Jardin des désirs

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Anita Konkka

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Anita Konkka

Extrait du roman Halujen puutarha (Le jardin des désirs)

Éd. Tammi, Helsinki, 1992

Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

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Clown

1

Il pleut depuis une semaine. La nature semble avoir décidé pour moi que je rédigerais mes mémoires, car il n'y a rien d'autre à faire, par ce temps, qu'écrire et boire du vin. Je me rappelle comme les jours de pluie étaient ennuyeux, à la datcha, quand j'étais enfant. Mon frère piquait colère sur colère, papa ronchonnait, grandmère entrechoquait aigrement les assiettes dans la cuisine, maman pleurait et moi je dessinais des princesses, avec, coulant sous leur robes à crinolines, un ruisselet jaune formant une flaque sur le plancher. Mes princesses se tenaient raides comme des poupées en papier, un éventail à la main, et avaient des cheveux d'or bouclés. Je n'étais pas douée pour le dessin, ni pour grand-chose d'autre, mais j'étais très forte pour mentir. Je racontais des histoires à dormir debout que je présentais comme la pure vérité, et j'y croyais moi-même. Mes affabulations me valaient la fessée, alors même que personne ne pouvait se débrouiller sans mensonge dans notre pays. Mon père mentait tous les jours, et cela lui avait réussi. Il était devenu membre du parti et haut fonctionnaire du ministère de la Culture. Mais ma grand-mère, pour qui le mensonge était un péché, s'était retrouvée dans un camp de concentration à l'époque de Staline. Elle en avait réchappé grâce à sa méchanceté foncière. C'est elle qui m'a appris que l'homme tombait dans le péché dès sa naissance et qu'il fallait en extirper le mal comme on bat la poussière des tapis. Après qu'elle m'eut administré quelques bonnes corrections, je cessai de raconter des mensonges en sa présence.

Je viens de sortir voir le temps qu'il fait. La pluie dégouline doucement sur le feuillage des orangers et le ciel est gris sombre, mais il y a un espoir d'amélioration, car la couverture nuageuse est usée par endroits et laisse transparecitre une lumière jaunâtre. Il s'arrêtera de pleuvoir d'ici demain ; je tiendrai le coup jusque-là, il me reste deux ou trois litres de vin et du pain. Je bois et je réfléchis à la manière de commencer mes mémoires. Pour réveiller mes souvenirs, j'ai punaisé au bord de l'étagère à livres une photo parue en couverture de Der Bild au temps de ma splendeur. Elle me montre regardant le ciel, l'air d'avoir encore commis je ne sais quel péché et d'attendre qu'une tuile me tombe sur la tête ou que Yahvé tonne d'une voix mauvaise. J'ai l'oeil triste d'un chien à qui un maître imprévisible vient de donner un coup de pied. Mon visage est pâle et maigre, mes lèvres sont rouges et j'ai des taches noires sous les yeux l'ombre acérée de mon nez pointu tombe sur l'une de mes joues, tandis que j'appuie l'autre à ma main, la mine préoccupée, comme si je réfléchissais à l'épuisement des ressources naturelles de la terre, àl'explosion démographique, au sort des forêts tropicales ou aux espèces animales menacées. Chaque matin, la photo semble différente. Elle a commencé à vivre sa propre vie. Les rides du front se font plus ou moins nombreuses et, parfois, on aperçoit un semblant de sourire au coin de la bouche. Certains jours, j'ai vraiment une sale tête, comme si j'avais une violente rage de dents, et l'ombre de mon nez s'allonge encore. Mais que peut-on à la longueur de son nez quand votre grandpère s'appelle Israël et votre père Isaak , ils ont même failli me prénommer Hannah, mais se sont ressaisis à temps.

Sur la photo, je porte un bleu de travail et un chapeau informe. Je me souviens très bien de cette tenue, dans laquelle je jouais un ouvrier qui faisait tout de travers parce qu'il était terrorisé par son patron. C'était un de mes meilleurs numéros, car j'y avais rassemblé toute l'expérience des vingt-cinq emplois que j'avais occupés avant que ma carrière de clown prenne son essor international. Les spectateurs - pas seulement les enfants, mais aussi les adultes - se tenaient les côtes en me voyant faire toutes les bêtises qu'ils avaient un jour eu peur de faire. Ils riaient aussi beaucoup quand je prétendais être une femme. Sans doute mon succès tenait-il à ce que j'étais alors vraiment moi-même, Albertina Vinnijeva, sans que personne le sache. On me prenait pour un homme déguisé en femme. Et si j'étais un si bon clown, c'est probablement parce que je ne faisais pas semblant et que j'avais réellement peur d'échouer. Plus j'étais terrifiée, plus mes ratages étaient réussis, et plus le public riait. Quand je suis devenue une célébrité mondiale, j'ai cessé d'avoir peur mais je me suis perdue moi-même et je n'ai plus été un bon pitre, car je me contentais de feindre d'avoir peur et d'échouer. Je savais que mes spectacles étaient mauvais. Pourtant, je faisais salle comble et tout le monde s'esclaffait, parce que j'étais le fameux clown Milopa et que les journaux vantaient mes talents comiques. Les gens ne font pas confiance à leurs yeux et à leurs oreilles, ils croient la presse, c'est pour cela qu'il est si facile de les duper. Je n'ai été drôle que tant que j'étais sincèrement moi-même. Fellini m'avait demandé de jouer dans un de ses films, mais il fut obligé de couper mon rôle, car j'étais ennuyeuse et raide comme un cheval de bois, ma médiocrité crevait les yeux, à l'écran. À cette époque, mon étoile était au plus haut, les critiques saluaient mon génie, sans remarquer que mon jeu n'était pas authentique , ils étaient incapables de faire la différence entre le bon et le mauvais et me portaient aux nues alors que j'en étais venue à faire de l'échec un art et que mes numéros ne reposaient plus sur aucune expérience vécue. Ma vanité grandissait avec les louanges et je m'imaginais être le plus grand clown de tous les temps, le Picasso du cirque. Au lieu de m'écouter moi-même, j'essayais, dans mon désir de plaire, de satisfaire les critiques qui exigeaient encore et to . jours du neuf. L'échec m'avait apporté le succès, et le succès l'échec. Tant que je n'étais pas connue, chacun de mes spectacles était nouveau et différent mais, une fois célèbre, je n'avais plus su que m'imiter moi-même et mes numéros étaient devenus si mécaniques que je me lassai de mes propres plaisanteries. Tout ce que je disais ou faisais me semblait creux et artificiel.

De nos jours, on parle de surmenage, ou de stress, pour faire plus chic, mais moi je dis que je me suis épuisée à me prostituer - aussi bien sur la scène qu'en dehors, dans différents comités et jurys chargés d'encourager les arts du spectacle et de distribuer des subventions aux prestidigitateurs, trapézistes, écuyers, dompteurs de lions ou de tigres et autres baladins ayant démontré leur talent créatif J'avais du pouvoir, de l'argent, de la gloire et deux directeurs de cirque concurrents pour amants. Ils étaient amoureux de ma renommée, pas de moi en tant que femme, et il n'y avait d'ailleurs pas grand chose à aimer en moi de ce point de vue là, je n'avais même pas de poitrine.

J'étais en tournée en Allemagne, à Berlin, quand je me bloquai totalement, juste avant d'entrer en scène. J'avais perdu la voix et ne pouvais plus remuer que les yeux, incapable de lever ne serait-ce que le doigt. On appela un médecin qui m'injecta un tranquillisant, mais sans résultat. Mon corps était plus intelligent que moi. Il refusait de continuer à faire semblant. On me porta comme une bûche dans une ambulance et on me conduisit à l'hôpital, où je restai un mois en état de catatonie. Quand j'en sortis, on me mit en congé de maladie, puis en retraite pour invalidité temporaire. Je ne revins plus ensuite sous les feux de la rampe. J'étais devenue un clown incompétent. Et jamais je n'ai pu apprendre un autre métier.

2

Gallimard m'a demandé de raconter ma vie de clown dans un livre, car beaucoup de gens aimeraient la connECitre. Je ne sais toujou?s pas comment commencer ces mémoires, bien que j'y réfléchisse déjà depuis plus d'une semaine. Peut-être devrais- je faire une psychanalyse. Dans cette île, il y a parecit-il un bon analyste, du nom de Père Calsina. Je ne vois cependant pas quelle utilité cela pourrait avoir, car je parle trop mal espagnol pour pouvoir mettre mon âme à nu dans cette langue. Père Calsina saurait-il m'expliquer, en italien ou en français, par exemple, pourquoi je voulais faire ce métier depuis mon enfance ? Qu'y a-t-il de drôle à ce qu'un clown perde à chaque instant son pantalon, ou prenne une brique sur la tête et des haltères sur les orteils, ou se fasse arracher le nez par un javelot ? Mon frère, par contre, voulait être conducteur de tramway, mais son rêve ne s'est pas réalisé ; il est devenu avocat.

J'avais demandé à ma mère de me confectionner un costume de clown et elle m'avait cousu un habit d'arlequin avec des bouts de chiffon de couleurs différentes, accompagné d'un chapeau à grelots. Je me produisis ainsi au bal masqué de la classe, mais sans faire rire personne. Quand j'essayais d'être drôle, je ratais mon coup. Mais quand je parlais de choses sérieuses, les gens riaient. Enfant, je trouvais cela si déroutant que je préférais mentir plutôt que dire ce que je pensais.

À quinze ans, je voulais toujours être clownesse. Ma mère ne s'y opposa pas mais suggéra que j'apprenne un métier convenable, arguant que la carrière d'amuseur était très incertaine et la concurrence acharnée, et que les directeurs de cirque se méfiaient des femmes, parce qu'ils étaient des hommes et pensaient à ce titre qu'elles ne pouvaient pas être de grands clowns, car elles avaient un cerveau plus petit qu'eux. En plus, je risquais de tomber enceinte, chose dont il résultait en général des enfants. Ces derniers, de leur côté, étaient la principale raison pour laquelle il valait mieux, de l'avis de ma mère, que je fasse des études de bibliothécaire, par exemple, car une vie itinérante perturberait leur scolarité. Elle le savait d'expérience, car elle était la fille d'un cracheur de feu.

« Je ne tomberai jamais amoureuse et je ne me marierai jamais. Je ne suis pas si bête.

« Je pensais exactement la même chose, à ton âge « , dit-elle.

Ma mère était une ancienne trapéziste , elle avait abandonné le métier après avoir épousé mon père, qui avait commencé sa carrière comme dompteur de fauves, avant d'être promu professeur à l'école du cirque de Moscou puis coordinateur national des arts du spectacle au ministère de la Culture. Après avoir arrêté la voltige, elle n'avait cessé d'avoir mal aux jambes. Elle avait commencé par avoir des varices, puis ses os s'étaient mis à casser tout seuls, comme si ses pieds n'avaient pas supporté la vie au sol. Elle passait la plus grande partie de son temps au lit, fredonnant des chansons nostalgiques et lisant l'avenir dans les feuilles de thé, mais elle refusait de me dire quel sort m'attendait et se contentait de me regarder tristement, la main sur la joue, avec de lourds soupirs. Qu'y pouvait-elle, si mon sang m'attirait vers le cirque, comme elle-même, encore quinze ans après l'avoir quitté. Elle ne s'habitua jamais vraiment à la vie normale et dépérit avant l'heure.

Après l'école, je me présentai au concours d'entrée de l'école du cirque de Moscou. Mon père connaissait le recteur et s'arrangea pour que je sois admise. « Tu n'es bonne à rien d'autre, de toutes façons. Tu ne sais pas cuisiner et tu ne trouveras jamais à te marier, aucun homme ne voudra de toi, tu es trop laide », se justifia-t-il. Il avait raison car, avant que je ne devienne célèbre, seul un dresseur d'ours avait bien voulu de moi. Il était si soûl que n'importe qui aurait fait l'affaire. Je m'étais trouvée sur son chemin et il m'avait prise dans ses bras et serrée contre sa poitrine velue. Il sentait la vodka, l'oignon et la pisse d'ours. Ce n'était pas une mauvaise odeur, à la longue. Je couchai avec lui parce que je voulais savoir ce qu'était ce plaisir charnel dont les femmes faisaient si grand cas et pour lequel elles s'acharnaient avec tant d'ardeur à se marier. Mais, à mon avis, le jeu n'en valait pas la chandelle. Je me sentais stupide, étendue jambes écartées sur un lit avec cet homme qui haletait sur moi. Peut-être cela m'aurait-il fait un autre effet si j'avais été amoureuse de lui. Je commençai à me lasser de ce limage, Sur la table, il y avait la Pravda, et je me dis que je pourrais aussi bien lire, pour ne pas perdre entièrement mon temps je tendis le bras pour attraper le journal, mais il était trop loin. Le dresseur d'ours faillit bien me mettre son poing sur le museau , il me saisit par les épaules et grogna :

« Je vais te la faire voir, moi, la Pravda (= Vérité). » Au même moment, il éjacula entre mes cuisses et s'écroula sur mon ventre avec un ronflement si étrange que je crus qu'il avait une crise cardiaque et s'apprêtait à mourir, gros comme il était. Il n'en fut rien, heureusement. Plus tard, il me demanda s'il avait été bon et voulut m'embrasser sur la bouche, mais je ne le laissai pas faire. Je ne savais que répondre à sa question, car je n'avais aucun point de comparaison.

J'étais la seule femme de la classe de clowns et certainement la plus mauvaise élève de toute l'histoire de l'école mais, à cause de la situation de mon père, on ne me jeta pas à la porte. Je réussis tant bien que mal à rassembler les éléments de l'analyse marxiste du rôle de la lutte des classes dans la clownerie exigée pour le diplôme de fin d'études. Le sujet ne posait pas de problème en soi, car le cirque a toujours été une forme d'art des pauvres et des opprimés, mais je manquais de courage pour chercher dans les écrits de Marx et Lénine les citations appropriées sans lesquelles mon mémoire n'aurait jamais été accepté. Chaque fois que j'ouvrais leurs oeuvres complètes, le sommeil me gagnait inexorablement. À l'école déjà, la seule mention de l'un ou de l'autre de leurs noms déclenchait en moi un réflexe de bâillement et mes oreilles se bouchaient automatiquement. Je bâillais sans arrêt et ne retenais rien des cours.

3

Grâce à mon père, je parvins à terminer mon mémoire et obtins mon diplôme d'art clownesque, après quoi on me nomma fonctionnaire de troisième classe dans un cirque de la région de Mourmansk. Je devais jouer un auguste au nez rouge, bête et gros, ce qui ne convenait pas à mon style, car j'avais un physique de Pierrot, petit, maigre et triste. Le directeur du cirque me déclara que le peuple ne comprenait pas le comique français maniéré. J'étais une grande idéaliste, à l'époque, et je croyais que l'on pouvait éduquer le goût du peuple, mais le directeur était réaliste et il ne me laissa pas me produire dans mon rôle. Quand je m'exhibais en gros clown, seules riaient dans le public de petites filles compatissantes qui ne voulaient pas me faire de peine. Qu'y pouvais-je, si les gens ne trouvaient pas ça drôle quand je perdais mon pantalon, me cognais la tête et m'emmêlais les pinceaux. Je n'y voyais rien d'amusant non plus. Au bout de six mois, le directeur décréta que je n'avais aucun don pour le métier de clown et m'off-rit une place de vendeuse de billets et de bonbons, mais je le pris de haut, fis mes valises et retournai à la maison. J'exerçai ensuite de nombreux métiers : aide soignante dans un hôpital psychiatrique, contrôleuse de qualité des chocolats destinés à l'exportation dans une usine de confiserie, gardienne au musée Pouchkine, emballeuse dans un combinat lessivier, femme de ménage dans un centre de cure pour toxicomanes, assistante puéricultrice dans une crèche, caissière dans une salle de ballet, sous-ordre dans une bibliothèque dédiée à Lénine, serveuse à la Cantine numéro trois et employée d'étage à l'hôtel Pei-king. Je parlais plusieurs langues, l'anglais, l'allemand et un peu de français, mais je me fis quand même aussi renvoyer de l'hôtel, parce que je ne voulais pas comprendre qu'il me fallait rapporter les conversations des clients et de mes collègues.

Grâce à ses relations, mon père me trouva une place au Grand Cirque de Moscou, d'abord comme soigneuse de lapins, puis comme assistante pour les numéros de clowns. Sa dernière bonne action fut de s'arranger pour que je participe à une tournée à l'étranger. Il souffrait d'un cancer du foie et savait qu'il allait mourir. Bien qu'il ne le dît pas tout haut, il espérait que je ferais défection, car c'était un homme prudent. Je décidai d'exaucer son voeu car, lui mort, je n'aurais plus d'autre famille en Union soviétique que mon frère, et ce dernier saurait, en tant qu'avocat, se sortir des difficultés que mon passage à l'Ouest pourrait éventuellement lui causer.

Je m'échappai à Milan. Tard un soir, j'annonçai à ma compagne de chambre que j'allais acheter des cigarettes au coin de la rue. Elle entreprit de mauvaise grâce de s'extraire de son lit pour m'accompagner, car nous n'étions pas autorisées à nous déplacer seules en ville. Nous devions rapporter au commissaire politique du cirque tous les faits et gestes de nos voisins, à part les allées et venues aux chiottes. Nous avions aussi assuré au fonctionnaire qui nous avait délivré notre passeport, au cours d'un entretien privé, que nous ne nous laisserions pas aller à bavarder avec des étrangers et ferions particulièrement attention aux représentants du sexe opposé. Je déclarai à ma camarade, l'assistante du prestidigitateur, qu'il était inutile qu'elle se dérange pour moi et que je serais de retour dans deux minutes. Je la laissai assise sur le bord de son lit, les cheveux ébouriffés, bâillant la gueule ouverte comme un hippopotame. Ses amygdales roses furent le dernier souvenir que je gardai d'elle. Tanclis que j'attendais l'autobus à l'angle de la rue, en regardant clignoter le néon vert du café Dante, j'eus soudain le sentiment très net d'avoir déjà vécu ce moment, debout au même arrêt. J'étais étrangement calme, comme si j'avais su qu'il n'y avait aucune raison de s'énerver ou d'avoir peur. Je ne saurais dire à quoi c'était dû. Peutêtre étais-je confiante parce que je ne faisais que ce que je devais, c'est-à-dire suivre mon destin, comme on dit. Quand le bus arriva, je le pris jusqu'à la gare et achetai un billet pour Bologne, où habitait un vieil ami de mon père. La chance était àl'évidence de mon côté, car je parvins à Bologne sans encombre, personne ne m'accorda la moindre attention et le train ne fut même pas en retard, comme d'habitude dans ce pays.

Je considère l'Italie comme ma patrie spirituelle, car c'est là que je suis devenue le clown Milopa, en souvenir de Milan, où je dis adieu à mon pays natal et à mes camarades de cirque. Je pus, pour la première fois de ma vie, respirer librement et être moi-même. Les Italiens comprenaient mon humour et me firent bon accueil ils eurent droit, pour leur peine, à mes meilleurs numéros. En Espagne et en France aussi, le public me comprenait, tandis que les Allemands préféraient les augustes avinés au nez rouge. C'est en Allemagne, entre parenthèses, que je m'aperçus que les gens mentaient aussi à l'Ouest. J'en fus très étonnée, car quelle raison avaient-ils de raconter des histoires, puisque la vérité ne leur attirait pas d'ennuis, comme dans mon pays. Mais je ne peux pas en dire plus à propos du mensonge, car j'ai épuisé mon vin rouge. D'ailleurs, le chariot de ma machine à écrire se trecine comme un pou dans du goudron et les lettres se coincent. Les piles tirent à leur fin, il faut que j'aille en acheter de nouvelles, et du vin, avant de pouvoir sérieusement commencer à écrire mes mémoires.

© Anne Colin du Terrail

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