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Connaître l'ennemi, c'est analyser le Plan
Brzezinski !
Max Steens
Communication de Max
Steens au séminaire de Bruxelles (22 février 2001) et au colloque de Sint-Pieters-Leeuw
(21 avril 2001)
Après nos multiples études sur l'impérialisme américain en Europe et ailleurs dans le
monde, nous constatons que cette puissance est la première ennemie de l'Europe. Mais
comment articule-t-elle son inimitié à notre égard? Les documents les plus
probants pour le découvrir sont justement les écrits de Zbigniew Brzezinski, consacrés
à la géopolitique et à la géostratégie. Ce
stratège américain dévoile au grand jour les intentions des Etats-Unis, tellement ils
sont sûrs de leur puissance. Les thèses de Brzezinski
sont connues, publiées; leur lecture permet de suivre les avancées de la stratégie
américaine dans le monde (par exemple, dans la Guerre déclenchée pour le Kosovo en
1999).
Brzezinski a été le conseiller du Président Carter entre 1977 et 1981. Il
est d'origine polonaise. Aujourd'hui, il est tout à la fois professeur d'Université (à
Baltimore) et attaché au "Center for Strategic and Inter-national Studies" à
Washington DC, bref au Pentagone et à l'OTAN.
Les thèses géopolitiques de Zbigniew Brzezinski
Les thèses géopolitiques de Z. Brzezinski sont également des thèses géo-économiques.
Elles partent d'un double constat: 1) Les Etats-Unis d'Amérique possèdent une
suprématie mondiale et sont la première puissance globale de l'histoire; 2) Il tire bon
nombre d'enseignements de sa lecture des thèses du géopolitologue britannique Halford
John Mackinder [qui, en son temps, démontra que la clef du pouvoir mondial se situe en
Eurasie et qui, dès lors, prévoit avec ses homologues britanniques, dont Homer Lea, le con-tain-ment de toute émergence ou unification
politique ou économique en Eurasie].
Brzezinski
reconnaît aux Etats-Unis d'Amérique le statut de puissance impériale, de puissance
hégémonique et mondiale, qui, tel l'Empire romain, se doit de progresser et de durer. En
ce sens, Brzezinski ne se différencie pas par rapport à de nombreux stratèges et
experts de l'Etat américain qui étudient les conditions de la puissance passée de
l'Empire romain, comme Edward Luttwak. Si Brzezinski et Luttwak com-parent les Etats-Unis
à Rome, à la Chine et aux Mongols (dont ils admirent la puissance militaire, ubiquitaire
grâce à ses troupes de cavaliers nomades intervenant partout, comme la force de
déploiement rapide des USA aujourd'hui), ils savent aussi que, depuis le 17ième siècle,
l'Europe n'a pas, en tant que telle, un statut d'hégémonie, vu la rivalité entre les
différents Etats européens, surtout depuis 1648 (Espagne, Portugal, France, Angleterre,
Allemagne,...). Cet intérêt de Brzezinski et de Luttwak pour l'Empire romain et pour le
morcellement européen depuis 1648, doit nous induire à étudier, à notre tour, les
structures de cet Empire romain et à condamner l'esprit de division de 1648.
La puissance globale des Etats-Unis est unique car elle contrôle la totalité des océans
et des mers, c'est-à-dire les côtes orientales et occidentales de l'Eurasie, le Golfe
Persique et le Pacifique. De plus, elle a des vassaux et des tributaires sur l'ensemble
des terres continentales. La puissance globale des Etats-Unis est prédominante, constate
Brzezinski, dans quatre secteurs: l'économie, le domaine militaire, la technologie, la
culture, à un point tel qu'aucune autre puissance ne peut rivaliser avec elle. Zbigniew
Brzezinski loue la rapidité de décision et de mise en oeuvre du domaine militaire et
cela, tous azimuts. Sur le plan métapolitique (culturel), Brzezinski constate que l'on
admire et accepte dans le monde les modes américaines, comme les gestions de type
démo-libéral, les créations musicales, les goûts vestimentaires et alimentaires, etc.
Le terrain est donc propice à la mondialisation politique sous l'égide des Etats-Unis.
Par exemple, les programmes de cinéma et de télévision présentent des productions qui,
aux trois quarts, sont d'origine américaine. Les étudiants du monde entier sont incités
à aller étudier aux Etats-Unis, ce qui leur donne des atouts supplémentaires pour leur
carrière future.
Faire durer l'hégémonie
totale des Etats-Unis
Brzezinski écrit qu'il
entend faire durer cette situation d'hégémonie totale des Etats-Unis, même après la
chute du Mur de Berlin et l'effondrement de l'URSS. Le problème à résoudre pour les
stratèges américains, c'est de trouver la formule qui permettra aux Etats-Unis de garder
leur statut d'unique puissance mondiale. Le corrélat en sera la redéfinition du rôle de
l'OTAN. C'est ici que Brzezinski est clairement un héritier et un continuateur de
Mackinder. Il sait que le lieu de la puissance est l'Eurasie et, plus précisément, cette
région centrale que Mackinder nommait le Heartland, qui permet de commander cette grande
île qu'est l'ensemble constitué par l'Asie, l'Europe et l'Afrique. A la suite de la
puissance anglaise du 19ième siècle, Brzezinski va vouloir veiller à ce qu'aucune
puissance n'émerge sur ce territoire que ce soit la France, la Russie, l'Allemagne...
Tout comme les géopolitologues anglais du début du siècle (Mackinder, Lea), comme
Haushofer en Allemagne dans les années 20 et 30, comme notre compatriote Jean Thiriart
avant son décès en 1992, ou comme notre camarade Guillaume Faye aujourd'hui, Brzezinski
sait que ce territoire comporte plus de cerveaux et de matières premières (minerais,
hydrocarbures, gaz) et constitue un espace géostratégique et géo-économique de
première importance. En
ce sens, Brzezinski redoute une unification et une intégration européennes cohérentes,
comme il redoute une véritable puissance asiatique, qu'elle soit chinoise ou japonaise.
De ce fait, son projet repose sur une négation voulue des grandes lignes de force de
l'histoire européenne, car, à notre sens, l'histoire européenne n'est qu'une longue
marche pour que ce continent de-vienne un sujet historique.
Pour empêcher l'émergence de ce continent unifié, Brzezinski va 1) planifier et
théoriser l'élargissement de l'OTAN, compris comme instrument de pénétration et de
défense des intérêts américains dans le monde. Brzezinski reformule son
rôle. 2) Il élabore le fameux projet de Nouvelle Route de la Soie (New Silk
Road), qui permet de maîtriser à terme les grandes voies de communications au coeur de
la masse continentale asiatique et ses accès dans le Caucase et au Moyen-Orient. De cette
façon, les Etats-Unis en-tendent placer toute l'Asie centrale sous tutelle par le biais
de la mainmise américaine sur les ressources énergétiques présentes dans ces zones.
L'Europe unifiée (l'UE) est dès lors écartée de l'exercice du pouvoir géopolitique,
car ces deux objectifs majeurs de Brzezinski feront en sorte que: 1) l'Europe ne sera
jamais une puissance économique auto-suffisante ni, par suite, une puissance militaire
indépendante. Ces deux critères d'indépendance (et de souveraineté) sont bien mis en
exergue aujourd'hui par le Prof. Brzezinski et ne sont donc pas de simples souvenirs des
théories de Carl Schmitt, de Montesquieu de Clausewitz ou de quelques sbires
hitléro-nippons... De toute manière, Brzezinski avoue ses intentions: l'Europe
occidentale doit se transformer en simple tête de pont des Etats-Unis en Eurasie. 2) Par
le projet Nouvelle Route de la Soie, les Etats-Unis re-lancent la pratique du containment de la Russie, comme Mackinder l'avait
préconisé à deux reprises, en 1904, lors de l'inauguration du Transsibérien, et en
1919, au moment du triomphe des bolcheviques. Conclusion:
ôter l'auto-suffisance énergétique de l'Europe, la réduire au rôle de simple tête de
pont et contenir la Russie sont autant de stratagèmes qui seront mis en oeuvre en jouant
la carte islamique, surtout la carte néo-ottomane via le nouvel allié privilégié, la
Turquie. Il y a donc désormais convergence d'intérêt entre le monde islamique et les
Etats-Unis, comme l'a souligné avec brio Alexandre Del Valle.
Ecarter la Russie,
intégrer la Turquie
Ces stratégies et
l'utilisation des cartes islamique et turque impliquent, chez Brzezinski: 1)
Premièrement, la volonté d'isoler l'Europe de la Russie (voire du monde
slavo-orthodoxe). Il s'agit, en toute bonne logique héritée de Mackinder et de Lea,
d'empêcher la formation d'un grand espace stratégique eurasiatique. Pour parvenir à
cette fin, les services américains vont d'abord tout mettre en oeuvre pour faire éclater
la Russie historique en autant de morceaux que possible. Washington joue dans cette
optique la car-te des républiques turcophones d'Asie centrale. Brzezinski veut y ajouter
la carte ukrainienne, ce qui fait dire à Guennadi Ziouganov que la Russie d'aujourd'hui
est réduite à la Moscovie du 17ième siècle. L'Américain d'origine polonaise
Brzezinski confère un rôle important à l'Ukraine et à la Pologne dans son scénario,
aussi pour dissocier territorialement l'Allemagne réunifiée de la Russie mutilée.
Brzezinski prévoit pour l'Europe un futur dispositif de sécurité reposant sur la
France, l'Allemagne, la Pologne et l'Ukraine. En tablant sur les républiques musulmanes
et turcophones de l'Asie centrale, il veut, en fait, réactualiser les objectifs
britanniques de la Guerre de Crimée (1853-1856). Le but de cette guerre avait été
d'empêcher l'accès russe au Bosphore et aux Dardannelles, c'est-à-dire à la
Méditerranée orientale, et, via l'In-dus, à l'Océan Indien. Bref,
empêcher l'Empire russe d'atteindre les mers chaudes. Cette pratique du containment est aujourd'hui réactualisée par la
création d'un glacis périphérique intérieur islamo-occidental.
Deuxièmement 2), pour verrouiller l'accès de la Russie aux mers chaudes, pour
déstabiliser l'unité européen-ne en devenir, pour dominer la politique et l'économie
de l'Asie centrale (que Brzezinski appelle les Balkans eurasiens) et pour
dominer les Balkans d'Europe, l'Amérique et l'OTAN possèdent un atout majeur: l'allié
turc. Brzezinski actualise ainsi une stratégie déjà mise en oeuvre jadis lors de la
Guerre de Crimée, où l'Angleterre, dans sa campagne anti-russe, vole au secours de
l'Empire ottoman moribond, en en-traînant la France et la Sardaigne dans son sillage.
L'objectif est d'empêcher les Russes d'avoir accès au pétrole d'Asie centrale et de la
zone de la Caspienne, d'une part, d'avoir une politique d'ouverture et de collaboration
avec l'Europe occidentale (l'UE), d'autre part. Cette politique s'observe clairement dans
le choix américain des oléoducs: Washington opte délibérément pour le tracé turc
(Bakou-Ceyhan) contre le tracé russe aboutissant en Mer Noire. En échange, notre
professeur de stratégie polono-américain donne une consigne aux dirigeants de l'UE:
"L'Amérique devrait profiter de son influence en Europe pour soutenir l'influence
éventuelle de la Turquie au sein de l'Union européenne et mettre un point d'honneur à
la traiter comme européenne".
Les trois scenarii de Jacques Attali pour la
Turquie
Ce type de propos reçoit l'appui de toute une série de caisses de résonance en Europe.
Je ne résiste pas à vous citer celle, ô combien pernicieuse de Jacques Attali,
ex-patron de la BERD, qui, dans son Dictionnaire du
21ième siècle, traite de la Turquie. Attali imagine trois scénarii possibles pour
ce pays: 1) devenir, s'il est accepté, un membre parmi d'autres de l'UE,
conférant à celle-ci la dimension musulmane qui lui man-que (ndlr: pourquoi?) pour
retrouver sa vocation universelle (ndlr: nos universités n'ont-elles pas dé-jà
depuis toujours une vocation parfaitement universelle?); et Attali poursuit: c'est
ce choix que les Turcs préfèreraient aujourd'hui (ndlr: cet optimisme semble être
démenti par les manifestations populaires en Turquie). Faut-il dire, merci, Monsieur
Erbakan, merci, Monsieur Eçevit, grâce à vous, bientôt, je ne serai plus un barbare
intolérant et je recevrai, en même temps que mon identité islamique perdue, mon
certificat d'humanisme (ndlr: mais Voltaire aurait-il été d'accord avec cet
humanisme-là?), dûment estampillé par le Pentagone? Autre question: n'y a-t-il pas
d'autres islams que l'ottoman?; 2) Deuxième
scénario possible pour la Turquie: devenir le coeur d'un empire d'Asie centrale,
qu'elle gère-rait pour le compte des Etats-Unis ou de leurs sociétés pétrolières;
Attali: "C'est ce qui se passerait, si, au bout du compte, les Turcs se
résigneraient à admettre que le chemin de l'Europe leur est définitive-ment
fermé". C'est là, à notre sens, une fausse alternative; car, dans le premier
scénario comme dans le deuxième, les Etats-Unis sortent gagnants: l'Europe est
balkanisée, par le truchement d'une "identité" (?) islamique parachutée, et,
ipso facto, fragilisée par le risque permanent d'une guerre civile sur base religieuse;
la Turquie avance les pions américains en Asie centrale, en agissant par procuration, et
l'Europe et la Russie perdent tout accès aux voies de communications essentielles qui
traversent ces terres et relient notre sous-continent aux aires civilisationnelles
indienne et chinoise (d'où, paradoxalement, l'Europe, censée selon Attali devenir
universelle par le parachutage d'un islamisme, ne pourrait pas s'universaliser d'une autre
façon au contact avec les civilisations indienne et chinoise. Il y a donc de bons
universalismes (ceux que veulent les Turcs, Attali et les Etats-Unis) et de mauvais
universalismes (ceux qui vont dans l'intérêts des Européens et des Russes); 3) Troisième scénario: la Turquie se scinde en
trois morceaux; un morceau européen (thrace); un morceau kurde; un morceau asiatique
(anatolien).
Pour Jacques Attali, le premier scénario serait le meilleur pour l'Europe, qui
deviendrait enfin "universelle" (?); le deuxième scénario serait le meilleur
pour les Etats-Unis; mais, à notre avis, les Etats-Unis visent les deux, avec la Turquie
comme pièce centrale d'un grand dispositif stratégique, qui, d'une part, affaiblirait
l'Europe, non pas en la rendant universelle, mais en la rendant
composite, donc plus difficilement gérable; d'autre part, cette même Turquie
serait la tête de pont des Etats-Unis dans les zones riches en gaz et en hydrocarbures de
l'Asie centrale et de la Caspienne, tout en éloignant la Russie de l'Océan Indien; le
troisième scénario serait catastrophique, selon Attali, car il génèrerait la guerre
dans la région, alors qu'à notre sens, il mettrait plutôt un terme au conflit kurde,
avec un Kurdistan qui renouerait avec les autres peuples indo-européens de la région:
les Arméniens et les Iraniens. Il mettrait également fin au conflit latent avec les
voisins arabes, la Syrie et l'Irak, auxquels l'Europe et la Russie garantiraient le droit
à bénéficier des eaux du Tigre et de l'Euphrate que les Turcs pompent pour irriguer
(très mal) une partie de l'Anatolie. A cette géopolitique boiteuse d'Attali, s'ajoute,
sur la place de Paris, lieu d'émergence de tous les délires, les idées tout aussi
saugrenues d'un Emmanuel Todd (qui nous avait pour-tant habitués à des analyses plus
fines). Pour Todd, l'intégration de la Turquie dans l'UE permettrait à la France d'avoir
un grand allié jacobin dans l'Union Européenne pour lutter contre les formes de
fédéralismes de facture germanique. Alors que ce fédéralisme allemand et autrichien a
été imposé par les alliés en 1945 comme antidote à toute dérive totalitaire en
Europe centrale! Todd
veut tout simplement restaurer, sous des oripeaux soi-disant républicains et jacobins
(dont nous n'avons que faire!), l'alliance calamiteuse du félon François I et du Sultan
contre le Saint-Empire, la Hongrie et l'Espagne. On voit tout de suite
poindre la vieille haine incurable du despotisme gallo-bodinien contre les libertés
populaires et symbiotiques, propres de la vertu politique germanique et matrice de toutes
les démocraties véritables (Islande médiévale, Habeas Corpus anglais, Charte de
Kortenberg en Brabant, Paix de Fexhe en Pays de Liège, Libertés franc-comtoises, Serment
du Rütli en Suisse, etc.).
Face à ces histrions parisiens, à ces traîtres, qui sont les alliés objectifs des
traîneurs de sabre du Pentagone et du complexe militaro-mafieux turc, qui osent nous
parler d'honneur, nous préférons l'honneur des grands visionnaires, des hommes d'Etat
européens, des généraux de la trempe d'un Eugène de Savoie, qui ont oeuvré à
l'unité du continent et qui ont si souvent trouvé face à eux cet ennemi implacable:
l'Empire ottoman, préfiguration de la Turquie actuelle, membre de l'OTAN, mixtum compositum boiteux de fierté ottomane, de
rationalisme caricatural kémaliste et d'islamisme revanchard.
Rappel: les rapports
conflictuels entre l'Europe et le monde ottoman
Othman, chef d'une tribu
turque fuyant les cavaliers de Gengis Khan, s'installe au 13ième siècle au Nord-Ouest de
l'Asie mineure et se convertit à l'Islam. Ses successeurs feront tomber Byzance (en 1453,
Constantinople est prise) et entraveront le commerce des Vénitiens et des Génois qui
perdent définitivement leurs comptoirs en Méditerranée orientale (Rhodes), en Mer Noire
et en Mer d'Azov. A partir de ce moment fatidique, comme l'a démontré Fernand Braudel,
l'Occident fut contraint de se tourner vers l'Atlantique, car l'Europe fut bel et bien
étranglée par la Sublime Porte qui interdisait la fluidité et le développement des
échanges avec l'Extrême-Orient et l'Inde, qui avaient été constants depuis Alexandre
et de-puis l'Empire romain.
L'Empire ottoman se fit le champion de l'invasion militaire et politique de l'Europe. En
1389, après la bataille du Kosovo (Champ des Merles), la puissance ottomane atteint le
Danube, pièce maîtresse de la fluidité du trafic commercial en Europe, reliant la Mer
du Nord au Golfe Persique. En 1453, Constantinople tombe. En 1526, à la bataille de
Mohacs, la Hongrie et la Croatie indépendantes, unies depuis la Pacta Conventa de 1102, s'effondrent et cessent
d'exister en tant qu'entités politiques. En 1529, Charles-Quint, se pare en dernier des
gibelins, et veut restaurer le Saint-Empire romain de la Nation germanique; il est prit en
tenaille entre la France félonne de François I, allié à la Turquie qui fait le siège
de Vienne. Une trahison que nous ne pouvons pas oublier, quel que soit le cénacle dans
lequel nous militons et oeuvrons, à Terre & Peuple/Wallonie, à
Synergies Européennes/Section de Bruxelles ou de Liège, au Bloc
wallon ou ailleurs, dans les colonnes des multiples revues qui existent dans notre
ville (Devenir, Occident 2000, Le Bastion,
Breuklijn, etc. ; nous devons jurer, tous, comme Philippe le Bon lors du Voeu du
Faisan, en fidélité à l'Empereur Maximilien et aux aspects gibelins du règne de
Charles-Quint, de la venger un jour, car c'est elle qui a permis à la monarchie puis à
la république françaises de grignoter nos frontières légitimes, en commençant par
nous enlever les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun en 1552. Plus tard, ce seront
l'Artois, le Hainaut méridional, la Flandre gallicane et le Westhoek, puis la Lorraine
tout entière. Tout cela nous a été arraché par-ce qu'il y avait l'alliance entre la
France et les Turcs. Sans la pression des Turcs à l'Est, nos troupes impériales auraient
marché sur Paris, sous la conduite du Comte d'Egmont, et aurait mis un terme définitif
aux menées anti-impériales et anti-européennes de l'Ouest gaulois, rebelle et parjure,
mettant fin à un particularisme inutile et séditieux. Et garantissant à l'Europe des
siècles de paix. Si la restauration impériale de Charles-Quint avait pu avoir lieu, nous
n'aurions pas connu le désastre de 1648, que nos historiens ont appelé à juste titre le
Siècle des malheurs, ni les guerres de Louis XIV, ni les crimes de la
révolution française et du bonapartisme, ni les deux guerres mondiales.
De
Lépante à Potemkine et Catherine II
A la fin du 16ième
siècle, nous avons connu une période de répit, surtout grâce à la victoire magistrale
de Don Juan d'Autriche à Lépante en 1571, où Cervantès fut fait prisonnier. Par cette
victoire, l'Espagne de Philippe II et l'Europe coalisée reprennent Rhodes et la
Méditerranée orientale, mais l'opposition franco-anglaise à la puissance espagnole
changent la donne. Le 18ième siècle sera le théâtre de l'affrontement russo-turc.
Catherine II, Impératrice énergique de la "Troisième Rome" et consciente des
enjeux géostratégiques vitaux pour son Empire et pour ses débouchés économiques
exprime nettement la volonté, avec son ministre Potemkine, de récupérer la Mer d'Azov
et les embouchures du Don et du Dniepr. C'est dans le même ordre d'idée que la fin du
18ième siècle connaîtra une alliance porteuse d'Empire, s'il en est, l'alliance entre
l'Autriche et la Russie contre l'Empire ottoman (1788-1790), afin de récupérer leurs
zones d'influence sur le Danube et la Mer Noire. Mais cette alliance si prometteuse fut
ruinée par les troubles révolutionnaires de la populace parisienne, entraînant tout
l'hexagone dans son tourbillon de sang et d'horreur. Ces troubles étaient téléguidés
par les services de Pitt, afin de menacer nos frontières, d'empêcher la réouverture de
l'Escaut, la prise de Constantinople par les armées russes, la prise de Salonique par les
troupes autrichiennes, hongroises et croates, le contrôle austro-russe de la
Méditerranée orientale, cauchemar de Londres. Au 19ième siècle, les peuples des
Balkans se soulèvent eux-mêmes; la lutte sera âpre de 1821 à 1840, avec pour épopée
mémorable la libération de la Grèce, où s'est illustré Lord Byron (contre l'allié
principal de l'Angleterre!). La Guerre de Crimée (1853-56) a été, elle, une véritable
guerre anti-européenne, qui s'est soldée par la perte des positions russes sur le Danube
et l'entrée de l'Angleterre dans les jeux complexes des Balkans.
En réalité, cette pénétration anglaise dans les Balkans vise à protéger Suez et
l'Egypte et empêcher que ces positions clefs ne tombent aux mains d'une autre grande
puissance européenne. Les petites puissances balkaniques alliées à l'Angleterre ont
toujours été des avant-postes permettant à Londres de conserver l'Egypte. L'inclusion
de Chypre dans l'Empire britannique n'avait d'ailleurs pas d'autre objectif. Mais cette
présence anglaise provoque l'éclosion de la seule alliance euro-ottomane intéressante
pour l'Europe en tant qu'entité civilisationnelle unitaire potentielle. Il s'agit de
l'alliance entre l'Allemagne de Guillaume II et l'Empire ottoman. Celui-ci est dès lors
satellisé par l'alliance austro-allemande et neutralisé. La puissance germanique,
dominante dans cette alliance, impulse une direction géopolitique nouvelle à l'Empire
ottoman: vers le Sud, en direction de Bassora et du Golfe Persique, de l'Océan Indien.
Ipso facto, l'Empire ottoman abandonne sa volonté de pousser vers Vienne et de s'emparer
de tout le cours du Danube, comme l'avait fait l'Empire romain en sens inverse, comme
avait voulu le réaliser Byzance au départ de la même base territoriale anatolienne et
thrace, mais cette volonté de l'Empire ottoman ne s'appuyait pas sur une logique
européenne, euro-centrée, mais se faisait le fer de lance, la pointe avancée, d'une
fabrication religieuse universaliste, dé-territorialisée dans ses principes, née dans
le désert d'Arabie, qui considérait, de ce fait, l'Europe et ses peuples comme un
ramassis d'incohérents auxquels il convenait d'apporter la "vraie foi". Ce
rôle subalterne est inacceptable pour nous. L'objectif de toute impérialité européenne
est de se donner les moyens militaires et économiques pour dégager notre territoire de
toute emprise hégémonique ou religieuse venue des steppes d'Asie ou des sables du
Nedjed. Telle
a été de toute façon la logique unique de l'histoire européenne, avant la décadence
que nous subissons aujourd'hui. L'alliance de Guillaume II avec le Sultan visait à
transformer l'Empire ottoman en fer de lance, non plus d'une fabrication religieuse
d'origine arabique, mais de la culture et du savoir-faire germaniques, dont les peuples
d'Anatolie, de Mésopotamie et de la péninsule arabique seraient les heureux
bénéficiaires, notamment sur les plans économique et médical, la structure politique
ottomane sur le déclin n'ayant plus été capable de développer de solides
infrastructures pour le transport des personnes ou des biens ni un système hospitalier
moderne.
Binôme fleuves-fer: Guillaume II sur le Chatt El 'Arab
En 1898, Guillaume II
effectue un voyage triomphal au Proche-Orient (Syrie, Palestine, Turquie). En 1903, il
obtient du Sultan Abdul Hamid la création du tracé de chemin de fer Hambourg - Berlin -
Byzance - Bagdad - Bassora. Caractéristique géopolitique et stratégique majeure de
cette alliance et de ce voyage triomphal: on prend en compte le trafic fluvial, que l'on
cherche à combiner à un réseau de chemin de fer, pour créer une double fluidité
terrestre. Comme le Transsibérien en 1904, la mobilité ferroviaire est, à l'époque, la
grande angoisse des Britanniques, qui craignent de perdre l'atout majeur de leur empire:
la mobilité maritime. Les puissances continentales, grâce aux chemins de fer et à
l'organisation des fleuves et des canaux, cessent d'être des masses territoriales
enclavées, à mobilité réduite. En l'occurrence, dans le tandem germano-turc en
Mésopotamie, le port de Bassorah, terminus de la ligne Hambourg-Golfe Persique, se situe
sur le Chatt El 'Arab, qui unit les arrière-pays irakien et perse et constitue une
formidable fenêtre sur l'Océan Indien, espace maritime que les Britanniques
considéraient comme leur chasse gardée. En asseyant leur présence dans le Golfe, les
Allemands disposaient d'une bonne base de départ pour aborder le marché indien. A ce
titre, l'Allemagne de Guillaume II encadrera le personnel dirigeant ottoman et enverra en
Mésopotamie de nombreux ingénieurs et des instructeurs militaires (la Belgique, dans
cette synergie, formant la gendarmerie et l'artillerie ottomanes). Une collaboration
identique se mettra sur pied, à l'époque, avec la Perse (dont les troupes d'élite
seront, elles, formées par des officiers sué-dois).
La leçon à tirer de l'alliance (éphémère) entre l'Allemagne de Guillaume II et
l'Empire ottoman, c'est qu'une collaboration avec la Turquie, quelle qu'elle soit, ne peut
se faire que selon un axe nord-sud, selon une logique longitudinale, comme l'a expliqué
magistralement Haushofer, dans un de ses derniers articles en 1943.
Il s'agit d'être intraitable concernant toutes les pénétrations américano-islamiques,
qui entendent briser toute unification hégémonique sur le continent eurasiatique. Il
s'agit de s'opposer à la ceinture verte, à la ceinture mise en place par les Etats-Unis
qui se profilent derrière leur allié turc, parce qu'un tel verrou territorial est en
totale contradiction avec la vision de Karl Haushofer, qui pensait en terme globaux, mais
non globalitaires, dans le sens où son monde idéal reste multipolaire, alors que le Plan
Bzrezinski poursuit le rêve d'un monde unipolaire sous la domination des Etats-Unis.
Or nous savons, au moins depuis Carl Schmitt, que le monde n'est pas un universum politique mais un pluriversum, une juxtaposition plus ou moins
bellogène plus ou moins pacifique d'entités de dimensions diverses ou de sphères
hégémoniques. Ensuite, nous savons aussi, à la lecture de Carl Schmitt, qu'un pluriversum est finalement moins bellogène qu'en
apparence, parce que les puissances s'équilibrent et parce que, dans un jeu pluriel,
l'adversaire d'hier peut devenir l'allié de demain et vice-versa (comme Sun Tsu nous l'a
enseigné par ailleurs). Et
surtout, un pluriversum est moins injuste, car
chacun agence son territoire comme il l'entend, comme le lui dictent son passé et ses
traditions. En dépit de ce constat pertinent, qui part de Sun Tsu dans l'antiquité
chinoise, pour aboutir à Carl Schmitt et à ses disciples, la force de persuasion de
Bzrezinski (ou d'Attali) réside 1) dans l'apparente finesse de leur discours, en
réalité un tissu de simplismes sommaires, face à des masses de télé-consommateurs
complètement abruties et incultes; 2) dans l'alternative qu'ils nous proposent et qui
fait peur aux belles âmes écervelées sans mémoire historique: soit la domination US
(le paradis de la consommation) soit l'anarchie (avec de méchants dictateurs en
uniforme). Nous, nous vous exhortons à refuser ce Charybde et Sylla otanesque; retrouvons plutôt l'héroïsme inhérent à l'Europe
depuis Homère. Battons-nous sur tous les fronts. Faisons feu de tous bois. N'oublions pas que la
force d'une civilisation se mesure à sa capacité de renaître.
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