Episode 2: La Terre du Grand Froid

Elëa resta interdite. Mis à part Fenelia, personne ne connaissait la véritable nature de sa quête. Elle fixa intensément Eltharion. L'elfe n'y prêta pas particulièrement attention, et s'expliqua d'un ton très sûr:

<< Il ne m'a pas été très difficile de comprendre vos motivations; dès que nous avons perdu tout contact avec l'armée de Tor Emnry, vous vous êtes portée volontaire pour cette expédition. Troublante coïncidence, n'est-ce pas?

- Mais je suis dans mes droits, seigneur Eltharion, lui répondit Elëa.

- Je ne remets pas en cause la légitimité de votre engagement. Bien au contraire; nous manquions cruellement de mages, et votre présence est un atout inestimable. Mais alors que vous vous apprêtiez à partir, voilà que la sœur de Findil, devenue récemment mage, décide de vous accompagner. Fenelia ne m'a pas caché ses projets. Elle m'a adressé hier soir une lettre où elle m'exhortait de l'engager elle aussi afin, je cite, "de rechercher en Naggaroth toute trace de mon frère". Troublant, n'est-ce pas? Vous pouvez lire la lettre vous-même, si vous ne me croyez pas...

- Inutile, l'interrompit-elle. Bravo, seigneur, vous avez percé le mystère. Et qu'allez vous faire, maintenant, nous enchaîner pour nous empêcher de retrouver Findil? Elëa lui lança un regard de défit.

- Et pour quoi faire? Je me contrefiche de vos motivations. Seulement voilà. Vous êtes mes seules mages. Et il est hors de question que vous tiriez au flanc. C'est pourquoi vous allez me promettre, Elëa, de ne point rompre, vous et Fenelia, vos engagements. Jurez, Elëa!

- Je le jure, si cela peut vous faire plaisir.>> répondit avec indifférence la jeune mage.

Eltharion la fixa un moment, se leva et regarda l'océan par le hublot de sa cabine.

<< Vous êtes fière, Elëa. Mais je sais que je peux compter sur vous. Maintenant asseyez-vous une bonne fois pour toutes et écoutez-moi. Je vais vous révéler quelque chose.

Elëa prit une chaise et s'assit face au hublot. Eltharion se retourna et commença son récit.

- Il y a deux mois, l'armée de Tor Emnry embarqua à bord d'un Vaisseau-Dragon en direction de Naggaroth. L'ost comptait près de mille elfes et avait pour mission de prendre une ville frontalière Elfe Noire nommée Har Garond, située à l'entrée de la Mer Traitresse. Cette cité n'offrait pas un très grand avantage stratégique, mais les raids meurtriers du seigneur de ces lieux faisaient peser un grand danger sur la sécurité des villes Hauts Elfes du Nouveau Monde. Findil prit la tête des opérations, et il fut convenu que mon armée le rejoindrait deux mois plus tard. Mais tout ne se déroula pas comme prévu. L'armée d'Har Garond était bien plus nombreuse que nous le pensions, et Findil fut obligé de se replier sur une imposante colline appelée Mont Décharné. Un grand aigle assura les communications entre son armée et la mienne pendant cinq semaines. Un matin, l'aigle n'arriva pas. Le dernier message signalait une importante vague d'assaut à venir. Je donnais immédiatement l'ordre de commencer l'embarquement, et je fis savoir aux mages et aux héros du royaume que mon armée recrutait. C'est ainsi que vous vous êtes portée volontaire, deux jours seulement après la perte du contact.

- Il y a-t-il au moins une chance de retrouver des survivants de l'armée de Tor Emnry? Demanda Elëa, son cœur battant la chamade à l'idée que Findil n'avait pas été capturé par les Elfes Noirs.

- Dans quatre jours nous arriverons à l'endroit où a débarqué Findil. Alors seulement nous serons fixés sur leur sort. La voix d'Eltharion semblait interdire tout espoir.>>

Elëa rejoignit sa cabine pleine d'espoir. Findil avait peut-être réussi à repousser les assauts des Elfes Noirs. Elle imagina alors son fiancé dans son armure, repoussant vaillament l'ennemi à grands coups d'épée magique. Cette image la réjouit énormément et c'est en chantonnant un hymne à la gloire d'Ulthuan qu'elle entra dans sa cabine.

Là, assise sur sa couchette, l'attendait Fenelia.

<< Eh bien? La questionna-t-elle.>>

Elëa lui résuma alors la discussion qu'elle avait eu avec Eltharion, et à son tour Fenelia fut remplie de joie.

Le voyage continua sans incidents. Plusieurs fois par jour, Elëa et Fenelia s'entraînaient à l'exercice de leur art ainsi qu'au maniement des armes. Chaque soir elles se retrouvaient à l'avant du navire, d'où elle tentaient de distinguer au loin la silhouette d'une côte. Mais en vain. Tout ce qu'elles observèrent c'est le froid chaque jour plus mordant qui dominait le climat alors que le navire s'approchait de Naggaroth.

A l'aube du cinquième jour, le navire arriva enfin en vue de la Terre du Grand Froid. Afin d'éviter d'attirer l'attention des Elfes Noirs, le vaisseau avait pénétré dans la Mer Traîtresse de nuit, avant de mettre cap en direction de la côte sud-est de cette mer.

Alors que le jour se levait, la côte livra aux passagers une vision de désespoir. Derrière le rivage de sable gris se dressait une imposante forêt de pins morts. Une brume inquiétante slalomait autour des troncs morts, tandis que des nuages gris s'entassaient dans le ciel. Pas un bruit, pas un signe de vie ne semblait s'échapper de ce charnier végétal. Les cordages étaient recouverts de givre, et un vent glacial soufflait du nord. Une vieille tour en ruine recouverte de végétation dépassait encore les cimes des pins. L'espace d'un instant, Elëa crut que le navire venait d'accoster sur le cadavre tourmenté d'un immense royaume.

Le débarquement se fit dans le plus grand calme. Eltharion avait certes donné l'ordre de faire le moins de bruit possible, mais le paysage déprimait profondément les Elfes. Un camp fut dressé sur le rivage, d'où les servants remontaient leurs redoutables balistes à répétition et où des soldats préparaient les convois en vue d'une expédition à l'intérieur des terre. Un musicien sonna l'oliphant. Des volontaires bon cavaliers étaient demandés afin de former un groupe d'exploration. Elëa sauta sur l'occasion: avec un peu de chance les cavaliers tenteraient de reprendre contact avec les soldats de Tor Emnry. Fenelia l'accompagna sans hésiter; dix minutes plus tard, elles chevauchaient de magnifiques coursiers elfiques de robe blanche, leurs épées magiques soigneusement rangées dans leurs fourreaux et attachées dans leur dos. Le groupe comprenait dix chevaliers Heaumes d'Argent, équipés d'une simple cotte de mailles et de leur épée. La discrétion était de mise. Aussi évitèrent-ils de prendre leur cape blanche, trop voyante. Un elfe au visage grave regroupa sous ses ordres les cavaliers. Elëa remarqua son visage sévère entaillé de cicatrices. Sa longue chevelure noire flottait par moment au vent, accentuant le portrait sinistre du champion. Elëa frissonna. Ce visage ne lui semblait pas bienveillant. Un simple ordre fut lancé, et le groupe pénétra à l'intérieur de la forêt.

Voilà deux heures que les cavaliers progressaient dans la sombre forêt, qui semblait les avoir plongé dans une éternelle obscurité.

<< Quand sortirons-nous enfin de ces maudits bois? Pesta Fenelia. Si ça continue comme ça, nous aurons traversé la moitié du Nouveau Continent sans avoir rencontré autre chose que des troncs pourris et des mousses noirâtres.

- Patience, Fenelia, répondit Elëa d'une voix lasse, moi aussi je suis exténuée. Mais je pense que nous ne devons plus être très loin du Mont Décharné.

- Encore faut-il que l'on y arrive vivants...

- Pourquoi dis-tu cela?

- A cause de cet elfe; son visage me rappelle celui d'un Elfe Noir... Fenelia mit tout son mépris dans cette phrase, assurément pour masquer sa peur de ces elfes maudits.

- Je ne pense pas qu'Eltharion ait pu se faire ainsi berner en engageant comme champion un Elfe Noir. Je parierai plutôt ma solde que nous avons en vérité affaire à un exilé, ou à un aventurier solitaire. Mais n'y pensons plus. Cette forêt est maléfique et elle nous inspire une haine réciproque. Elëa frissonna. C'est comme si toute la cruauté des Elfes Noirs s'exprimait dans ces troncs tourmentés...>>

Tandis qu'ils discutaient, le petit groupe sortit enfin des sous bois pour déboucher sur une plaine rocailleuse encore plus désolée que les forêts de pins. Et devant eux, à seulement un quart d'heure de marche, se dressait le terrible Mont Décharné...

A suivre...

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