Entre la mort et la vye différence |
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Marguerite
d’Angoulême Ce n’est qu’un cueur et ne sera jamais Marguerite à son frère François |
Marguerite d’Angoulême naît en 1492. Fille de Charles
d’Orléans et de Louise de Savoie, elle est la sœur aînée du futur François
Ier. En 1509, elle épouse le duc Charles d’Alençon, puis, devenue veuve, se
remarie en 1527 avec le roi de Navarre, Henri d’Albret. Elle s’oppose à la
politique de son époux qui cherche à se rapprocher de Charles Quint afin de
récupérer la partie de la Navarre annexée par les Espagnols. Elle est la mère
de Jeanne d’Albret et la grand-mère d’Henri IV. L’influence de Marguerite de Navarre sur
François Ier se fait particulièrement sentir dans le domaine
religieux, où elle entraîne son frère à la tolérance. Elle professe des idées
religieuses fortement teintées par le néoplatonisme tel que Marsile Ficin l’avait
développé et croit à la toute-puissance de l’amour : « Dieu est amour vrayment, et amour Dieu… ». Elle ne pense pas que les œuvres peuvent permettre d’accéder au paradis
et elle croit à la nécessité de la grâce et de la foi. D’accord avec les
réformés, elle pense que le sacrifice du Christ a définitivement racheté l’humanité.
Elle s’attaque à la superstition et prône le mépris des joies terrestres. Son
« Miroir de l’âme pécheresse », publié anonymement en 1531,
est condamné par la Sorbonne en 1533, ce qui provoque l’intervention du roi. Elle
ne devient pas pour autant réformée, conservant jusqu’à sa mort sa fidélité à
l’Église catholique. Femme de grande culture, Marguerite de Navarre
compose des écrits inspirés par la mort d’êtres proches. Ses poèmes sont d’inspiration
néoplatonicienne, et sa « Comédie jouée au Mont-de-Marsan »,
qui met en scène les différentes opinions sur les fins de l’existence
humaine, est un hymne à l’amour comme mode de compréhension du monde. Son œuvre
aujourd’hui la plus connue est un recueil de nouvelles à la manière de
Boccace, l’ « Heptaméron ».
Biographie détaillée de Marguerite
« Ma
fille feust née en l’an 1492 ; le onzième jour
d’avril à deux heures du matin, c’est-à-dire pour compter comme les
astronomes, le dixième jour à quatorze heures dix », écrit Louise de Savoie, dans son
pittoresque Journal. Louise était fille du beau
Philibert de Bresse, surnommé monsieur Sans-Terre
parce qu’il s’agitait sans répit pour conquérir un royaume, qu’il finit par
avoir grâce à la mort d’un chapelet de neveux : c’était la rude et belle
Savoie. Mais il mourut sans en avoir joui à son gré. Quant à Louise, elle
avait été élevée après la mort de sa mère Marguerite de Bourbon par sa tante,
la belle et rusée Anne de Beaujeu, fille de Louis XI, qui avait si virilement
et sagement administré le royaume durant la minorité de Charles VIII, que
Brantôme déclare : « Ce feust ung roy. » Lorsque l’infortuné Charles
VIII heurta de sa tête trop grosse et souvent douloureuse un échafaudage et
qu’il mourut dans un couloir d’Amboise (7 avril 1498), Louise fut submergée
d’espoir, car son fils devenait héritier présomptif du Trône. Alors cette
jeune femme passionnée, impétueuse, se fit souple, patiente, rusée, toute
tendue vers sa folle ambition : Louis XII, marié contre son gré par
l’implacable Louis XI à Jeanne de France, sainte mais boiteuse et
contrefaite, n’avait-il pas renoncé à avoir des enfants ? Marguerite à neuf ans était
déjà une petite femme, avec d’immenses yeux d’un bleu gris, des cheveux d’un
blond cendrés, un visage riant, une manière unique de « présenter à chalcun sa main » (Sainte-Marthe). De son côté, François avait
pour gouverneur un homme juste et bon : Artus de Gouffier,
seigneur de Boisy, qui amena son jeune frère
Guillaume, futur amiral de Bonnivet. Ce dernier, très beau, brave et
brillant, et qui devait faire un jour à Marguerite le pire affront, se
joignit aux premiers compagnons de François : Philippe Chabot de Brion,
le rude Anne de Montmorency, Robert de la Marck seigneur de Fleuranges qui se qualifiait lui-même de « jeune
aventureux » et, haut comme une botte, avait voulu mettre sa petite
épée au service de Louis XII. Ces joyeux lurons se
livraient avec la plus folle témérité à l’apprentissage des joutes et des
tournois, à la chasse, aux luttes et pugilats avec de petits châteaux-forts en bois et canons bourrés de boulets de
bois, à l’escrime, au tir à l’arc, au jeu de paume ou « d’escaigne » avec une « balle plaine de
vent », au jeu de boule avec une « boule aussi grosse qu’un
tonneau ». François ignorait le danger, faisait trembler sa mère,
qui une fois en « eut les sangs tournés ». Louis XII se mit
à raffoler de ses deux éblouissants neveux, et il donna à François
l’investiture de duché de Valois, peupla pour lui de gibier le parc d’Amboise
et assura que la France pourrait lui faire confiance. Marguerite partageait
l’adoration de sa mère pour François. Comme toutes les femmes, d’ailleurs,
elle était captivée par sa bravoure, son tour d’esprit chevaleresque, le
parfait entraînement de son corps à l’athlétisme, sa hautaine élégance,
encore moulée pour nous dans sa belle armure à fleurs de lys (musée de
l’Armée). Quoiqu’il en fût, « Dieu
ne permit pas que la France perdît sa perle tant précieuse »
(Sainte-Marthe ) et cette « perle »
se laissa marier à Charles, duc d’Alençon. Mariage peu brillant, convenu
pour éteindre un vieux procès entre la Couronne et la Maison d’Alençon, pour
les biens des ducs d’Armagnac. L’amour n’entrait pas en lice dans
l’association de rang, de convenances, de politique, d’intérêts à long terme,
que représentait la haute et sévère institution du mariage. L’amour prenait
sa revanche dans la coutume, admise, pour les hommes d’installer une
maîtresse chez eux, pour les femmes de s’évader dans un sentiment platonique.
Marguerite sera par sa plume un brillant avocat de cet amour-là. Que pensa
Marguerite en quittant sa « subtile et très providende
mère », son frère idolâtré qui s’en allait maintenant souvent avec
Louis XII, dans cette Italie dont il s’était épris, les joyeux compagnons de
jeunesse, la cour qui n’était encore qu’un entourage de chevaliers, mais où
apparaissaient déjà de jeunes « fats corsetés » baragouinant
un langage à la mode ? Tant qu’à la fin la superstition L’ardente Marguerite, descendante
des Orléans poètes, des rudes paladins de Savoie, des chimériques rois de
Chypre, qui s’éprenait de tous les rêves et ne pouvait vivre sans
enthousiasmes, étouffa dans sa forteresse obscure dont le seul agrément était
un très beau parc hanté de rossignols. Elle appela sa mère à son secours.
Louise vint, avec son bon sens, sa gaillarde bonne humeur, sa tendresse, ses
emportements. Mais elle dut repartir. Mais sa vivacité, sa curiosité
d’esprit l’entraînaient bientôt loin de ces angoissantes réflexions. Gaie,
assoiffée de fêtes, « de moult joyeuse vie quoique toutefois femme de
bien », dira-t-elle d’elle-même, elle se distrayait en causant avec
les gentilshommes de sa Maison, parmi lesquels apparaîtra bientôt Clément
Marot dont le père était gentilhomme de chambre de la reine Anne. Marguerite
s’occupait d’ailleurs fort bien de sa Maison, qui était importante :
plus de deux cent cinquante personnes, en comptant les aumôniers,
chambellans, maître de requête, secrétaires, médecins et
« chirurgiens », maîtres d’hôtel et cuisiniers, valets, échansons,
panetiers, sommeliers, chambrières, lavandières, fourriers, écuyers d’écurie,
veneurs et maître de fauconnerie, « mulletiers
et charretiers », barbiers, tapissiers, brodeurs, portiers et
concierges, archers. Mais c’était au frère
bien-aimé, à leur mère, que la duchesse d’Alençon pensait le plus. Le temps
lui paraissait interminable, loin d’eux. D’ailleurs, François qui se
réjouissait malgré la folle inquiétude de Louise lorsque Louis XII l’envoyait
aux armes, ne manquait pas une occasion de revenir à Amboise et en 1514 il
fit une brillante « entrée » à Cognac, à la grande joie de
Marguerite qui vint assister aux fêtes pendant que sa mère se dévouait à
rester auprès du duc d’Alençon qui s’était cassé le bras. Mais elle n’eut
guère le temps de s’attarder avec son frère sur leurs souvenirs
d’enfance : comme le vent, François ne tenait pas en place. Cependant Louis XII, épaulé par
le maréchal de Gié, avait voulu fiancer François à sa fille Claude, afin d’assurer
à la Couronne la Bretagne, mais Anne, plus bretonne que française, s’opposa à
cette union et se mit en tête de marier Claude à Charles d’Autriche, dont
elle reçut les parents à Blois avec somptuosité. Ce mariage aurait été la
ruine de la France encerclée par l’énorme empire autrichien qui déjà par la
Bourgogne lui entamait le flanc. Effrayé, Louis XII, bien que gravement
malade, fit confirmer sa volonté par les Etats Généraux et conclut les
fiançailles de sa fille avec François, tandis que la reine Anne outrée,
faisait embarquer son argenterie sur la Loire et allait se réfugier en son
duché. Le vindicatif Charles d’Autriche n’oubliera pas le nouvel affront fait
aux Habsbourg, après la répudiation de sa tante Marguerite d’Autriche qui
avait été fiancée à Charles VIII et remplacée par Anne de Bretagne. Dans le monde se précipitaient
les événements. Mort du roi d’Angleterre, avènement de son fils Henri VIII. Avènement en Savoie de Charles Le Bon, après la
mort de Philibert Sans-Terre. La Savoie, marche
entre la France et l’Empire, était un pion d’importance sur l’échiquier
européen. Fine mouche, Louise flattait son parent, ménageait à son fils
qu’elle espérait de plus en plus voir roi, de futures alliances, et peut-être
la première eut l’idée de s’informer du Sultan d’Egypte. Soudain, tous les espoirs de
Louise parurent s’effondrer. Louis XII avait été par deux fois à la porte du
tombeau, mais ce fut Anne qui mourut, emportée par une crise de gravelle, et
si Louise feignit la peine, « elle en feust
bien ayse, » dit Fleuranges ;
« pour ce qu’elle lui estoit bien contraire
en ses affaires et ne feust jamais heure que ces
deux Maisons ne feussent toujours en pique. »
Seulement, Louis XII se remaria
aussitôt avec la blonde et ravissante Marie d’Angleterre, peut-être autant
par amour que pour se rapprocher d’Henri VIII, « enemy
très malveillant ». Et, bien que « fort antique et
débile », Louis XII ne se contenta pas d’une cérémonie. « Le
9 octobre feurent les amoureuses noces de Louis XII
de France et de Mary d’Angleterre », écrit rageusement Louise dans
son journal ; « et le soir couchèrent ensemble. » Et Fleuranges : « le lendemain disoit
le Roy qu’il avait fait merveilles. Toutefois je crois ce qu’il en est car il
estoit bien malaise de sa personne. » Mais
si le roi était vieux, Marie était jeune, belle, coquette et intrigante, elle
retournait tous les cœurs, à commencer par celui du galant et bouillant
François. « Mon fils est Roy de
France », écrit
simplement Louise. Mais quel cri de triomphe ! Et dans son allégresse
elle n’oubliera pas le saint homme qui lui avait prédit cet honneur. « Le
5 juillet 1519, Frère François de Paule fut par moi canonisé : à tout le
moins j’en ai payé les taxes. » Pourtant il fallut encore
compter avec Marie, cette coquine. Un coussin sur la taille, n’était-elle pas
capable de feindre une grossesse ? Par bonheur, elle s’était follement
éprise de Charles Brandon et elle l’épousa et retourna en Angleterre, non
sans emporter les plus beaux joyaux de la Couronne. François donc était roi. Le « plus
beau des princes que l’on sache pour le jour d’hui »,
virtuose du cheval, des tournois et de tous les exercices du corps, brave
jusqu’à la folie, fou d’arts, causeur éblouissant, écrivant aussi aisément en
vers qu’en prose, chevaleresque, généreux, enthousiaste, ouvert aux idées
révolutionnaires, impétueux à la guerre comme en amour, idolâtré des femmes,
François était roi et il avait vingt ans. Puis, il commença de régner et avant
toute chose rappela auprès de lui sa sœur, sa « mignonne », lui
abandonnant les droits sur la succession d’Armagnac qui pourtant avaient été
la raison de son mariage, donnant à Charles d’Alençon le duché de Berry avec
ses revenus, le gouvernement de la Normandie, et les prérogatives de seconde
personne en France. Tout en gardant et comblant les hauts dignitaires de
Louis XII, il plaça ses amis d’enfance et ses parents. Le grand Bâtard de
Savoie devint Lieutenant général en Provence, le comte de Vendôme reçut le
titre de duc et le gouvernement de la ville de Paris. L’inquiétant Charles de
Montpensier que la mort de son oncle Pierre avait fait duc de Bourbon et qui
avait épousé la timide et peu jolie Suzanne de Bourbon, devint connétable et
gouverneur du Languedoc. Pour Marguerite, la revanche
sur les mornes années d’Alençon était éclatante. La « perle des
Valois » prenait son vol, aux côtés de son frère, avec un riche bagage
d’intelligence et de séduction. Seconde personne à la cour, elle en fut vite
la vraie reine, sans piquer la jalousie de la modeste Claude qui aimait à
broder et se montrait toute soumise à Louise. Tout de suite Marguerite
fascina les ambassadeurs, les humanistes, les poètes, les artistes. Elle
avait le don des langues et de la conversation, écrivait en vers sans se
relire, et son esprit enjoué, pittoresque, ensemble profond et vertement
gaillard ne cessait d’étonner. Dès lors le roi voulut l’avoir toujours auprès
de lui, de même que sa mère. Ce n’est qu’ung cueur,
ung vouloir, ung penser,
« ny les arbres, ny
les champs, ny les plaisirs des oiseaulx
ny leurs chams », Marguerite fit du duo un trio
d’amour : Ce n’est qu’un cueur et ne sera jamais La promesse que faisait la captivante
princesse n’était pas vaine littérature et nous verrons qu’elle la tint
envers et contre tout, malgré son intérêt et sa vie familiale, au prix même
de sa vie. Toujours elle restera la « sœur unique », la servante
reine, l’esclave adorée et contente, presque une amante. Et si dans la
trinité d’amour Louise fut le cerveau politique, Marguerite, poète, grande
libérale, vraie chrétienne, ne cessera de montrer du doigt l’idéal, la
générosité, la sagesse, l’amour spirituel, et surtout le respect de l’homme
et de sa liberté. Meilleur administrateur au
début qu’à la fin de son règne, François s’efforçait de mettre de l’ordre
dans les Finances, créait des offices d’enquêteurs et de contrôleurs,
surveillait l’empire et fiançait l’archiduc Charles à sa belle-sœur Renée de
France, puis à sa fille Louise, encore au berceau et qui devait mourir vite,
faisait proclamer la paix aux carrefours. « Mais la dicte paix n’a
guère duré », écrit mélancoliquement le Bourgeois de Paris. Et les
soucis fondirent vite sur le jeune roi et sur Louise qui avait cru peut-être
pouvoir se reposer dans sa gloire et son bonheur. Le Parlement de Paris
manifesta au roi une hostilité croissante qui durera douze ans, dont le
prétexte était le gaspillage des offices nouveaux, et la raison profonde la
marche vers le pouvoir absolu que l’on pressentait en François. Dangereux et rusé, un
adversaire de taille se montrait en Mercurio Gattinara chef du Conseil privé des Pays-Bas. Louise
attaqua l’étranger de biais, en fiançant sa demi-sœur Philiberte de Savoie à
Magnifique Julien de Médicis, frère de Léon X, pour gagner ce dernier. Déjà
elle « practiquait » les Grands Electeurs
de l’empire, en prévision de la succession de Maximilien et répétait que la
guerre lui faisait horreur, qu’un roi ne devait risquer ni sa vie ni celle de
ses sujets ni même celle des ennemis quand il était possible de négocier.
Nous la verrons souvent acheter l’étranger, en particulier le roi anglais. Ce fut sans enthousiasme
qu’elle se laissa nommer régente et qu’elle vit François, héritier par les
Visconti de droits sur Milan et par le roi René d’Anjou de droits sur Naples,
hanté comme Louis XII par la chimère italienne, préparer en secret sa
foudroyante descente sur la péninsule. Il gagna l’alliance d’Henri VIII, de
Charles d’Autriche, de Venise, et la promesse du versatile duc de Savoie de
ne pas l’entraver. Il dépêcha en avant le maréchal de Chabannes La Palice qui fondit sur les Alpes sur Prosper Colonna, le
surprit à table et le fit prisonnier à Villafranca ;
il fit faire à ses troupes et à sa grosse artillerie la célèbre traversée des
Alpes par des sentiers de chèvres, à la stupeur générale, tomba comme la
foudre sur l’Italie, et, sage comme un vieux capitaine, et comme il ne le
sera plus en prenant de l’âge, chercha à traiter avec les Suisses. Mais
ceux-ci surexcités par Schinner cardinal de Sion,
manquèrent de parole et l’attaquèrent près de Marignan. En février 1516, revenu en
France, François fit avec sa mère le pèlerinage de la Sainte-Baume, en
actions de grâces, puis, en « grant triumphe », la visite du « pays de
Provence » où nul roi avant lui ne s’était montré. Chaque ville le reçut
avec des fêtes somptueuses et ruineuses. Et le beau roi dès lors connut le
pouvoir de sa présence et de son charme sur son peuple. Il prit aussi le goût
effréné du luxe. Marguerite était de toutes les fêtes, au second rang, devant
l’altière duchesses de Bourbon qui pour montrer
qu’elle était, elle, fille de roi, portait une traîne infiniment plus longue
que celles de Louise et de Marguerite, ces petites princesses sans fortune et
d’une branche cadette. Aussi appela-t-on Louise « Madame Sans
Queue ». Les voyages continuèrent, par
Chambéry, Moulins, Tours, Amboise et Paris, et Saint-Denis où Claude fut
couronnée en « grant triomphe ». Partout
le roi se laissait approcher familièrement et touchait les écrouelles.
Marguerite était à cheval, en robe à haussures de
drap d’or, cordelière et chaperon d’or sur ses cheveux blonds. Autour du roi et de sa sœur, la
Cour commençait de se former telle qu’elle durera jusqu’en 1789. Foyer de
grâces et d’intrigues, d’arts et de méchancetés, et, premier des rois, François
y attirait les dames. Marguerite prenait aux fêtes un
plaisir fou. « Dieu n’a donné sa Création pour qu’on ne s’en
réjouisse pas ! ». La dévotion ne l’embarrassait guère, elle
n’entendait la Messe que « par coutume…J’aimois
mieulx à mon plaisir aller. » Louise s’inquiétait des
dépenses de son fils pour le bon ordre des Finances, et Marguerite s’en
désolait lorsqu’elle voyait certaines misères : famines, intempéries et
ces terribles épidémies de peste qui dévastaient une ville. Un autre
fléau : les Routiers, ou Aventuriers, ou Ecorcheurs ravageaient les
campagnes. Bien des paysans « s’attelaient par le col » à leur
charrue. Marguerite, de plus en plus, allait visiter, nourrir et soigner les
pauvres. Elle prit en charge les pensions accordées par sa belle-mère après
la mort de celle-ci, et commença à soustraire du budget de sa toilette des
sommes destinées aux pauvres, encore que le Roi voulût la voir élégante.
L’injustice du monde la frappait. Cependant le goût du luxe et l’amour de
l’argent gagnaient toutes les classes sociales – des grands féodaux aux
grands et petits bourgeois. La blonde duchesse glissait
sans tache au milieu des tentations de toutes sortes. « Nenni avec un
doux sourire », dit Clément Marot, qui recevait d’elle une belle
pension de 95 livres. Il la définit : « Corps féminin, cœur
d’homme, tête d’ange. » Espéra-t-il être aimé d’elle ? Il osa
lui dire que, bien que « trop petit » pour cela, il « surmontait
les autres en esprit et en vers », et les déesses n’avaient-elles
pas daigné aimer les mortels ? En tous cas, une belle et franche amitié
lia la princesse et le poète, qui mit en vers tous les événements de sa vie,
et se désolait de ne pouvoir décrire son charme en toute sa splendeur, sa
douceur « effaçant la beauté des plus belles », son « vif
esprit », son « savoir qui étonne », sa « grâce
tant bonne soit à se taire ou soit en devisant ». François eut pour maîtresses
Françoise de Foix, dame de Châteaubriand, puis Anne
de Pisseleu aux « crespés cheveux et
blanche couleur ». Ces favorites ne furent jamais ses conseillères
et seules Louise et Marguerite eurent sur le roi une grande influence. Ce fut vers ce temps-là que la
duchesse se vit outragée par Bonnivet, le séduisant ami d’enfance.
Passionnément épris d’elle et exaspéré de ses souriants « nenni »,
il osa pénétrer dans sa chambre par une trappe percée dans le mur et se jeter
sur elle, qui cria et le griffa. Elle raconte l’aventure sans rancune dans
l’Heptaméron et conclut finalement : « Sur telles affaires , toujours le meilleur est ne rien dire. » Et déjà la future adepte de
l’amour platonique se défiait de Cupidon : Ne croyez pas ce méchant caqueteur Cependant, François et Claude
avaient eu la joie de voir naître un fils, que Marguerite tint sur les fonds baptismaux,
en grand triomphe, toute la cour d’Amboise étant recouverte par précaution
contre la pluie. Par la suite, elle sera encore marraine de tous les enfants
du couple royale. François s’occupait alors avec
soin de son royaume : « Le roy »,
dit Barillon, « estoit
en grande paix et tranquilité et il n’y avoit pour lors aucun bruict ou
rumeur de guerre, division ou partialité. Les marchands faisoient
leur train de marchandise en grant seureté, tant par terre que par mer, et commerçoient ensemble pacifiquement françois
et anglais, espagnols, allemans et toutes aultres nations de la Chrétienté ». Le roi
possédait la plus belle artillerie d’Europe, des places fortes imprenables,
une flotte superbe qu’il augmentait. Personne ne se méfiait de Charles
d’Autriche, que la mort de son grand-père Ferdinand faisait roi d’Aragon.
« Un quidam certain petit roy », disaient
les Français. Pourtant la convoitise se lisait dans l’œil perçant, le menton
lourd du morose adolescent, qui de sa mère « mallade
d’entendement » tenait la mélancolie, de son grand-père Maximilien
l’orgueil Habsbourg et l’énergie, de sa tante Marguerite d’Autriche la
subtilité politique. Tout, en France, était à la joie. Ces années-là furent merveilleuses. Le jeune roi et sa sœur mordaient à pleine bouche le beau fruit de la vie. Ce fut alors que mourut l’empereur Maximilien….
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