« Le jour de son mariage, elle se vit la plus grande princesse de son temps, fille, sœur et femme de grands rois ; et, nonobstant cet avantage, elle fut, depuis, le jouet de la fortune, le mépris des peuples qui lui devaient être soumis et vit une autre tenir la place qui lui était destinée. »

Mémoires de Richelieu

Marguerite de Valois jeune fille
par François Clouet

« Elle avait la tête près du bonnet, a dit Ronsard, et le bonnet volontiers de travers », et l’on peut critiquer bien de ses intrigues politiques, mais celle que l’on appelait la « déesse de son siècle », par son intelligence, son érudition, son goût pour le latin et la poésie, a ébloui tous ceux qui l’ont vue vivre et aimer. Brantôme fut amoureux de la belle Margot, « si belle que rien n’existe, disait-il, de si beau au monde ».
Marguerite de Valois n’est pas tout à fait cette femme de luxe et de volupté que l’on s’est plu à imaginer. Fille d’une époque de fer et de sang, celle des guerres civiles, elle endure les horreurs et la Saint-Barthélemy la marque à tout jamais. Princesse puis reine, elle croit pouvoir jouir des atouts de son rang. Comme un prince, comme un roi, elle affiche ses amours, elle déploie le luxe ostentatoire des puissants et participe aux clans politiques : vaine liberté, vains espoirs qui la renvoient sans cesse à elle-même, à cette femme qui ne peut exister ailleurs que dans le faste de la représentation. Car Marguerite subit jusque dans sa chair le joug de sa famille qui toujours l’utilise pour après la rejeter. Être la fille de Catherine de Médicis, être la sœur de Henri III distordent sa vie et sa destinée au point de la rendre misérable. Contrainte d’épouser le huguenot Henri de Navarre, futur Henri IV, premier roi Bourbon, elle ne trouve dans cette alliance qu’incompréhensions et infidélités. Marguerite de Valois, femme de scandale et de volupté, sûrement ! Mais que de courage, voire de témérité puisque, à la fin de sa vie, la dernière des Valois, sans renoncer à cette liberté qui lui a coûté si cher, appuie et favorise la nouvelle dynastie des Bourbons.

Biographie détaillée de Marguerite de Valois

     Introduction : L’art de vivre dans la contradiction

     Enfance et Jeunesse

     Les noces vermeilles

     Le tourbillon d’intrigues

     La déesse de Nérac

     La Révoltée

     Marguerite d’Usson

     Dernières années

Marguerite de Valois ou l’art de vivre dans la contradiction

Quand on pense à Marguerite, l’épithète qui vient immédiatement à l’esprit, c’est celle de grande amoureuse. Don Juan tenait registre de ses conquêtes. Elle que son sexe et un sens très aigu des bienséances obligeaient à la discrétion a laissé aux historiens et aux pamphlétaires le soin de dresser la liste des « mille et trois », ils ne sont arrivés qu’à 22. Et encore faut-il en rabattre. Lui prêter un amant à dix ans, comme ils font, c’est être trop généreux de vices. 

Au vrai elle ne fut pas si précoce. Toute jeune, elle avait voué un amour exclusif à son frère Henri, qui le lui rendit bien, et connut pourtant très tôt une amère déception, qui transforma cet amour en haine passionnée. Elle tenta ensuite de l’oublier (elle n’y parviendra jamais !) en se réfugiant dans une idylle avec Henri de Guise qui n’était qu’une préface à un mariage et il n’y a aucune raison de ne pas la croire innocente. A contrecœur, par obéissance à Catherine de Médicis et à Charles IX, et aussi par ambition d’une couronne royale, elle a renoncé à la passionnette pour épouser le roi de Navarre, qu’elle n’aimait pas. Sa vie de jeune fille, en dépit des diffamateurs, paraît irréprochable. 

Ses fautes datent de cette union mal assortie et d’un amour excessif pour un homme dont elle ne savait que trop qu’il ne pourrait jamais être sien : C’est une gageure de plaider la vertu de la reine de Navarre. Elle a été une « honnête dame » au sens où les lecteurs narquois de Brantôme l’entendent. Elle commit sa première infidélité conjugale avec Boniface de La Mole, vers la fin de l’année 1573. Après La Mole, qui en périt, se succédèrent le bel Antraguet, un galant de cour à succès féminins, Bussy, le prince des duellistes, Turenne, le meilleur lieutenant du roi de Navarre, et quelque autre seigneur huguenot ou catholique. Enfin Champvallon parut, l’idéal des amants, brave, lettré et si beau. Elle, qui d’ordinaire couvrait du prétexte de devoirs mondains les liaisons suspectes, fit cette fois un tel étalage de sa faiblesse pour cet Apollon, qu’Henri III, exaspéré d’ailleurs par ses intrigues politiques et jaloux de sa sœur malgré lui, la chassa ignominieusement de Paris. 
La rupture avec son mari ouvre une ère nouvelle de fautes passionnelles. Sa faiblesse pour d’Aubiac, qui était d’ailleurs un cadet de bonne maison, est relevée par la noblesse du sacrifice; elle a consenti à se perdre pour le sauver. Mais à Usson, et depuis, quelle chute! Elle vécut dans ce château fort, dix-neuf ans, recluse volontaire ou non, isolée longtemps du royaume, pauvre de revenus, perdue de dettes à n’en pouvoir plus faire. C’en était fini de ces galants magnifiques, grands seigneurs et capitaines, qui, à la Cour de France, recherchaient sa faveur et « vouloient adoucir sa vie ». L’éternelle amoureuse en fut réduite, faute de mieux, aux gens de son entourage, « secrétaires, chantres et métis de noblesse ». Parmi les services de la chambre, il s’en introduisit un tout intime. A Usson, comme à Paris, où elle rentra en 1605, et jusqu’à sa mort, il ne manqua plus de titulaire. Le règne des valets de cœur commença. 

En ce roulement presque ininterrompu de favoris haut et bas, les diffamateurs de Marguerite ont même fait une place aux inclinations qu’il répugne d’imaginer : elle aurait fait à son aumônier, l’évêque de Grasse, Boucicault, l’aveu de ses incestes, volontaires ou non, avec ses trois frères, Charles IX, Henri III et le duc d’Alençon.
Brantôme dit qu’Henri III et elle ne faisaient ensemble, avant leur rupture, qu’un coeur, un esprit et un corps. L’amour haine qui la lie à son frère Henri, responsable d’une grande partie de ses malheurs, forme un cas exceptionnel : on touche ici au plus profond du drame intime de sa vie.
Mais en ce qui concerne sa passion incestueuse pour ses autres frères, il n’en est de rien – bien que Scipion Dupleix parle sans équivoque des sentiments de la sœur pour son plus jeune frère : Ce diffamateur, une créature de Marguerite, avait dans le Cours de philosophie qu’il lui dédia commencé par la célébrer comme une autre Minerve, « ne se pouvant exprimer, dit-il, que par le nom d’une divinité la grandeur et la candeur de Vostre Majesté », qui « s’étant distraite des choses mortelles a été soudain attraite par les immortelles » et qui « n’aspire qu’aux choses divines et célestes. » C’est pourtant cet adorateur de ses royales vertus qui a divulgué cruellement sa misère morale. Devenu historiographe de France sous Louis XIII, il a considéré comme une obligation de sa charge et un hommage dû à la vérité de raconter ce qu’il avait appris, vu et même entendu de la bouche de la Reine. Elle avait, dit-il, pour le duc d’Alençon « une amitié plus que fraternelle. » Le frère et la sœur « s’aimoient uniquement et cordialement et j’ay ouï dire souvent à cette princesse que, ne pouvant supporter la tyrannie d’un mari ny d’un frère (Henri III), elle avoit donné son cœur et toutes ses affections à son jeune frère pour le salut duquel elle eust volontiers employé sa vie. Certes elle témoignoit assez qu’elle avoit une passion desreglée pour luy et n’a peu le cacher en ses Mémoires.» Si elle y accuse les maîtresses de son mari de lui avoir rendu de mauvais offices, c’est, observe-t-il, « pour couvrir les péchez qui se commettoient de sa part contre les lois du mariage. » Il ajoute: « L’escriture ne rougit point, mais je rougirois en l’escrivant si je couchois sur le papier ce que je luy ai ouï dire sérieusement à elle mesme. Certainement c’estoit une princesse qui avoit de très excellentes conditions et toutes royales, mais elle avoit aussi de grandes faiblesses et mesmes aucunes mauvaises habitudes. » Que veut-il dire par ces « mauvaises habitudes, » pires que de « grandes faiblesses » ? 

Il raconte aussi que Marguerite a eu deux bâtards, l’un de Champvallon, qui vit encore, le F. Ange, un capucin, et l’autre de d’Aubiac, qui est décédé. « Je les ai cognus tous deux, affirme-t-il. La vérité trop manifeste m’oblige malgré moy à remarquer ceci. » Et il conclut qu’Henri IV aurait pu se défaire de sa femme, « par la justice suivant l’advis de plusieurs de son Conseil, mais qu’il aima mieux rompre son mariage sans effusion de sang. » 

Quand parut dans l’Histoire de France, une œuvre officielle, cet étalage d’accusations, Bassompierre, contemporain d’Henri IV et de Marguerite, prit vigoureusement à partie l’historiographe qui salissait à plaisir la mémoire de sa bienfaitrice. « Infâme vipère qui par ta calomnie déchires les entrailles de celle qui t’a donné la vie... Quelle honte fais-tu à la France de publier à tout le monde et de laisser à la postérité des choses si infâmes d’une des plus nobles princesses de sang royal, qui peut-estre sont fausses... . » 
C’est un grand débat que celui des droits de l’histoire et des devoirs de la reconnaissance. En l’espèce, il suffit de constater que Bassompierre s’indigne de l’ingratitude de Dupleix, mais n’émet qu’un doute sur sa véracité; il lui fait un crime d’avoir publié des turpitudes, qui sont peut-être fausses, sans pouvoir certifier qu’elles sont fausses. Singulier apologiste qui n’ose se porter garant de l’innocence de la diffamée. 
Mathieu de Morgues, l’aumônier de Marie de Médicis et son défenseur contre Richelieu, attaque lui aussi les deux calomniateurs, Boucicault, « moine lassé de la rigueur de sa règle », qui, en quête d’un évêché, « racontoit comme un chevalier errant des aventures de roman », et Scipion Dupleix, ce misérable, honoré des bonnes grâces et assisté des bienfaits d’une fille de France, « qui a converty son pain en pierres avec lesquelles il luy va casser les os dans le tombeau du roy Henry II » (lire probablement Henri III). « On veut faire passer pour une abandonnée une Princesse fort vertueuse. » C’est une autre exagération. 

Au vrai Dupleix est bien crédule. Son histoire des deux bâtards est invraisemblable. Les visites de Marguerite aux sources fécondantes des Pyrénées prouvent combien elle souffrait de n’avoir pas d’enfant. Elle n’aurait pas attendu jusqu’à son voyage à Paris, loin de son mari, pour commettre avec un amant l’heureuse faute qui assurait l’avenir des Bourbons-Navarre et le sien. A Usson, où elle fut emprisonnée par ordre d’Henri III et de sa mère, qui peut-être la croyaient grosse des œuvres de d’Aubiac, elle n’aurait pas demandé en grâce, si on la mettait à mort, de faire l’autopsie de son corps, pour démontrer tout au moins qu’elle avait échappé aux conséquences de sa faiblesse. Dupleix ne se trompe-t-il que sur ce point? Comment peut-on croire que la femme qui ne convenait pas de simples adultères ait publié son inceste avec le duc d’Alençon? Dupleix s’est laissé prendre à ses déclarations brûlantes, qu’on dirait non d’une sœur, mais d’une amante. Marguerite suivit servilement la mode même en matière littéraire. Aurait-elle crié son amour pour son frère, si elle avait été pour lui ce que la nature ne voulait pas qu’elle fût. Elle l’aimait pour lui-même, pour l’affection qu’il lui avait vouée et que son mari lui refusait, pour ses « soumissions », c’est-à-dire pour les égards qu’il lui témoignait, et plus encore pour les services qu’elle était fière de lui rendre. Elle l’aimait contre Henri III, une forme d’amour à mélange de haine, et d’autant plus ardente. Que de raisons pour expliquer cette tendresse excessive, sans imaginer un attrait morbide. 
D’ailleurs, d’une édition à l’autre de son Histoire, Dupleix, sans se contredire, n’est plus aussi affirmatif. Il reconnaît que le succès des Mémoires de Marguerite et le récit où elle se complaît des écarts de son mari l’ont résolu à riposter aux diffamations par des diffamations. N’était-ce pas un devoir pour l’historiographe de France de faire porter, comme il dit, à la Reine une bonne partie de « l’ordure » qu’elle voulait rejeter toute sur ce grand Roi. 
Avec une candeur imbécile, il pensait honorer l’homme en déshonorant la femme. Enfin, par considération d’Etat, il importait de signaler que deux enfants étaient nés d’elle « durant son esloignement du Roy », car autrement ces bâtards pouvaient se dire légitimes. Il ne s’excusait pas d’avoir parlé et de parler encore des « deresglemens » de Marguerite. « Je remettray, disait-il, les éloges après son trespas, où avec vérité je diray des choses estranges et admirables. » Et voici en l’an 1615, date de la mort de la Reine, l’éloge funèbre annoncée : « Tout le monde la publiant pour Déesse, elle s’imaginoit aucunement de l’estre, et de là prit plaisir toute sa vie d’estre nommé (sic) Venus Uranie, c’est à dire céleste : tant pour monstrer qu’elle participoit de la divinité que pour faire distinguer son amour du vulgaire. Car elle avoit un autre ordre pour l’entretenir que celui des autres femmes, affectant surtout qu’il fust plus pratiqué de l’esprit que du corps et avoit ordinairement ce mot en bouche. Voulez-vous cesser d’aimer, possédez la chose aimée. J’en pourrois faire un roman…, mais j’ay des occupations plus sérieuses. » On lui en veut plutôt de se dérober. Il maintient qu’elle a aimé dans sa jeunesse, mais il accorde « qu’en ses amours il y avoit plus d’art et d’apparence que d’effect », et il semble réduire ses galanteries à un amusement de coquette. 
Pierre Matthieu, ou son fils, Jean-Baptiste, exécute des variations sur le même thème: « Sa beauté... faisoit ou mourir d’amour ou transir les cœurs .... Ce soleil eschauffoit, esclairoit et brusloit tout ce qui se presentoit à sa lumière et n’avoit point pour soy d’ardeur ni de chaleur, quoyque l’on creust que sa beauté eust conjuré contre son honneur; elle disoit souvent que le commencement de l’amour est beau, mais la fin n’en valoit rien. »

Etait-ce une intellectuelle, qui, sûre d’elle-même, éprouvait son empire sur les hommes, ou une imaginative en quête de plaisirs raffinés, ou simplement une sensuelle? Comment le savoir. Admirée, adulée pour la beauté de son corps et la distinction de son esprit, que relevait encore pour ses adorateurs le prestige de la naissance, célèbre par le luxe des vêtements et l’élégance de la parure, l’arbitre des modes et des élégances, il est possible qu’elle se soit fait un jeu d’exciter les désirs, mais répugnait-elle à les satisfaire? Sans doute il ne faut pas oublier la nature éthérée de ses aspirations et l’idéal d’amour pur cher aux néo-platoniciens de France et d’Italie. Mais, à mi-chemin du ciel où elle s’envolait sur les ailes de Platon, Vénus Uranie retombait souvent à terre de tout le poids, si l’on peut dire, de son humanité. 
Non, la reine Margot n’a pas eu que des amours de tête. Quand les hommes de son monde, sinon de sa culture, lui manquèrent, elle s’adressa aux autres, qui ne pouvaient être que des mignons de couchette, ou, comme dit crûment l’éditeur de La Ruelle mal assortie, des « bêtes de somme ». 
Qu’elle n’ait pas eu de peine à concilier la spiritualité de ses rêves et la matérialité de ses plaisirs, il n’y a rien que d’assez naturel, Marguerite ayant possédé au plus haut degré l’art de vivre dans la contradiction. Il n’apparaît pas non plus qu’elle se soit repentie, sauf à son lit de mort, de ses nombreux manquements à la morale chrétienne. Amoureuse et dévote, elle unissait la nature et la grâce, Dieu et les hommes dans un commun élan d’adoration mystique. Et il y a plus – elle a connu l’amour, certes, et surtout les amourettes, mais n’ayant jamais pu vivre pleinement le vrai, le grand amour de sa vie, elle se chercha très vite des substituts, de maigres compensations, qui ne parvinrent pourtant pas à combler le vide qu’avait laissé dans son cœur l’impossible amour pour son frère Henri. Elle a vécu librement sans remords et sans honte, mais non sans tristesse et sans périls.

 

Enfance et Jeunesse

Les noces vermeilles

Le tourbillon d’intrigues

La déesse de Nérac

La Révoltée

Marguerite d’Usson

Dernières années

Les autres parties de la biographie détaillée de Marguerite de Valois seront ajoutées sous peu.


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