Eric Dupin - "Une société de chiens - Petit voyage dans le cynisme ambiant" - Seuil - (en vente le 9 mars 2006)
INTRODUCTION:
Sans foi ni loi

    Un salarié doit-il viser le travail bien fait ? Plaire à ses supérieurs
hiérarchiques ou, à tout le moins, ne point leur poser de
problèmes est autrement plus efficace. Un intellectuel doit-il
dire ce qu’il pense ? Répéter ce que racontent ses voisins
de coterie est infiniment plus prudent. Un homme politique
doit-il oeuvrer au bien public ? Soigner son image et sa communication
est incomparablement moins risqué. On pourrait
égrener longtemps les nouvelles normes comportementales
générées par le cynisme ambiant. Croire à sa fonction sociale
est devenu le signe d’une pathétique naïveté. Comme si les
dés n’étaient pas pipés ! Comme si chacun ne poursuivait pas
son strict intérêt personnel au mépris, plus ou moins dissimulé,
de valeurs désormais surannées ! Quand tout le monde
triche ou presque, bien sot est celui qui demeure honnête.
Gare à ce demeuré qui s’écarte du mode de vie dominant
de l’époque. Il sera pris pour un lâche, un prétentieux, un
archaïque, un bigot, un idéaliste, bref, un crétin.
    Ne pas être dupe est devenu l’obsession contemporaine.
Surtout ne pas croire une seconde aux vieilles injonctions
morales. Se persuader que la société n’est qu’une immense
jungle où la survie suppose la ruse, la tromperie et la rouerie.
Ne jamais faire confiance à quiconque. Ne se fier qu’aux purs
rapports de forces. Se dire que le monde se divise entre les
poires et ceux qui les mangent. Se défier comme de la peste
de tous les beaux discours, mais exceller à les tenir avec un
sérieux papal pour abuser les gogos. Cultiver un scepticisme
systématique aux confins du nihilisme. Au final, ne vénérer
que la réussite, et l’argent qui en est devenu l’universelle
mesure.
    J’exagère ? Sans doute. Le cynique intégral est heureusement
une espèce assez rare. Le bestiaire social présente tout
un dégradé de caractères et de comportements. On est toujours
le cynique de quelqu’un. Mais le cynisme moderne est si
proliférant qu’il apparaît comme un des modes d’expression
du conformisme. Le phénomène est trop répandu pour relever
de la tare morale personnelle. Il a pris une dimension de
masse qui autorise une approche de type sociologique.
À sa source se situe probablement la crise des identités collectives
qui caractérise la modernité (1). Les croyances d’antan
ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles étaient. En Occident,
du moins, la religion a énormément perdu de son emprise sur
les esprits. L’injonction morale en a fatalement été atteinte.
Plus récemment, les croyances idéologiques ont également
été frappées de décrépitude. La morale sociale s’en est trouvée
fortement dévaluée. Lorsqu’on ne croit plus ni aux
dieux ni même aux hommes, il est pour le moins étrange
de s’astreindre à « bien se comporter ». Dans un monde
désenchanté (2), privé de toute illusion transcendantale et
orphelin d’espérance historique, rien n’incite à se préoccuper
du sens moral de ses actes.
    Le cynisme contemporain est parallèlement adossé à la
profonde crise des institutions. Pourquoi diable s’imposer de
l’ardeur au labeur si l’entreprise n’est plus perçue que comme
un lieu d’exploitation et de manipulation ? Ils font semblant
de nous payer, nous faisons semblant de travailler, philosophaient
les travailleurs des dictatures communistes du siècle
dernier. Aujourd’hui, la suprématie incontestée et arrogante
du capitalisme n’empêche pas le « monde de l’entreprise »
d’être miné par la défiance et le soupçon. D’un bout à l’autre
de la hiérarchie, ceux qui adhèrent sincèrement aux objectifs
déclarés de l’entreprise – qu’il s’agisse de servir le client ou
d’enrichir l’actionnaire – semblent de moins en moins nombreux.
Les autres privilégient judicieusement leur petit confort
ou leur grand plan de carrière.
    Moins les institutions parviennent à remplir correctement
le rôle qui leur est théoriquement assigné et plus leurs agents
sont guettés par la tentation cynique. Pourquoi s’échiner à
être un «bon prof» lorsque le système éducatif patauge dans
l’impuissance? Juges ou journalistes, cadres ou fonctionnaires,
nombreux sont ceux qui, au fond d’eux-mêmes, ne croient
plus véritablement à leur fonction sociale. Ils se réfugient
alors dans une sorte de jeu de rôle. Devenus imposteurs
malgré eux, ces individus miment leur place dans la société.
Font comme si. Imitent piteusement leurs collègues. Évitent
soigneusement les questions qui font mal. Exercent leur
métier avec une morne routine. S’abstiennent de toute prise
de risque ou initiative. Veillent à la permanence des situations
acquises. Pas de vague, pas d’introspection critique, pas de
contestation des absurdités environnantes. Ces cyniques ordinaires
se caractérisent encore par un respect absolu pour les
détenteurs du pouvoir, qu’ils soient grands ou petits. Et par un
mépris de fer pour les insignifiants qui n’ont pas les moyens
se faire entendre. Pas de pitié, et encore moins de considération,
pour ceux qui ne représentent aucune espèce de menace
pour sa propre position.
    La vie en société se transforme alors en farce, souvent
drôle, parfois cruelle. Chacun joue consciencieusement sa
partition et tous se jouent subrepticement de chacun. Les rôles
sociaux deviennent parodiques. On songe ici à la célèbre
scène du garçon de café imaginée par Jean-Paul Sartre dans
L’Être et le Néant (3) :
« Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé,
un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les
consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un
peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un
intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande
du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter
dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel
automate, tout en portant son plateau avec une sorte de
témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement
instable et perpétuellement rompu, qu’il rétablit
perpétuellement d’un mouvement léger du bras et de la
main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique à
enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des méca-
nismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa
voix même semblent des mécanismes; il se donne la prestesse
et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s’amuse.
Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps
pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de
café. »

    Par les temps qui courent, beaucoup jouent à être cadre
dynamique ou rebelle farouche, employé zélé ou intellectuel
indépendant, et tant d’autres figures de la comédie humaine.
    Ce jeu de masques est paradoxalement stimulé par le
brouillage des identités sociales. Moins son rôle professionnel
est défini et plus on est enclin à s’auto-caricaturer. Or précisément,
dans de nombreux domaines, les frontières entre
métiers sont devenues floues. Que l’on songe, par exemple,
au journalisme et à ce que l’on appelait naguère les « relations
publiques ». Ces deux activités théoriquement bien disjointes
(dire ce qui se passe contre défendre un dossier) se sont largement
acoquinées sous le vocable de « communication ». La
presse n’est guère plus séparée de la com’ que de la publicité.
L’information s’est même accouplée avec le divertissement
pour enfanter ce que les Américains nomment « infotainment
». L’indifférenciation croissante des rôles sociaux qui
caractérise certaines sphères de la modernité est un puissant
facteur de cynisme.
    Crise des identités, des institutions et des métiers : la morale
sociale est aujourd’hui en berne. Le discours moral omniprésent
d’autrefois se doublait d’un long cortège d’hypocrisies.
Les comportements étaient loin d’être toujours en cohérence
avec les propos affichés, mais ceux-ci avaient au moins le
mérite de rappeler la norme et de culpabiliser les transgres-
sions. Cette gestion pharisienne de la question morale a cédé
la place à un amoralisme de principe, si l’on ose cette variété
d’oxymore. La norme n’est même plus affichée. Totalement
dévalué, le mot de « morale » est systématiquement associé
à la cucuterie et à la perversité moraliste. La « morale » est
significativement remplacée par l’« éthique », un concept
au contenu trop souvent étique. Nous vivrions, paraît-il, au
milieu d’entreprises citoyennes qui s’adonneraient, pour
les plus vertueuses d’entre elles, au « commerce équitable ».
Difficile de ne pas réagir à ces contes par un certain cynisme !
    L’hyper-individualisme des sociétés développées sape
efficacement la morale sociale. Le cynisme est l’attitude
logique de ceux qui ramènent le monde à eux-mêmes. L’individu
ne se reconnaît alors pas d’autre guide que la poursuite
de ses propres intérêts. Aucune espèce de conviction ne
saurait entamer sa superbe liberté. Un utilitarisme myope (4)
sert de philosophie implicite à tant de nos contemporains. La
vie en société est considérée sous l’angle d’une performance
finalement plus tactique que stratégique : réagir jour après
jour aux circonstances pour maximiser son profit personnel.
L’individu ne se préoccupe plus du « sens » de son existence,
une question apparemment obsolète à l’heure du postmodernisme.
Obsédé par le souci d’être dans le sens du vent, il pratique
un mimétisme social supposé garantir son intégration.
Ce personnage sacrifiera toujours ses convictions – quand
il lui en reste – à ses intérêts. On objectera peut-être que
l’humanité vit mieux guidée par ses intérêts que par des
convictions dont le fondement est toujours problématique.
C’est le point de vue du philosophe Jean-François Revel : «La
majeure partie de l’histoire humaine montre que les hommes
ont généralement agi contre leurs intérêts, par fidélité sectaire
à des convictions absurdes (5).» Mais ne sommes-nous pas, en
Occident du moins, sortis de cette période historique ?
    C’est bien une morale du résultat – c’est-à-dire une absence
de morale – qui sert le plus fréquemment de boussole dans
les pays riches. Ce qui est bien, c’est ce qui marche. Point à la
ligne. « Qu’importe qu’un chat soit noir ou blanc, pourvu
qu’il attrape les souris », affirmait le très cynique dirigeant
chinois Deng Xiaoping. La fin justifie les moyens, jurent tant
d’autres. Peu leur chaut si ce genre de postulat a engendré des
catastrophes historiques comme celle du communisme. La
religion du succès évacue sans complexe tout questionnement
moral. On pardonne tout à celui qui réussit. Personne
ne lui cherche noise. Peu d’importuns se risquent à l’interroger
sur les bizarreries de son parcours (6). Gare toutefois aux
revers de fortune. L’échec réveille toujours brutalement la
critique sociale. L’insuccès repeint très vite en noir une destinée
hier encore encensée de toute part. Le jugement moral ne
sert plus à jauger une action. Il est devenu, au contraire, un
simple sous-produit de l’action. La réussite, c’est le bien.
L’échec, c’est le mal. Qu’importe la méthode.
    En ces temps d’hyper-consumérisme, l’argent est naturellement
l’étalon absolu de la réussite. Le cynisme ambiant est
inséparable du nouveau culte du veau d’or. Chacun est de
plus en plus jugé d’après sa rémunération. La hiérarchie des
professions a cessé d’être dominée par le prestige d’un métier
ou son utilité sociale. Elle se décline désormais d’abord sur
un mode monétaire. D’où le désarroi des enseignants, des
magistrats et de toutes les professions qui souffrent d’un décalage
entre le rôle que leur attribue la société et les émoluments
qu’elle leur offre. Or travailler exclusivement pour l’argent
mène tout droit à une variante de nihilisme social. La société
devient un pur moyen de jouissance personnelle. Tout s’achète,
dit-on. Équivalent général des marchandises, l’argent, lorsqu’il
est sacralisé, pousse à tout mettre sur le même plan.
    L’individu cynique préserve son confort intellectuel en se
dispensant explicitement de tout choix moral. N’ayant nul
besoin de savoir ce qui est bon ou mauvais, il poursuit son
intérêt du moment défini selon les codes en vigueur de la
comédie sociale. Tous les coups sont permis, à la seule condition
de ne pas se faire prendre. L’astuce consiste à reporter
sur l’ensemble de la société la charge de faire respecter un
semblant de morale. C’est pourquoi un étonnant moralisme
baigne tant de discours officiels. Moins les individus se
sentent concernés par la dimension morale de leurs actes
et plus diverses institutions et comités sont officiellement
chargés d’assurer un certain « ordre moral ». Fleurissent ainsi
les « codes de bonne conduite » et autres « chartes éthiques ».
La judiciarisation des rapports sociaux s’inscrit dans ce
mouvement de défausse institutionnelle du questionnement
moral. C’est désormais à la société d’être « morale », et non
plus aux individus. Alain Caillé évoque « le triomphe d’une
morale objectiviste ou procédurière qui décharge les individus
de toute exigence personnelle (7) ». Le «mal» ne réside dès
lors que dans la sanction et la condamnation. Sinon, pas vu,
pas pris.
    Écrire sur le cynisme est à coup sûr périlleux. On risque
d’apparaître comme un incorrigible grincheux ou comme
un moraliste d’un autre âge. Avouons-le d’emblée : l’auteur
de ces lignes a beaucoup péché par idéalisme même s’il a
tenté de se soigner. Comme d’autres, il a eu son lot d’enthousiasmes
et de déceptions. D’abord, une petite dizaine d’année
de militantisme politique dans les années soixante-dix. À une
époque où l’on ne s’engageait pas encore au PS – puisque
c’est de lui qu’il s’agissait – pour faire carrière. La plupart
de mes jeunes compagnons d’affichage, de tractage ou de
réunionnite ont abandonné le militantisme après l’alternance
mitterrandienne. Beaucoup de ceux qui croyaient naïvement
à la « rupture avec le capitalisme » et à l’« autogestion » ont
quitté les socialistes sur la pointe des pieds. J’ai moi-même
cessé de cotiser au PS en 1980, à la fois pour cause de désaccord
politique et parce que cet engagement ne me semblait
pas compatible avec mon nouveau métier de journaliste.
    Le journalisme fut précisément mon deuxième engagement.
Essentiellement au sein de l’équipe de Libération,
rejointe en 1981 et quittée en 1996 avant un éphémère retour
dans la période 1999-2002. C’est peu dire qu’il s’agissait à
l’origine de foi militante. Payés au SMIC, travaillant six jours
sur sept au rythme frénétique d’AG quasi quotidiennes, les
journalistes de « Libé » avaient l’impression enivrante de
réinventer la presse au début des années quatre-vingt. Et
l’actualité avait à l’époque un sacré talent. Des insondables
mystères du mitterrandisme aux redoutables défis posés à
« l’expérience de gauche », il y avait matière à enquêter et à
écrire. Cette aventure reste pour moi un très beau souvenir.
Malgré ses défauts récurrents, Libération est devenu un des
meilleurs journaux de Paris – sans que la concurrence soit très
nombreuse. Mais j’ai aussi assisté à l’échec des ambitions de
ce journal et à son repliement sur un pré carré identitaire.
L’enthousiasme de l’équipe s’est mué en fatalisme plus ou
moins désabusé. L’arrivée d’Édouard de Rothschild comme
actionnaire de référence sanctionne l’épuisement d’un journal
contraint de subir faute d’avoir osé. Comme par hasard,
bon nombre de ceux qui furent les principaux acteurs de la
montée en puissance de Libération l’ont quitté – à l’exception
d’un tout petit noyau dirigeant.
    La politique comme la presse ne sont pas telles que je
les avais rêvées. C’est ainsi, et le principe de réalité interdit
les lamentations comme la vaine nostalgie. Peut-on néanmoins
se dépouiller de ses naïvetés sans sombrer dans un plat
cynisme ? Est-il vraiment impossible de tenir les deux bouts
de la chaîne, un réalisme sans complaisance et une fidélité
à un certain idéal ? Il est certes aussi difficile de devenir
réaliste quand on a un idéal que de garder son idéal quand on
découvre les réalités. Mais ce n’est pas impossible à condition
d’accepter la tension inévitable entre ces deux niveaux.
    Un autre piège auquel s’expose l’auteur serait de découvrir
la lune. Le cynisme n’est pas une invention de la modernité.
Il y a bien longtemps, ce fut même une prestigieuse école
philosophique. Aussi ce livre tentera-t-il d’abord une mise en
perspective historique. À première vue, le cynisme contemporain
est à mille lieues du cynisme antique. Diogène en
son tonneau ne sacrifiait pas spécialement à l’arrivisme. De
surprenants éléments de continuité expliquent pourtant le
glissement de sens du mot des anciens Grecs à nos jours. Le
cynisme moderne est plus proche de ses origines kuniques
qu’on ne le croit d’ordinaire.
    Sa nouveauté tient aux désillusions contemporaines qui ont
précipité sa spectaculaire démocratisation. La mise à distance
des croyances est de longue date pratiquée par des élites qui
savent ne pas être dupes des beaux discours prodigués au
commun des mortels. Les traités classiques de gouvernement
– qu’il s’agisse de Machiavel ou de Baltasar Gracián – sont
largement basés sur ce principe. Or il se trouve que le secret
est éventé. Le cynisme n’est plus l’apanage des dominants.
Les dominés le retournent de plus en plus contre eux. Quand
on a compris que l’entreprise, au fond, se moque éperdument
des prétendues « ressources humaines », il est parfaitement
logique d’essayer de lui soutirer le maximum en lui donnant
le minimum. « Bonjour paresse », comme le proclame le bestseller
de Corinne Maier (8).
    L’exhibition de la corruption des puissants, médias aidant,
exerce des effets dévastateurs sur la morale sociale. Comment
condamner les petits trafics illégaux qui assurent la survie
économique des quartiers dits sensibles lorsque chaque journal
télévisé apporte son lot de nouvelles scandaleuses ?
Que représente un modeste trafic de haschisch par rapport
au cachet qu’une star de cinéma obtient en échange d’une
douteuse opération commerciale ? C’est ainsi que le cynisme
se répand par capillarité dans le corps social.
    L’auteur n’étant ni sociologue, ni philosophe – et encore
moins moraliste autoproclamé –, cet ouvrage se limite à examiner
les multiples facettes du phénomène. Celui-ci peut être
appréhendé sous plusieurs angles. La mascarade des codes
sociaux en est un, tout comme la confusion des genres professionnels,
caractéristique de la modernité. Le froid utilitarisme
qui aimante nos sociétés éclaire la question sous un
autre jour. On sera encore conduit à examiner les ravages
exercés par le nombrilisme sur les relations sociales. Des
manipulateurs de symboles qui sévissent dans l’économie de
l’information aux intellectuels s’autorisant à plier le réel à
leur volonté subjective en passant par les arrivistes sans scrupule,
les figures du cynisme ambiant sont bigarrées. On en
visitera quelques-unes au fil des chapitres. La « moraline »,
complément obligé du cynisme, sera enfin questionnée avant
que l’on s’interroge sur la fatalité de cet amoralisme qui jaillit
de toutes parts.
    Il serait ridicule de prétendre à une totale neutralité axiologique
sur un tel sujet. Si le cynisme me préoccupe – et je suis
loin d’être le seul – c’est à coup sûr parce qu’il me blesse et
me semble appeler une solide critique. Argument empirique :
on rencontre en réalité très peu de cyniques véritablement
heureux. Le cynisme est souvent une réaction de défense
de l’individu déboussolé par son environnement social. Aussi
mon propos n’est-il nullement de dénoncer ce « mal » en
moraliste. Simplement de tenter d’y voir un peu plus clair.


NOTES
1. J’ai tenté de présenter les multiples aspects de cette crise des identités
collectives dans L’Hystérie identitaire, Le Cherche Midi, 2004.
2. En référence aux travaux de Marcel Gauchet : Le Désenchantement
du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, 1985, et Un
monde désenchanté ?, L’Atelier, 2004.
3. Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard, 1976.
4. Les ravages de cet utilitarisme sont soigneusement étudiés par le
Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales (MAUSS, en hommage au
sociologue Marcel Mauss), animé par Alain Caillé, et qui publie La Revue
du Mauss.
5. Jean-François Revel, conférence aux « Rencontres de la Rotonde » à
Lausanne, Le Journal français, juillet-août 2001, http ://www.lejournalfrancais.
ch/ljf43/dossier/dossier.html
6. Un seul exemple : les journalistes Pierre-Angel Gay et Caroline Monnot
ont eu quelque mal à trouver un éditeur pour leur biographie non autorisée
François Pinault, milliardaire. Les secrets d’une incroyable fortune,
Balland, 1999. La Fnac est une des filiales du groupe Pinault-Printemps-
Redoute.
7. Discussion de l’auteur avec Alain Caillé.
8. Corinne Maier, Bonjour paresse. De l’art et de la nécessité d’en faire
le moins possible en entreprise, Michalon, 2004.
Présentation du livre
Table des matières

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