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 Bouddhisme et homosexualité

question 63




Comment peut-on expliquer l'évolution du Bouddhisme en Europe selon des paramètres économiques, politiques et sociologiques ?



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Réponse :

Votre question est complexe par son libellé même. Imaginez-vous d'expliquer l'évolution du bouddhisme en Europe selon les critères politiques économiques et sociologiques, rien que ça ? 

En outre, le fait qu'elle soit formulée par un groupe de travail d'une école de commerce pourrait laisser à penser que derrière ce phénomène on suppose que peuvent en découler des conséquences en termes de comportements et donc en terme de commerce. Mais, peu importe.

Je ne saurai trop vous dire mon manque de connaissances dans ces deux premiers domaines. Je vais donc essayer de vous répondre comme je le ressens. Le bouddhisme a toujours éclôt dans des royaumes prospères économiquement et stables politiquement. Si l'on regarde dans le passé et à commencer par le petit royaume de Kapilavastu ou naquit le bouddha historique, on trouve le plus souvent des états dans lesquels la production agricole et le commerce permettent de dégager suffisamment de richesses pour entretenir une élite " aristocratique " dégagée de certaines contingences matérielles et pouvant se consacrer à une réflexion plus globale sur l'organisation de la société et en l'occurrence sur une vision plus équilibrée du monde dans sa globalité. Dans la société indienne et les sociétés de l'Asie, cette élite aristocratique s'accompagne d'une deuxième catégorie de personnes qui peuvent se soustraire aux contingences matérielles et qui est entièrement supportée par la population, c'est la catégorie des anachorètes. Comme vous le savez, en Inde, depuis de temps très reculé jusqu'à aujourd'hui, le renoncement complet est un des choix de vie les plus respectés et la population pourvoit aux besoins de ces sadhu.

Dans l'histoire de l'Asie, le bouddhisme a le plus souvent été adopté par les élites dirigeantes et a souvent eut une vertu structurante dans la constitution de ces états. Cette formulation est particulièrement vraie au Japon. Au Tibet, on voit même que ce sont les représentants du bouddhisme qui assurent également le pouvoir politique aux plus hauts niveaux. On a vu également que cela n'était pas sans poser de sérieux problèmes et de cela pouvait placer son " chef d'état " dans des situations politiquement inappropriées par rapport aux rapports de force et aux intérêts de son pays. En Chine, le pouvoir politique a toujours maintenu à distance les courants bouddhiques oscillant entre intégration et interdiction.

Le bouddhisme a joué un rôle important dans l'organisation des sociétés asiatiques également parce que son corpus de textes très complet comprend des ouvrages entiers sur l'organisation harmonieuse de la société, sur l'exercice impartial du pouvoir, sur la répartition des fonctions strictement religieuses (naissance, décès, …) etc … Les règles monastiques qui sont une certaine manière d'organiser la vie dans le sangha,ont pu servir de modèle pour édicter des règles permettant d'organiser la vie de différents groupes ou sous-groupes sociaux.

On peut dire qu'à chaque fois que le bouddhisme s'est implanté, il offrait une alternative à des formes d'organisation moins performantes, moins égalitaires, moins " civilisées " sans entrer en contradiction avec les convictions et les croyances profondes au plan spirituel (il est vrai que ces sociétés comptent également des très nombreux points communs, comme la croyance en la réincarnation par exemple).

Si on revient sur l'Europe d'aujourd'hui, on peut dire que la plupart des idéologies, qu'elles soient politiques, religieuses, et allons-y, économiques sont en crise profonde. Les gens ne se déplacent plus guère pour aller voter en fonction d'une orientation politique et les campagnes électorales tournent de plus en plus à une sorte de concours de séduction ou d'anti-séduction pour l'adversaire (à la mode américaine), le discours politique est tombé à un niveau tellement bas qu'on a du mal à le qualifier encore de discours, le discours religieux officiel excessivement hégémonique est en contradiction totale avec les aspirations sociales les plus élémentaires de la société, sans parler de son fond spirituel qui fait singulièrement défaut (pourrions nous dire que "  l'offre spirituelle " est insuffisamment diversifiée et fait l'objet d'un monopole qui en outre ne recouvre que très faiblement la demande ? ( Je vous laisse le soin de corriger cette formulation un peu provocante, mais qui je crois est fondamentalement juste). Quant aux théories économiques, il me semble que l'exemple américain (et dans une moindre mesure l'exemple de l'Angleterre) d'une société où l'unique valeur est l'argent ne profitant qu'à une élite qui laisse se développer avec une inconcevable insouciance les inégalités sociales les plus brutales (en particulier en terme de santé publique et d'éducation), la criminalité la plus extravagante (groupes anti-avortement criminels, activistes nationalistes poseurs de bombes, guru pyromanes, lycéens qui dézinguent allègrement des dizaines de leurs camarades sous prétexte qu'ils n'étaient pas sympa …., trafic de drogues, trafic d'organes, réseaux de blanchiment …), des choix économiques aux conséquences écologiques désastreuses, des comportements individuels excessifs (usages de stupéfiants, d'anabolisants y compris chez les adolescents, obésité, ….) … donnent du capitalisme une image qui semble être plus destructrice que porteuse de développement des individus.

Sur le plan personnel, le développement de l'individualisme le plus stérile (on pourrait le qualifier de crétin ou de méchant …) largement organisé autour de la consommation individuelle et sur l'appropriation individuelle des marchandises a déjà trouvé ses limites ou est en train de les trouver. (Avez-vous déjà essayé d'emprunter le caddie de quelqu'un dans un supermarché ? Vous verrez la réaction. C'est pire que si vous lui aviez volé son portefeuille … Tout ça pour quelques produits seulement pré-appropriés et non encore acquis puisque non encore payés …).

Bien évidemment, le bouddhisme apparaît comme une véritable alternative à toutes ces formes de discours, de manières de penser la vie, le monde, l'avenir, qui sont en crise ou dont les résultats ne paraissent pas les plus satisfaisants.

Mais, je crois que ce qui importe le plus, c'est de regarder dans les expériences individuelles ce qui préside au choix du bouddhisme chez les individus. Je vous renvoie à l'ouvrage de Bruno ETIENNE et Raphaël LIOGER, Etre bouddhiste en France aujourd'hui, ( Chez Hachette, 1997), dans lequel on trouve le témoignage touchant d'une mère de famille bien française qui à perdu son fils atteint du sida et qui voit se fermer toutes les portes autour d'elle. Bien plus que tous les grands discours, il faut voir là, ce qui fonde la différence du bouddhisme par rapport aux autres courants et ce qui explique sa diffusion aujourd'hui en Europe. Vous verrez les critiques que je porte globalement à cet ouvrage (Cf. note de lecture n° 12), mais les témoignages ont en tant que tels et sans nécessairement adopter les conclusions des auteurs, une authentique valeur sociologique qui pourrait vous aider dans votre documentation. Vous pourrez également parcourir le livre de Frédéric LENOIR, Le Bouddhisme en France, (chez Fayard, 1999), mais j'ai trouvé que les témoignages étaient quelque peut surprenants voire, me semble-t-il, un peu caricaturaux.

Sur le plan sociologique vous verrez les critiques que je porte à ce second ouvrage (Cf. note de lecture n° 20), tant il me semble que les cas présentés et leurs arrière-plans sociologiques ne sont pas représentatifs de la réalité du bouddhisme en France tel que je puis le percevoir et bien que mes compétences soient très limitées puisque j'appartiens à la catégorie des " toujours en Asie ". Me paraissent plus représentatifs, ces témoignages des personnels de santé en milieu hospitalier qui cherchaient à trouver des réponses " justes " à donner aux malades assujettis à la souffrance physique ou en stade terminal. Il y a dans ce type de démarche quelque chose de beaucoup plus fondamental que les égarements de tel post baba cool ou de tel romantique de l'extrême-orient, qui ne m'intéressent pas.

Il me semble étonnant que votre interrogation en trois volets (politique, économique et sociologique) évacue complètement l'aspect spirituel. Quand j'évoque l'aspect spirituel, je ne parle pas du tout de quelque forme transcendante que ce soit, je ne parle pas non plus de telle ou telle idéologie religieuse, je ne parle pas non plus de tel ou tel discours moral aux impératifs nombreux, non, je veux simplement dire cette façon que tout homme a de s'interroger sur ce qu'il y a avant, ce qu'il y a après, ce qu'il y a autour, ce qu'il y a entre toutes ces parties, sans décréter bien entendu que c'est ceci ou cela, puisque comme vous l'avez peut-être compris, pour le bouddhisme justement, il n'y a rien. Je pense que c'est aussi une attente nouvelle de réponse plus pertinente par rapport à ce type d'interrogation qui sont également très présentes dans notre société. Ces questions, sur ce " il y a ", ces questions sur " comment ça marche ", " comment ça fonctionne " elles sont également présentes dans la philosophie contemporaine qui fonde la modernité de nos sociétés et en particulier dans la philosophie allemande autour du mouvement de la phénoménologie. On pense notamment à Heiddegger et à Husserl. Ce n'est d'ailleurs pas très étonnant puisque la filiation de cette philosophie remonte directement, par Nietszche et Shopenhoeur interposés, à la philosophie bouddhiste et indienne.

Il me semble que si ces questions sont posées aujourd'hui, c'est parce que les relations entre les individus par exemple ne sont plus adossées sur des visions plus globales du monde, mais uniquement sur des rapports de classe ou sur la simple expression égocentrique de l'individu, du couple ou de la cellule familiale. Quand telle infirmière cherche une réponse plus pertinente à la question de la souffrance physique de son malade, non seulement elle cherche à répondre à une question sur laquelle la société d'aujourd'hui n'a plus de réponse et que l'on cache (comme on cache la mort et comme me semble-t-il on cache la vieillesse), mais elle cherche a adosser un contenu nouveau sur une vision plus globale du fonctionnement du corps et de la place du sujet dans le monde qui autrement, dans sa forme actuelle oscille entre l'arbitraire idéologique ( "c'est  parce que c'est comme ça ") ou dans le nihilisme (de l'administration des anesthésiques à la mise en place de formes d'euthanasie plus ou moins reconnues). Vous avez remarqué que dans cette énumération du traitement actuel par les société occidentales de la souffrance, de la vieillesse et de la mort et qui consiste peu ou prou à nier et à cacher, on retrouve les trois grands maux que le bouddha historique identifia lors d'une de ses sorties dans la ville (Cf. l'historique).

J'espère que toutes ces considérations ne vous auront pas trop égarées de vos centres d'intérêts.

J'espère avoir répondu à votre question.





Texte complet de la question

Je suis étudiant en première année d'école de commerce et je dois rendre un dossier sur le sujet suivant : "le Bouddhisme en Europe" La problématique que notre groupe de travail a trouvée est la suivante : "Comment peut-on expliquer l'évolution du Bouddhisme en Europe selon des paramètres économiques, politiques et sociologiques" J'ai lu lors de mes recherches quelques-unes unes des réponses que vous avez adressées aux internautes et celles ci m'ont déjà grandement aidées.

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Cette page a été créée le 30 mai 2001.


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