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Extraits de
"Louis Jouvet: Man of the Theatre"
par Bettina Liebowitz Knapp


Trouble d'�locution et th��tre � l'�cole:
[...] Un tel travail de diction fut excellent pour Jouvet, puisque cela l'obligea � contr�ler son articulation. En appliquant toute sa volont� � dire ses r�pliques tr�s lentement, il s'effor�ait de ma�triser son h�sitation et camoufler son embarras. Son succ�s ne fut pas total; il n'arriva jamais � se d�barasser compl�tement de son handicap. Plus tard, il apprit � le compenser et � le d�guiser en adoptant une diction particuli�re [...]


La fa�on dont il �tait per�u par les autres:
[...] Il avait tendance � juger durement ceux qui ne r�pondaient pas � ses attentes. Il ne respectait et ne se donnait qu'� ceux qui travaillaient aussi fort que lui et aussi fid�lement. Il ne feignait pas son antipathie pour les bluffeurs, les paresseux, les bruyants et les bavards, et pour cette raison beaucoup le trouvaient d�sagr�able.[...]

[...] Jouvet �tait un homme tr�s �motif, et pourtant les gens le trouvaient souvent froid et insensible. Peut-�tre avait-il des raisons d'�tre ainsi. Il avait connu des frustrations dans sa jeunesse: il avait �t� refus� au Conservatoire � trois reprises; il avait souffert de probl�mes de diction, et ses ambitions avaient �t� contrecarr�es par sa famille. Le r�sultat en �tait une attitude prudente qui laissait croire � une certaine froideur de sa part pour ceux qui ne le connaissaient pas bien. De plus, en raison de ces frustrations, il avait gard� une peur tenace de l'�chec. Bien que d�j� tr�s applaudi et acclam�, il doutait encore dans une certaine mesure de lui-m�me, et n'exprimait ses opinions intimement personelles qu'� ses amis les plus chers. Cette tendance � la r�serve, sa fa�on de se prot�ger du monde, l'emp�chait d'�tre spontan� sauf avec ceux qui lui �taient tr�s proches. Peu nombreux sont ceux qui ont connu tout Jouvet, Jouvet nature. Cette relation avec les gens lui convenait. Il avait toujours entretenu une peur profonde de s'exposer au monde. En outre, sa tendance � se cacher et � se retirer des contacts trop familiers, � s'entourer de myst�re, se manifestait dans ses compositions de personnages o� il adoptait fr�quemment des attitudes de masque. [...] Si l'on tentait d'�num�rer les nombreux r�les dans lesquels Jouvet a cherch� un type curieux de d�guisement, la liste serait longue et donnerait lieu de croire qu'il avait une peur psychologique de se r�v�ler, m�me physiquement, au public. Pour cette raison peut-�tre, ses personnages atteignaient � une r�alit� plus vivante, puisqu'en se jetant compl�tement dans le r�le pour s'y perdre, il d�veloppait plus compl�tement le personnage qu'il jouait.[...]


M�lancolie:
[...] Jouvet n'avait que 41 ans lorsque ces acc�s de m�lancolie commenc�rent � se manifester r�guli�rement chez lui. Il �tait obs�d� par un sentiment de futilit� et de crainte. Etrangement, c'�tait justement � l'�poque m�me o� il commen�ait � apporter ses plus grandes contributions � la sc�ne. Peut-�tre �tait-ce que le vide cr�� par l'absence d'amis, pour lesquels il avait un besoin constant, invitait l'�ruption de craintes plus profondes qui avaient toujours couv� en lui. Jouvet n'avait jamais pu compl�tement s'ouvrir aux autres, mais il attendait des autres qu'ils lui t�moignent leur affection et leur confiance. Cela �tait peut-�tre d� � un d�sir irr�sistible de p�n�trer les masques des gens, de p�n�trer leurs secrets pour mieux les comprendre [...] Mais, au-del� de cela, il ne fait aucun doute que Jouvet aimait profond�ment les gens et avait un besoin �motif d'�tre pr�s d'eux. Cet acteur si sensible avait une nature compr�hensive et affectueuse et r�pondait avec sympathie � l'appel des amis et des �trangers.[...]


Retour � Paris apr�s la guerre et 4 ans de tourn�e:
[...] Mais Jouvet �tait aussi plus vieux et plus triste � son retour. Son grand ami Jean Giraudoux �tait mort, et il en ressentirait toujours un vide, que personne d'autre ne pourrait jamais combler. [...] Il n'�tait plus familier avec les courants modernes de la sc�ne th��trale parisienne, il ne connaissait pas les jeunes metteurs en sc�ne tels Jean-Louis Barrault; peut-�tre ne pourrait-il jamais arriver � �tre aussi proche d'eux qu'il l'avait �t� des metteurs en sc�ne d'avant-guerre.[...] Ce fut pour lui un choc de constater qu'au lieu d'attirer les talents autour de lui depuis son retour, il �tait maintenant consid�r� comme d�pass�, un homme montant rapidement en graine. Il avait bien l'intention de combattre cette id�e de toutes ses forces. [...]

[...] Ses coll�gues � cette �poque remarqu�rent chez Jouvet une anxi�t� plus fr�n�tique qu'� l'accoutum�, un besoin presque compulsif de travailler. Il travaillait souvent seize ou dix-huit heures par jour � l'Ath�n�e ainsi qu'� diff�rents studios de cin�ma. [...] Cette anxi�t� provenait probablement du fait qu'il n'�tait plus du tout s�r de lui. Il h�sitait � l'approche d'une nouvelle production car il y voyait trop de possibilit�s. Par exemple, apr�s avoir r�p�t� une sc�ne � sa satisfaction, il avait ensuite pendant la m�me nuit des doutes sur son interpr�tation. Au matin, il changeait la sc�ne enti�re. Jouvet avait toujours fait preuve dans une certaine mesure de volte-face �motifs et d'ind�cision, mais jamais comme � pr�sent. Sa tension, son h�sitation et sa sensation d'ins�curit� avaient augment� � un niveau alarmant. La conscience qu'il devenait vieux et l'anticipation effrayante de sa mort prochaine �taient pour Jouvet des fardeaux additionnels pour son esprit d�j� troubl�. Quoique seulement �g� de 58 ans � l'�poque, il �tait convaincu qu'il ne lui restait que quelques ann�es � vivre. Il avait vu mourir tant de ses amis les plus chers au cours des derni�res ann�es qu'il savait qu'il allait bient�t les suivre. Et plus cette crainte de la mort s'emparait de lui, plus il devenait religieux, d'une mani�re tr�s personnelle et mystique.[...]


Religion:
[...] Ce qui attirait Jouvet � la religion, c'�tait en particulier son c�t� intens�ment dramatique et le myst�re � sa source. Ayant toujours �t� au fond un homme solitaire, il avait essay� de communiquer ses id�es et ses sentiments aux autres, mais croyait n'y �tre jamais vraiment arriv�. Jouvet trouvait la communion avec la religion n�cessaire; c'est l� qu'il pouvait se perdre pour atteindre un soi plus complet, plus facile � comprendre. C'�tait aussi un exutoire � son trop-plein d'�motions.[...]


Premi�re de la Folle de Chaillot (1ere cr�ation apr�s son retour en France apr�s la guerre):
[...] Avec tr�pidation le chiffonier (Jouvet) entra en sc�ne. Un profond silence emplit la salle alors que le public le regardait, s'appr�tant � donner ses premi�res r�pliques. Tendrement et fermement il commen�a. [...] Jouvet senti la tension montante de la part des spectateurs, et il sut � cet instant qu'il les avaient retrouv�s, qu'il ne les avaient jamais vraiment perdus.[...] Jouvet venait peut-�tre de gagner le combat le plus difficile de sa carri�re [...] la jeune g�n�ration de metteurs en sc�ne et d'acteurs acceptait son leadership comme l'avaient fait ses contemporains. Et ses contemporains � nouveau r�alisaient � quel point Jouvet �tait dou�, et quelle d�votion et quelle int�grit� il apportait � sa profession.[...] Il n'avait pas perdu sa place dans le th��tre fran�ais, il n'�tait pas oubli�, il n'�tait pas objet de piti�. [...]


Sa mort:
[Pendant la r�p�tition,] Jouvet s'�tait mis � bailler assez fr�quemment, et un acteur lui fit remarquer qu'il �tait p�le. A ceci il r�pondit, "Moi, je n'ai jamais �t� p�le!" Ses acteurs lui sugg�r�rent de se reposer quelques minutes. Il se retira dans le bar du th��tre et s'�tendit sur le tapis. Il baillait plus fr�quemment � pr�sent, et certains not�rent un son bizarre quand il ouvrait la bouche. Quelques minutes plus tard, Jouvet ferma les yeux. Les acteurs, alarm�s par son �tat, firent appeler un m�decin. Pr�s d'une demi-heure plus tard, le m�decin arriva. Il fit � Jouvet une injection de solucamphre et de morphine et ordonna un repos complet, puisque le moindre effort pouvait �tre fatal. Avec l'aide d'un machiniste, Paul Barge transporta Jouvet, assis sur un fauteuil, jusqu'� l'escalier menant � sa loge-bureau. Ils l'install�rent sur un divan et une extraordinaire vitalit� gagna alors le com�dien. Jouvet dit, 'Laissez-moi'. Quelques minutes plus tard, il se plaignait d'une douleur au bras gauche. La douleur s'intensifia. La paralysie enveloppa en entier le c�t� gauche de son corps. Pendant les deux jours suivants, il resta immobile sur le divan. D'autres complications se pr�sent�rent, et vers 6h 15 le second soir, apr�s avoir re�u les derniers sacrements, Jouvet mourut. [...] [D'autres sources donnent 8h 30 comme heure du d�c�s.]


Extraits tir�s de:
Louis Jouvet: Man of the Theatre
par Bettina Liebowitz Knapp
Columbia University Press
1957

Traduction SylvieL



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