Meilleur administrateur au début qu’à la fin de son règne, François s’efforçait de mettre de l’ordre dans les Finances, créait des offices d’enquêteurs et de contrôleurs, surveillait l’empire et fiançait l’archiduc Charles à sa belle-sœur Renée de France, puis à sa fille Louise, encore au berceau et qui devait mourir vite, faisait proclamer la paix aux carrefours. « Mais la dicte paix n’a guère duré », écrit mélancoliquement le Bourgeois de Paris. Et les soucis fondirent vite sur le jeune roi et sur Louise qui avait cru peut-être pouvoir se reposer dans sa gloire et son bonheur. Le Parlement de Paris manifesta au roi une hostilité croissante qui durera douze ans, dont le prétexte était le gaspillage des offices nouveaux, et la raison profonde la marche vers le pouvoir absolu que l’on pressentait en François.

Dangereux et rusé, un adversaire de taille se montrait en Mercurio Gattinara chef du Conseil privé des Pays-Bas. Louise attaqua l’étranger de biais, en fiançant sa demi-sœur Philiberte de Savoie à Magnifique Julien de Médicis, frère de Léon X, pour gagner ce dernier. Déjà elle « practiquait » les Grands Electeurs de l’empire, en prévision de la succession de Maximilien et répétait que la guerre lui faisait horreur, qu’un roi ne devait risquer ni sa vie ni celle de ses sujets ni même celle des ennemis quand il était possible de négocier. Nous la verrons souvent acheter l’étranger, en particulier le roi anglais.

Ce fut sans enthousiasme qu’elle se laissa nommer régente et qu’elle vit François, héritier par les Visconti de droits sur Milan et par le roi René d’Anjou de droits sur Naples, hanté comme Louis XII par la chimère italienne, préparer en secret sa foudroyante descente sur la péninsule. Il gagna l’alliance d’Henri VIII, de Charles d’Autriche, de Venise, et la promesse du versatile duc de Savoie de ne pas l’entraver. Il dépêcha en avant le maréchal de Chabannes La Palice qui fondit sur les Alpes sur Prosper Colonna, le surprit à table et le fit prisonnier à Villafranca ; il fit faire à ses troupes et à sa grosse artillerie la célèbre traversée des Alpes par des sentiers de chèvres, à la stupeur générale, tomba comme la foudre sur l’Italie, et, sage comme un vieux capitaine, et comme il ne le sera plus en prenant de l’âge, chercha à traiter avec les Suisses. Mais ceux-ci surexcités par Schinner cardinal de Sion, manquèrent de parole et l’attaquèrent près de Marignan.
Ce fut une belle, rude et franche bataille, en pays découvert, amis et ennemis emmêlés la nuit sur terre ensanglantée, et le roi adolescent s’en donna à cœur joie, au centre de la mêlée, dans la poussière. « Vous connaissez mon bon droit », avait-il dit à ses troupes ; « je suis votre roi et prince ; je suis jeune…délibéré vivre et mourir avec vous. » Menée avec autant d’intelligence que d’audace, l’affaire digne des gestes de chevalerie, méritait sa récompense : la victoire.
Ce même jour, Louise que le passage d’une comète avait effrayée peu avant comme un signe néfaste, s’était rendue à pieds à Notre-Dame de Fontaines pour recommander à Dieu « ce que j’aime plus que moi-même, c’est mon fils, mon glorieux et triomphant César ».
Milan se rendit. Le connétable de Bourbon l’administra avec intelligence et une habileté qui firent reculer Maximilien. Henri VIII feignit la joie, « mais il avait les yeux rouges », remarqua Barillon. François, à Pavie, émerveilla les ambassadeurs par sa lucidité, sa pondération, sa brillante élocution. Mais à Bologne la rouge aux cent campaniles, il fut reçu et séduit par le paternel Léon X et signa le Concordat, qui abolissait la Pragmatique Sanction et les libertés gallicanes, et contre lequel s’éleva le Parlement avec une telle insolence que le roi déclara « qu’il lui appartenait de commander à la dite Cour comme à ses sujets. » : première affirmation nette du pouvoir absolu. Le clergé protesta en chaire, l’Université en appela à un Concile en assurant que le Concordat « offensait Dieu » et que le Pape était hérétique, qui voulait aller contre le concile de Bâle. Enfin, le roi signa avec certains Cantons Suisses la Paix Perpétuelle, seule paix de l’histoire à avoir duré.

En février 1516, revenu en France, François fit avec sa mère le pèlerinage de la Sainte-Baume, en actions de grâces, puis, en « grant triumphe », la visite du « pays de Provence » où nul roi avant lui ne s’était montré. Chaque ville le reçut avec des fêtes somptueuses et ruineuses. Et le beau roi dès lors connut le pouvoir de sa présence et de son charme sur son peuple. Il prit aussi le goût effréné du luxe. Marguerite était de toutes les fêtes, au second rang, devant l’altière duchesses de Bourbon qui pour montrer qu’elle était, elle, fille de roi, portait une traîne infiniment plus longue que celles de Louise et de Marguerite, ces petites princesses sans fortune et d’une branche cadette. Aussi appela-t-on Louise « Madame Sans Queue ».

Les voyages continuèrent, par Chambéry, Moulins, Tours, Amboise et Paris, et Saint-Denis où Claude fut couronnée en « grant triomphe ». Partout le roi se laissait approcher familièrement et touchait les écrouelles. Marguerite était à cheval, en robe à haussures de drap d’or, cordelière et chaperon d’or sur ses cheveux blonds.
Ensuite Claude fit son entrée dans son duché breton : fêtes. Puis, le roi et sa sœur furent reçus à Cognac – les réjouissances de la Cour et du peuple durèrent trois semaines. Il y eut mascarades et allégories.
Marguerite avait reçu le roi en Alençon, aussi la reçut-il à Argentan et un lion effrayant marcha sur les invités : certaines dames s’évanouirent, mais le lion se fendit sur une jonchée de lys en guirlande. Cet automate était l’œuvre de Léonard de Vinci qui vieillissait paisiblement dans le manoir de Coux près d’Amboise, et devant lequel le roi, lorsqu’il allait lui rendre visite, se découvrait.
L’on s’amusa encore à Amboise lors du mariage du duc d’Urbin et de la jolie Madeleine de la Tour d’Auvergne.

Autour du roi et de sa sœur, la Cour commençait de se former telle qu’elle durera jusqu’en 1789. Foyer de grâces et d’intrigues, d’arts et de méchancetés, et, premier des rois, François y attirait les dames.

Marguerite prenait aux fêtes un plaisir fou. « Dieu n’a donné sa Création pour qu’on ne s’en réjouisse pas ! ». La dévotion ne l’embarrassait guère, elle n’entendait la Messe que « par coutume…J’aimois mieulx à mon plaisir aller. »
Conscient de la séduction de la « mignonne », le Roi lui envoyait les ambassadeurs étrangers. Celui d’Henri VIII lui parlait politique, celui de Venise lui offrait des parfums.
Il arrivait pourtant aux princesses d’être lasses des fêtes. Naturelli, qui espionnait la Cour de France pour Marguerite d’Autriche, lui écrit en 1518 : « La royne et Madame mère du roy sont maintenant retirées en une petite place au milieu d’ung bois qu’est quasi comme un ermitage, et se tiennent là au plus petit train qui soit possible, nul ne va vers elles. »

Louise s’inquiétait des dépenses de son fils pour le bon ordre des Finances, et Marguerite s’en désolait lorsqu’elle voyait certaines misères : famines, intempéries et ces terribles épidémies de peste qui dévastaient une ville. Un autre fléau : les Routiers, ou Aventuriers, ou Ecorcheurs ravageaient les campagnes. Bien des paysans « s’attelaient par le col » à leur charrue. Marguerite, de plus en plus, allait visiter, nourrir et soigner les pauvres. Elle prit en charge les pensions accordées par sa belle-mère après la mort de celle-ci, et commença à soustraire du budget de sa toilette des sommes destinées aux pauvres, encore que le Roi voulût la voir élégante. L’injustice du monde la frappait. Cependant le goût du luxe et l’amour de l’argent gagnaient toutes les classes sociales – des grands féodaux aux grands et petits bourgeois.
« Aymer l’argent sinon pour s’en servir, c’est servir les ydoles. », dira Marguerite…

La blonde duchesse glissait sans tache au milieu des tentations de toutes sortes. « Nenni avec un doux sourire », dit Clément Marot, qui recevait d’elle une belle pension de 95 livres. Il la définit : « Corps féminin, cœur d’homme, tête d’ange. » Espéra-t-il être aimé d’elle ? Il osa lui dire que, bien que « trop petit » pour cela, il « surmontait les autres en esprit et en vers », et les déesses n’avaient-elles pas daigné aimer les mortels ? En tous cas, une belle et franche amitié lia la princesse et le poète, qui mit en vers tous les événements de sa vie, et se désolait de ne pouvoir décrire son charme en toute sa splendeur, sa douceur « effaçant la beauté des plus belles », son « vif esprit », son « savoir qui étonne », sa « grâce tant bonne soit à se taire ou soit en devisant ».

François eut pour maîtresses Françoise de Foix, dame de Châteaubriand, puis Anne de Pisseleu aux « crespés cheveux et blanche couleur ». Ces favorites ne furent jamais ses conseillères et seules Louise et Marguerite eurent sur le roi une grande influence.

Ce fut vers ce temps-là que la duchesse se vit outragée par Bonnivet, le séduisant ami d’enfance. Passionnément épris d’elle et exaspéré de ses souriants « nenni », il osa pénétrer dans sa chambre par une trappe percée dans le mur et se jeter sur elle, qui cria et le griffa. Elle raconte l’aventure sans rancune dans l’Heptaméron et conclut finalement : « Sur telles affaires , toujours le meilleur est ne rien dire. »
Elle savait décourager la passion sans éveiller le dépit, voire la haine, et tout en conservant l’amitié.

Et déjà la future adepte de l’amour platonique se défiait de Cupidon :

Ne croyez pas ce méchant caqueteur
Qui pour un bien donne dix mille maulx.

Cependant, François et Claude avaient eu la joie de voir naître un fils, que Marguerite tint sur les fonds baptismaux, en grand triomphe, toute la cour d’Amboise étant recouverte par précaution contre la pluie. Par la suite, elle sera encore marraine de tous les enfants du couple royale.

François s’occupait alors avec soin de son royaume : « Le roy », dit Barillon, « estoit en grande paix et tranquilité et il n’y avoit pour lors aucun bruict ou rumeur de guerre, division ou partialité. Les marchands faisoient leur train de marchandise en grant seureté, tant par terre que par mer, et commerçoient ensemble pacifiquement françois et anglais, espagnols, allemans et toutes aultres nations de la Chrétienté ». Le roi possédait la plus belle artillerie d’Europe, des places fortes imprenables, une flotte superbe qu’il augmentait. Personne ne se méfiait de Charles d’Autriche, que la mort de son grand-père Ferdinand faisait roi d’Aragon. « Un quidam certain petit roy », disaient les Français. Pourtant la convoitise se lisait dans l’œil perçant, le menton lourd du morose adolescent, qui de sa mère « mallade d’entendement » tenait la mélancolie, de son grand-père Maximilien l’orgueil Habsbourg et l’énergie, de sa tante Marguerite d’Autriche la subtilité politique.

Tout, en France, était à la joie. Ces années-là furent merveilleuses. Le jeune roi et sa sœur mordaient à pleine bouche le beau fruit de la vie. Ce fut alors que mourut l’empereur Maximilien….


Note :
Le reste de cette partie de la biographie de Marguerite sera ajouté sous peu, de même que la partie suivante…

Reine de Navarre


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