BÉDARD
 
Isaac BÉDARD
Marie Girard
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- I -

La ville de La Rochelle fut, dès la première moitié du XVI siècle, un centre calviniste très actif. Lors de l'édit de Nantes (1598), elle devint même la plus importante place du royaume où les huguenots pouvaient vivre en toute sécurité. Cette situation subsista jusqu'en 1685, lorsque l'édit fut révoqué. Cela explique pourquoi plusieurs de nos ancêtres rochelais furent baptisés au temple protestant.

Isaac(1) BÉDARD

Dimanche, 20 mars 1644, grande joie chez les Bédard ! Isaac, 28 ans, allait épouser Marie Girard. M. J. Flance, pasteur huguenot, présida la cérémonie nuptiale, à La Rochelle.

La Rochelle, capitale de l'Aunis et du calvinisme français, avait subi un siège militaire sévère en 1627-28, sous les ordres du roi catholique Louis XIII. Les protestants n'en étaient que plus fervents, quoique battus. Le jeune Bédard, à l'âge de 9 ans, avait vécu ce temps de misère. Le nom de Bédard dérive de bedeau et porte en lui-même une allusion religieuse.

Isaac Bédard, maître-charpentier de grosses oeuvres, gagna sa vie dans cette ville ouverte sur l'Atlantique. Entre le 15 décembre 1644 et l'année 1658, Isaac et Marie firent baptiser sept enfants au temple calviniste: Jacques, François, Pierre, Richard, Isaac, Louis et Anne. Tous décédèrent en bas âge à l'exception de Jacques et de Louis.

Le 17 février 1981, M. Omer Bédard(2) de Québec transmettait pour le bénéfice des lecteurs la photocopie d'un texte précieux de la bibliothèque municipale de La Rochelle, qui se résume ainsi: «ceux qui ont abjuré en l'église de nostre dame de cogne sainte marguerite et saint ... depuis 1633. Isaac Bédard et Jacques Bédard et Marie Girard natifs de cette ville de La Rochelle du 2 avril 1660».

Les jeux sont faits. Les Bédard viendront vivre en Nouvelle-France. D'abord, le père et le fils prépareront le nid familial. Ce qui fut fait en 1660. Au début de 1661, Isaac possédait un emplacement à la Haute-Ville, entre Louis Chapelain et les Jésuites, Côte-de-la-Fabrique. Au printemps 1662, 1er mai, Jacques l'aîné de 17 ans, est confirmé par Mgr de Laval, à Québec. Puis, la maman à son tour traversa les mers, en 1663, semble-t-il. Car, le 12 mai 1664, naquit la cadette, Marie à Québec. L'abbé Bernières baptisa l'enfant, le 18 du même mois. Parrain et marraine: Jean Normand et Marie Letart, femme de Jean Roussin.

Débuts difficiles

A lire les vieux documents qui nous restent, il semblerait que l'ancêtre Bédard eût des difficultés à se faire accepter. Etait-ce simplement à cause des voisins, d'une fierté trop protestante, ou d'un zèle de nouveau converti?

Le 5 mars 1662, au prix de 400 livres, il acheta de Mathieu Hubou une propriété avec bâtiments à Notre-Dame-des-Anges. Elle avait un arpent et demi de front sur la rivière Saint-Charles, avec une profondeur de 60. Là, survinrent les difficultés.

Le 3 octobre 1663, Vincent Regnault demanda compensation "en degast de bétail". Bédard paiera un demi-minot de blé et une journée de travail. Sa vache avait goûté avec trop de passion l'herbe de son voisin.

Deux mois plus tard, 15 décembre, Michel Désorcy réclama le prix d'un cochon baillé à raison de 100 sols. L'animal de nature sauvage avait pris la clef des champs. Son protecteur avait bien averti Michel, mais un peu tard, qu'il ne pourrait garder la bête friponne. Isaac paya jusqu'au dernier sou y compris l'amande: 14 livres.

Et voici que, le 1er avril 1664, Mathieu Hubou se plaignit qu'Isaac n'avait pas tiré son bois ni travaillé à son "bastiment". Isaac rétorqua qu'il ne le pouvait pas et même que Hubou l'avait battu. Le Conseil Souverain en présence de Mgr de Laval ordonna à Hubou de fournir le bois et à Bédard de se mettre au travail de la construction dès les semailles, «deffences aux partyes de se mesdire, quereller ny frapper...»

La famille Bédard décida de quitter les lieux. Elle vendit sa ferme à Claude Charron, samedi, 26 décembre 1665, pour 430 livres dont 200 payables en argent «monnayé en castor au pris du pais». Pierre Morault possédait, à la Petite-Auvergne, une habitation de deux arpents de front. Pour 60 livres, il la vendit à Bédard qui avait déjà feu dans les environs. Isaac installa alors ses pénates dans cette ferme, à Charlesbourg, village Saint-Jérôme.

Tout en cultivant la terre, Bédard alla chercher pendant plus de seize ans un revenu d'appoint pour boucler son budget, en mettant à profit ses talents de maître-charpentier.

L'Intendant Talon lui commanda 100 avirons, en mai 1666. Isaac remplit la commande avec l'aide de Laurent Duboc, à raison de 15 sols la pièce.

En 1668, Bédard construisit une belle grange de 40 pieds par 24, au prix de 150 livres, pour le compte de Claude Charron. Puis en 1670, René Branche se fait bâtir une maisonnette «de bon bois de pièces l'une sur l'autre», 18 pieds par 16 et 5 pieds "soubs poutres". Prix du travail exécuté par Bédard: 60 livres. L'année suivante, Jean Juchereau commande une grange à Beauport, 30 x 30 pieds. Salaire du charpentier Bédard: 90 livres. Timothée Rousset, 26 octobre 1671, réclame les services de Bédard pour élever la charpente d'une maison à la Canardière et lui offre 45 livres.

L'ancêtre Isaac Bédard dut parfaire bien d'autres travaux. Tout n'a pas été consigné par les notaires. Nous le voyons encore, pour la somme de 100 livres, en 1682, bâtir la grange moderne de Louis de Villeray, «laquelle aura cinquante-deux pieds de long... aux pignons deux croix et st André a chacun et deux guette au-dessus de l'entretoise, faire le comble en crouppe avec feste...». Enfin, à la même époque, l'ancêtre François Lavergne, «maçon demeurant à la brasserie» de Québec, obtint l'aide de Bédard pour la construction d'une maison à la Haute-Ville, près des Ursulines. Évaluation du travail: 85 livres.

Personne ne s'est plaint au sujet des ouvrages de l'ancêtre Bédard; il travaillait bien.

Le fermier

En ce temps-là, il fallait trimer dur pour vivre honorablement. Isaac Bédard était venu au Canada avec quelques économies dans son gousset, sans doute. Mais, en janvier 1669, son avoir avait fondu. Isaac et Marie firent appel aux Jésuites «pour subvenir à leurs urgentes affaires». Ceux-ci leur prêtèrent 50 livres.

Le 17 octobre 1681, les Hospitalières concédèrent à Bédard une terre de 3 arpents de front sur la route de Saint-Romain, avec 20 de profondeur, à titre de cens et rentes seigneuriales. La condition: y avoir feu et lieu. Le notaire Becquet écrivit dans le contrat que Bédard était habitant de Notre-Dame-des-Anges. Le 8 avril 1685, autre concession par les mêmes religieuses d'un autre arpent de front dans le même territoire. Isaac vivait alors à la Plaine Saint-Romain, sur la concession de 1681. Le notaire Genaple le situait d'ailleurs au même endroit en 1683, dans un acte établissant l'obligation de 82 livres que Bédard devait à Villeray.

Au recensement de 1681, Isaac Bédard, charpentier, habitant de la Petite-Auvergne, possédait un fusil, quatre bêtes à cornes et douze arpents de terre en culture.

Petite famille, grande descendance

Isaac Bédard fut inhumé à Charlesbourg, le 15 janvier 1689, à l'âge de 73 ans environ. L'abbé Nicolas Dubos écrivit au registre: après avoir reçu les sacrements de pénitences, eucharistie et extrême-onction. Quant à Marie Girard, son épouse fidèle, les documents écrits ont oublié de mentionner sa mort survenue après 1687. Isaac et Marie laissaient dans le deuil trois enfants, tous établis à Charlesbourg.

La descendance de Jacques et de Louis tient du prodige par le nombre et la qualité. Les cinq fils mariés de Jacques donnèrent une soixantaine de petits-enfants aux ancêtres Isaac et Marie, dont la moité furent des garçons, et une vingtaine d'entre eux fondèrent à leur tour des foyers. Les quatres fils mariés de Louis donnèrent plus d'une trentaine de petits-enfants, dont une vingtaine de petits-fils, et douze de ceux-ci se marièrent à leur tour. En 1946, on avançait le nombre de 30,000 Bédard en Amérique. La famille Bédard brilla d'un éclat particulier dans le monde ecclésiastique et religieux, dans la magistrature, la politique, le commerce et même dans la milice. A Charlesbourg, en 1760, il y avait deux capitaines de milice Bédard et deux sergents.



NOTES:

1. Selon Nos Ancêtres, volume 2.

2. Omer Bédard, "Généalogie des Familles Bédard du district de Québec" (1946), 657 pages. En 1981, M. Omer Bédard a obtenu copie de la liste de ceux qui ont fait abjuration de la foi huguenote à partir de 1633. Le document se trouve à la bibliothèque municipale de La Rochelle. Isaac Bédard, son épouse Marie Girard et leur fils Jacques, tous natifs de La Rochelle, ont abjuré le protestantisme pour devenir catholiques, le 2 avril 1660.