Contributions : Analyses : Redoublement




LE RECTEUR DE VERSAILLES ENTRE EN CAMPAGNE CONTRE LES REDOUBLEMENTS



Tous les professeurs de l'académie de Versailles ont reçu de leur recteur une note d'information datée 3 Juin, qui s'interroge sur :
« les conséquences du redoublement de seconde sur l'orientation en première ».
Quatre pages de textes et de statistiques pour nous prouver que le redoublement est néfaste aux élèves : mais surtout, une grosse machine pour faire sauter le dernier barrage par lequel les professeurs maîtrisent encore l'orientation, et qui empêche que ne s'engouffrent en première puis en terminale des élèves qui n'ont pas encore acquis les bases nécessaires à la poursuite de leurs études.

Du mauvais usage de la notion de cause
Quelle est cette perversion de l'esprit qui consiste à confondre systématiquement corrélation et causalité, et même les causes et les conséquences ? Dès ses premiers cours, on met en garde contre cette confusion, l'étudiant débutant en sociologie.
Les statistiques de l'académie de Versailles attestent que les redoublants de seconde «s'inscrivent plus souvent que les non redoublants dans la filière STT».
Soit, mais cela n'a rien d'étonnant : il est explicable qu'un élève qui a du mal à répondre aux exigences du lycée s'oriente vers des études plus courtes ; et rien, dans ce processus, ne peut être imputé au fait qu'un conseil de classe lui ait fait redoubler sa seconde. Le redoublement n'est pas une cause : ce sont les causes qui l'ont fait redoubler sa seconde qui - en partie - l'orientent vers le choix d'une section technologique.
Nous découvrons avec stupeur un véritable sophisme lorsqu'il s'agit d'expliquer pourquoi « même lorsqu'on est arrivé à l'âge normal en seconde », le fait de la redoubler entraîne moins d'orientation en séries générales. Or, remarque-t-on avec une fausse naïveté, ces élèves n'ont pas eu de difficultés avant, au collège. Donc (et le syllogisme semble parfait), c'est le redoublement qui les pénalise et les handicape.
N'importe quel enseignant sait que l'âge d'arrivée en seconde n'est pas toujours le signe d'un niveau scolaire. Les exigences varient énormément en fonction de la population des collèges : certains collèges laissent passer en seconde des élèves dont les lacunes ne relèvent même pas du niveau de la quatrième, mais qui, vu l'environnement, se retrouvent parmi les meilleurs de leur classe.
Le redoublement peut aussi avoir pour cause une difficulté d'adaptation liée à un manque de maturité et d'autonomie.
Nous arrivons, en déployant l'argument contre les redoublements, à des inepties de ce type : si un élève n'a ni le niveau, ni la maturité, ni l'autonomie pour suivre avec succès l'enseignement d'une classe de première, la meilleure solution est de l'envoyer en première.
L'analyse - et ce qu'elle sous entend - devient de plus en plus absurde lorsqu'il s'agit de comprendre l'avenir des élèves qui redoublent leur troisième : « D'un point de vue statistique, pour avoir de meilleures chances de préparer un bac général, il vaut mieux redoubler en seconde qu'en troisième ». Cette phrase n'a aucun sens, puisqu'elle n'interroge pas les raisons d'un redoublement en troisième ou en seconde. La seconde constitue un véritable changement pour les élèves. Une partie de ceux qui qui la redoublent n'ont besoin que d'un temps d'adaptation ou de maturation, alors que la troisième fait partie d'un cycle. Il est donc normal que l'échec en troisième soit plus systématiquement l'expression de difficultés de base dans la maîtrise du langage, de l'abstraction, et de l'exploitation des cours.

Que cherche-t-on à justifier ?
Ces raisonnements apparaissent immédiatement comme tellement biaisés, qu'il est légitime de s'interroger sur les motivations réelles qui ont conduit le Recteur à publier une telle brochure, et sur cet acharnement à faire parler - ou plutôt délirer - les chiffres.
Que penser des options « pédagogiques » qu'essaie de justifier ce discours ?
Il faut dénoncer la perversité d'une argumentation fallacieuse du type : « puisque les redoublements débouchent sur des orientations en STT, supprimons les redoublements, et une plus grande quantité d'élèves sera orienté dans les filières générales ». Opposons à ces pressions statistiques quelques réflexions de bon sens.
f Un élève qui n'a pas atteint le niveau requis en fin de seconde ne doit pas passer en première, car c'est ce passage prématuré qui le condamne à l'échec, quelle que soit la filière choisie. Le redoublement est un moindre mal, et non la cause du mal.
f Puisqu'un tel élève a de plus fortes chances, après un redoublement, en seconde, d'aller en STT, doit-on pour autant l'envoyer directement en première STT ? Evidemment non : l'élève, dans son intérêt, doit redoubler sa seconde afin de se donner les moyens de réussir par la suite de vraies études en STT, qui doivent aboutir au minimum à bac + 2.

Que cherche-t-on à masquer ?
Il faut s'interroger également sur le choix des enquêtes statistiques effectuées par le rectorat.
Nous attendons avec intérêt des statistiques sur la relation entre l'absence de bases en français ou en maths à l'arrivée en seconde, et les pourcentages d'échec dans la poursuite d'études, quels que soient les remèdes envisagés (redoublement, soutien...).
Nous attendons avec intérêt des statistiques sur la relation entre le degré d'illétrisme à l'entrée en sixième, et un passage à l'âge normal en première.
Nous attendons avec intérêt des statistiques sur la relation entre la sollicitude des parents, leur degré d'attachement aux valeurs de l'école et des études, et la réussite des enfants.
Nous attendons surtout l'abandon de la langue de bois et de cet usage non scientifique de la science, particulièrement prisé par tous ceux que gêne le réel.
Nous attendons avec intérêt les statistiques sur la relation entre le passage forcé de première en terminale malgré l'avis du conseil de classe, et l'échec au bac dans les sections générales.
Nous attendons l'arrêt des mensonges institutionnalisés comme la fiction de l'équivalence des bacs pour les études universitaires.


Si beaucoup d'élèves se précipitent en STT, c'est tout simplement parce que la massification de l'enseignement n'est pas sa démocratisation. Sous le masque d'un bac STT dont les exigences ont été progressivement abaissées, on fait croire à une augmentation fantastique du nombre de bacheliers. Mais c'est au prix d'un gonflement des sections STT qui éponge toute la proportion d'élèves qui entrent dans une seconde qui n'en a que le nom, et sortent du lycée avec un bac qui n'en a que le nom.

Mais on a géré les flux...

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