Marie Thérèse Carmen Duffy

Mes premiers souvenirs d’enfance


Je suis née près de Mont-Laurier le 9 août 1927, mon nom de baptême est Marie Thérèse Carmen Duffy. J’ai été baptisée à la belle cathédrale de Mont-Laurier qui aujourd’hui est passée au feu.

Mes parents se nomment Albina Prud’homme et Patrick Duffy. Je suis la plus jeune de la famille, nous sommes trois enfants. Ma sœur Florence a un peu plus de trois ans que moi et mon frère Lionel, un an de plus.

Mes parents avaient une très belle ferme au petit Lac Desabrais entre Mont-Laurier et le lac des Écorces. Mon père décide de vendre la ferme et achète l’hôtel Léger à L’Annonciation où ma mère travaille beaucoup. Pour économiser sur les employés, elle fait le ménage et elle excelle au repassage. Mon père fait le taxi avec son cheval et sa carriole pour amener les voyageurs du train jusqu’à La Macaza.



Même si j’étais très jeune, je me souviens qu’à l’hôtel il y avait un cuisinier qui me prenait dans ses bras et m’amenait à la cuisine pour manger des beurrées de beurre que j’aimais tant. C’est le seul souvenir que je garde de l’hôtel. Voilà que ma mère est enceinte et accouche du petit Patrick. L’enfant est malade, il entre à l’hôpital Ste-Justine pour y décéder. Le petit Patrick est enterré au cimetière de L’Annonciation.

Ma mère de plus en plus malade, mon père décide de vendre l’hôtel et d’acheter un garage à Val-Barrette. En face de chez-nous demeurait le docteur Hélie, c’est lui qui soigne ma mère. Je joue souvent avec ses enfants dans un beau kiosque qui n’existe plus aujourd’hui. Madame Hélie est vraiment bonne avec les enfants et elle m’aime beaucoup. Le docteur amène les enfants du village dans sa petite auto au lac Vert à Val-Barrette et nous promène en chaloupe. Une fois, en traversant la rue pour aller jouer chez le docteur Hélie, comme je ne regardais pas, je me fais frapper par une auto: fracture du crâne. Le docteur Hélie me soigne. Il faisait de tout, il cousait la tête et arrachait les dents.

Ma mère décède le 26 décembre 1931. J’ai un peu plus de 4 ans. Je me souviens du matin où ma mère est décédée. Je cours pour sauter dans son lit, elle ne me répond pas. Je cherche ma sœur Florence et mon frère Lionel; ils sont dans l’escalier et pleurent. Je ne comprends pas trop. Par la suite, beaucoup de monde dans la maison tous habillés de noir. Je vois ma mère exposée dans un petit salon à droite. Ce dont je me souviens surtout c’est la senteur des cierges qui brûlaient.

Moutonne au beurre

Les trois enfants se retrouvent bien seuls. On s’en va rester chez mon grand-père Amable Prud’homme, le père de ma mère, sur une montagne dans un petit « shack » en bois rond. Je revois encore les « beds » de planches à deux étages avec des branches de cèdres comme matelas. Mon grand-père m’aimait bien. Je mange des rôties avec beaucoup de beurre ce qui m’a valu le surnom de « moutonne au beurre » et je me sers aussi des gros morceaux de cassonade dans la poche cachée derrière la porte.

On s’amuse comme on peut. On ramasse les sauterelles pour les mettre dans le foin et ça fâche mon pépère Amable avec sa grande moustache; un grand homme au cœur généreux. Je pense que j’étais sa préférée, car j’étais la plus jeune. Je suis heureuse chez mon grand-père à la montagne.

Je me souviens d’une fois où mon frère, pour me faire plaisir, car j’adore les cerises, était monté dans l’arbre pour couper une branche. Il lance la hache et me crie recule ! Comme je ne suis pas trop vite, la hache m’arrive sur un genou, j’ai encore la cicatrice… mais les cerises étaient quand même très bonnes chez grand-père.

Un dimanche, tante Odile, la sœur de mon père, et son mari, mon oncle Mathias Courtemanche, arrivent en voiture. Ils nous apportent des gâteries. Ce jour-là mon grand-père, appuyé sur le cadrage de la porte avec son fusil, tue un chevreuil. C’était son premier.

Je me souviens d’une fois où mon père et moi on s’en allait au bureau de poste et comme il commence à pleuvoir, il me fait cacher dans une « calvette » en dessous du chemin. C’était à peu près ma grandeur, je n’étais vraiment pas vieille. Ça devait être probablement à Val-Barrette.

Vers l’âge de quatre ans, je suis allée avec papa pas loin de chez nous, à la ferme Escobar près du lac Vert à Val-Barette. Une ferme avec une belle maison. C’est Marie-Yvonne Bonami, une cousine de mon père, qui travaillait pour monsieur Escobar. Le chemin de fer passait sur la ferme et il y avait des animaux de race de l’Europe. On avait pris un bon repas et tout à coup on entend un hélicoptère qui arrive, car le boss venait voir son domaine. Plus tard, j’ai lu un article qui parlait de Jose Gonzalo Escobar et qui disait que c’était un bandit venu se cacher au Québec dans les Laurentides (Val-Barrette) en 1931. La maison sur la ferme a passé au feu et je ne sais ce qui reste de la ferme.

Vers la fin de l’été arrive le départ de chez grand-père. Mon grand-père s’en va rester en Ontario chez sa fille Germaine, la demi-sœur de ma mère. Je n’ai jamais revu mon pépère Amable.

L'Hospice

Nous voilà vraiment orphelins, comme mon grand-père est parti et que mon père travaille toujours dans les chantiers comme « foreman », que faire de ses enfants ? On retourne à Mont-Laurier où l’hospice Ste-Anne nous attend malgré les grandes familles des deux côtés de mon père et ma mère.

On part avec tante Odile et papa, ma sœur Florence âgée de sept ans, mon frère Lionel cinq ans et moi quatre ans. Pour ne pas trop nous intimider, on entre par l’escalier arrière. Sur la galerie, les vieillards se bercent en fumant leur pipe.

Je tiens la main de mon père, on entre à la cuisine et ils nous servent un petit repas. C’est la visite de notre nouvelle demeure. Quand on sort de la cuisine et qu’on entre au réfectoire, il y a des grandes tables et tous les couverts, assiettes à l’envers placées bien droites. Ensuite le passage qui conduit au parloir quand on aura de la visite. Quand on entre par la grande porte en avant, la première chose que l’on voit c’est la statue de la fondatrice, mère Marie Youville, très impressionnante. À côté de la classe, c’est la grande salle de jeu pour les petites filles, car on est séparées des petits garçons.

Au sous-sol ce sont les vieillards, au premier étage les femmes âgées. Sur le même étage, il y a une aile où est situé le premier hôpital de Mont-Laurier et une belle chapelle au milieu.

L’autre étage c’est celui des religieuses « les sœurs grises » qui font notre instruction. Les enfants couchaient au dernier étage: les dortoirs des petites filles étaient à gauche et ceux des garçons à droite. Petits lits en rangées très droites, recouverts de beaux couvre-pieds blancs avec une petite fille brodée en bleu.

Il y a aussi la cellule de la sœur gardienne, sœur qui a changé souvent. Nous ne sommes pas très nombreuses à notre arrivée, peut-être une dizaine d’enfants: Budge, Pilotte, Paquin, Labelle et nous qui nous appelons Duffy; au début on était gâtées. Un jour, après la messe lors de la fête Dieu, l’aumônier l’abbé Coté avec l’ostensoir et l’eau bénite est passé dans tous les appartements de la bâtisse pour la bénédiction et c’est là qu’on a vu le quartier des garçons, leurs couvre-pieds étaient blancs avec un petit garçon brodé en rouge. Tous les étages étaient propres, car il y avait eu tout un ménage pour la fête Dieu.

Malgré le fait que nous sommes dans la même bâtisse, nous ne partageons pas les mêmes locaux que les personnes âgées. On les voit lorsque nous allons à la messe ou de loin à l’extérieur lorsque nous allons aux récréations. Elles se bercent sur les galeries.

Face à la réalité

Nous sommes toutes habillées pareilles: petite robe noire avec le collet blanc. Ça n’a pas pris de temps que l’orphelinat a été rempli et que les règlements ont changé. Plus de gâterie, obéissance totale, car le soir en ligne et en jaquette on passe à la cellule des corrections. Je cherche pourquoi la punition, soit tu as parlé quand c’était silence ou tu n’as pas su ton catéchisme… Tous les matins à six heures, levée en vitesse, car c’est la messe. Le déjeuner au réfectoire où l’on nous sert ce qu’on appelait gruau, mais pour nous c’est de la soupane très épaisse et pleine de gros mottons. Quand ça passe, le cœur te lève, mais il faut le manger quand même. Le cacao brassé avec la peau séchée sur le dessus que nous devons boire, tu as le mal de cœur quand ça passe dans la gorge.

On s’habille toujours en dessous de notre jaquette. On porte de grands bas de couleur beige et lorsqu’ils sont percés, il nous faut faire une belle reprise. Pour les talons, on prend une ampoule électrique qu’il ne faut surtout pas échapper par terre, car elle éclate avec fracas.



Une fois par semaine, on prend une douche en jaquette une vingtaine à la fois, ensuite on passe au peigne fin, l’une après l’autre la tête dans le tablier de la bonne sœur qui trempe le peigne dans l’huile à lampe, car on est remplies de poux, donc on attrape ceux des autres et c’est toujours à recommencer.

Une fois ma sœur Florence va chez tante Odile et se fait friser. Elle était très jolie. Arrivée à l’hospice la sœur la voit frisée, lui fait mettre la tête en dessous du robinet et oblige deux filles à la peigner jusqu’à ce qu’elle ne frise plus.

À l’hospice, j’ai bien aimé deux petites Polonaises. L’une d’elles me prête ses patins et elle me montre deux chansons, une en anglais et une en polonais. Il ne fallait pas se faire prendre à parler en anglais, car c’était la pénitence.

Un jour d’été, on va se baigner à la rivière juste en arrière de l’hospice toutes les petites filles en jaquette. Marie-Laure Labelle coule dans un trou profond, une autre coule à son tour, la sœur arrive à force de nous entendre crier, on fait la chaîne et on en sauve une. L’autre qui s’est noyée a été retrouvée avec un grappin et avec l’aide de l’abbé Coté et de son crucifix. On n’est jamais retournées à la rivière!

La petite aveugle de l’hospice à l’Institut Nazareth

Ma précédente chronique aurait dû commencer par les plus beaux jours que j’ai passés à l’hospice. La nuit de Noël, les religieuses nous réveillent en chantant « Les anges dans nos campagnes ». À la messe de minuit, le docteur Gustave Roy chante « Minuit, chrétiens ». Les filles entonnent « Les anges dans nos campagnes » et les garçons, « Çà, bergers, assemblons-nous ». J’ai fait ma première communion un jour de Noël. Mon père est venu nous voir. Il nous câline quelques minutes, ma sœur Florence, mon frère Lionel et moi. On était heureux, car j’aimais bien mon père. C’est la fête de Noël, alors nous attendent une bonne soupe au poulet avec des anneaux, un beau beigne avec une boucle de papier frisé rouge, un verre de lait et des retailles d’hostie.

On sait que le carême est fini, car durant quarante jours, on ne mange pas de viande, mais que du poisson. Ensuite, seulement le vendredi, on a droit à un petit carré de beurre! J’ai toujours hâte au prochain vendredi pour le beurre.

Un jour, je vais chez tante Odile, car elle ne reste pas très loin. Comme il n’y a personne et que la glacière est dehors sur la galerie… quel bonheur de plonger le doigt dans la livre de beurre! Je n’en mange pas beaucoup, mais la voisine, mademoiselle Chartrand, me crie: « Je vais le dire à ta tante ». À ce moment, je me sauve en courant vers l’hospice.

Une autre fois, je suis avec mon amie Cécile Budge. Ma tante m’envoie dans la cave chercher des patates. J’y vais malgré le fait que j’ai peur, car pépère Prud’homme y a entreposé un cercueil (ce cercueil a été donné à un vieillard de l’hospice). Et voilà que ma Cécile tombe dans la cave et se casse une jambe. Il faut dire que ce n’est pas un escalier, mais plutôt une trappe dans le plancher.

Un jour, une petite fille arrive avec sa mère. La maman tire sa petite et l’embrasse en lui disant : « pauvre petit chien ». Nous, toutes surprises de ce nom, trouvons ça drôle. Imaginez… elle est aveugle.

Comme les religieuses ne peuvent la garder et qu’elle a du talent pour jouer du piano, elles organisent un spectacle pour amasser des fonds afin de l’envoyer à l’Institut Nazareth pour les aveugles. Je suis choisie pour chanter « C’était une petite aveugle qui n’avait pas trois ans. Son vieux père était mort. Oh, trop triste moment ».

Elles ont vendu des billets dans tout Mont-Laurier et l’événement a eu lieu à la salle paroissiale. La fillette s’appelait Juliette Vaudry. Sur scène, Juliette est dans une petite chaise berçante avec un beau petit chien noir, pareil comme dans la chanson que je chantais : « Un sac, un chien, un bâton, c’était là tout son bien ». Avec l’argent que les sœurs ont amassé, Juliette prend le train pour l’Institut Nazareth.

Une anecdote concernant cette petite fille ? Un jour, ma nièce m’apporta un article de journal concernant Juliette Vaudry. Surprise, elle est violoniste ! Ma nièce se souvenait que je lui avais raconté cette triste histoire.

Ma courte carrière de chanteuse

J’aime beaucoup les religieuses de l’hospice qui nous montrent le chant. Je suis partout dans les séances.

Comme je me nomme Carmen, les sœurs n’aiment pas ça: dans ces années-là, la chanteuse et comédienne Carmen Miranda portait des couleurs vives et parfois un décolleté trop osé à leur goût. Tante Odile est venue régler l’histoire du nom: je suis devenue Marie-Carmen à l’hospice, mais j’ai conservé Carmen dans la famille.

On donne souvent des spectacles, ils ont lieu dans ma classe. Entre le côté des filles et celui des garçons, on ouvre la porte-accordéon de séparation et ça devient notre théâtre. D’un côté les séances et de l’autre les visiteurs.

C’est la fête de l’abbé Côté et le Cardinal Rodrigue Villeneuve, un invité, m’a remarquée. À la fin du spectacle, il m’appelle et me prend sur ses genoux; il m’a sûrement bénie. Je l’embrasse et tout le monde applaudit.

À Noël, c’est la grande affaire. Le spectacle est pour remercier les donateurs qui gâtent ces pauvres orphelins. Plus tard, j’ai montré tous les chants à mes enfants.   Faut vous dire que tous les jouets, y compris les poupées, sont rangés dans une armoire qu’on n‘ouvre pas souvent. Cette armoire est dans un local où on va souvent en pénitence. Ma sœur Florence, une fois s’est mise à sortir des jouets et à faire son spectacle avec les poupées en arrière de la vitre. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’elle y a goûté, encore une fois !

Je me souviens d’une autre fois où je chante habillée en sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus avec un bouquet de roses dans les mains, debout devant la Vierge Marie qui tient le petit Jésus dans ses bras. Les seules paroles dont je me souviens sont: «  effeuillent une rose en sa fraîcheur ». En avançant vers la Sainte Vierge, je découvre qu’on a fait un ciel derrière, où des petites filles font les anges. C’est rempli de fougères et à la dernière minute Sœur Joseph-Marie me dit: « Tu ne chantes plus ». Derrière l’auvent, cachée par les fougères, une sœur doit chanter à ma place. Je dois seulement faire semblant; ce que j’ai su à la dernière minute.

Les portes s’ouvrent, tout le monde applaudit et le feu d’artifice éclate. Madame Bélanger est à l’orgue. Ma pauvre sœur de chant préférée devient folle en arrière de l’orgue. Elle me fait des signes et chuchote: « Chante pas! fais semblant ». Au lieu de mimer, je continue de chanter. L’autre sœur derrière moi, cachée dans les fougères, chante avec sa voix d’opéra. La bonne sœur de chant met sa main devant sa bouche pour me faire taire. J’ai de plus en plus le trac, puis j’ai envie d’uriner. C’est parti malgré moi.

Quel désastre! C’est là que ma carrière de chanteuse s’est terminée. En même temps que les portes se ferment, la sœur me tire par le bras et me déshabille en vitesse. Le docteur Roy qui assistait au spectacle arrive au même instant. Il me dit: « Va te coucher au dortoir ». Je n’en ai jamais entendu parler, mais j’avais de la peine d’avoir fait ça à ma sœur préférée. Adieu à ma carrière de chanteuse en solo.



À l’hospice Ste-Anne, Florence était très bonne pour faire une déclamation d’une demi-heure sans se tromper. Je me souviens encore d’une fois où le titre était: « Un jour j’aurai mon prêtre ». Tante Odile en avait les larmes aux yeux car c’était son rêve. Son fils Roland est devenu père Oblat à la Baie d’Hudson.



Aux vacances, il faut être utile. Je vais avec une sœur pour changer les lits des vieillards. J’ai appris à bien faire les pointes des draps, ça m’a servi pour plus tard. On va au lavoir et je vous dis qu’il y fait chaud. On appelle cela les grosses calandres: deux d’un côté pour mettre les draps dans les séchoirs et deux autres devaient les plier en les recevant. Une chance que je sois assez grande pour qu’ils ne touchent pas par terre.

On lave à genoux les escaliers des cinq étages, ainsi que le plancher de notre salle de récréation. Chacune lave sa lisière et ensuite on applique la cire et là, on peut glisser en bas de laine pour éclaircir le plancher.

Durant les vacances d’été, pour faire la sieste on se couche sur notre manteau directement sur le plancher. Il ne faut pas oublier la collation de deux heures, j’aime vraiment ça. On a droit à une rôtie que les sœurs ont eue en trop le matin et on peut la tremper dans la mélasse. On va à la cuisine pour aider et lorsque je tranche des tomates vertes, s’il y en a une un peu rosée, je me permets de la manger. Au réfectoire, on lave et on replace bien la vaisselle. Il y a dans l’armoire une « diche » en aluminium qui contient de la mélasse et du gingembre contre le rhume. Je pense que j’en ai mangé un peu trop, j’ai été malade. Le soir, on prend une cuillerée d’huile de foie de morue. Mille mercis, ce n’est pas bon au goût mais très bon pour la santé. J’aurais dû en faire prendre de force à mes enfants car ils n’aimaient pas cela.

Quand le printemps arrive, on part toutes en ligne suivies d’une sœur, pour prendre une marche. Une fois, comme je suis toujours maladroite, ou peut-être poussée par celle en arrière de moi, je tombe dans un méchant trou d’eau. Je me souviens que c’était devant la buanderie d’Elmer Courtemanche. Elmer me fait entrer à l’intérieur pour me changer et faire sécher mon linge; il m’a gâtée un peu. C’est le beau-frère de tante Odile, j’avais bien choisi ma place pour tomber !

Enfin réunis

Parfois, je travaille à la cuisine. Un jour, j’entre dans la chambre froide de l’hospice où il y a des chaudières de 30 livres bien alignées. Devinez laquelle est ma préférée? Dans la noirceur, je cherche celle du beurre de coconut. Je la trouve enfin et avec les doigts, je me régale: notre dessert, c’est une seule petite cuillerée de confitures de framboises, rien d’autre. Comme il fait noir, j’ai peur de ne pas trouver les portes de la sortie. On monte les repas des sœurs à l’aide d’un petit élévateur. Les assiettes contiennent de bons pruneaux et des rôties mais lors du service, c’est certain qu’il en manque un peu dans les assiettes.

L’hôpital est au rez-de-chaussée. Ils décident d’opérer pour les amygdales, une dizaine d’opérations par matin. J’espère que c’était nécessaire. On est en quarantaine souvent: rougeole, fièvre, scarlatine. Un matin, je regarde par la fenêtre et j’aperçois une petite fille morte, probablement de la scarlatine, sur un matelas; j’ai crié et ils sont venus la chercher. Par la suite, on n’en entend plus parler.

Florence, plus âgée que moi, travaille à l’hôpital, elle passe les cabarets aux malades. Le Dr Roy la remarque et lui demande de travailler chez lui comme servante. Papa accepte.



Noël approche, j’écris une lettre à mon père qui a acheté une terre à Lac-du-Cerf. Il est guide pour les touristes américains de M. Wester car papa parle bien l’anglais.

Mon frère Lionel est déjà rendu avec lui. Mon père avait décidé de reprendre Lionel car il se sauvait souvent de l’hospice. Il était tannant et en faisait voir de toutes les couleurs aux religieuses. Maintenant, je suis la seule à l’hospice, alors je demande à papa de me sortir de là. J’approche de mes 12 ans. Je lui écris: « Si tu m’aimes, viens me chercher ». Ainsi à l’été, tante Odile et oncle Mathias qui possèdent une auto viennent me reconduire.

Me voilà sur le chemin de Lac-du-Cerf. Le chemin est étroit et les branches touchent à l’auto. Au milieu, il y a de l’herbe. Je vois les petites maisons et je passe la remarque qu’elles ont seulement des petits carreaux pour fenêtre. Tante Odile me dit: « Pauvre petite, il n’y en aura peut-être pas de fenêtre chez toi ». Qu’importe, je suis heureuse, je vais avoir un chez-moi. Nous voici arrivés, c’est notre maison. Papa est très content de me voir. Notre maison est faite de pièces de bois équarries à la hache, isolée à la chaux et renchaussée avec de la terre. Elle a trois fenêtres et un étage avec pignon.

En entrant, il y a un gros poêle à bois noir qu’on appelle «  box stove  » avec un chevreuil sculpté sur la porte du fourneau, une pompe à eau et sur la table au milieu de la pièce, la lampe à l’huile éclaire l’escalier. D’un côté de l’escalier, le lit de mon père avec son gros matelas de plume et de l’autre côté, un lit avec un matelas fait de poches de patates cousues remplies de foin. Mon frère Lionel a dû déménager au deuxième dans le pignon.

Pas longtemps après, Florence apprend que je ne suis plus à l’hospice et elle dit au Dr Roy: « Je m’en vais chez nous ». Comme je suis contente de la voir. C’est la joie, nous voici réunis en famille.
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L'Info de La Lièvre, mercredi  mai-juin-juillet-août-septembre 2021


Rubrique nécrologique

CHARBONNEAU (née DUFFY), Carmen
1927 - 2021


À Lac-du-Cerf, le 27 novembre 2021, à l’âge de 94 ans, est décédée Mme Carmen Duffy, épouse de feu M. Raymond Charbonneau.

Elle laisse dans le deuil ses enfants Raymonde, Roland, Irène, Claudine, Lucie, Denise, Marie-Josée et leur conjoints (es), ses petits-enfants et leur famille, ainsi que plusieurs autres parents et amis.

Selon ses volontés, les rituels auront lieu dans l’intimité.