Romorantin, 1499 - Blois, 1524
reine de France en 1515
fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne
première femme de François Ier et la mère d'Henri II
Biographie - 'Candida
Candidis' Mort solitaire Visitez ce site: |
|
Sur Claude de France, qui partagea dix ans
durant la vie de François Ier, les chroniqueurs ne tarissent pas de
louanges : Elle fut « très
bonne et très charitable, et fort douce à tout le monde, et ne fit
jamais déplaisir ni mal à aucun de sa cour ni de son royaume ». Sa devise était une pleine lune accompagnée des
mots Candida Candidis : blanche
pour ceux qui sont blancs, et le riche symbolisme de la
blancheur peut évoquer ici conjointement pureté, innocence,
voire candeur et simplicité de cœur. Autant de traits qui nous font deviner en elle une
victime, à qui vertus et malheurs sont promesse de salut. Et il est
exact que, après une enfance exceptionnellement heureuse, elle fut
écrasée par une condition trop lourde pour ses forces. |
Louis XII et Anne de Bretagne, les parents de Claude Portrait présumé de Claude de France, enfant François, duc d’Angoulême Louise de Savoie, belle-mère de Claude et mère de
François et de Marguerite d’Angoulême Marguerite d’Angoulême Claude de France Claude de France Claude entourée de ses filles
et de sa belle-fille Catherine de Médicis [de gauche à droite :
Catherine, Marguerite, Louise, Claude, Madeleine et Charlotte] Le mardi XXVI ème jour dudit
mois, mourut Maître Nicolas Versoris, bourgeois de Paris au La bonne dame était fort aimée de son vivant et
après Bourgeois de Paris |
Son
enfance commença sous les plus heureux auspices. Elle était née dans la
joie, enfant d'une double victoire, juridique et militaire. A
peine Louis XII, enfin sorti du procès qui l'opposait à Jeanne, avait-il
épousé Anne de Bretagne, le 8 janvier 1499, que ses espérances de
paternité se trouvaient comblées. Et le succès de l'expédition
d'Italie, aussitôt lancée, dépassait les prévisions les plus optimistes.
Il avait quitté le Val de Loire pour se diriger vers Lyon, base de
départ des campagnes vers la péninsule, en compagnie de la reine, et il
s'attardait auprès d'elle lorsque lui parvint à la fin d'août la
merveilleuse nouvelle : le duché de Milan était conquis, la ville
allait tomber comme un fruit mûr. Laissant Anne à Romorantin où la
petite Claude vint au monde le 13 octobre, il alla cueillir ses
lauriers italiens. Une entrée solennelle dans Milan, trois mois de
séjour pour mettre au point l'administration de son beau duché tout
neuf, et il revient bien vite en France se pencher sur le berceau de
l'enfant et assister à son baptême. Bien
sûr, ce n'était pas un garçon. Mais le moyen de faire grise mine quand
tout lui souriait ? La fécondité immédiate d’Anne laissait bien augurer
de l'avenir : « C'est bon espoir d'avoir des fils,
depuis qu’on a eu des filles », déclara-t-il très
sagement. Un
bref soulèvement milanais, vite réprimé, mit entre ses mains «
l'usurpateur », Ludovic Sforza, qui fut amené en France et incarcéré
finalement à Loche où il terminera ses jours : la conquête semblait
devoir être durable. Roi de France, duc de Milan, père comblé, l'ancien
duc d'Orléans rayonnait. Il tint à associer à son triomphe sa fille
nouveau-née en la faisant proclamer par le parlement de Paris, « à
huis ouverts », c'est-à-dire publiquement, « duchesse des deux
plus belles duchés de la chrétienté, qu'étaient Milan et Bretagne, l'une
venant du père et l'autre de la mère ». Et il entreprit avec sa
femme une vaste tournée dans les provinces de l'Ouest, avant de regagner
le château de Blois où les attendait la fillette. Les
promesses de l'aube, on le sait, ne furent pas tenues. Claude demeura
l'unique enfant vivante du couple royal pendant dix ans et, en 1510,
c'est une sœur qui lui naquit. Quant au duché de Milan, il fut très
vit reperdu. La petite Claude resta cependant pour se parents
l'enfant dont l'existence même était un éclatant défi au malheur. Ils
déversèrent sur elle le trop-plein d'affection dont ils regorgeaient. « Elle
était leur bonne fille et la bien aimée, comme ils le lui montraient
bien. » Elle
fut choyée comme le sont rarement les rejetons des rois. Louis XII et
Anne de Bretagne – effet de l'âge ou de la fatigue ? – sont, pour des
souverains de l'époque, relativement sédentaires. Leur point d'attache
est Blois, où réside la fillette. Ils s'occupent d'elle
personnellement le plus qu'ils peuvent et cette intimité se reflète
jusque dans le langage quotidien : « Ma fille Claude », dit
familièrement Anne de Bretagne, en parlant d'elle sans cérémonie. La
petite princesse a sa « maison », à côté de celle de sa mère – entendez
ses appartements et tout le personnel afférent – presque sa cour, et le
roi, lorsqu'il sort de la visite quotidienne qu'il fait à l'une, ne
manque jamais de se rendre chez l'autre quêter un sourire ou un
baiser. Et l'on sait qu'en 1505, par exemple, les fêtes de Pâques
furent au château l'occasion de réjouissances familiales, dont l'enfant
était le centre. Inspira-t-on
à la petite Claude l'orgueil de sa naissance et de son rang ?
C'est probable. Mais jamais elle ne manifesta, comme sa sœur Renée,
la moindre rancœur contre la loi salique l'excluant du pouvoir
qui, dans un pays voisin, lui fût revenu. Ses parents se querellèrent au
sujet de son mariage. Partagea-t-elle les hautes ambitions de sa mère ?
Regretta-t-elle qu’ait été écarté Charles de Gand, à qui elle fut
un temps promise et qui aurait fait d'elle une impératrice ? Quel
souvenir garda-t-elle de ses fiançailles avec François d'Angoulême, le 21 mai
1506 ? Elle n'avait pas six ans, il fallut la porter tant elle
était engoncée dans son harnachement de brocart et d'or. Le choix
finalement retenu, en tout cas, lui évitait une des épreuves
généralement dévolues aux princesses, les affres du déracinement, de
l'arrachement au pays natal et le contact brutal avec un mari jamais vu,
le plus souvent vieux et laid. François, lui, avait été appelé à la
cour dès 1508 et lorsqu'elle l'épousa, elle avait eu le loisir de le
bien connaître, sans pour autant quitter père et mère. De cinq ans plus
âgé, il avait tout pour plaire à une adolescente : grand et fort, gai,
brillant, enjôleur, il était le plus attirant de tous, sans
conteste, dans le cercle étroit des princes à marier. L'aima-t-elle ? Il
est permis de le supposer, mais la vérité est qu'on n'en sait
rien. Anne
de Bretagne, elle, ne l'aimait pas. Devant tant d'attraits, elle était
inquiète. Son antipathie pour cette ambitieuse famille d'Angoulême
aiguisait sa lucidité Elle se défiait de la légèreté de François, de sa
superbe d’enfant gâté, de son goût très affirmé pour les femme et
le plaisir. Elle invoquait, contre la décision de Louis XII, le futur
bonheur de sa fille : préoccupation très insolite, chez une mère royale.
«
La vertu de notre fille touchera le comte », répliquait le roi, «
il ne pourra s'empêcher de lui rendre justice ». Mais
Anne savait trop bien que la vertu ne suffit pas à
assurer l'emprise d'une femme sur son mari. Si
douce, bonne et pieuse que fût Claude, elle était dépourvue de toute beauté.
Elle ressemblait un peu à sa mère, le charme en moins. Affligée de la
même claudication, elle était plus petite encore, tenait de
son père un nez plus accusé, et son regard était déparé par un
léger strabisme de l'œil gauche que ses portraits ne parviennent pas à
dissimuler complètement. Elle ne paraissait pas sotte, cependant, et
elle aurait pu avoir l'air avenant si elle avait hérité de la sveltesse
maternelle. Mais l'« étrange
corpulence » notée chez elle par tous les observateurs devint
au fil des grossesses une désastreuse obésité, qui lui rendait la marche
difficile et mettait sa vie en danger à chaque naissance. Cet embonpoint
était-il congénital ? Et les diplomate étrangers qui la dépeignent
presque monstrueuse l'ont-ils vue autrement qu'enceinte ? On ne sait. Ce qui
es sûr, c'est qu'elle n'eut jamais de quoi retenir son très volage
époux. À
quinze ans, lorsqu'elle aborde la vie conjugale, elle est encore une
enfant fragile, vulnérable. Trop protégée, elle n'a pas appris, comme
autrefois sa mère, à affronter l'adversité ni à prendre en charge son
destin. Le bonheur qui entoura ses jeunes années se transforme soudain
en handicap lorsqu'elle perd coup sur coup, en l'espace de moins
d'un an, ses deux parents. Aux tristes noces où les mariés étaient en
noir, juste après la mort d'Anne de Bretagne, avait succédé
le couronnement de Marie, qu'elle dut « servir ». Partageait-elle les inquiétudes de François à
l'idée de voir le trône leur échapper ? Brantôme, si mauvaise
langue pourtant, impute sa tristesse au seul souvenir du temps si
proche où, lors des cérémonies, elle assistait sa mère. Le sentiment
chez elle prévaut sur l'ambition. Trois
mois plus tard, Louis XII disparaît à son tour. Elle n'a désormais
d'autre appui que son souverain et époux, d'autre famille que celle de
celui-ci. La rupture, pour n'être pas accompagnée d’exil, n'en est pas
moins radicale. Car
la constellation familiale féminine, autour du nouveau roi, est
redoutable : si forte et si exclusive qu'elle ne laisse à la nouvelle
venue qu'une place chichement mesurée. « Mon roi, mon seigneur, mon César, mon fils » Tel
est François pour sa mère, Louise de Savoie : porteur de toutes ses
espérances, unique objet de son amour, idole à laquelle elle est prête à
se sacrifier elle-même et, à plus forte raison, à sacrifier le monde
entier. Cette passion maternelle dévorante, moins exceptionnelle au
demeurant qu’il n’y parait, avait été fortifiée par les
circonstances. Louise
avait des ascendances prestigieuses, mais de fortune point. Issue de la
prolifique et pauvre maison de Savoie, ruinée par des conflits récents,
elle était née le 11 septembre 1476, fille du duc Philippe, dit « Sans Terre » parce qu'il
s'était fait arracher à la guerre ses possessions de Bresse, et de sa
femme Marguerite de Bourbon, sœur de Pierre de Beaujeu, apparentée au
roi de France. En 1488, à douze ans, on l'avait mariée avec un
cousin germain du futur Louis XII, Charles de Valois, lui aussi prince
du sang. Union honorable, entre partenaires d'égale extraction. Mais le
mari en question n'était pas bien en cour, il avait trempé dans la « Guerre Folle », s'était fait battre
à plates coutures sous les murs de Cognac, avait dû capituler. Le
mariage proposé était un moyen de le fixer : il n'irait pas chercher
ailleurs une épouse et des appuis. On s'arrangea pour qu'il restât
besogneux. De maigres dotations – quelques milliers de livres pour elle,
la seigneurie de Melle pour lui – ajoutées à Angoulême, Cognac et
Romorantin : le couple n'aurait pas de quoi mener grande vie. Il était voué à
une modeste existence provinciale. Ils
avaient eu en 1492 une fille, Marguerite, puis un fils, François, deux
ans plus tard, sans que ces naissances aient créé entre eux l'ombre d'un
attachement. La jeune femme, d'une rare et précoce force de
caractère, s'accommoda avec philosophie des frasques d'un époux
auquel elle ne tenait guère. Elle ne le pleura pas quand il mourut
prématurément, le 1er ou le 2 janvier 1496 et resta en bons termes avec
sa maîtresse attitrée dont on élevait les enfants avec les siens –
solution simple qui avait le double mérite d'être franche et
peu dispendieuse. Elle
supportait moins bien, en revanche, la médiocrité de sa situation et
enrageait de végéter à Cognac dans une relative pauvreté. Le « petit paradis », que Marguerite
évoquera plus tard avec la nostalgie qui nimbe les souvenirs d'enfance,
n'était pour elle qu'un purgatoire dont elle était bien décidée à sortir
au plus tôt, par la grande porte, grâce à son fils. À dix-neuf ans,
elle était veuve, elle était libre. Elle refusa de se remarier, même
avec le roi d'Angleterre Henri VII. La destinée lui promettait autre
chose. Comme
beaucoup de ses contemporains, elle était férue d'astrologie,
d'horoscopes, de prédictions. Or l'ermite du Plessis-lès-Tours, le
fameux François de Paule – encore lui ! – avait affirmé que son fils
serait roi. Une telle promotion n'allait pas de soi. Entre le jeune
comte d'Angoulême et le trône de France, il y avait Charles VIII, puis
Louis d'Orléans, futur Louis XII et leurs éventuels descendants : sa
route vers le pouvoir sera en effet jalonnée de cadavres
d'enfants. Sans qu'il y soit pour rien, bien sûr. Mais Louise, confiante
dans les astres et dans la providence, habitée par son idée fixe,
vécut dès lors dans l'attente du miraculeux avènement de celui
qu'elle n'appelle plus, par anticipation, que son « César ». Et de
dénombrer férocement les disparitions propices, de se réjouir,
implacable, devant les berceaux vides, préparés en vain pour des
fils mort-nés. « Patience ne m'a jamais abandonnée », a-t-elle dit. Mais
elle a tremblé bien souvent, et continué de trembler toute sa vie au
moindre accident, à la moindre égratignure. Apprend-elle qu'il est
tombé de cheval ? Elle en frémit rétrospectivement : «
J'étais femme perdue s'il en fût mort. » Toute souffrance se
répercute de lui à elle, amplifiée, et vient irradier sa chair
même. Bien avant Mme de Sévigné écrivant à sa fille : «
J'ai mal à votre poitrine », Louise note dans son Journal : « Le 5e jour de juin 1515, mon
fils, venant de Chaumont à Amboise, se mit une épine en la jambe, dont
il eut moult douleur, et moi aussi ; car vrai amour me contraignait
de souffrir semblable peine. » Attachement viscéral, qui inclut
l'ambition mais la transcende. « Un seul cœur en trois corps » Une
telle mère n'est généralement pas un don du ciel pour ses enfants : ni
pour l'intéressé, accablé sous le poids d'une sollicitude intempérante,
ni à plus forte raison pour ses frères et sœurs moins aimés. On
en verra un exemple avec Catherine de Médicis. Or
ce ne fut pas le cas pour François et Marguerite, qui eurent l'un et
l'autre, chacun suivant sa voie, une vie parfaitement accomplie. Et ce
succès est à inscrire au crédit de Louise autant qu'à la forte
personnalité des deux enfants. D'abord elle sut communiquer à
la fillette son amour passionné pour le petit garçon. Jamais
Marguerite n'eut ombre de jalousie à l'égard de son frère. Elle communia
au contraire dans une même adoration, prête à jouer auprès du bambin, de
deux ans son cadet, le rôle d'une seconde mère s'associant ou se
substituant au besoin à la première. Les années passant et la différence
d'âge cessant de jouer, c'est alors à François, homme et roi, de
protéger celle qu'il n'appelle que sa «
mignonne ». Entre eux subsista un attachement réciproque que les
inévitables tensions ne parviendront pas à entamer, même lorsque les
intérêts familiaux ou les sympathies religieuses de
Marguerite divergeront de ceux de son frère. Ils se comprenaient à
demi-mot, lisaient dans la pensée l'un de l'autre, jumeaux sinon par les
gènes, du moins par une éducation vécue en commun sous la
direction effective de leur mère. Isolée
à Cognac ou, plus tard, confinée à Amboise par les soins de Louis XII,
Louise de Savoie, à qui les satisfactions sociales étaient mesurées, se
voue tout entière à cette éducation, dans un climat de chaleur,
de confiance peu commun. Ils eurent des précepteurs certes, mais leur
mère omniprésente veillait à tout. Elle avait choisi pour devise : Libris et Liberis – « Pour mes livres et pour mes
enfants ». Le goût pour les jeux de sonorités faciles ne suffit pas
à expliquer cette association singulière, qui témoigne chez elle d'un
goût vrai pour les choses de l'esprit. Intelligente, cultivée, elle
aima les beaux volumes dont la bibliothèque familiale était bien pourvue :
deux cents, à Cognac, c'était considérable pour l'époque. Voilà
bien un des seuls domaines où elle ait apprécié l'héritage conjugal.
On lisait et on écrivait volontiers, dans la famille.
Son beau-père, Jean d'Orléans, avait versifié aimablement, avec une
propension au mysticisme qu'on retrouvera chez sa petite-fille. Et il
avait pour frère le fameux Charles, père de Louis XII, poète de la douce
France entr'aperçue, par temps clair, du haut des falaises de Douvres. Les
disciplines intellectuelles et artistiques équilibraient donc, chez les
deux enfants, l'entraînement du corps. Sous l'œil attentif de leur
mère, on les éleva ensemble et chacun bénéficia du programme de
l'autre, en dépit de quelques activités spécifiques, armes pour le
garçon, broderie pour la fille. L'œuvre littéraire de Marguerite ne doit
pas faire oublier qu'elle était une cavalière accomplie. Et l'image
guerrière du roi chevalier ne doit pas occulter celle du protecteur des
arts et des lettres, qui fonda le Collège de France, fit
édifier Chambord et réaménager Fontainebleau. Education
humaniste, ouverte, où les langues modernes – italien, espagnol –
voisinaient avec les anciennes – latin, et même une teinture de
grec –, et où le souci de former des têtes bien faites prévalait
sur celui de les remplir. Éducation réaliste aussi, tournée vers
l'exercice futur d'une royauté que Louise veut prestigieuse et dans
laquelle une place est prévue pour elle et pour Marguerite. Rien ne
pouvait cimenter davantage l'union entre ces trois êtres, tendus dans
une volonté commune. Les
deux enfants regorgeaient de dons, la santé, l'intelligence, l'énergie.
Aucun des deux ne se fût laissé tyranniser. Ils admiraient leur
mère sans la craindre, ne se sentaient pas inférieurs à elle, ni
inférieurs l'un à l'autre, chacun dans son ordre. Ils avaient tous
trois leur personnalité, leur place, leur rôle à tenir. Et
ces rôles étaient complémentaires. Cette large autonomie n'excluait
pas le dévouement, au contraire, elle lui permettait de s'affirmer
en pleine liberté. Que François doive à l'adoration que lui vouaient sa
mère et sa sœur son égocentrisme ingénu d'enfant gâté accoutumé à
voir les autres céder à toutes ses volontés, c'est certain. «
François Ier naquit entre deux femmes prosternées [...] et telles elles
restèrent, dans cette extase de culte et de dévotion. »
Mais cette célèbre formule de Michelet ne prend en compte que les effets
néfastes d'un climat familial auquel le jeune homme doit aussi sa
joie de vivre, sa confiance en soi, son équilibre. Quant à
l'autoritarisme, point n'est besoin d'une enfance trop choyée pour le
développer chez les souverains : l'exercice du pouvoir s'en
charge. François
Ier leur doit encore bien davantage. Il sait pouvoir compter, sans réserves,
sur deux femmes intelligentes et énergiques, d'un dévouement absolu, qu'aucun
serviteur, si fidèle soit-il, ne saurait remplacer. C'est grâce à elles
deux qu'il sortira un jour des prisons espagnoles sans trop de dommages.
Plus encore : il a auprès de lui, en permanence, deux êtres dont
les efforts convergent avec les siens, pour une action menée de
conserve. Ils se partagent les tâches, ils se renvoient la balle, ils
jouent de leur partition en trois personnes dans les négociations. Avec
François Ier accède au pouvoir un triumvirat, ou plutôt une sorte de
trinité politique, bloc compact, cimenté par dix-huit ans de symbiose,
sans fissures, sans aucune brèche par où pût s'exercer, si tant
est qu'elle le voulût, l'influence d'une épouse. Au sein de ce
bloc, la petite Claude, avec ses quinze ans, sa douceur, sa fragilité, ne
peut être qu'un corps étranger, toléré à condition qu'elle veuille bien
participer au culte commun et pourvu que sa sphère d'activité
reste circonscrite. L'accueil qu'on lui réserva manquait singulièrement
de chaleur. Contre
toute attente, Louise de Savoie avait d'abord envisagé sans enthousiasme
le projet de mariage entre son fils et l'aînée des filles de France. Au
point d'en vouloir férocement au maréchal de Gié, principal artisan de
cette combinaison matrimoniale. A
vrai dire, on ne sait si elle fut hostile au projet par haine du
maréchal, ou l'inverse. Lorsqu'il avait succédé à Charles VIII, Louis XII,
prenant très au sérieux son rôle de tuteur légal de son jeune cousin,
l’avait soustrait à l'autorité exclusive de sa mère et avait installé la
jeune femme et ses deux enfants à Amboise, où Pierre de Gié était chargé
de veiller sur eux. Les protéger ? Les surveiller ? Les deux à la fois.
Et la très susceptible Louise avait souvent trouvé sa
sollicitude indiscrète. Elle
n'avait pas, sur l'avenir de son fils, exactement les mêmes vues que
lui. Gié, convaincu que les intérêts de sa province natale coïncidaient
avec ceux de la France, pensait surtout à rattacher la Bretagne
au royaume, peu lui importait comment. Il lui était bien égal, si
Louis XII avait un fils, que François d'Angoulême fût confiné dans la
condition de vassal. Louise, elle, poursuivait ses rêves ambitieux.
Pourquoi hypothéquer l'avenir par des fiançailles prématurées ? Si
le trône de France lui échappait, son fils pourrait
trouver ailleurs plus prestigieuse épouse. Et s'il succédait
à Louis XII, point n'était besoin pour lui d'épouser sa fille : il
serait libre de son choix. Elle n'éprouva donc nulle reconnaissance pour
le roi lorsque celui-ci, en célébrant officiellement les fiançailles des
deux enfants, désigna publiquement François comme son héritier
probable. Car cet héritage restait soumis à trop d'aléas. Le
sentiment que ses enfants étaient des pions sur l'échiquier politique
fut renforcé par le mariage de Marguerite. On avait envisagé pour la
jeune fille divers partis étrangers. Le duc de Montferrat parut de
trop petite volée. Le duc de Calabre aurait fait d'elle, après la
mort de son père, une reine de Naples, mais Louis XII ne voulait pas
renoncer à ses droits prétendus sur le royaume. On parla du prince de
Galles, Arthur, puis, lorsqu'il fut mort, de son frère, le
futur Henri VIII, voire du roi Henri VII en personne ou du très
vieux Christian de Danemark. Propositions en l'air, auxquelles elle
avait beau jeu de répondre, aiguillonnée par sa mère, qu'elle attendait mieux
: le jour où son frère serait roi, elle trouverait meilleur parti en France,
sans qu'il lui faille traverser la mer. Mais
il n'avait que quinze ans et elle, à dix-sept ans, était déjà grandette,
lorsque Louis XII décida de la donner, pour régler à l'amiable un litige
successoral, au duc Charles d'Alençon, de sang royal certes – il
descendait d'un frère cadet de Philippe le Bel –, mais occupant
sur les marches du trône une place plus que modeste. Le souverain
dora généreusement la pilule. Les noces, célébrées le 2 décembre 1509 furent
fastueuses et de larges dotations mirent les époux à l’abri du besoin.
Marguerite quitte alors les siens pour rejoindre dans le triste
château médiéval d'Alençon une belle-mère confite en dévotion, dont
la piété – ô surprise – rencontra ses propres inquiétudes religieuses et
avec qui elle sympathisa : première étape de l'itinéraire intérieur qui fera
d'elle une ardente adepte d'un renouveau de la spiritualité. Quant
à Louise de Savoie, elle continue d'attendre l'avènement de son «
César », l'œil rivé sur le tour de taille d'Anne de Bretagne et
guettant sur le visage de Louis XII les signes de décrépitude. Elle
voyait grandir sans plaisir sa future belle-fille, chétive, si peu
attrayante avec sa jambe et son œil battant la campagne. Une telle épouse
ferait peu d'honneur au jeune François, qui passait pour le plus bel homme
de France, malgré son front trop bas et son nez trop long. Serait-elle
propre, au moins, à lui donner des enfants ? L'exemple maternel était de
mauvais augure. D'ailleurs, belle ou pas, comment la
malheureuse aurait-elle trouvé grâce auprès de cette mère possessive,
pour qui nulle bru n'était digne de son incomparable fils ? Le
temps passait cependant, et François faisait de plus en plus figure
d’héritier. Louise se réconciliait avec l'idée d'un mariage dont elle
voyait désormais les avantages. Claude, à qui Anne de Bretagne avait
transmis ses infirmités, n'avait hérité d'elle ni la force de caractère,
ni la séduction. À la réflexion, son insignifiance même plaidait en sa
faveur. Douce, docile, aimante, pieuse, elle ne compterait guère, ne
ferait ombrage à personne, ne disputerait pas à sa mère le cœur du
roi. Elle serait la plus inoffensive des brus. François,
lui, dès qu'il fut en âge d'avoir un avis, se montra très désireux de ce
mariage. Pour des raisons fort étrangères à l'amour. Il
y a du parvenu en lui, a noté Lucien Febvre, du « nouveau roi », comme
chez Henri IV. Ce n'est pas un hasard si tous deux, des collatéraux
héritiers potentiels du trône, épousent des filles de France.
Certes cela ne leur donne aucun droit légal sur la couronne, à laquelle
ils ne sont promis que par filiation masculine. Mais cela les arrime
malgré tout à la branche régnante et leur confère une sorte de légitimité
symbolique, à leurs propres yeux et aux yeux des Français,
attachés à la dynastie : le sang des rois précédents coulera
dans les veines de leurs enfants, et dans le cas de François, ce mariage
est aussi, malgré les réserves que comporte le contrat en cas de
naissance d'un dauphin, une sorte d'adoption, le signe que Louis XII le
désigne publiquement, dans l'immédiat, comme son successeur. C'est
d'autre part contracter une union prestigieuse. Seuls les plus grands
souverains d'Europe pouvaient prétendre à la fille aînée du roi de
France. François devient, avant même d'accéder au trône, leur
égal. Eut-il un obscur pressentiment de la longue rivalité
qui l'opposera à Charles Quint ? C'est autour de la main de Claude
que les deux hommes s'affrontèrent pour la première fois, par parents
interposés. On peut être sûr, en tout cas, que l'insistance mise par
Anne de Bretagne à la lui refuser et à préférer pour elle son rival, ne
fit qu'exacerber son désir de l'obtenir : ce qui est promis à un
autre brille d'un éclat redoublé. Voilà
pour les motivations obscures, semi conscientes. Il s'y ajoute des motifs
directement intéressés. Claude possède des biens propres, notamment la
Bretagne, qu'il est souhaitable de conserver. Elle détient surtout – ou
plutôt détiendra à la mort de son père – les droits de celui-ci sur le
duché de Milan, comme héritier de Valentine Visconti. Or François, comme
ses prédécesseurs, est hanté par le rêve italien : pour lui, l'enjeu est
capital. Il
l'épousera donc, bien décidé à ne pas lui sacrifier ses plaisirs. Eut-il
vraiment le mot qu'on lui prête parfois : « Je la veux, cette enfant.
Question d'État. Pour l'amour, il est d'autres prés où, sans presque me
baisser, j'aurai tout loisir de cueillir à foison les plus capiteuses
corolles » ? La formulation est sans doute apocryphe, mais
elle traduit à coup sûr le fond de sa pensée. Tel
était le mari, telle était la belle-mère entre les mains de qui Anne de
Bretagne, sur son lit de mort, se résigna à remettre sa fille, in
extremis. Quant à Marguerite, elle était trop chrétienne pour accueillir
sa belle-sœur autrement qu'avec charité. Mais il apparut vite
qu'elles avaient trop peu en commun pour parvenir à une amitié
véritable. C'est aux enfants du couple royal que la princesse prodiguera
son affection. La répartition des tâches Il
y a deux fonctions dans lesquelles la reine, on l'a dit, est
irremplaçable : la maternité, et le spectacle donné au bon peuple du
couple royal, vivante incarnation de la France. Claude y fut étroitement
cantonnée, tant par la volonté de Louise que par sa propre faiblesse. Elle
est si discrète que les chroniques omettent parfois de mentionner sa
présence, lors des grandes cérémonies qui ouvrent le règne. Elle accompagna
pourtant son époux à Reims, en janvier, pour le sacre. Le 15
février, lorsqu'il fait son entrée solennelle dans la capitale,
on put l'apercevoir dans une tribune, encadrée de ses belle-sœur et
belle-mère, à qui elle doit d'avoir été remarquée. Il
est probable qu'elle prit part au banquet qui suivit la grand-messe à
Notre-Dame. Mais pour son propre couronnement, à Saint-Denis, et pour son
entrée solennelle, il lui faudra attendre le mois de mai 1517. Car pour
l'instant, elle est handicapée par une première maternité. Elle a tout
juste le temps de céder officiellement à son mari, le 26 juin, tous ses
droits sur le duché de Milan. L'armée piaffe déjà, prête à fondre sur
l'Italie. Elle s'enferme pour ses couches dans ses appartements
d'Amboise, tandis que François, laissant à Lyon sa mère chargée
de gouverner le royaume, prend la tête de l'expédition. Leur première
fille, Louise, vient au monde le 15 août, le jour même où les troupes
françaises, infanterie, chevaux et canons, franchissent le col de Larche. Le
13 septembre, le roi remporte sur les Suisses massés devant Marignan
l'éclatante victoire que l'on sait. Six
mois après l'avènement, la mise à l’écart de Claude est acquise. Les
fatigues de la grossesse ont achevé ce qu'avaient commencé les premières
mesures prises par Louise de Savoie. En 1515, la mère du roi n'a
que trente-huit ans. La joie lui est un bain de jouvence : elle paraît «
beaucoup plus fraîche et beaucoup plus jeune qu'elle n'était quatre ans
passés ». La vie ne l'a pas usée. Ses forces sont intactes.
Marguerite, de son côté, n'a pas d'enfants du duc d'Alençon :
elle reste disponible. Il est naturel qu'elles occupent, à
elles deux, l'espace laissé libre par l'effacement de la reine. De
façon définitive. François
s'emploie, comme tout nouveau souverain, à greffer son propre lignage
sur la branche de la dynastie qui s'est éteinte. Il ne peut, rétroactivement,
faire des deux femmes qui l'entourent une reine mère et une fille
de France ; mais à défaut du titre, elles en reçoivent les prérogatives. La
prééminence de Louise apparaît dans la dénomination qui prévaut pour elle :
elle est « Madame », Madame « sans queue », c'est-à-dire tout
court, sans qu'il soit besoin de spécifier. C'est dire à quel point elle
l'emporte sur toutes les princesses ayant droit à cette appellation,
suivie de leur prénom. En son genre, elle est la seule, l’unique. Il
les dote richement toutes deux. A l'une il accorde les duchés
d'Angoulême et d'Anjou, à l'autre il confirme la succession d'Armagnac et il
donne le Berry, tandis que son mari, le duc d'Alençon, promu «
seconde personne du royaume », devient gouverneur de Normandie.
Claude détient, il est vrai, les pleins pouvoirs en Bretagne. Mais elle se
sent moins bretonne que sa mère et n'inspire pas à ses sujets le même
attachement. Et surtout, est-elle en mesure d'exercer cette autorité ?
En est-elle capable ? C'est
Louise qui a la haute main sur les instances de décision. Elle est
entrée au Conseil privé, où elle occupe, immédiatement après le roi, le
premier rang. Elle a placé dans les postes clefs des hommes à
elle, comme le chancelier Antoine Duprat à la tête de la justice,
et ses financiers personnels deviennent ceux du royaume. Rien ne se
fait, en politique intérieure ou extérieure, sans son aveu. Elle
aime le pouvoir, avec l’âpreté de ceux qui ont été longtemps tenus pour
négligeables. Elle aime l'argent, avec l'avidité de ceux à qui les ressources
ont été mesurées. Elle thésaurise, accumule fiefs, rentes, puisque les
biens réunis sur sa tête reviendront, après sa mort, à la couronne. Elle
est toujours prête à puiser dans ses coffres pour le cas, trop fréquent,
où ceux du trésor royal sont vides. Les réserves qu'elle a constituées
remédient alors à la prodigalité de ce fils aux mains percées. Elle joue
aussi, auprès des financiers, de la distinction des deux comptes.
Lorsque le surintendant Semblançay, à qui le roi devait un million
de livres, mais qui en devait sept cent mille à Louise, proposa de faire
apurer l'une des dettes par l’autre, il signa sa disgrâce et peut-être
son arrêt de mort. Dans ces périlleux exercices de voltige financière, elle
n’est pas au-dessus de tout reproche. Mais grâce à elle le royaume
ne fit jamais banqueroute. Elle tient d'une main ferme le nerf de la
guerre : la trésorerie. En
politique extérieure, elle s'appuie sur Marguerite, qui n'a pas sa
pareille pour présider aux cérémonies, pour recevoir les ambassadeurs
qu'elle éblouit par son élégance et son esprit, pour donner à une
négociation ce ton d'aimable urbanité qui influe tant sur
l'humeur des participants. « Corps
féminin, cœur d'homme et tête d'ange », elle est l'ornement
d'une cour où la reine ne peut faire, à côté d'elle, que piètre figure. Les
gouvernements étrangers ne s'y trompent pas, qui recommandent à leurs envoyés
de prendre contact avec elle et de se la concilier. Assez
vite, elle se voit réserver deux domaines. D'abord la littérature, où sa
culture et ses propres essais poétiques lui assurent une compétence vite
reconnue. Son « valet de chambre », Clément Marot, un poète de premier
ordre, célèbre à l'envi ses mérites. Dédicataire obligée des écrivains,
dispensatrice de faveurs et de pensions, elle deviendra pour eux
une sorte de mécène officiel. Son
frère d'autre part prend ses avis, au début du règne du moins, sur les
affaires religieuses, choix des dignitaires ecclésiastiques, remise en
ordre des couvents. Sous l'influence de l'évêque de Meaux, Briçonnet, elle
rêvera longtemps d'une réforme opérée en son sein par l'Eglise elle-même
et qui eût permis d'éviter les déchirements. Elle protégera ceux qu'on
nomme les Evangélistes jusqu'aujour où les imprudences des uns et l'intransigeance
des autres conduiront le roi à sévir. Elle assistera, navrée, aux
premiers affrontements, aux premiers bûchers, poursuivant en silence une
quête spirituelle intérieure que nous révèlent d'admirables poèmes
religieux. Que
peut Claude, face à ces deux personnalités d'exception vouées à l'écraser,
qu'elles le veuillent ou non ? Elle n'a ni éclat, ni esprit, ni
conversation, et nul ne l'encourage à en avoir. Visiblement dépourvue
de pouvoir, elle n'a ni courtisans, ni clientèle. Elle ne peut que
suivre, toujours à la traîne, ou se réfugier dans la compagnie de ses
femmes qui, du moins, lui épargnent les comparaisons défavorables. Les
historiens lui prêtent un rôle dans les aménagements qui firent du vieux
château de Blois, qu'elle aimait, une admirable demeure à l’italienne,
avec l'escalier d'honneur dans sa tour octogonale ajourée, les galeries
aériennes appuyées sur l'antique mur médiéval, les loges étagées en
promenoir à colonnes. C'est pour elle et pour ses enfants, pour leur faciliter
l'accès aux jardins de la reine Anne, qu'on jeta un pont sur le ravin de
l'Arcou. Hélas, les témoignages ne permettent pas de savoir si
elle elle eut son mot à dire sur la conception artistique et sur la
décoration des nouveaux appartements, et si donc quelque chose de la
splendeur de Blois lui est dû. Sa
belle-mère la rudoyait, nous dit Brantôme. Le reproche est peut-être
excessif. Mais, sous couleur de la protéger, elle la traitait en
mineure, lui déniait toute initiative, prenait les décisions à sa place. Rude
sollicitude, dans laquelle n'entrait pas d'animosité, mais qui
témoignait d'un singulier mépris de sa personne : la reine n'existe que
comme réceptacle – tout provisoire –
du précieux fardeau qui assurera la survie de la dynastie.
La direction même de sa maison échappe à la jeune femme, dont le
rôle se borne à mettre les enfants au monde. Aussitôt nés, ils sont confiés à
des nourrices. La nursery, c'est Louise qui la prend en main, y détermine les
responsabilités et les règles, en fixe le rythme de vie : hivers à
Amboise, étés à Blois. Grand-mère autant que mère possessive, elle se
les approprie, note avec soin l'heure de la naissance de chacun et
cherche à tirer des conjonctions astrales le secret de leur destinée future.
C'est elle, ou à défaut Marguerite, qui veille sur leur santé, les
soigne, les pleure et prend soin de les faire ensevelir lorsqu'une mort
prématurée les enlève. C'est
dans le secret du Conseil royal que s'élaborent les projets de mariage
pour les nourrissons encore au maillot. Le traité de Noyon (13 août 1516)
promet la petite Louise, âgée d'un an à peine, à l'inévitable Charles de
Gand, ou d'Autriche, comme on voudra, à qui elle devait apporter les
hypothétiques droits de la France sur le royaume de Naples. En 1518, on
prévoit d'unir le dauphin à peine né à la fille aînée de Henri VIII
d’Angleterre, Mary Tudor, âgée de deux ans. Claude fut consultée, nous
assure-t-on, et elle approuva. On ne risquait pas grand-chose à lui
demander son avis, sûr qu'on était de son assentiment. Comme nous
aimerions, pourtant, découvrir qu'elle disait non, quelquefois ! Elle
prendrait ainsi quelque consistance à nos yeux. Mais les documents du
temps ne rapportent rien de tel. Avec
son mari en revanche, ses relations ne furent pas mauvaises. Contrairement
à d'autres souverains à qui pèse le devoir conjugal, il n'éprouve pour elle
aucune répugnance, au contraire. Il a le tempérament assez généreux pour
que ses nombreuses conquêtes féminines ne l'empêchent pas de partager
assidûment le lit de son épouse, et leurs retrouvailles après séparation
sont presque toujours fécondes. Il fut fier des enfants qu'elle lui
donna, beaux, sains, viables, preuve tangible que la
malédiction qui avait frappé la branche aînée des Valois était
écartée. Il se penche sur les berceaux en père attendri, s'extasie
devant le dauphin, « le plus beau et le plus puissant
enfant que l'on saurait voir », procure à tous des
parrains prestigieux – le pape pour l'aîné des garçons, le
roi d'Angleterre pour le second. Les baptêmes offrent à la reine –
une fois n'est pas coutume – la joie d'être au centre de la fête,
chancelante héroïne d'un triomphe à la mise en scène éblouissante. Ému
par sa douceur, sa vulnérabilité, son silence, il eut toujours pour elle
des égards et la traita avec bonté. Il tenait à l'avoir près de lui,
figure familière et rassurante, discrète partie prenante de lui-même. Ce qui
ne l'empêchait pas, bien sur, de la tromper abondamment. Mais il la
ménagea, évita de lui imposer le spectacle affiché d'insolentes
maîtresses. Il en avait une attitrée, la brune comtesse de
Châteaubriant, et beaucoup d'occasionnelles. Cela se savait. Mais il garda
toujours une relative discrétion. Il
est vrai que sa mère y était pour quelque chose. Comme Anne de Bretagne,
elle veillait au respect des convenances et ne tolérait les écarts de
conduite ni dans sa maison, ni dans celle de sa belle-fille. De plus,
Louise voyait d'un très mauvais œil quiconque risquait d'exercer sur son fils
une influence qui diminuerait la sienne. Sa jalousie se joignit à la
douceur de Claude pour inspirer au roi quelque retenue. La jeune femme
se vit donc épargner une des épreuves souvent réservées aux épouses
royales, l'intronisation à la cour d'une maîtresse lui disputant le premier
rang. Elle
échappa aussi à une autre épreuve, celle de voir mourir ses enfants, à
l'exception d'un seul. Tout simplement parce qu'elle les précéda dans la
mort, vidée peu à peu par eux de sa substance,
littéralement épuisée. Maternités et voyages De
quatorze à vingt-quatre ans, elle donne à son époux sept enfants. Entre
les naissances, l'intervalle est de quinze mois en moyenne. En dix
ans elle est enceinte soixante-trois mois : la moitié
du temps. Elle ne meurt pas en couches, à proprement parler. Mais
de maternité en maternité, elle s'alourdit et s'affaiblit à la fois,
réduite à une sorte d'existence végétative, animale, toutes ses forces
absorbées par la gestation, quasi incapable de se mouvoir seule,
exténuée. Une condition inhumaine, qui paraissait normale à l'époque. Il
ne serait venu à l'idée de personne de l'en soulager un peu, de temps en
temps, en écartant d'elle le roi. Elle est un cas limite, mais pas
unique en son temps, de reine réduite à sa fonction première. Elle
n'était pas pour autant dispensée de suivre les pérégrinations de la
cour. Au
XVIème siècle, tous les rois de France furent itinérants, pour des raisons
essentiellement politiques. Les moyens de communication étaient lents et
peu sûrs. La seule façon de se faire connaître de ses sujets et de
les connaître était de se déplacer. Un habitant d'une ville très
éloignée avait l'occasion de voir le souverain une fois dans sa vie, au
mieux. La rencontre entre celui-ci et son peuple baignait alors dans un
climat de fête, de réjouissance, qui avivait l'attachement à la monarchie. C'était
une sorte de grand show, comme on dirait aujourd'hui, auquel les
spectateurs étaient invités à participer : le roi faisait son « entrée »
dans des villes regorgeant d'allégories. La présence à ses côtés de
la reine, indispensable, était un gage de paix et de prospérité : c'est
en père de famille qu'il apparaissait, non en capitaine de guerre. Et si
elle attendait un enfant, mieux encore : elle était incarnation de la
fécondité du royaume et promesse d'avenir. A
cette raison première s'en ajoutaient d'autres, administratives –
contrôler l'efficacité des officiers royaux et stimuler leur zèle – ou
économiques – consommer sur place les produits des domaines, malaisément
transportables. On pouvait au passage chasser dans les pays giboyeux ou
quêter la protection de quelque saint dans les grands sanctuaires. Enfin,
dans sa détresse financière chronique, le roi espérait
arracher plus facilement des subsides aux contribuables flattés par
l'honneur de sa visite. François
Ier, plus qu'aucun autre, aima ces voyages. Il est jeune, bien portant.
Il a la bougeotte. Il ne se lasse pas d'arpenter les routes du beau
royaume qui lui est tombé du ciel : prise de possession quasi
physique. Il raffole des entrées solennelles, des acclamations,
des arcs de triomphe bariolés, des joutes et des tournois. Et
derrière lui se traînent cahin-caha la cour, les conseillers, les financiers,
les ambassadeurs étrangers, et toute la valetaille, long cortège de près
de quatre mille personnes dont on monte et démonte les lits au
hasard des gîtes d'étape. On se déplace à cheval, à pied,
en chariot ou en litière, dans un inconfort que nous avons peine à
imaginer, au milieu de la poussière ou des fondrières, brûlé de soleil ou
transpercé par la bise même quand on est un membre éminent de
la famille royale. Rien n'apaise l'incessante agitation du roi et
l'histoire de son règne prend à certains moments l'allure d'un
itinéraire de guide touristique. Claude,
en dépit de ses grossesses, suit tant bien que mal la caravane. Tout au
plus tient-on compte, dans l'établissement du calendrier, de la date
probable de sa délivrance. Les chroniques et documents, qui mentionnent
sa présence entre belle-mère et belle-sœur, permettent d'en connaître les
principales étapes. A
peine remise de la naissance de Louise, elle rejoint la cour pour
accueillir le héros de Marignan. Ils se retrouvent à Sisteron, en plein
hiver, à la mi-janvier de 1516, s'en vont rendre grâce à sainte
Marie-Madeleine dans la grotte de la Sainte-Baume, où s'acheva, selon la
légende, la vie pénitente de la pécheresse, et de là se rendent à
Marseille qui, pour la première fois depuis le rattachement du comté de
Provence à la couronne, a la joie d'acclamer son roi et sa reine. Puis
on remonte lentement la vallée du Rhône, on s'attarde à Lyon,
tandis que déjà s'annonce un nouvel enfant. Retour en Val de Loire où
s'arrête la reine, laissant François déposer seul à Saint-Denis les
étendards de la victoire et remballer la châsse du saint dans sa
crypte en signe de paix. Voici que naît Charlotte à Amboise le 23
octobre. Au
printemps de 1517, la caravane se remet en route pour un an et demi !
Picardie, puis Normandie : toutes les provinces ont leur part des
festivités. D'Écouen, on va à Compiègne, Amiens,
Abbeville, Boulogne, Dieppe, Rouen, qui offre des entrées
particulièrement brillantes, Gaillon, Évreux, Lisieux, Argentan, Blois,
Moulins. Une pause à Amboise, à la mauvaise saison, le temps de laisser
venir au monde le dauphin François, né le 28 février et baptisé le 25
avril, et l'on repart, en direction de l'ouest cette fois.
La duchesse d'Anjou fait les honneurs de sa capitale, puis c'est au
tour de Claude de jouer les hôtesses, dans la Bretagne qui est son fief
: elle reçoit fastueusement la cour à Nantes. Le roi achèvera seul, ou
plutôt en compagnie de la belle Françoise de Châteaubriant, le tour de
Bretagne, par Vannes, Auray, Quimper, Saint-Malo, Rennes. La reine se repose
au château du Plessis-du-Vair. C'est là qu'elle apprend la mort de la
petite Louise, leur fille aînée. Elle rejoint le roi à Baugé et
ils pleurent ensemble l'enfant, tandis que sa grand-mère
et marraine, Louise de Savoie, retourne à Amboise pour s'occuper
des funérailles. Déjà la reine lui prépare un petit frère. Remontant
la Loire, ils gagnent l'Île-de-France, par Vendôme et Chartres. L'hiver
se passe à Paris, où les exigences de la politique fixeront de plus en
plus le centre de gravité du royaume. Le 31 mars 1519, c'est à
Saint-Germain que naît Henri, de même que tous ceux qui le suivront. Le
Val de Loire les attiré malgré tout : le roi se passionne pour le
chantier de Chambord. En plein hiver 1519-1520, il emmène la cour
rendre visite au connétable de Bourbon, à Châtellerault, et
à l'amiral Bonnivet dans son château familial. Puis Louise de
Savoie offre en février, dans sa bonne ville de Cognac, trois semaines
de festivités féeriques. La jeune reine se porte un peu mieux et semble
heureuse. Hélas, la situation internationale se détériore
rapidement. François
Ier, candidat malheureux à l'Empire contre Charles d'Autriche, devenu
Charles Quint, sait l'affrontement inévitable. Il s'y prépare, tente de se
ménager des alliances. Pour éblouir Henri VIII, il déploie près
d'Ardres, à la limite de la Picardie et de l'enclave britannique de Calais,
un faste qui attachera à l'entrevue le nom de Camp du Drap d'Or (7-23 juin
1520). La reine est, bien sûr, de la partie. Chargée
d'étoffes somptueuses et de joyaux, elle assiste aux messes,
aux joutes, aux tournois, aux banquets, au grand festival de chevalerie
et de ripaille, aux côtés de ses inévitables belle-mère et belle-sœur.
Sa corpulence stupéfie les ambassadeurs étrangers : elle est enceinte de
sept mois. Madeleine va naître le 10 août. Les
années qui suivent sont assombries par la guerre, les défaites, l'agitation
religieuse. Les voyages de pur prestige sont terminés. La santé du roi
est moins bonne. Il est immobilisé en 1521 par un grave accident et
la reine s'en va en pèlerinage à Notre-Dame de Cléry remercier la
Vierge pour sa guérison. Elle pourrait souffler, grâce à des naissances
qui s'espacent un peu : Charles en janvier 1522, puis Marguerite en juin
1523, si elle ne partageait les inquiétudes de Louise de Savoie devant
les difficultés qui s'accumulent, et notamment le cruel manque d'argent,
qui interdit toute opération militaire d'envergure. Tandis que les
troupes ennemies pénètrent sur le territoire national dans
les Pyrénées et à la frontière du nord, le roi, confronté à la
trahison du connétable de Bourbon, tombe malade à Lyon en 1523. Un
sursaut général permet d'éviter le pire, provisoirement. On prépare
activement la campagne de 1524. Pendant ce temps, la reine se meurt. Depuis
longtemps la vie se retirait d'elle lentement. Elle ne quittait plus son
lit. Son visage était rongé par une espèce de dartre tenace. Point n'est
besoin d'invoquer une syphilis communiquée par son mari, dont on n'est
d'ailleurs pas sûr, aujourd'hui, qu'il l'ait eue. Plutôt qu'une maladie bien
déterminée, des symptômes d'épuisement, dans son pauvre corps exposé
sans défense à toutes les agressions infectieuses. Lorsque François
quitte le Val de Loire pour aller défendre la Provence envahie, les médecins
lui donnent peu d'espoir. Elle vivra deux ou trois mois, jusqu'à la
chute des feuilles, promet le moins pessimiste d'entre eux : le
temps d'une campagne éclair pour le roi, qui embrasse sa
joue exsangue et prend la route le 12 juillet, en compagnie de sa
mère et de sa sœur. Elles seules rebroussent chemin, sur l'invite
urgente d'un messager qui les rappelle : Claude est à toute extrémité.
Elles arriveront trop tard : elles ne sont encore qu'aux alentours de
Bourges lorsque les atteint la nouvelle. Claude est morte. Elles
la pleurèrent, et pas seulement par respect humain. Louise avait appris
à l'apprécier, ne serait-ce que pour la discrétion avec laquelle elle
avait tenu son rôle. Peut-être éprouve-t-elle à son égard une
manière de remords. Les quelques lignes qu’elle lui consacre dans
son Journal sonnent comme une
réponse à des critiques prévisibles : « Ma fille Claude, je l’ai
honorablement et aimablement conduite. Chacun le sait, vérité le
connaît, expérience le démontre, ainsi fait publique renommée. »
Elle l'avait « conduite »
en effet. Tout est dit. Marguerite
montra un réel chagrin et rendit justice à ses mérites, évoqua dans une
lettre à Briçonnet « les vertus, grâces et bonté dont
Dieu l'avait douée ». Quant à François, passées les
protestations conventionnelles qui lui font prononcer des formules
emphatiques – « Si je pensais la racheter pour ma vie, je la lui baillerais
de bon cœur » –, il découvre soudain, maintenant qu'elle n'est plus là, qu'il
l'avait aimée à sa façon, d'un amour d'accoutumance où il entrait de
la tendresse. Et il trouve pour le dire des mots émouvants : «
Je n'eusse jamais pensé que le lien de mariage conjoint de Dieu fût si
dur et difficile à rompre. » La
reine lui rendait par testament un ultime service politique. Elle
léguait ses biens propres, c'est-à-dire pour l'essentiel la Bretagne, à
son fils aîné le dauphin, en accordant à son époux l'usufruit. Décision
sage qui, sans blesser dans l'immédiat les susceptibilités bretonnes,
assurait à moyenne échéance et contrairement aux dispositions prévues
par sa mère, le rattachement du duché à la France. Elle
laissait six jeunes enfants, qui furent pris en charge par leur
grand-mère et leur tante, comme de son vivant, mais avec une tendresse
redoublée. Marguerite s'attacha notamment à celle qui était désormais
l'aînée, la petite Charlotte, qui semblait remarquablement douée.
La fillette mourut bientôt de la rougeole le 8 septembre 1524. Inhumée
provisoirement à Blois, elle fut transférée avec sa mère à Saint-Denis,
dans le caveau royal, deux ans plus tard. Le souvenir de Charlotte
inspira à Marguerite un beau poème, le Dialogue en
forme de vision nocturne, méditation sur la mort et la vie
éternelle, où l'âme de la petite fille lui apparaît en songe pour la
conforter dans les vérités de la foi. Claude
fut très populaire en son temps : une reine simple et bonne, comme on
les aimait, et une mère comblée. Les oraisons funèbres célébrèrent ses
vertus. « C'était l'une des plus honnêtes princesses que la terre portît
oncques et la plus aimée de tout le monde, des grands et petits, créant
que si celle-là n'est en Paradis, que peu de gens iront. ». Et
déjà on lui prête le don de faire des miracles : « Décéda la perle des dames et
clair miroir de bonté sans aucune tache, et pour le grand estime et
sainteté que l'on avait d'elle, plusieurs lui portaient offrandes et
chandelles. » Puis
l'histoire oublia la pauvre reine ou ne l'évoqua que pour la renvoyer à
sa médiocrité. Mais nul ne sait qui elle était vraiment, ou qui elle aurait
pu être si elle n'avait pas été broyée trop jeune par un fardeau
trop lourd. Car si nous connaissons, en gros, ce que fut sa vie,
rien ne nous révèle comment elle l'a vécue intérieurement, rien ne nous
éclaire sur ses sentiments, ses désirs, ses espoirs. Pas un mot, pas un
geste dont on puisse dire qu'ils lui sont propres et qu'ils trahissent sa
personnalité ne figurent dans les chroniques ou les correspondances du
temps. On décidait pour elle. Y souscrivait-elle de bon cœur ? Se
contentait-elle de subir ? Nul ne peut le dire. Exemplaire en cela de
bien des destins féminins, en tous lieux et en tous temps. Dépouillée
par la mort de sa pesanteur corporelle, elle traverse l'histoire de
France, ombre légère, sans y laisser d'autre trace que ses enfants.
Connue de tous néanmoins, sans pour autant cesser d'être ignorée,
elle survit dans la mémoire collective sous la forme d'un fruit,
auquel un inventif arboriculteur des jardins royaux avait donné son nom
: un fruit délicat, charnu, au parfum de sucre et de miel, la
reine-claude, reine des prunes. |
Retourner à la page Souverains
Retourner à la page principale