Le Chant Inachevé

Le Poids du Destin

 

 

Chapitre 5 : Conspiration à Tor Rosanëa

 

 

  L’aube se leva peu à peu, caressant de ses chauds rayons les mornes collines de Tor Rosaneä. Lentement, le soleil pénétra dans la chambre du mage Lorindil, longeant les tapisseries murales, se réfractant dans le pur cristal d’élégantes coupes de vin abandonnées sur la table d’acajou, s’attardant sur les visages endormis des deux amants…

  Doucement, le mage et la guerrière se réveillèrent, renonçant peu à peu aux douces brumes du sommeil. Dans leur regard perdurait l’agréable songe tissé toute la nuit durant.

  Lorindil se leva, frottant avec force ses yeux, se livra à une rapide toilette matinale, puis enfila des habits propres. Une sensation de fraîcheur l’envahit, dissipant les relents de rêverie qui hantaient encore son esprit. Se retournant, son regard tomba sur Mawraël, qui s’était rendormie. Alors le souvenir de leur passion charnelle lui revint en mémoire, et chargé de remords et de honte, le mage frissonna d’effroi.

« Dieux ! Qu’ai-je donc fait là ? » Murmura-t-il.

  D’un geste doux, il releva les draps jusqu’à la poitrine nue de son amante. Cette dernière ronronna de plaisir, se retournant dans son sommeil. Lorindil resta la contempler, assis sur le rebord du lit, le regard flou. De sa main droite, il caressait l’épaule couleur crème de la jeune elfe. De l’autre, il essuyait les larmes perlant le long de son fin visage.

  D’un bond, il se leva. La tête basse, il ceignit son épée à sa ceinture, et, sans un bruit, quitta la pièce, traversant les couloirs encore déserts, jusqu’au cloître du couvant.

 

  De noires colonnes progressaient sur l’herbe jaunie des plateaux d’Avelorn. Des milliers de créatures engoncées dans leurs armures chitineuses, aux sombres reflets métalliques, avançaient au son de lugubres oliphants. Leurs bannières, icônes décadents à la gloire de divinités maudites, flottaient dans la brise matinale.

  D’étranges formes suivaient ces fourmis bipèdes dans leur sombre progression : harpies aux ailes de cuir, hydres aux têtes reptiliennes sifflantes, mais aussi démons, brandissant les icônes de leurs terribles Maîtres, agitant dans d’horribles hurlements leurs armes magiques…  A leur tête, une forme corrompue agitait son cou de serpent, ses sabots martelant le sol, et son immense fouet claquant au-dessus de ses serviteurs maléfiques.

  Dulmorwen surveillait l’avancée de ses troupes, affichant un sourire pervers. Elle avait réussi ce que personne avant elle n’avait osé : invoquer une puissance démoniaque à même de diriger les Serviteurs des Dieux du Plaisir et de la Haine, et unir ses forces à cette entité hybride du Chaos, pour vaincre une fois pour toutes la puissance d’Avelorn…

  L’émissaire du Chaos avait répondu à son appel, mais la partie était encore loin d’être gagnée. Il l’observait, sondant à tout instant son esprit, épiant ses moindres faits et gestes. Ses Maîtres l’avaient investi d’une mission cruciale, dont dépendait le sort même de la Vipère… Si elle réussissait, tous ses fantasmes les plus fous lui seraient accordés : puissance, gloire, luxure… Mais si elle venait à échouer, son âme se retrouverait à jamais enchaînée aux pieds de ce prince démon, impitoyable taulier démoniaque !

  Mais Dulmorwen avait foi en sa victoire. Les Hauts Elfes n’avaient rien pu faire conter elle jusqu’à présent, et Tor Rosaneä, ultime refuge de leur Reine, tomberait dans quelques jours entre ses mains !

 

  La rosée étincelante recouvrait les pelouses du jardin des demoiselles d’honneur, perlant en grosses gouttes cristallines le long des rosiers en fleurs. Lorindil prit entre ces mains une de ces délicates fleurs couleur rouge vif, ses doigts remontant le long des vertes tiges épineuses. Malgré la douleur, il ne recula pas pour autant sa main gauche, qui bientôt ruissela de minces filets de sang.

  Abandonnant le rosier, il s’approcha d’une petite fontaine, surplombée d’une statue de marbre, représentant la Déesse Mère. Lorindil y plongea sa main blessée. L’eau glacée mordit les écorchures de ses doigts.

« Morai-Hegg ! qu’ai-je donc fait là ? » se répétait-t-il, le visage en larmes.

- Ton Destin, Lorindil… » Le mage se retourna, pour faire face à la forme éthérée d’une élégante banshee, aux traits féminin hélas bien connus.

- Laetheniä ! » Souffla-t-il

- Cela faisait longtemps, mon Aimé… Mais les permissions sont rares, pour nous autres servantes de Morai Hegg… » La banshee s’approcha lentement du mage, lui prenant avec tendresse ses deux mains. Un souffle glacial parcourut les avants-bras du mage. Quand l’étreinte s’acheva, Lorindil contempla sa paume gauche, intacte. «  La Gardienne de la Destiné n’aime guère que l’on s’amuse à ce petit jeu là, Lorindil. Croyais-tu en finir ainsi ? » Lorindil la regarda, les yeux écarquillés.

- Mais, je… Je ne mérite plus ton attention… Laethenia ! Je ne vis pourtant que dans ton souvenir ! Depuis ton départ, je ne fais que te chercher à travers toutes ces femmes ! quand cela s’achèvera-t-il ? Quand est-ce qu’enfin, je pourrai mourir à mon tour, et te rejoindre à jamais ! » Lorindil éclata dans une violente crise de larmes.

- Ta tâche est cependant loin d’être achevée, mon Aimé. Ne regrette rien, cependant. Car ce que tu as fait était écrit, et tu le sais aussi bien que moi. »

- Mais j’ai trompé Luthilenal ! J’ai trompé ma propre épouse ! Et par la même occasion, je t’ai trompée ! »

- Tu as cependant trouvé celle que ton cœur cherchait, malgré toi… » Lui souffla à l’oreille le spectre.

- Alors ? Cela signifie ? »

  La forme éthérée se brouilla, pour laisser place au doux visage de Mawraël. Puis, l’illusion s’estompa, et la banshee reprit son froid visage.

« Absolument rien, Lorindil, si ce n’est que tes sens ont eu raison de ton esprit. Mais que peux-tu y faire ? Ton cœur a parlé, cette nuit. À tord ou à raison. Seul l’avenir nous le dira. Il se peut que cette étreinte fut ta dernière, ne lui porte pas rancune pour ce cadeau…

- Ma dernière ? » L’interrompit-il.

  La banshee s’estompa. Lorindil, perplexe, la regarda se disperser tel un nuage de brume. Un bruissement attira son attention, derrière lui. Se retournant, il aperçu une forme elfique, encapuchonnée de noir. D’instinct, il tira son épée de son fourreau.

  «  Ne me hais point » Murmura la silhouette en dégainant sa dague. « Je ne fais que réaliser Sa Volonté … » L’assassin se rua sur lui. Lorindil eut juste le temps d’esquisser. Se retournant, il ajusta sa garde, faisant à nouveau face à son ennemi.

« Qui êtes-vous ? » Siffla-t-il.

« Meurs ! » Hurla l’elfe, à la voix féminine.

  Lorindil bloqua la dague, brisant l’attaque. Puis, d’un moulinet, il trancha la main armée. La jeune elfe hoqueta de douleur, avant de se recroqueviller sur elle-même, en pleurs.

« Je te le redemande, dis-moi qui t’envoie, et je te laisserai la vie sauve. »

  La jeune elfe hurla de rage, et tira de sa main gauche une nouvelle dague. Lorindil lui sectionna l’avant-bras, avant de décapiter son adversaire d’un revers de lame.

  Lorindil s’agenouilla. Au niveau du cou sectionné, une chaînette brisée avait glissé sur l’herbe rougie. L’archimage la saisit : une rune d’argent y était attachée, représentant le symbole d’Isha…

  Des gardes surgirent peu après, alertés par les hurlements. Lorindil s’empressa de dissimuler l’objet. Les soldats l’aidèrent à se relever, puis fouillèrent à leur tour le cadavre.

« Un assassin druchi, Monseigneur… » L’informa un des soldats, en lui présentant la garde d’un des poignards. «  Regardez cette insigne de Khaine ! »

  Lorindil ne prononça mot. Il s’en retourna, en direction des appartements de sa tante.

 

  « Enfin, mon neveu, n’as-tu point de respect pour le sommeil de tes aînés ? » Jura Elëa, en robe de chambre, lui ouvrant la porte de sa chambrée.

- Désolé d’interrompre ton sommeil, ma tante, mais je possède là quelques éléments nouveaux. » Il lui tendit la chaînette, encore maculée de sang. Elëa eut un mouvement de recul, avant de le dévisager.

- Une … assassin ? » s’hasarda-t-elle.

- Exactement. » Répondit-il.

- Viens prendre une tasse de thé avec moi. Ho, avant cela, si j’étais toi, je m’en irais quérir Mawraël au plus vite… » L’archimage rougit. « Allons, je ne vais point vous faire de leçon de morale, mais la situation exige de réagir au plus vite, et elle me semble elle aussi concernée ! »

  Lorindil s’éclipsa, pour revenir un quart d’heure plus tard en compagnie de sa maîtresse. Elëa les accueillit, vêtue d’une élégante robe bleue de mage. La table du petit déjeunée avait été dressée, derrière elle.

« Entrez, mes chers enfants, et installez-vous confortablement. Je crois que nous en avons à discuter.. » Les accueillit-elle. Les trois elfes s’assirent autour de la table.

- Moi aussi, ma Dame, j’ai à vous parler. Tout d’abord, j’insiste pour vous prévenir que votre rang, bien que supérieur au mien, ne vous donne aucun droit sur mes affaires de cœur, et… »

- Vous êtes bien incorrigibles, vous deux ! Bien entendu, que je n’ait aucun droit de regard sur votre intimité ! Si je vous ai convié à prendre ce thé, c’est pour discuter de ceci : » Elëa fit signe à Lorindil de déposer la chaînette sur la table. Le mage s’exécuta. Mawraël dévisagea les deux elfes, en remarquant la rune d’Isha maculée de sang.

- Vous n’avez tout de même pas… » La guerrière n’osa achever sa phrase.

- Assassiné une prêtresse ? Non, bien entendu. Disons que c’est l’inverse qui a bien failli se produire.. » Et Lorindil lui raconta son combat, dans le cloître du monastère.

- Par Isha… Tout ceci me semble si incompréhensible… Des traîtres parmi nous, voués à la cause Druchi ? » En conclut-t-elle.

- Pas exactement, très chère. » Lui répondit Elëa, tout en sirotant son thé. «  Je dirais plutôt l’action d’une secte quelconque, agissant de son propre chef. Et je puis même mettre un nom sur la commanditaire de cet acte …

- Andranile … » Murmura Lorindil.

- Allons, cessez donc ces palabres insensées ! Jamais notre Mère supérieure n’oserait s’en prendre à un défenseur d’Isha ! » S’indigna Mawraël

- Elle nous a pourtant ouvertement déclaré la guerre, ma tendre… » Lui répondit Lorindil. « Plusieurs demoiselles, dont une championne, peuvent vous le confirmer… »

- Mais de là à vous assassiner ! Allons, Andranile est une brave prêtresse ! Un peu intégriste, j’en conviens, mais au point de vouloir mener cette alliance à sa perte … » Mawraël reposa sa tasse de thé.

- Ma chère, connaissez-vous les Prophéties de Kasandolea ? » L’interrogea Elëa

  La guerrière la regarda, perplexe. Bien qu’érudite sur de nombreux textes du culte d’Isha, elle se trouvait très surprise par l’évocation d’une telle prophétie.

«  Il est dit, mes chers enfants, qu’un jour, Isha enverrait une épreuve à ses plus fidèles servantes, sous la forme d’une créature des Ténèbres. Mais que celles qui ont la Foi ignoreraient la peur, et dresseraient contre cette Menace la Lame Sacrée de la Déesse…

« Bien entendu, les impurs seraient châtiés, et leurs armées détruites.

« Enfin, quand tout espoir serait perdu, seules les guerrières restées dans le Dernier Temple à prier parviendraient à triompher de l’Epreuve… 

« Andranile est la Gourou de cette secte. Je m’en suis doutée dès notre première rencontre. Notre présence gêne ses projets, et il m’est d’avis qu’elle fera tout pour conserver l’Epée de Cristal au sein même de la basilique !  Elle s’en prend déjà à ses ennemis directs, à mon sens rien ne la retiendrait de vous éliminer également, Mawraël … » Elëa finit son thé, tournant son attention en direction du pudding.

- Fort bien. S’ils veulent la Lame, il faudra d’abord me passer sur le corps. » Mawraël posa sa main droite sur le pommeau de l’arme magique. « Mais que prévoyez-vous pour le moment, ma Dame ? »

- Je vais tenter d’en aviser les Capitaines des autres osts, et ce dès aujourd’hui. Je compte sur votre présence pour créditer mes dires… Inutile d’en aviser Nialen, je ne crains rien pour la vie de la Reine... Je pense qu’elle est même d’avis pour se fier à ces prophéties… Peut-être prévoit-elle d’utiliser nos osts alliées comme bouclier, le temps pour elle et ses consœurs de se préparer à l’issue finale !

- Allons, ma tante, pourquoi aurait-elle lancé cet appel à la Sainte Croisade alors ? » Lui répondit Lorindil.

- Et qui te dit que cet appel ne s’adressait en vérité qu’à la partie sacrifiable de l’assemblée ? » Répliqua-t-elle. « Non, crois-moi, j’ai longtemps discuté à sa table, hier. Et je suis convaincue de son appartenance à cette secte… »

- Vous êtes vraiment paranoïaque, traiter Alarielle d’être machiavélique ! » La taquina Mawraël, un sourire crispé sur son visage.

- Je ne la juge pas. Elle ne fait que suivre ce qui lui semble dicté par Isha elle-même. » Termina Elëa, avant d’engloutir une part généreuse de pudding.

 

  Le bruit triomphant de centaines de cors résonnèrent dans l’enceinte de la forteresse, coupant court à la discussion. La profonde mélodie d’une conque leur répondit, et les trompettes d’argent accompagnèrent l’ouverture des portes de la citadelle : les osts alliées s’apprêtaient à rejoindre les derniers défenseurs d’Avelorn. Lorindil, Elëa et Mawraël s’élancèrent en direction des murailles, traversant la cour principale, gravissant deux par deux les marches de grès. Le spectacle des osts étincelantes de Chrace, de Cothique et de la Tour d’ Hoeth, saluées par les troupes d’Avelorn et d’Yvresse en formation de parade leur coupa le souffle.

  Des centaines de bannières flottaient au vent, se jouant des lances d’argent des guerriers elfes. Les coursiers, dans leurs caparaçons décorés de soies, rivalisaient de beauté avec leurs cavaliers. A leur suite, les troupes d’élite de chaque royaume représenté paradaient en grande pompe, faisant face aux guerrières d’Isha, saluant respectueusement la Reine Eternelle, venue en personne accueillir ses alliés.

  Lorindil contempla longuement l’étrange ballet des régiments autour de leur Reine, jusqu’à ce qu’enfin tous se séparent et rejoignent le campement fortifié en cours de réalisation.

  Les trois elfes redescendirent dans la cour, à la recherche des autres généraux. Maintenant que l’ost était à son complet, les Elfes ne tarderaient pas à marcher vers l’Ennemi. Il leur fallait se hâter, afin de prévenir au plus vite leurs compagnons du danger qui les guettait…

 

  Une estafette demoiselle d’honneur les intercepta, porteuse d’une dépêche à l’attention de l’archimage.

« Hâte-toi, Lorindil ! Ton champion arrivera aujourd’hui même, et lui aussi aura un rôle à jouer dans cette partition divine… »

- Faereïn ? Ici, en Avelorn ? Tout le monde le croyait reclus en ermite dans les montagnes du Bord du monde, après les événements de… » Lorindil marqua un temps d’arrêt, se remémorant la dernière bataille de son ami Kundïn, son sacrifice, sa mort, et la dernière apparition de sa défunte épouse. « Maintenant, tout est clair en mon esprit… ».

Elëa et Mawraël frissonnèrent en fixant le visage de la demoiselle : il était aussi blanc que le lait, et ses yeux noirs ressemblaient à deux fosses plongeant jusqu’au cœur même d’abysses sans nom…

- Banshee… » Songea Elëa. La créature salua le mage, jetant un regard sardonique aux deux femmes, avant de s’éclipser. « Il faut que je consulte les astres, Lorindil. »

- Mais, ma tante, les généraux ?

- Il me semble que la secte ne soit pas le seul danger auquel nous soyons confrontés. Occupez-vous de convoquer les seigneurs de guerre dans mes appartements, pour l’heure de midi. Je vous y attends. Allez ! » Et la mage les quitta, laissant les deux amants perplexes.

 

  Elëa jeta violemment au sol ses parchemins, projetant contre la bibliothèque de sa chambre son compas d’or ciselé, et brisant sa meilleure plume d’oie. Trente thèmes astraux, trente consultation des Présages d’Isha, trente lecture des Astres Glacés de la Déesse Ridée, et quatre vingt-dix fois la même sentence : le Serviteur devait mourir.

  Mais de quel serviteur parlaient donc les deux déesses à la fois ? Elle ? Non. Jamais Elëa n’avait levé le moindre petit doigt pour la Ridée. Question d’éthique, se félicitait-elle. Alarielle ? Le Destin lui avait choisi une autre voie, toute bonne prêtresse d’Isha le savait fort bien. Et encore plus elle-même, à la lumière des événements présents... Faereïn ? L’arrivée inattendue du « Champion oublié » de son neveu ne présageait rien de bon. Andranile ? Quel bon débarras ! Mais cela lui semblait trop beau pour être vrai. Mawraël ? Peut-être… Lorindil ? Et si c’était vrai ? Si le dénouement de sa destinée devait passer par son trépas ?

  Elëa secoua vigoureusement la tête. Les oracles avaient déjà parlé pour lui, il vivrait ! Isha l’avait promis ! Sinon, elle se serait bien gardée de troubler sa retraite ! Elle marqua un nouveau temps d’arrêt. Et si tout ceci n’était pas innocent ? Et si, elle aussi, elle n’avait été qu’un écrou de l’impitoyable machine qui se mettait en route ? Elëa fixa son regard devant une petite statuette d’Isha, posée au-dessus de son lit.

« Vous vous êtes bien moquées de moi, Toi et ta stupide sœur ! Qu’est-ce que Tu dois rire, à me regarder m’affoler de la sorte, moi, pauvre mortelle ! Et bien, contemple donc, et ris encore, tant que la farce T’amuse ! Avant que ne s’achève cette maudite tragédie !» Lança-t-elle à la sculpture, furieuse.

  Quelqu’un frappa à la porte. Elëa se ravisa. Tirant la clé d’une poche de sa robe, elle ouvrit la serrure de cuivre. Lorindil et Mawraël pénétrèrent dans la pièce, l’air dépités. La guerrière avait délaissé son armure réglementaire d’officier des Demoiselles d’Honneur pour une lourde armure de plate recouverte d’or et de saphir, symbole de son titre de Gardienne de l’ Epée de Cristal. Le mage arborait une robe de bataille, dans les tons bleus, blancs et violets. Son épée magique reposait sur son côté gauche, dans un fourreau serti de diamants.

« Hé bien ? Où sont nos capitaines ? »

- Alarielle les a réunis dans la salle du conseil avant que nous les trouvions. Elle nous ordonne de les y rejoindre expressément, en tenue de bataille… » Lui annonça Lorindil, peiné.

- Qu’il en soit ainsi… » Lui répondit Elëa. « Accordez-moi un instant et je vous suis. »

 

  « Mes Enfants, l’Heure de la bataille est venue… » Annonça Alarielle, d’une voix forte. «  Les Druchii atteindront demain la vallée de Fandalia. Et c’est entre ces vallons verdoyants, sous le regard des ruines du temple de Fandalia que vous combattrez, pour notre Salut, ou notre Damnation Eternelle… »

  Les nobles réunis dans la salle d’audience n’osèrent prononcer mot. Que rajouter de plus ? Ils représentaient les derniers espoirs d’ Avelorn, et ils le savaient. L’heure n’était plus aux discours, mais à l’action.

  Les officiers ordonnèrent que les armées se mettent en marche. Préparer le siège de Tor Rosaneä ne leur semblait plus une solution d’ultime recours : entasser les armées de Cothique, de Chrace, de la Tour d’ Hoeth, d’Yvresse et d’Avelorn, optimisées pour l’offensive dans une petite enceinte aux capacités limitées n’aurait été que folie. Cependant, l’ost d’Avelorn y demeurerait, sous les ordres d’ Alarielle. Là, elles y prépareraient la forteresse à un ultime siège, achevant pour ce fait le camp fortifié, première ligne de défense contre l’ennemi…

  Elëa frissonna. Il leur faudrait donc combattre l’ennemi sur le terrain, et le frapper vite et fort. Bref, percer ses lignes d’assaut, semer la panique dans ses rangs, et se replier sur ses propres défenses. Une fois son élan brisé, les vagues d’assaut ennemies, affaiblies, viendraient se briser contre la muraille d’argent et de mithril… Mais si cette digue cédait à son tour ? Que deviendraient-ils tous ?

  Lorindil refusait cette stratégie, car il savait ce qu’espéraient Alarielle et Andranile. Il n’était pas sans ignorer ce que cela signifiait pour lui et ses soldats. Il se retrouverait donc en première ligne, avec les régiments d’élite et la cavalerie. Comment les autres généraux avaient-ils pu se laisser ainsi commander ? Par loyauté, évidemment. Nul ne peut remettre en cause un ordre de la Reine Eternelle, sauf bien-sûr le Roi Phœnix lui-même !

  Faereïn l’accompagnerait, comme autrefois. Il se portait déjà de nouveau à ses côtés, le visage aussi sombre et silencieux que le jour de son départ… Tant d’années de vie en ermite n’avaient fait que développer son air sinistre. Dans ses yeux ne brûlaient plus aucune flamme. Ses mains serraient constamment son épée à double tranchant, et sa cape reposait le long de son armure de plaques de mithril… Le Capitaine des Paladins de Morai Hegg inspirait autant de respect qu’un vieux garde phœnix…

  Mawraël se tiendrait à ses côtés. Elle ne craignait uniquement la bataille à venir, et encore moins de désobéir à sa Reine, puisqu’elle s’y rendrait main dans la main avec l’homme de sa vie. Elle puisait dans cet amour tout son courage et sa force, se jurant de ne jamais faillir face à l’ennemi, au nom d’Isha et de son amant… Elle lui prit la main. L’archimage ne se dégagea pas. Ils n’avaient plus rien à cacher, et en cette heure de Désespoir, qui sait si leur amour n’était pas la flamme qui rallumerait le brasier de la victoire ?

  Elëa les regardait, le regard sombre. Elle ne pouvait détourner son visage de cette timide étreinte, n’écoutant qu’à peine les paroles de sa Reine. Ainsi, avait-il trouvé l’amour en cette heure… Comme l’avaient prédit les Astres, une fois de plus. Un nouveau rouage venait d’être monté, bientôt la destinée entamerait sa marche, telle une machine implacable… Elle les broierait tous … A quel jeu terrible les Dieux se livraient-ils donc, pour aveugler ainsi le regard des elfes ? Ne voyaient-ils pas qu’ils couraient tous à leur perte ?

  Alarielle se tut. La mess des officiers s’achevait là. Tous ses lieutenants savaient ce qu’il leur restait à faire, et d’un seul homme, se levèrent, saluèrent leur souveraine et quittèrent la salle. L’elfe s’effondra sur son trône. Elle pouvait sentir le Chaos envahir ses Terres, tel un nuage sombre voilant les chauds rayons du soleil. Ce combat ne serait pas le sien, ainsi que les Astres l’avaient prédit, et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver des remords : combien de ses fils venait-elle d’envoyer à la mort ? Elle n’osait y penser. Non, elle ne le voulait pas. Elle l’avait fait par devoir, non par plaisir. Et pourtant… Etait-ce la bonne décision ? Oui, bien-sûr !

  Il leur faudrait combattre, et vaincre, pour la survie d’Avelorn ! pourfendre l’ennemi en son cœur même, en défaisant l’état-major et ses troupes d’élite ! Avant de se replier, et d’achever l’ennemi contre ces murs millénaires !

 

… Vaincre, quel qu’en soit leur prix, même s’il leur fallait pour cela tous mourir …

 

  Andranile s’approcha d’elle, le regard grave.

« Mère, je crains que la Gardienne ne vous désobéisse…

- Je sais, Andranile, je sais… Dans ce caas, prends les mesures qui s’imposent. Si Mawraël venait à faillir, alors Nialen la remplacerait… » Soupira la Reine.

- Comme il t’en plaira, Ô ma Reine… ;» Salua la prêtresse, avant de s’éclipser.

 

 

* Voir Les Avant-Propos

 

A suivre …

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