Contributions : Analyses



BREVET DES COLLEGES

UN PAS POUR L’ENTERREMENT DES LANGUES MORTES

Cent mille fois affirmée, jamais démontrée, appuyée au contraire sur des raisons contradictoires, la supériorité des études latines reste encore aujourd'hui pour beaucoup un dogme intangible.

Il y a un an jour pour jour, le 20 février 1999, Jacqueline de Romilly, de l'Académie française, et Jean-Pierre Vernant, professeur au Collège de France, adressaient au journal Le Monde une tribune pour vilipender ceux qui persistent à vouloir débarrasser l'enseignement général des encombrantes humanités qui, disent-ils, multiplient, " dès le jeune âge les occasion de réfléchir sur le sens de la vie collective, sur la démocratie (...), sur la justice sociale, sur la tolérance ". Et d'annoncer leur émotion et leur inquiétude face aux multiples rumeurs qui se multiplient dans les diverses académies à l'encontre du grec ancien, et qui "  visent également et par contrecoup le latin et le français ".

D'un certain point de vite, les faits semblent leur donner raison. Le BO du 9 septembre annonce l'élimination de l'option latin au brevet des collèges, et il y a lieu de s'en réjouir. Ce qui suppose, selon Jeannette Boulay de la CNARELA, " qu’ après le lycée, le ministère a décidé de s'en prendre aux langues anciennes en collège ". Et Jeannette Boulay de n'envisager d'autre recours qu'une mobilisation massive des parents d'élèves car, précise-t-elle, cette mesure " enlève dorénavant toute reconnaissance, donc toute légitimité, à ces enseignements. Elle aura évidemment, conclut-elle, des effets sur les choix des élèves en cinquième pour le latin, en troisième pour le grec ". Malgré le peu de conviction que génèrent les arguments développés par Mme Boulay et ses amis, défenseurs pugnaces de l'enseignement de masse des langues mortes, ces derniers méritent somme toute quelque considération tant leur combativité est intacte au terme de ce combat d’arrière- garde.

Mais qu'en est-il exactement du latin qui, tout au long du XXème siècle, a tant secoué la mise en place de l'école unique. Que de problèmes se rattachent à cette question maudite ! Les multiples réformes des méthodes d'enseignement, le surmenage et l'allégement des programmes, la lutte entre scientifiques et littéraires, l'accès à l'enseignement supérieur ... Faut-il avoir fait du latin pour être un bon médecin, un bon avocat? Ou un bon architecte? Faut-il avoir écrit en mauvais latin pour écrire en bon français ? Honoré de Balzac, latiniste plus que médiocre, est-il inférieur à Colette ? Parmi ce déluge d'énigmes déconcertantes et (le faits contradictoires, le bon publie éberlué, perplexe, renonce à réfléchir et, résigné_ continue à laisser dire que Virgile fut un incomparable génie. Il aime mieux le croire que d’aller y voir. Et pourtant...

Et pourtant, il v a soixante-dix ans un professeur de latin,' un universitaire, Régis Messac, traitait déjà (lu problème dans L'Université nouvelle avant de publier en 1934 un pamphlet destiné à faire le point sur la question : À bas le latin! Dans cet ouvrage, Régis Messac démontre notamment la faiblesse du fameux argument selon lequel l'étude du latin développe l'esprit de synthèse : " À mesure que la pensée devient plus complexe, écrit-il, elle exige un instrument de plus en plus souple, mais aussi de plus en plus simple, dépouillé de toutes les fioritures ornementales qui nuiraient à un usage intensif, rationalisé et rationnel ".

En 1945, après la disparition de Messac, la question latine est relancée dans les colonnes du Figaro par Jean Guéhenno, Lui aussi a été professeur de latin, mais il l'a appris tout seul. À sa façon, le futur académicien mène campagne contre l’enseignement obligatoire du latin " parce que. dit-il, le latin est mort dans son enseignement même. Parce qu'il est enseigné dans un esprit de spécialiste ". " On n'étudie pas le latin pour le savoir, car on sait bien que les élèves ne le sauront jamais, mais on le considère grâce à des exercices incessants de grammaire comme un instrument formatif. Ainsi, dit Jean Guéhenno, le latin devient une sorte de puzzle sur lequel ces pauvres enfants n'en reconstitueront jamais la figure entière et ne doivent même pas y penser. " Guéhenno raille ses contradicteurs qu'il distingue en deux groupes : celui des étymologistes qui prétendent qu'on ne peut comprendre le français à moins de savoir le latin; celui des formatifs qui " admirent surtout que le latin soit mort. L'exercice dont il est l'occasion en devient plus gratuit, plus désintéressé. S'il, n'était pas mort, pensent-ils, il faudrait le tuer ".

Après 1968, la controverse sur l'enseignement du latin connaît encore quelques soubresauts au hasard de la politique menée par les différents ministres de l'Éducation nationale. En 1969 la tornade Edgard Faure chasse le latin des classes de sixième. En 1970 Olivier Guichard le repousse en quatrième. La même année le manifeste intelligent et novateur de l'APF (Association des professeurs de français), démontre le caractère artificiel du français scolaire, coupé des réalités contemporaines, trop imprégné de latin et d'histoire littéraire. En 1978 une remontée de l'étude du latin à 27 % des élèves du secondaire pointe le bout du nez. En 1996, la réforme Bayrou fait de la maîtrise de la langue française " une clef de la réussite scolaire ". Et le ministre de croire que Rome mène à cette réussite.

Bien des collèges aujourd'hui manquent de moyens du fait de cette réforme et des classes de latin encombrées d'élèves à qui la discipline est imposée par la faute et l'esprit traditionaliste de familles sourdes aux recommandations pourtant élémentaires des conseils de classe. En imposant à un enfant le latin contre avis pédagogique, les parents doivent s'attendre à trois années de perturbations dans la vie scolaire de l'élève, et par là même à la fragilisation de son accès au lycée.

Tout ça, comme le soulignait Régis Messac en 1933 au terme de son article paru dans L'Université nouvelle : parce qu'on " ne veut pas voir que les nécessités de la vie moderne imposent, impérieusement, l'acquisition d'une foule de notions et de méthodes nouvelles qu'il est impossible de sacrifier ou de réduire à la portion congrue. Il n’y a qu'un moyen de faire place à ces disciplines nouvelles, c'est de les substituer en tout ou en partie aux anciennes disciplines. Il faut renoncer à la lente imprégnation d'humanités classiques qui constituaient à peu près uniquement l'éducation d'autrefois, car cette imprégnation rie saurait coexister avec l'effort exigé par l'acquisition des nouvelles connaissances. En d'autres termes, et une fois de plus, il faut renoncer au latin, les humanités ne peuvent phis être qu’une spécialité. "

Guibert Lejeune

Liaisons laïques n° 253

Art oratoire

L'école n'apprend plus aux enfants à parler, et les élèves ne maîtrisent pas mieux l'expression orale que l'écrit. Dans un rapport intitulé : " La place de l'oral dans les enseignements: de l'école primaire au lycée ", les rapporteurs de l'inspection générale de l'Éducation nationale dénoncent les faiblesses verbales qui ne sont pas imputables aux élèves, mais aux enseignants et au fonctionnement de l'école, notamment à travers l'importance que ces derniers accordent au cours magistral.

Liaisons laïques n° 253

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