Le Chant Inachevé

Le Poids du Destin

 

  La lourde patte reptilienne d’un énorme sang froid s’abattit sur le cadavre d’un garde phœnix, lui broyant la cage thoracique dans un craquement sec.

  Du haut de cette colline, couverte des cadavres d’un bataillon de guerriers Hauts Elfes, la cavalière contemplait, d’un sourire narquois, l’étendue du champ de bataille :

  Des centaines de corps, atrocement mutilés, recouvraient l’herbe de la plaine. Tuniques blanches couvertes de sang, écailles d’argent atrocement déchirées, sombres carcasses de métal tachetant le charnier de leur masse noire, chevaux éventrés, machines de guerre démantelées …

  L’assaut avait été bref, mais d’une rare violence. Rien ne subsistait du détachement de Tor Falensi. Le fortin lui-même, assailli par les corsaires de la flotte Druchii, se détachait à l’horizon, pointe noire enfumée face à l’océan, livré aux flammes destructrices…

  Lentement, la cavalière fit craquer ses phalanges, dans un rictus de mépris. Dressant à nouveau sa hallebarde, elle n’avait de cesse de fixer la route de terre qui s’enfonçait dans les proches sous-bois de sapins. Son Sang Froid remuait stupidement la queue, tout en broyant entre ses terribles mâchoires une tête d’elfe. Un cavalier, encapuchonné dans sa cape noire, la rejoignit, son sombre destrier marchant avec prudence en direction de l’imposant reptile de guerre.

« Maîtresse ; les derniers prisonniers ont été exécutés, selon tes ordres. La Légion a établi son campement dans les sous-bois ; des éclaireurs surveillent déjà la région… » Annonça l’estafette, d’une voix atone et glaciale.

-Bien, Très Bien. Que leurs corps servent de nourriture à nos braves. Inutile de gaspiller nos vivres. Les consignes ont-elles circulé parmi tes rôdeurs, Vandaleïr ?

- Oui, Maîtresse. Les plus proches fermes et villages brûlent déjà…

- Parfait… Tout à fait parfait… »

  La jeune elfe planta son hallebarde au sol, et de ses deux mains, retira son heaume de sombre acier, découvrant un magnifique visage, ses yeux verrons brillant dans le crépuscule, tandis que la douce brise du soir se prenait dans sa longue chevelure noire. Machinalement, elle porta sa main à une fine cicatrice qui lui parcourait la joue de l’œil gauche jusqu’à son menton.

  « Il est temps pour ces chiens d’apprendre ce que le mot Vengeance signifie… Bientôt, il ne restera que ruines sur ces terres, et tout Avelorn tremblera devant Dulmorwen ! »

  La générale Druchii éclata d’un rire frénétique, entrecoupé d’hurlements démentiels, criant sa rage et sa folie aux cadavres indifférents …

 

Chapitre 2 : La Marche de la Vipère

 

  « Mer, mer… Source de toute vie, Mère de toute créature, berce-moi de ton chant apaisant ! Murmure-moi encore les douces paroles des Dieux, qui de leurs mains habiles t’ensemencèrent…

« Mer, mer, Douce mère… Qui jusqu’à notre rivage charrie l’espoir ; donne moi la force de Ceux qui les premiers te marièrent à la Vie … »

  La jeune prêtresse d’Isha se releva, l’eau ruisselant le long de ses hanches nues. D’un pas lent mais assuré, elle regagna la plage, laissant une dernière fois les vaguelettes se briser contre ses cuisses cuivrées.

  Deux demoiselles d’honneur l’attendaient, la recouvrant d’une longue robe blanche aux motifs turquoise, rabattant ses longs cheveux blonds en une élégante natte. La jeune mage se laissait faire, le regard grave, le murmure de l’Océan résonnant encore dans son cerveau.

  Une troisième demoiselle s’approcha, tenant à sa ceinture une imposante épée à double tranchant. Les deux autres guerrières, à sa vue, s’inclinèrent avec élégance. La jeune épéiste, aux cheveux roux en bataille, et au visage encore couvert de tâches de rousseur, dégaina son arme : une longue épée de saphir jaillit de son fourreau, qu’elle planta dans le sable, ses fines mains entourant la poignée. Un genou posé à terre, elle salua sa supérieure, la tête basse.

« Mawraël, Gardienne de l’Epée Cristalline… Relève-toi, mon enfant… » La prêtresse prit son visage entre ses mains cuivrées, incitant doucement la guerrière à la regarder dans les yeux.

« Le Sang de Valdelia coule dans tes veine, Mon Enfant. Tu as les mêmes yeux que ta mère… Quelle noble famille Isha nous a donc confiée !…

« Mais tu saisis certainement déjà pourquoi je t’ai convoquée… »

- Oui, Ma Mère… » Répondit la jeune guerrière, d’un ton sinistre.

- Elëa de Saphery n’a point été tuée. Nous nous en réjouissons toutes. Mais hélas, une bonne nouvelle n’arrive jamais seule.. C’est ta mère, lors de la bataille de Tor Falensi, qui fut vaincue par la Vipère… Valdelia était notre meilleure stratège… Avelorn lui sera éternellement reconnaissante pour avoir repoussé, il y a deux cent ans de cela, la première attaque d’Har Garond… Mais l’ennemi a su triompher de la Championne. Et de nouveau, le Carnage s’est abattu sur notre beau royaume… »

  La prêtresse marqua un silence, une larme perlant sur sa joue.

«  Maintenant, te voilà en possession de l’Epée Cristalline… Sois en fière, comme ta mère le fut avant toi, et comme tes ancêtres avant elle, et ce depuis que les Elfes marchent sur Ulthuan la Blanche… Puisse ce don d’Isha t’apporter force et vaillance… »

  La guerrière dressa l’arme au-dessus de sa tête, laissant la lumière du soleil envahir sa structure cristalline, reflétant des milliers de petits spectres lumineux…

« Je saurai m’en montrer digne, Ma Mère… L’ Epée ne reposera pas au seuil du Trône d’Isha tant que les Druchii fouleront le sol d’Ulthuan… » Lui répondit Mawraël. Malgré son regard déterminé, une larme coulait le long du doux visage de la jeune elfe.

- Espérons-le, Mon Enfant, espérons-le… »

 

  Un imposant navire elfique accosta dans le port de Tor Yvresse, accueilli par une foule de badauds et de guerriers, venus acclamer un des héros du Royaume d’Yvresse.

  Sur le pont, en tenue de Grand Prêtre de Morai-Hegg, l’Archimage Lorindil, son épée à double tranchant à sa ceinture, saluait la foule. Jamais, dans ses rêves les plus fous, il n’aurait imaginé tel accueil. Depuis le Temple de la Déesse Ridée, une procession de prêtres et de paladins descendait la large avenue du Port, suivis par la garde d’honneur de la cité, venue escorter l’archimage jusqu’au Palais du Gouverneur. Sur les quais, des vétérans des Guerres Gobelines, en civil ou en uniforme, acclamaient leur ancien commandant. Des centaines de citadins se pressaient le long du cortège, formant une masse compacte autour de l’Archimage et de sa suite militaire. Machinalement, Lorindil les bénit, incrédule. Et la foula l’ovationna. Le peuple n’avait donc rien oublié de la gloire des jours passés, et son seul retour triomphal prouvait l’incohérence des mensonges tissés par la Cour du Roi Phœnix : Le Compagnon du Tueur de Démons Kundïn Oakenshield, le Libérateur du Nord d’Yvresse, L’époux de la légendaire Laetheniä était de retour, et non un vulgaire elfe renégat !

  La foule n’avait de cesse de l’acclamer sur son passage : des citadins jetaient des milliers de roses depuis leurs balcons, florissant les rues arpentées par le détachement d’honneur de l’ Archimage. Remontant jusqu’à la Grande Place d’Asuryan, le cortège s’arrêta devant le Palais, laissant y pénétrer Lorindil, accompagné seulement d’une garde prétorienne de cinq paladins.

  Le calme de la bâtisse ancestrale rompit avec les cris de la populace. Lorindil, ivre de ce bain de foule, se laissa guider par les gardes du palais, ne remarquant que d’un air distrait qu’ils le conduisaient jusqu’à la Grand Bibliothèque de Tor Yvresse, annexe du Palais, mais également domicile de fonction du premier mage de la cité, à savoir lui-même…

  Deux gardes ouvrirent les deux battants d’une lourde porte de chêne élégamment sculptée, et l’archimage pénétra dans une vaste bibliothèque. Les étagères, hautes de dix mètres, tapissaient les murs de la vaste pièce de savants grimoires … En son centre, cinq canapés de cuir, posés en cercle sur un tapis ovale, formaient une sorte d’atoll perdu au milieu de cet océan de savoir…

  Et sur cet îlot-salon, deux naufragés, un seigneur et une mage, illuminés par les rayons de soleil s’échappant de vastes vitraux, s’apprêtaient à recevoir l’archimage.

  L’un d’entre eux, se retournant péniblement, arborait un visage sombre, à la fois rongé par la douleur et par la peine. Lorindil n’eut aucun mal à reconnaître Eltharion, le Gouverneur de la Cité. Cependant, lorsque son regard croisa celui de son hôtesse, il ne put s’empêcher de s’arrêter, le souffle coupé : devant lui se dressait Elëa de Saphery …

 

« Ce n’est pas possible ! Elle ne devait pas s’en réchapper ! » Hurla la guerrière Druchii, son visage rouge de colère.

- Nous… Nous n’avons rien pu faire, Ma Reine… » Bredouilla une garde.

- Imbéciles ! » D’un geste vif, Dulmorwen dégaina son épée, et la tournoya d’un seul moulinet de poignet. Les têtes des deux gardiens s’abattirent sur le sol, leurs corps crachant sur les dalles froides leur sang vermeil.  « Il m’a fallu huit jours pour prendre cette forteresse, et quand enfin je parviens à bout de Valdelia, cette… Cette traînée d’Elëa s’enfuit avec l’Epée Cristalline ! Et mon effet psychologique ? Et l’annonce de la mort de la Guerrière et de la Mage ? Gardes ! »

  Deux soldats descendirent les marches des souterrains. A peine eurent-ils le temps de pénétrer dans la salle que Dulmorwen les éventrait de ses deux poignards. « Voilà qui me dédommage pour cette infamie… » Murmura-t-elle tout en léchant le sang répandu sur ses lames.

  Laissant les cadavres dans l’étroite salle des cachots, la Vipère remonta jusqu’à la cour du fortin. Parmi les ruines de la place forte, les soldats de sa seconde légion s’activaient, préparant des raids éclairs à travers la région, attendant l’arrivée de renforts et de la Troisième Légion, encore au large, avant de rejoindre dans les terres la Première Légion…

  La flotte avait bénéficié d’un effet de surprise, débarquant ces deux premières vagues d’assaut avec un net succès ; se permettant même l’assaut d’un objectif secondaire avec les corsaires de réserve… Deux places fortes côtières avaient ainsi été capturées ; mais seul Tor Falensi possédait les fondations nécessaires à l’arrimage de ses Arches Noires, en vue de transformer les navirse-fortins en une imposante forteresse de campagne…

  Elle avait joué gros, en déplaçant jusqu’en Ulthuan sa prisonnière ; Elëa Findelwen ;. Mais elle souhaitait garder sa victime auprès d’elle, comme trophée de guerre. Aussi n’avait-elle laissé dans les geôles de Dul Morghul que le cadavre atrocement mutilé d’une demoiselle d’honneur, vêtue de la robe de l’archimage. Un simulacre parfait, à l’attention de ses rivaux… Son erreur avait été de croire la mage neutralisée, et de l’enfermer dans la même cellule que le cadavre de la Gardienne de l’Epée Cristalline. Mais pourtant, son sorcier personnel lui avait certifié que ses sceaux démoniaques la rendaient impuissante ! Cet imbécile devrait payer, lui aussi. A l’avenir, elle devrait se méfier de ces mâles vaniteux, à la prétention plus grande que leurs pouvoirs…

  Mais ce traître devrait encore attendre avant de recevoir sa punition…

  Il lui fallait pour le moment rassembler ses troupes, et traverser le royaume de Chrace, afin d’atteindre au plus vite ses deux objectifs : le royaume sacré d’Avelorn, et la tête de sa Reine Eternelle …

 

  « Mais cela n’arrivera jamais, tant que je serai en vie… » Murmurait Mawraël, tout en chevauchant à travers les sous-bois d’ Avelorn. Depuis maintenant deux jours, la demoiselle d’honneur sillonnait le sud du royaume, ralliant à sa bannière tout elfe désireux de repousser la menace Druchii. Pour le moment, seule une centaine de guerriers l’avaient rejointe ; des coureurs des bois, pour la plupart ; quelques patrouilleurs Ellyriens, et une poignée de demoiselles d’honneur. Mais aucun seigneur n’acceptait de se ranger sous son autorité. Ils préféraient pour le moment consolider leurs appuis sur leurs terres, afin de mieux répondre à un éventuel raid ennemi plus au sud…

« Les lâches ! » Murmura-t-elle. « Ce n’est point après leur modeste manoir que court la Vipère ! Mais tout droit vers le Palais de la Reine ! »

  Elle devait en aviser au plus vite Alarielle ; seule la Reine Eternelle saurait faire plier ces seigneurs prétentieux !

  La route traversant les sous-bois s’arrêtait brusquement, interrompue par plusieurs troncs d’arbres abattus. Mawraël stoppa net sa monture, à bonne distance de là. Laissant la rejoindre le reste de son escorte de patrouilleurs, elle leur fit signe de rester groupés. Soudain, un trait empenné de noir traversa la gorge d’un des cavaliers. Des dizaines d’éclaireurs Druchii surgirent des branchages, se jetant sur leurs frères de sang. Une mêlée incertaine s’engagea. Les pillards Elfes Noirs, menés par un mystérieux guerrier encapuchonné de noir, se rapprochaient dangereusement de Mawraël. « Un assassin ! L’heure n’est pas à la bravoure … » Pensa-t-elle. Abandonnant son arc, elle dégaina l’ Epée Cristalline, et s’empressa de se tailler un chemin dans la horde d’ennemis, tournant le dos à cette nouvelle menace.

  Quelques coureurs des bois avaient rejoint la mêlée, et les patrouilleurs, bien qu’ayant perdu la moitié de leurs effectifs, suivirent la demoiselle d’honneur dans sa tentative de percée. L’étau Druchii se brisa sous les coups magiques de l’épée, et bientôt une dizaine de cavaliers s’échappaient de l’embuscade, leurs adversaires désormais contenus par une bande d’ intrépides coureurs des bois…

  « Ils sont déjà si au Sud ! » Murmura-t-elle. « La situation est donc beaucoup plus grave que je ne le pensais… »

  Galopant à travers bois, les cavaliers ne jetèrent pas un seul regard derrière eux, où leurs camarades, réduits à une poignée de combattants, se préparaient à donner leur vie pour préserver celle de la Gardienne…

  Les sous-bois devinrent peu à peu clairsemés, et la forêt déboucha sur une large vallée. Mawraël stoppa sa monture. Elle était désormais hors de portée des Elfes Noirs. S’engageant au pas dans la lande, les cavaliers remarquèrent au loin la présence de milliers de petits insectes noirs, s’agitant sur l’horizon, telle une marée grouillante, dégageant un épais manteau de poussière.

« Que la peste soit des Druchii ! Leurs légions se sont déjà engagées dans le Val d’Arneä ! Les forteresses de Chrace n’auront donc pu les contenir… » Mawraël soupira. « Inutile d’aller plus loin. Nous sommes pris au piège. Le Monastère de Tor Rosaneä se trouve à quelques miles vers l’est » La demoiselle montra de sa main droite l’autre extrémité de la vallée. « Si nous nous dépêchons, nous y serons avec deux jours d’avance sur eux. Les Demoiselles du Temple et les citoyens de la cité auront ainsi le temps de se préparer. Illyon ! »

  Un cavalier brun s’approcha. Sa tunique déchirée laissait apparaître une blessure légère à l’épaule. « Va prévenir le Palais, vite ! Dis-leur que la Gardienne ne les contiendra pas indéfiniment. Qu’ils se hâtent ! Maintenant, va ! » Le patrouilleur salua sa chef, et fonça à bride abattue vers le nord-est.

« Non, cela n’arrivera jamais, tant que je serai en vie… » Murmura Mawraël, remettant sa monture au galop.

A suivre...
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