Janvier 2001
Des professeurs de philosophie protestent contre les
nouveaux programmes
Un point de vue d'un
collègue du Collectif "Sauver les lettres", paru dans
LE MONDE du 31janvier 2001
CLAUDE ALLÈGRE a beau être parti, la fronde de certaines
disciplines continue. Les nouveaux programmes de philosophie, qui devaient
être appliqués à la rentrée prochaine dans
le cadre de la réforme des lycées initiée par l'ancien
ministre de l'éducation nationale, suscitent à nouveau une
polémique. Préparés depuis deux ans par le groupe
technique disciplinaire (GTD), présidé par Alain Renaut,
approuvés à une large majorité par le Conseil supérieur
de l'éducation (CSE), publiés au Bulletin officiel du 31
août 2000, ces nouveaux programmes semblaient être sur les
rails. Mais à l'issue de la consultation que vient de mener le
ministère, une majorité des 4 500 professeurs de philosophie
de l'enseignement public se sont prononcés contre ces nouveaux
textes. Si les résultats ne concernent pour l'instant que quinze
académies, ils sont suffisamment mauvais et signe d'un malaise
profond pour que le cabinet de Jack Lang envisage de nouveaux ajustements.
Au cœur de la polémique, entretenue par l'Association des professeurs
de philosophie de l'enseignement public (Appep) avec le soutien d'universitaires
parisiens, resurgit la crainte d'un appauvrissement de la discipline.
" Nous nous opposerons fermement à la mise en place soft d'un
lycée light ", prévient Charles Coutel, président
de l'Appep, reprenant l'anglicisme maintes fois entendu lors des manifestations
anti-Allègre et du violent débat entre pédagogues
et défenseurs des savoirs. Les contestataires s'opposent aux trois
principaux axes de la réforme qu'ils jugent " inapplicables
" car " contraires à l'esprit philosophique ". L'inscription
dans les programmes de philo " d'un certain nombre de questions à
ancrage contemporain " correspond, selon eux, " aux sirènes
de la modernité ". Le " couplage des notions " aurait
pour conséquence de " prédéterminer le contenu
des cours et de l'examen " et donc de " remettre en cause la
liberté du professeur ". Enfin, les recommandations sur l'"
apprentissage de l'argumentation " transformeraient les cours de
philo en " débat d'opinion ".
UNE LISTE DE NOTIONS ET D'AUTEURS
Inchangés depuis 1973, les programmes actuels de philosophie ne
sont qu'une liste de notions et d'auteurs. La massification du lycée,
les transformations de la philosophie, le problème de l'évaluation
au baccalauréat ressentie par bon nombre d'élèves
comme aléatoire, la baisse des effectifs en filière littéraire
sont autant de raisons qui ont justifié l'élaboration de
nouveaux programmes. " On n'appauvrit rien, il ne s'agit que de mesures
de bon sens, personne ne veut supprimer l'enseignement de la philosophie
", se défend Alain Renaut, qui estime nécessaire de
" produire un aggiornamento minimal de la philosophie ".
Le président du GTD regrette que la consultation se soit déroulée
après la publication des textes officiels et qu'elle ait porté
à la fois sur les nouveaux programmes et sur la réduction
des horaires en filière scientifique (S) et économique et
sociale (ES). André Pessel, inspecteur général honoraire
et ancien membre du GTD, souligne que le respect de la liberté
philosophique et pédagogique de l'enseignant " est réaffirmé
dans les nouveaux programmes " et qu'il serait " invraisemblable
que les professeurs de philosophie deviennent plus obéissants ".
Face au mécontentement exprimé lors de la consultation,
le GTD, rebaptisé " groupe d'experts " par Jack Lang
(Le Monde du 30 novembre 2000), va proposer une version révisée
des programmes. Le couplage des notions ne devrait plus être systématique
et les questions à ancrage contemporain devraient ouvrir sur des
éléments de culture philosophique commune. Une réunion
permettant à chaque camp d'exposer ses arguments devait se tenir,
mercredi 31 janvier, au ministère. " S'il y a blocage, autant
dire "on n'y arrive pas" et garder le programme de 1973 car le pire serait
une pseudoréforme avec uniquement une nouvelle liste de notions
", estime Alain Renaut. " Nous demandons au ministère
de prendre ses responsabilités pour sortir de la crise ",
prévient Charles Coutel, dont l'association réclame la suspension
de l'application de la réforme à la rentrée 2001
et la publication des résultats de la consultation. " Nous
sommes favorables à une réduction du nombre de notions,
nous acceptons une modification de programme mais pas dans l'esprit qui
a été retenu ", explique-t-il.
En engageant une consultation, alors même que les textes étaient
déjà publiés, M. Lang souhaitait assouplir les relations
entre les professeurs de philosophie et le ministère. Mais ce compromis
risque d'aboutir au pis à un statu quo, au mieux à une réforme
a minima.
Sandrine Blanchard.
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